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Date : 20061026

Dossier : IMM-1119-06

Référence : 2006 CF 1275

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

RAMZI KAMEL FARHAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

VUE GÉNÉRALE

 

[1]               [13]      L'objectif général de la Loi est de réglementer l'admission des immigrants au Canada et de maintenir la sécurité de la société canadienne. Cet objectif général comprend aussi la réunification des familles. Ceci implique qu'il faut examiner divers intérêts qui pourraient entrer en conflit. Il faut faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions prises dans un contexte polycentrique.

 

 

(Easton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 366, [2006] A.C.F. n° 494 (QL).)

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               La délivrance de permis de séjour temporaire (PST), anciennement désignés permis ministériels et visés au paragraphe 19(3) et à l’article 37 de la Loi sur l’immigration (abrogée), L.R.C. 1985, ch. I-2, constitue un régime d’exception. Cette délivrance permet à un étranger qui est interdit de territoire au Canada ou ne se conforme pas à la LIPR ou au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), de devenir résident temporaire si un agent « estime que les circonstances le justifient » (paragraphe 24(1) de la LIPR).

 

[3]               En l’espèce, le représentant du ministre au Consulat général du Canada à New York (le ministre) a estimé que les circonstances ne justifiaient pas la délivrance d’un PST à M. Farhat. C’est là la décision contestée devant la Cour.

 

LE CONTEXTE

[4]               M. Farhat est né au Liban. Le 3 octobre 2000, il a épousé au New Jersey une citoyenne canadienne.

 

[5]               En février 2002, M. Farhat et son épouse se sont présentés à un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) au poste frontière de St-Bernard. L’agent a remis au couple deux formules : une demande d’engagement et une demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada. L’agent a expliqué au couple qu’il faudrait que M. Farhat présente sa demande de prorogation de séjour à titre de visiteur un mois et demi avant son expiration. M. Farhat allègue avoir compris tout comme son épouse des propos de l’agent qu’il lui faudrait rester au Canada, jusqu’à ce qu’il présente sa demande d’établissement sur place, ce qu’il pourrait faire si son épouse le parrainait.

 

[6]               Le 22 août 2002, CIC a reçu de M. Farhat une demande de dispense, à titre de conjoint d’une citoyenne canadienne, afin de pouvoir demander la résidence permanente depuis le Canada (DDE).

 

[7]               Le 19 juin 2003, la DDE de M. Farhat a été rejetée en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration (abrogée), celui‑ci n’ayant pas qualité de résident temporaire lors du traitement de la demande. Rien n’indique que cette décision ait été contestée devant la Cour fédérale.

 

[8]               Le 16 novembre 2004, M. Farhat a été reconnu coupable de vol de moins de 5 000 $, une infraction visée au paragraphe 354(1) du Code criminel, L.R., ch. C-34, article 1 et punissable en application de son alinéa 355b). M. Farhat a plaidé coupable à cette infraction.

 

[9]               Le 29 septembre 2005, un rapport a été établi en application de l’article 44 parce que le ministre a estimé M. Farhat, aux termes de l’alinéa 36(2)a), être interdit de territoire pour criminalité du fait qu’il avait été déclaré coupable au Canada d’une infraction à la LIPR punissable par mise en accusation.

 

[10]           M. Farhat a de la sorte fait l’objet d’une mesure d’exclusion d’un an du Canada en application de l’article 223 et du paragraphe 225(1) du Règlement. Rien n’indique non plus que cette décision ait été contestée devant la Cour fédérale. M. Farhat est alors parti aux États-Unis, où il a obtenu la citoyenneté américaine.

 

[11]           Le 14 novembre 2005, on a informé l’avocat de M. Farhat que son client devait présenter une demande d’autorisation de revenir au Canada en application du paragraphe 52(1) de la LIPR et du paragraphe 225(2) du Règlement.

 

[12]           Le 21 novembre 2005, M. Farhat a soumis autorités canadiennes à New York une demande de PST en application de l’article 24 de la LIPR; cette demande a été rejetée le 29 décembre 2005.

 

LA DÉCISION SOUMISE À L’EXAMEN

[13]           Dans sa décision, le ministre a conclu que la situation de M. Farhat  ne justifiait pas la délivrance d’un PST pour les raisons qui suivent :

·        le ministre n’était pas convaincu que, si un PST lui était délivré, M. Farhat quitterait le Canada une fois le permis expiré;

·        le ministre a indiqué que, comme M. Farhat avait été déclaré coupable de vol de moins de 5 000 $ le 16 novembre 2004, il pouvait demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles de le réhabiliter;

·        le ministre a également conclu que M. Farhat  devait obtenir une autorisation de revenir au Canada en application du paragraphe 52(1) de la LIPR, puisqu’une année ne s’était pas écoulée depuis qu’une mesure d’exclusion du Canada avait été prise contre lui le 29 septembre 2005.

 

QUESTION EN LITIGE

[14]           La décision du ministre de rejeter la demande de PST de M. Farhat  est-elle manifestement déraisonnable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           En plus d’avoir un caractère exceptionnel, la délivrance de PST a été jugée constituer une décision « hautement discrétionnaire » par la Cour fédérale. Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. n° 39 (QL), la juge Claire L’Heureux-Dubé a établi la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions discrétionnaires se fondant, par exemple, sur des considérations humanitaires (CH). On n’établissait toutefois pas dans Baker la norme de contrôle convenant pour les décisions « hautement discrétionnaires » comme la délivrance de permis ministériels (Figueroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 1339, [2003] A.C.F. n° 1708 (QL), paragraphe 16; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (QL); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] A.C.F. n° 3 (QL); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. n° 457 (QL)).

 

[16]           En 2001, la Cour suprême du Canada a analysé la question de la norme de contrôle applicable aux décisions hautement discrétionnaires telles que la délivrance de permis ministériels. Dans Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] A.C.S. n° 43 (QL), le juge William Ian Corneil Binnie a statué que la norme de retenue la plus élevée, celle du caractère manifestement déraisonnable, doit généralement être appliquée aux décisions que prennent des ministres en exerçant des pouvoirs discrétionnaires en contexte administratif :

[56]      Notre Cour a souligné, dans l’arrêt Baker c. Canada, précité (le juge L’Heureux-Dubé, par. 53), que les décisions ministérielles de nature discrétionnaire font habituellement l’objet d’une très grande retenue, citant Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, p. 7-8.  Le juge L’Heureux-Dubé précise, au par. 56 :

 

La démarche pragmatique et fonctionnelle peut tenir compte du fait que plus le pouvoir discrétionnaire accordé à un décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options.

 

[57]      Une plus grande retenue peut se révéler nécessaire en raison du libellé particulier de la loi : Re Sheehan and Criminal Injuries Compensation Board (1975), 52 D.L.R. (3d) 728 (C.A. Ont.), où l’art. 5 de la Law Enforcement Compensation Act, R.S.O. 1970, ch. 237, obligeait la Commission à [traduction] « tenir compte de toutes les circonstances qu’elle considère pertinentes » (je souligne).

 

[58]      La norme de retenue la plus élevée, celle du caractère manifestement déraisonnable, doit généralement être appliquée aux décisions que prennent des ministres en exerçant des pouvoirs discrétionnaires en contexte administratif.  La présente affaire montre pourquoi il doit en être ainsi.  Le permis délivré par le ministre a pour objet général de régir la prestation de services de santé conformément à « l’intérêt public ».  Cela favorise l’adoption d’une norme de retenue élevée, tout comme le fait l’expertise du ministre et de ses conseillers, sans compter la position élevée que ce dernier occupe dans la hiérarchie des décideurs qui exercent une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi.  L’exercice du pouvoir dépend de ce que le ministre considère être dans l’intérêt public, ce qui est un excellent exemple de mesure touchant l’intérêt public.  Bien qu’elle ne soit directement pertinente que dans les cas de renouvellement, la formulation privative de l’art. 139.1 confirme le degré élevé de retenue qui s’impose en l’espèce (« [l]a décision du ministre est finale et sans appel »).

 

[59]      Par conséquent, la norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle du caractère manifestement déraisonnable.

 

[60]      Le recours au principe du « caractère déraisonnable » pour vérifier la validité des décisions de fond remonte à l’arrêt Baker c. Canada, précité, par. 53 :

 

Un principe général relatif au «caractère déraisonnable» a parfois été appliqué aussi à des décisions discrétionnaires:  Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.).  À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales — qu’une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l’égard des décideurs lorsqu’ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l’étendue de la compétence du décideur

 

            […]

[63]      Au Canada, du moins jusqu’à maintenant, les tribunaux ont adopté le point de vue selon lequel il appartient généralement au ministre de décider si l’intérêt public l’emporte.  Les tribunaux n’interviendront que s’il est établi que la décision du ministre est manifestement déraisonnable, au sens d’être irrationnelle ou abusive, ou (pour reprendre les termes utilisés dans Coughlan, par. 72) [traduction] « si arbitraire et oppressive qu’aucune personne raisonnable ne [la] jugerait justifiée ».  Cette exigence stricte est respectée en l’espèce où, comme dans l’affaire Baker c. Canada, le caractère déraisonnable tient à l’absence singulière de reconnaissance des conséquences graves que le revirement soudain d’opinion du ministre a eu sur les intimés, qui ont été pris entre l’ancienne politique (voulant que 50 lits destinés aux soins de courte durée soient dans l’intérêt public) et la nouvelle politique (selon laquelle 50 lits destinés aux soins de courte durée doivent être assortis de services de diagnostic et de traitement améliorés).

 

 

[17]           Tel qu’il est déclaré dans Mont‑Sinaï, précité, la norme de contrôle appropriée pour la décision de refuser de délivrer un permis ministériel, maintenant connu sous le nom de PST et visé à l’article 24 de la LIPR, est celle du caractère manifestement déraisonnable.

 

ANALYSE

            1)         Le cadre législatif

[18]           Selon le paragraphe 24 (1) de la LIPR, « [d]evient résident temporaire l’étranger […] à qui [l’agent] délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire –  titre révocable en tout temps ».

 

[19]           Le paragraphe 24 (1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Permis de séjour temporaire

 

24.      (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

Temporary resident permit

 

24.      (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

[…]

 

. . .

 

Instructions

 

(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

Instructions of Minister

 

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

 

 

[20]           Les PST étaient auparavant connus sous le nom de permis ministériels visés à l’article 37 de la Loi sur l’immigration (abrogée). Dans Thamotharampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 836, [2003] A.C.F. n° 1084 (QL), la juge Elizabeth Heneghan a fait remarquer ce qui suit :

[54]      À mon avis, ce permis est semblable, mais non identique, au permis ministériel dont la demande pouvait être faite en vertu du paragraphe 37(1) de l'ancienne loi. La LIPR prévoit la délivrance d'un permis similaire, conformément à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, permis qui permettrait au demandeur de demeurer au Canada.

 

[21]           L’article 37 de la Loi sur l’immigration (abrogée) prévoit pour sa part ce qui suit :

Délivrance

 

37.      (1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant :

 

Issue or permits

 

37.      (1) The Minister may issue a written permit authorizing any person to come into or remain in Canada if that person is

 

a) à entrer au Canada, les personnes faisant partie d’une catégorie non admissible;

 

(a) in the case of a person seeking to come into Canada, a member of an inadmissible class; or

 

b) à y demeurer, les personnes se trouvant au Canada qui font l’objet ou sont susceptibles de faire l’objet du rapport prévu au paragraphe 27 (2).

 

(b) in the case of a person in Canada, a person with respect to whom a report has been or may be made under subsection 27 (2).

 

[…]

 

 

Durée du permis

 

(3) Le permis est valable pour la durée qui y est indiquée et qui ne peut dépasser trois ans.

 

Conditions of permit

 

(3) A permit shall be in force for such period not exceeding three years as is specified in the permit.

 

Prorogation et annulation

 

(4) Le ministre peut, par écrit, proroger le permis ou l’annuler.

Extension and cancellation

 

(4) The Minister may at any time, in writing, extend or cancel a permit.

 

 

            a) Objectifs visés par les mesures législatives

[22]           On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470 (QL).)

 

[23]           Avant qu’un PST ne soit délivré, l’on doit tenir compte du fait que ce permis octroie à son titulaire des privilèges plus importants que ceux qui sont accordés aux visiteurs, aux étudiants et aux travailleurs. Comme l’étranger de ces deux catégories, le titulaire d’un PST devient résident temporaire après un examen à son entrée au Canada, mais il peut en outre avoir accès aux services sociaux ou de santé et demander un permis de travail ou d’études à partir du Canada. N’est en outre assujetti à aucun pouvoir discrétionnaire l’octroi de la résidence permanente aux personnes qui résident au Canada pendant toute la période de validité du permis et ne deviennent pas interdites de territoire pour d’autres motifs que ceux ayant justifié l’octroi du PST. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 5.7; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie.)

 

[24]           C’est donc avec circonspection que l’on doit recommander la délivrance d’un PST et y procéder. Le législateur avait bien conscience de la nature exceptionnelle des PST et il s’est réservé un rôle de surveillance à cet égard; le ministre fait ainsi état dans son rapport annuel au Parlement du nombre de PST délivrés en application de l’article 24 de la LIPR, les « données [étant] réparties selon les motifs d’interdiction de territoire ». (Guide de l’immigration, ch. OP 20, sections 5.2 (paragraphe 2) et 5.22; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; paragraphe 94(2) de la LIPR.)

 

            b) Guide de l’immigration

[25]           Aux termes du Guide de l’immigration, il incombe aux agents de « ne recommander ou délivrer un permis que conformément aux lignes directrices énoncées dans le présent chapitre et ils sont tenus de verser au dossier la preuve documentaire de leur décision ». (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 5.2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie.)

 

[26]           La section 5.8 du Guide de l’immigration prévoit ce qui suit :

Le besoin, pour une personne interdite de territoire, d’entrer au Canada ou d’y demeurer doit être impératif et suffisant pour compenser les risques que représente sa présence, sur les plans de la santé et de la sécurité, pour la société canadienne. Le degré du besoin variera selon le genre de cas.

 

Même si l’interdiction de territoire ou l’infraction est relativement mineure, un permis peut être injustifié en l’absence d’un besoin impératif. Ainsi, le programme de visa de résident temporaire manquerait d’intégrité si les résidents temporaires non munis d’un visa obtenaient un permis de séjour temporaire aux points d’entrée.

 

Voici certains points et exemples non exhaustifs qui illustrent la portée et l’esprit dans lesquels le pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis doit être utilisé.

 

L’agent peut délivrer un permis si :

·                    le besoin d’entrer au Canada ou d’y demeurer est impérieux et suffisant pour compenser le risque;

 

·                    le risque pour les Canadiens ou la société canadienne est minime et le besoin de la présence au Canada l’emporte sur le risque. Voir les sections 8, 9, 10 et 11 ci‑dessous pour connaître les critères à prendre en considération lorsqu’on décide de recommander l’octroi d’un permis.

 

            (Non souligné dans l’original.)

 

[27]           La section 11 du Guide de l’immigration prévoit en outre ce qui suit :

L’agent doit évaluer chaque cas au mérite en rapport avec la gravité de l’interdiction de territoire ou de l’infraction. S’il devient nécessaire d’obtenir des renseignements ou une confirmation auprès de tierces parties, la preuve documentaire devrait être conservée dans le dossier. Si l’agent a recours à des renseignements provenant de tiers pour en arriver à une décision, le demandeur doit en être informé et doit pouvoir y répondre.

 

L’agent doit examiner toutes les questions suivantes lorsqu’il évalue les risques :

 

·                    Antécédents : l’intéressé a-t-il déjà commis une ou plusieurs infractions à la Loi ou au Règlement?

 

·                    Intention : l’infraction a-t-elle été commise par inadvertance et de façon accidentelle, ou résulte-t-elle d’une négligence ou d’un mépris flagrant de la loi?

 

·                    Crédibilité

 

·                    Renvoi antérieur : les motifs à l’origine du renvoi ont-ils cessé d’exister ou ont-ils diminué en importance? Des empêchements prévus par la loi autres que la mesure de renvoi pèsent-ils  toujours contre l’intéressé?

 

·                    Controverse : le cas est-il à l’origine d’une controverse dans le public, ce qui justifierait de le déférer à l’AC?

 

·                    Risque lié à l’établissement : si un étranger a l’intention de demander la résidence permanente, quel est le risque qu’il ait besoin de l’aide sociale? L’agent doit envisager la possibilité que les personnes qui séjournent au Canada de façon permanente en vertu d’un permis pendant une période déterminée obtiendront la résidence permanente.

 

 

[28]           La Cour d’appel fédérale a récemment statué, au sujet du Guide de l’immigration précité, que ces lignes directrices du gouvernement ne lient pas les institutions gouvernementales et encore moins les tribunaux, mais peuvent néanmoins fournir un utile éclairage sur le contexte, l’objet et le sens des mesures législatives concernées. (Cha, précité, paragraphes 14 et 15; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 270, [2002] A.C.F. n° 950 (QL), paragraphe 37.)

 

[29]           La juge Judith A. Snider a également statué comme suit dans Gilani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 152, [2003] A.C.F. n° 240 :

[16]      Les lignes directrices comportent une liste de questions qui « doivent être traitées » par la gestionnaire du programme dans le contexte de son évaluation des risques. La demanderesse a prétendu que l'agente des visas a limité son analyse à la question du fardeau excessif pour les services de santé du Canada et qu'elle n'a pas traité les autres questions énoncées dans les lignes directrices

 

[17]      Dans la décision Cheng c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1318 (1re inst.) (QL), M. le juge Cullen a déclaré, au paragraphe 7, que bien que les lignes directrices ne soient pas des dispositions à caractère législatif, « l'agent d'immigration qui prend une décision doit les respecter pour assurer une certaine uniformité au sein du ministère » . Cependant, le juge Cullen a déclaré que l'omission d'un agent d'immigration de suivre la politique énoncée dans les lignes directrices ne constituait pas une erreur qui méritait que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'il statue à nouveau sur cette affaire (voir également la décision Vidal, précitée). Le juge Cullen a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans la décision Cheng, précitée, pour d'autres motifs

 

[18]      Dans la décision Ramoutar, précitée, M. le juge Rothstein, maintenant juge à la Section d'appel, a commenté, à la page 375, la question du statut de la politique contenue dans les guides d'immigration en déclarant que « ce n'est pas parce que les hautes instances du Ministère de l'Immigration ont formulé une politique que cela donne à cette dernière le statut d'une loi ».

 

[19]      Par conséquent, l'omission de la gestionnaire du programme d'avoir suivi les lignes directrices, en soi, ne constituerait pas une erreur susceptible de contrôle.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

            2)         La décision rendue n’était pas manifestement déraisonnable

[30]           Premièrement, la Cour rejette la prétention de M. Farhat selon laquelle l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants pour refuser de lui délivrer un PST et n’a pas procédé à une analyse adéquate des besoins par rapport aux risques, comme on l’a déjà mentionné. Le ministre, en effet, a pris en compte les critères pertinents énoncés dans le Guide de l’immigration tout en gardant présent à l’esprit l’intérêt du public.

 

[31]           Comme le font voir clairement les notes provenant du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), le ministre a pris en considération de nombreux facteurs lorsqu’il a apprécié la demande de M. Farhat. Le ministre a alors tiré les conclusions suivantes :

·        une demande d’établissement (DDE) présentée antérieurement a été rejetée en juin 2003;

·        M. Farhat a continué à demeurer au Canada bien qu’il n’ait plus eu un statut valide de visiteur;

·        M. Farhat  a été déclaré coupable, le 16 novembre 2004, de possession de biens criminellement obtenus, une infraction visée au paragraphe 354(1) du Code criminel, alors qu’il se trouvait au Canada sans statut;

·        M. Farhat  a été reconnu interdit de territoire en application du paragraphe 36(2)a) de la LIPR, de sorte qu’il pourrait lui être nécessaire d’obtenir sa réhabilitation pour revenir au Canada;

·        M. Farhat a fait l’objet, le 29 septembre 2005, d’une mesure d’exclusion du Canada d’une année;

·        il faudrait à M. Farhat obtenir, en application du paragraphe  52(1) de la LIPR et conformément au paragraphe 225(1) du Règlement, une autorisation de revenir au Canada s’il désirait revenir au Canada dans l’année suivant l’exécution de la mesure de renvoi, avant le 29 septembre 2006;

·        M. Farhat cherchait à rentrer au Canada afin d’être réuni aux membres de sa famille, soit son épouse et son enfant.

 

[32]           Compte tenu de ces faits, il n’était pas manifestement déraisonnable pour le ministre de conclure que M. Farhat, à qui incombait le fardeau de démontrer l’existence de motifs impérieux, ne l’avait pas convaincu que sa situation particulière justifiait l’octroi d’un PST.

 

[33]           Deuxièmement, contrairement aux allégations de M. Farhat selon lesquelles il n’était pas pertinent d’examiner l’intention de résider en permanence au Canada pour apprécier une demande de PST, notre Cour a précédemment déclaré qu’une « personne qui demande un permis de résident temporaire doit avoir l’intention de séjourner au Canada à titre temporaire et l’agent doit être convaincu que la personne quittera le Canada à l’expiration du statut de résident temporaire ». Voici ce que prévoient à cet égard l’alinéa  20(1)b) et les paragraphes 29(1) et (2) de la LIPR :

Obligation à l’entrée au Canada

 

20.      L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

Obligation on entry

 

 

20.      (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

[...]

 

. . .

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. […]

 

[…]

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.…

 

. . .

 

Obligation du résident temporaire

 

29.      (1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’autorisation d’entrer au Canada et d’y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d’un permis de séjour temporaire.

 

Obligation – temporary resident

 

29.      (1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.

 

Obligation du résident temporaire

 

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

 

Obligation — temporary resident

 

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

 

 

(De la Cruz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 26 F.T.R. 285, [1989] A.C.F. n° 11 (QL) et Stanislavksi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 835, [2003] A.C.F. n° 1064 (QL).)

 

[34]           Même s’il est vrai que l’intention d’un étranger de devenir résident permanent ne l’empêche pas de devenir un résident temporaire, l’agent doit être convaincu du fait que cet étranger aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Le paragraphe 22(2) de la LIPR prévoit expressément ce qui suit :

Résident temporaire

 

22.      (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

 

Temporary resident

 

22.      (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b) and is not inadmissible.

 

Double intention

 

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

Dual intent

 

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

 

 

[35]           Compte tenu en l’espèce des antécédents d’inobservation par M. Farhat des lois et règlements sur l’immigration canadiens ainsi que de son séjour indûment prolongé au Canada, il n’était pas manifestement déraisonnable qu’on oblige M. Farhat à quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[36]           Troisièmement, contrairement à ce que prétend M. Farhat lorsqu’il affirme que l’agent doit prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il étudie une demande de PST, le paragraphe 24(1) de la LIPR ne prévoit pas expressément d’obligation à cet égard pour le ministre; l’article 25 de la LIPR prévoit plutôt simplement que le ministre peut tenir compte de l’« intérêt supérieur de l’enfant touché ». (Par analogie, Cha, précité, paragraphe 40.)

 

[37]           Le ministre a pris en considération divers autres facteurs comme les renseignements figurant dans la demande de M. Farhat et l’affidavit à l’appui déposé par l’épouse de ce dernier, où il est fréquemment fait mention du fils de trois ans du demandeur. On y décrit également les antécédents en matière d’immigration au Canada de M. Farhat, et les motifs pour lesquels il ne s’était pas conformé aux lois pénales et sur l’immigration du Canada. On a également précisé le fait que M. Farhat demandait la délivrance d’un PST pour être réuni aux membres de sa famille au Canada, en l’occurrence son épouse et son fils.

 

[38]           M. Farhat a bien précisé au ministre qu’il avait un enfant et une épouse au Canada et qu’il ne voulait pas en être séparé. Il n’a toutefois pas fait part, relativement à l’existence de son épouse et de son enfant, de « raisons impérieuses » qui lui permettraient de se voir délivrer un PST.

 

[39]           La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit à cet égard, dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. n° 158 (QL):

[5]        […] le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée.

 

[40]           Au vu de la preuve présentée, par conséquent, il n’était pas manifestement déraisonnable pour le ministre d’estimer qu’en l’espèce, l’intérêt de l’enfant ne constituait pas une « raison impérieuse » aux fins de la législation sur l’immigration. (Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 469 (QL); Buchting c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 953, [2003] A.C.F. n° 1216 (QL), paragraphe 6; Parsons c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 913, [2003] A.C.F. n° 1161 (QL).)

[41]           De plus, dans Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 475, [2002] A.C.F. n° 1687 (QL), le juge Robert Décary, de la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

[5]        L'agente n'examine pas l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l'examen de l'agente repose sur la prémisse --qu'elle n'a pas à exposer dans ses motifs--qu'elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l'intérêt supérieur de l'enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d'implicite, il faut se rappeler que l'agente est saisie d'un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l'occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Il va de soi que l'agente doit examiner attentivement ces raisons précises.

 

 

[42]           Il y a lieu, en outre, de se rappeler le principe suivant : 

[13]      L'objectif général de la Loi est de réglementer l'admission des immigrants au Canada et de maintenir la sécurité de la société canadienne. Cet objectif général comprend aussi la réunification des familles. Ceci implique qu'il faut examiner divers intérêts qui pourraient entrer en conflit. Il faut faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions prises dans un contexte polycentrique.

 

(Easton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 366, [2006] A.C.F. n° 494 (QL).)

 

CONCLUSION

[43]           Compte tenu de tout ce qui précède, la décision du ministre concernant la demande de PST n’est pas irrationnelle ou abusive, ni si arbitraire et oppressive qu’aucune personne raisonnable ne la jugerait justifiée. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Obiter

            Tout ce qui précède ayant été dit, l’on reconnaît que la décision du décisionnaire de premier ressort avait, en soi, un caractère logique. La Cour reconnaît qu’elle n’instruit pas un appel dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire; elle doit ainsi examiner le caractère logique et raisonnable de la décision en cause en fonction de sa norme propre, sans substituer sa décision à celle du décideur de premier ressort.

            L’on peut relever du dossier du tribunal, toutefois, une situation survenue dans la présente affaire après une « prétendue » méprise du demandeur (tel qu’il est précisé au paragraphe [5]). S’il y a véritablement eu méprise, ce dernier, selon ce qu’il prétend, aurait été dans un état dépressif, et c’est du fait de son comportement dans cet état qu’il a été reconnu coupable de l’infraction, comme le précise le dossier du tribunal, de vol d’un carton de lait, deux poires, deux jouets et un téléviseur assorti d’un DVD, vol commis pour son enfant et qui constituait un vol de moins de 300 $ rendant le demandeur « interdit de territoire ». Ce qui reste comme option, dans ces circonstances, ce sont les raisons d’ordre humanitaire, mais c’est là une question qui relève uniquement du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1119-06

 

INTITULÉ :                                       RAMZI KAMEL FARHAT

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT  :           LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT :                 LE 26 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BERTRAND, DESLAURIERS

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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