Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision rendue le 9 mars 2006 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
LE CONTEXTE
[2] La demanderesse est une citoyenne canadienne d’origine indienne qui s’est rendue en Inde en 1999, 2001 et 2002. Elle y a fait la connaissance de l’homme qu’elle a épousé en février 2002, un homme qui se trouve être également son cousin germain. Après le mariage, il a demandé la résidence permanente au Canada sur le fondement de sa relation matrimoniale avec la demanderesse.
[3] Un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente du mari le 29 octobre 2003. La demande a été refusée pour les deux motifs suivants :
a) En premier lieu, l’agent des visas a conclu que, puisque la demanderesse et son mari sont cousins germains, leur présumé mariage contrevenait au sous‑alinéa 5(iv) de l’Hindu Marriage Act et était donc nul ab initio selon l’article 11 de l’Hindu Marriage Act.
b) En second lieu, l’agent des visas a également refusé la demande en application de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), pour le motif que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.
[4] La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAI. Une audience a eu lieu le 16 septembre 2005, où la demanderesse et son présumé mari ont été les seuls témoins. Les avocats des deux parties ont ensuite été invités à présenter des observations écrites supplémentaires.
[5] La SAI a rendu sa décision par écrit le 9 mars 2006, laquelle rejette l’appel.
LES QUESTIONS À EXAMINER
[6] La présente demande soulève deux questions principales qui peuvent être formulées ainsi :
a) La SAI a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées?
b) La SAI a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve et en appliquant incorrectement le critère juridique concernant l’acceptation du droit coutumier dans le cadre de l’Hindu Marriage Act?
LES DISPOSITIONS PERTINENTES
[7] Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes en l’espèce :
2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.
[…]
|
2. The definitions in this section apply in these Regulations.
[…]
|
« mariage » S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.
[…]
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“marriage”, in respect of a marriage that took place outside Canada, means a marriage that is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law.
[…]
|
4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. |
4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act. |
LA NORME DE CONTRÔLE
[8] Sur le vu de la jurisprudence, il semble que le choix de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), y compris la SAI, soit motivé principalement par la nature de la décision rendue par la CISR. Pour les questions de droit, la norme de contrôle applicable est la décision correcte, pour les questions mixtes de fait et de droit, la décision raisonnable et pour les questions de fait, la décision manifestement déraisonnable. Pour les questions de fait, il a également été affirmé que la norme de contrôle applicable est celle décrite à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, soit une décision que le tribunal a rendue « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».
[9] Il faut également souligner que les conclusions relatives au droit étranger tirées dans des cours canadiennes sont des questions de fait devant être établies par preuve d’expert. Comme pour les autres conclusions de fait, la cour qui en effectue le contrôle doit donc faire preuve d’une grande retenue.
ANALYSE
La conclusion de fait erronée
[10] La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur [traduction] « monumentale » en se trompant sur son pays de naissance. L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, est rédigé ainsi :
4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :
[…]
|
(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal
. . .
|
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
|
(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;
|
[11] Au paragraphe 8 de la décision, le commissaire écrit que la demanderesse a témoigné être née en Inde. La demanderesse nie avoir donné un tel témoignage et souligne, dans son affidavit daté du 25 avril 2006, qu’elle est en réalité née à Edmonton, en Alberta.
[12] Bien que je n’aie aucune raison de douter de la déclaration à ce sujet émise par la demanderesse dans son affidavit, je conviens néanmoins avec le défendeur que cette erreur en elle‑même ne suffit pas à faire annuler la décision. Selon la décision Rohm & Haas Can. Ltd. c. Tribunal antidumping (1978), 91 D.L.R. (3rd) 212 (C.A.F.), il faut satisfaire à trois conditions préalables pour que soit justifiée une intervention en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) : 1) la conclusion de fait doit être véritablement erronée; 2) la conclusion doit être tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve; 3) la décision doit être fondée sur la conclusion erronée.
[13] Selon le défendeur, et je suis d’accord, le véritable lieu de naissance de la demanderesse n’a influé en rien sur la décision voulant que le mariage ne soit pas valide au sens de l’article 2 du Règlement. Ainsi, la décision de la SAI de rejeter l’appel visant la décision de l’agent des visas n’était pas fondée sur une conclusion de fait erronée quant au lieu de naissance de la demanderesse.
L’erreur susceptible de contrôle
[14] Puisque la SAI n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’article 4 du Règlement dans sa décision, la question de savoir si le mariage « vis[ait] principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi » n’est pas pertinente dans le cadre de notre analyse.
[15] La seule question qui demeure, pour ce qui est de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant l’appel, est de savoir si elle a correctement appliqué aux faits en l’espèce les critères établissant la validité du mariage énoncés à l’article 2 du Règlement.
[16] Le sous‑alinéa 5(iv) de l’Hindu Marriage Act est rédigé ainsi :
[traduction]
5. Conditions du mariage hindou – Le mariage entre deux hindous peut être célébré si les conditions suivantes sont réunies :
[…]
(iv) les parties ne sont pas unies par un lien de parenté interdit, sauf si la coutume ou l’usage qui régit chacune d’elle les autorise à se marier;
[17] L’agent des visas a conclu que la demanderesse et son mari étaient en fait cousins germains et qu’ils étaient donc unis par un lien de parenté interdit, une conclusion qui n’a pas été contestée et que la SAI a considérée comme exacte. En conséquence, la seule question qui demeure est de savoir s’il existe une coutume ou un usage valide régissant chaque partie qui légaliserait le mariage selon le droit hindou.
[18] La définition des termes coutume et usage dans l’Hindu Marriage Act se trouve à l’alinéa 3a) et est rédigée ainsi :
[traduction]
3. Définitions – Dans la présente Loi, à moins que les circonstances n’exigent le contraire,
a) les termes « coutume » et « usage » désignent toute règle qui, ayant été constamment et uniformément appliquée depuis longtemps, a force de loi chez les hindous dans une localité, une tribu, une communauté, un groupe ou une famille :
À condition que la règle soit sans équivoque et qu’elle ne soit ni déraisonnable ni contraire à l’ordre public; et
À condition en outre que, si la règle ne s’applique qu’à une seule famille, elle n’ait pas été abandonnée par cette famille;
[19] La jurisprudence issue de la Cour d’appel fédérale sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration est contradictoire sur la question de savoir si le fardeau de prouver l’existence d’une coutume ou d’un usage au sens de l’Hindu Marriage Act repose sur la partie alléguant l’existence de la coutume ou sur la partie contestant la validité du mariage (voir Uppal c. Canada (M.E.I.), [1986] A.C.F. no 804, et Canada (M.E.I.) c. Taggar, [1989] A.C.F. no 516), mais nous sommes convaincus qu’il incombe à la partie invoquant une coutume valide de prouver l’existence de cette coutume.
[20] En concluant que la preuve dont elle disposait n’établissait pas l’existence d’une coutume ou d’un usage valide qui l’emporterait sur l’interdiction prévue à l’article 5 de l’Hindu Marriage Act, la SAI a affirmé :
Aucune preuve concernant la possibilité qu’il existe des coutumes ou usages qui l’emportent sur l’interdiction de mariage entre cousins n’a été produite. Le conseil a déposé nombre d’affidavits qui attestent la bonne foi des parties et celle d’autres parties qui se sont déjà trouvées dans cette situation, mais cela ne permet pas d’acquitter le fardeau de la preuve en ce qui a trait à la qualité ou à la quantité dans de telles situations. Il n’a non plus présenté de preuve d’expert, ni par téléconférence ni par écrit. Or, la jurisprudence stipule clairement que la preuve d’expert est requise dans de telles circonstances.
[21] La demanderesse soutient qu’un avis d’expert a été présenté sous la forme de l’avis juridique écrit de Mme Peeyushi Diwan Jain, une avocate et auteure reconnue dans les domaines du droit familial et du droit coutumiers indiens du Panjab.
[22] L’audience s’est tenue par téléconférence et, à la fin, on a demandé à la demanderesse de présenter des observations écrites, surtout sur les aspects juridiques du mariage en droit hindou.
[23] Bien que des observations aient été déposées, aucun avis d’expert n’a été soumis. L’avocat de la demanderesse s’est plutôt contenté de s’appuyer sur l’avis juridique d’une avocate de l’Inde, Mme Jain, pour étayer ses observations écrites.
[24] En réponse, le défendeur a examiné dans ses observations écrites les arguments soulevés tant par l’avocat de la demanderesse que par Mme Jain.
[25] La Cour estime que l’avis juridique de Mme Jain ne constitue pas un avis d’expert, mais qu’il doit être considéré simplement comme un élément de preuve parmi les autres soumis à l’appui des allégations de la demanderesse.
[26] Il ne fait aucun doute que le tribunal disposait d’éléments de preuve contradictoires relativement à l’existence d’une coutume ou d’un usage qui l’emporterait sur l’interdiction de se marier entre cousins germains. De plus, il incombait à la demanderesse de démontrer qu’une telle coutume ou qu’un tel usage existe, comme l’a clairement fait savoir le tribunal dans sa décision.
[27] La demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle en ne faisant référence qu’à certains éléments de preuve et en omettant de mentionner expressément l’avis juridique auquel l’avocat de la demanderesse s’était référé dans ses observations écrites.
[28] Les observations écrites ne constituent habituellement pas des éléments de preuve, mais des arguments avancés par l’avocat à la fin de la procédure. Je ne peux considérer comme une erreur susceptible de contrôle le fait que le tribunal n’ait pas mentionné expressément l’avis juridique, puisqu’il a été fourni après l’audience et joint aux observations écrites.
[29] Je conclus que je ne peux accueillir la présente demande. Puisqu’il a déjà été établi que cet avis juridique n’était qu’un élément de preuve parmi d’autres, il serait déraisonnable d’exiger que les motifs du tribunal fassent mention de chaque élément de preuve pris en compte.
[30] En outre, la présomption établie par la jurisprudence depuis de nombreuses années voulant que le tribunal ait tenu compte de toute la preuve devant lui pour rendre sa décision s’applique.
[31] Finalement, le tribunal n’a pas commis d’erreur en établissant qu’il faut un avis d’expert pour prouver l’existence d’une coutume ou d’un usage valide l’emportant sur une disposition légale valide. Fournir un avis juridique, sans suivre le processus pour faire reconnaître cet avis comme avis d’expert, ne suffit pas.
[32] Par conséquent, la demanderesse n’a pas convaincu la Cour qu’elle doit intervenir en l’espèce.
JUGEMENT
1. La présente demande est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Pierre Blais »
Juge
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1669-06
INTITULÉ : AMRIT KAUR BUTTAR
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 3 OCTOBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : LE 25 OCTOBRE 2006
COMPARUTIONS :
Brij Mohan
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POUR LA DEMANDERESSE |
Rick Garvin
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Brij Mohan & Associates Edmonton (Alberta)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |