Toronto (Ontario), le 4 octobre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande concerne la conduite d'une commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) lors du prononcé des motifs par lesquels elle a rejeté à l'audience la demande d'asile présentée par le demandeur du fait de ses opinions politiques au Mexique.
[2] À l'audience, à la clôture des débats, la commissaire en question a commencé à prononcer ses motifs oralement, en précisant d'entrée de jeu que le demandeur serait débouté de sa demande d'asile [traduction] « en grande partie » en raison de la conclusion négative qu'elle tirait au sujet de sa crédibilité. La commissaire a expliqué que cette conclusion défavorable quant à la crédibilité s'expliquait en grande partie par [traduction] « l'ajout d'un élément de preuve spécifique que le demandeur a communiqué dans son témoignage mais qui ne figure pas dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ». La commissaire a poursuivi en expliquant que le demandeur avait eu 18 mois pour modifier son FRP pour y ajouter cet élément de preuve, mais qu'il ne l'avait pas fait. L'avocate du demandeur est alors intervenu pour expliquer à la commissaire qu'elle se méprenait et qu'un FRP modifié avait effectivement été déposé. L'avocate a par conséquent déclaré ce qui suit : [traduction] « À mon avis, votre décision et vos motifs sont entachés de nullité parce que vous venez de dire qu'ils reposent sur ce fait » (Décision du tribunal, aux pages 1 et 2).
[3] L'avocate a par conséquent demandé à la commissaire de se récuser. Voici l'échange de propos capital qui a ensuite eu lieu :
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : Merci, je vais poursuivre avec ma décision. Prenez acte de cette modification apportée au Formulaire de renseignements personnels.
Me SILCOFF : Je dois à ce moment-ci présenter une requête au motif que vous ne pouvez légitimement continuer à exposer vos motifs en raison d'une erreur fondamentale quand à l'appréciation de la preuve.
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : Vous pouvez présenter votre requête mais j'ai une autre conclusion au sujet de la crédibilité.
Me SILCOFF : J'estime qu'agir ainsi soulèverait une crainte raisonnable de partialité − après que j'aie signalé que le motif de rejet de la demande est entaché d'une grave erreur, de prétendre que la demande repose sur un fondement différent − agir ainsi susciterait une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit de mon client.
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : Merci. Je mets le tout ...
Me SILCOFF : … après avoir … (inaudible)
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : en délibéré.
Me SILCOFF : … de toute façon.
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : Je me suis demandé s'il y avait une crainte de partialité, compte tenu du fait que cet élément de preuve ne m'a pas été soumis plus tôt. Après réflexion, j'ai décidé de poursuivre avec l'exposé de ma décision sans tenir compte de mon appréciation ou de mon raisonnement antérieurs au sujet de ma conclusion quant à la crédibilité.
(Décision du tribunal, à la page 3)
[4] La commissaire a ensuite rejeté la demande d'asile du demandeur en invoquant des motifs qui ne semblaient n'avoir qu'une importance négligeable par rapport à la conclusion erronée qu'elle avait auparavant tirée au sujet de la crédibilité et qui avait « largement » contribué à motiver au départ son rejet de la demande d'asile.
[5] À mon avis, la commissaire s'est, par sa conduite, rendue coupable d'un flagrant déni de justice naturelle.
[6] Je conviens avec l'avocate du demandeur que la tentative que semble avoir faite la commissaire pour corriger une erreur fatale qui a joué un rôle déterminant sur sa décision soulève effectivement une crainte de partialité. Autrement dit, la conduite affichée par la commissaire à la suite de l'objection de l'avocate donne à penser que la commissaire avait un intérêt personnel et partial à faire en sorte que la demande d'asile du demandeur soit rejetée indépendamment de cette erreur fondamentale. À mon avis, ce comportement vicie la totalité de la procédure et a pour effet d'entacher la décision de nullité (voir l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, au paragraphe 25).
[7] Je conclus donc que la décision est manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'annule la décision à l'examen et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.
« Douglas R. Campbell »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7725-05
INTITULÉ : ROGELIO IVAN CUEVAS CORNEJO
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 4 octobre 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 4 octobre 2006
COMPARUTIONS :
Me Maureen Silcoff POUR LE DEMANDEUR
Me Leanne Briscoe POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Maureen Silcoff POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada