Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU
ENTRE :
ZARIFA SCHERZAD
NEILOFAR SCHERZAD
HASSAN SCHERZAD
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 14 octobre 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que les demandeurs – le demandeur principal, son épouse, sa mère et son fils – n’étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).
[2] Le demandeur principal et sa mère sont citoyens de l’Afghanistan. Ils appartiennent à l’ethnie tadjik et sont musulmans chiites. L’épouse du demandeur principal est née au Tadjikistan, dans l’ancienne URSS. Selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur principal, le demandeur principal, son épouse et sa mère ont fui vers l’Allemagne en 1999. Leur demande d’asile a été rejetée, mais ils ont reçu un permis de résidence temporaire. Leur fils est né en Allemagne en 2003, mais il est citoyen afghan. Craignant que le gouvernement allemand ne les renvoie, ils ont quitté pour le Canada en 2005 et y ont demandé l’asile. L’épouse du demandeur principal a prétendu être apatride, mais elle a reçu un passeport afghan deux jours avant l’audience devant la Commission.
[3] Les demandeurs affirment craindre d’être persécutés du fait de leur religion, de leur nationalité et de leur appartenance à un groupe social. Ils prétendent aussi être des personnes à protéger, car ils seraient exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner en Afghanistan.
[4] Dans sa décision, la Commission a conclu que les musulmans chiites ne risquent pas d’être persécutés en Afghanistan aujourd’hui. Elle a noté que, selon la nouvelle constitution, les chiites sont libres de participer à la vie publique. Elle a également conclu que le demandeur principal ne risquait pas d’être persécuté parce qu’il n’est pas un musulman fervent.
[5] Le demandeur principal avait aussi soutenu que, puisque la langue maternelle de son épouse était le russe, celle‑ci serait considérée en Afghanistan comme étant Russe et qu’ils risquaient d’être persécutés pour cette raison. La Commission a rejeté cet argument, car il n’y avait pas de preuve documentaire indépendante appuyant la prétention selon laquelle les Russes risquaient d’être persécutés en Afghanistan.
[6] La Commission avait également des doutes quant à la crédibilité du demandeur principal, qui avait également soutenu que son épouse et lui seraient persécutés par un ancien chef taliban, maintenant un des responsables de la sécurité à Herat. Elle a trouvé plusieurs affirmations non plausibles dans les allégations du demandeur principal et elle a conclu qu’il avait fabriqué cette histoire pour les besoins de sa demande.
[7] La Commission a aussi examiné les motifs supplémentaires concernant les demanderesses, soit le risque d’être persécutées du fait qu’elles sont des femmes et, dans le cas de la mère du demandeur principal, du fait qu’elle est une femme âgée. La Commission a pris note que l’épouse du demandeur principal avait fréquenté l’école en Allemagne et au Canada et qu’elle désirait devenir pharmacienne. Bien que la Commission ait convenu que l’épouse du demandeur principal aurait moins de possibilités de poursuivre des études supérieures en Afghanistan, celle‑ci pourrait, selon la Commission, continuer ses études en ligne grâce à un programme d’éducation à distance. En outre, la Commission a noté que le gouvernement afghan a pris plusieurs mesures pour garantir des droits égaux aux femmes. Elle était convaincue que les deux demanderesses ne seraient pas exposées à un danger, puisqu’elles retourneraient en Afghanistan en compagnie des deux demandeurs. Elle a conclu que l’épouse du demandeur principal ne serait pas obligée de porter la burqa. Elle a également conclu que la mère du demandeur principal ne risquerait pas sérieusement d’être persécutée en Afghanistan du fait de son âge.
[8] La Cour ne peut modifier les conclusions de fait de la Commission que si elles sont manifestement déraisonnables. Cela étant dit, la détermination par la Commission de ce qui constitue de la persécution est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), au paragraphe 3; Koken c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 882, au paragraphe 15).
[9] La présente demande doit être rejetée puisque je ne peux voir d’erreur susceptible de contrôle dans la décision contestée.
[10] Selon les demandeurs, la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire appuyant leurs prétentions. En particulier, elle a omis de prendre en compte des documents indiquant que renier la foi islamique est passible de la peine de mort selon la shari’a et que les chiites ont depuis longtemps fait l’objet de discrimination par la majorité sunnite en Afghanistan. Elle n’a pas non plus tenu compte d’une preuve documentaire indiquant que les violations des droits des femmes persistent. En conséquence, la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur principal et les demanderesses ne risquaient pas d’être persécutés et que leurs craintes n’étaient que « pures hypothèses ».
[11] La Commission a le droit de décider quelle valeur accorder à la preuve (Zvonov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (C.F. 1re inst.) (QL). En conséquence, la Cour n’interviendra pas, à moins que la Commission n’ait exercé ce pouvoir de manière déraisonnable. À mon sens, la Commission pouvait tirer les conclusions qu’elle a tirées à partir de l’ensemble de la preuve. Il est présumé que la Commission a évalué et pris en compte tous les éléments de preuve devant elle et, en l’espèce, elle n’avait pas à mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve documentaire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317). Rien n’indique en l’espèce que la Commission a omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents ou qu’elle a interprété sélectivement la preuve documentaire.
[12] La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les chiites ne risquent pas d’être persécutés en Afghanistan aujourd’hui. Des preuves venaient soutenir cette conclusion. Je note que, dans ses motifs, la Commission renvoie au plus récent Country Assessment Report du Home Office britannique, daté d’avril 2005, alors que les demandeurs renvoient dans leur mémoire à l’International Religions Freedom Report 2004 du Département d’État américain. En outre, la Commission a pris en compte le témoignage du demandeur principal selon lequel il serait persécuté du fait qu’il n’est pas un musulman fervent. La Commission n’a trouvé aucune preuve documentaire à l’appui de cette prétention. Également, il ressort clairement de ses motifs que la Commission a tenu compte de la preuve documentaire indiquant que les violations des droits des femmes persistent en Afghanistan. De plus, elle a conclu que les demanderesses ne seraient pas exposées aux mêmes dangers que des femmes non accompagnées. Elle était également convaincue que l’Afghanistan faisait des efforts pour améliorer la situation des femmes. À mon sens, la Commission pouvait raisonnablement tirer ces conclusions et ces dernières ne sont pas manifestement déraisonnables.
[13] Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a commis une erreur en [traduction] « qualifiant les craintes des demanderesses d’inquiétudes d’être victimes de discrimination plutôt que de craintes d’être persécutées ». En particulier, ils prétendent que l’obligation pour les femmes de porter la burqa ainsi que les possibilités de carrière et d’éducation limitées offertes aux femmes en Afghanistan constituent de la persécution.
[14] Dans Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398, la Cour d’appel fédérale a traité de la différence entre discrimination et persécution :
Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.
[15] Dans Anguelov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 856, la Cour a affirmé :
La distinction entre la discrimination et la persécution ou le harcèlement est mince. Ce qui importe toutefois, c'est le fait que le demandeur ne risque pas personnellement d'être persécuté et qu'il n'est donc pas un réfugié au sens de la Convention.
[16] En l’espèce, il est clair que la Commission a examiné l’ensemble de la preuve. Elle a conclu que les demanderesses ne risqueraient pas personnellement d’être persécutées en Afghanistan. Elle a également conclu que l’épouse du demandeur principal ne serait pas obligée de porter la burqa. Elle convient que l’épouse du demandeur principal aura moins de possibilités pour poursuivre des études supérieures, mais estime qu’elle pourra continuer ses études en ligne. À mon avis, ces conclusions ne sont ni arbitraires ni manifestement déraisonnables. Dans les circonstances particulières en l’espèce, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que ces éléments ne constituaient pas de la persécution. (Je souligne également que la Commission n’a jamais employé le mot [traduction] « discrimination » au sujet des prétentions des demanderesses.)
[17] Pour les motifs ci‑dessus, la demande est rejetée. Les avocats n’ont soulevé aucune question de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Luc Martineau »
Juge
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6892-05
INTITULÉ : SOLIAMAN SCHERZAD ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 OCTOBRE 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : LE 13 OCTOBRE 2006
COMPARUTIONS :
Paul Dineen
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POUR LES DEMANDEURS |
Rhonda Marquis
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chapnick & Associates Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |