Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL
ENTRE :
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
et
CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA,
CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),
NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA
et ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA
intervenants
Dossier : T-66-86-B
ENTRE :
PREMIÈRE NATION TSUU T=INA
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
et
CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA,
CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),
NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA
et ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA
intervenants
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
REQUÊTE
[1] Les demanderesses ont présenté une requête par écrit en vertu de l'article 369 des Règles des Cours fédérales (1998) pour demander à la Cour de proroger au 27 mars 2006 la date limite fixée pour signifier le rapport d'expert initial de mars 2006 de M. Earle Waugh (le rapport Waugh).
CONTEXTE
[2] Le 26 mars 2004, le juge Hugessen a établi la procédure à suivre pour l'échange des rapports d'experts :
[Traduction]
5. Tous les rapports d'experts destinés à être utilisés au procès doivent être signifiés d'ici le 15 juillet 2004.
6. Les rapports d'expert visant à réfuter les rapports d'expert précédemment produits (qui doivent se limiter à répondre aux rapports d'expert produits par d'autres personnes ou à les contredire) doivent être signifiés au plus tard le 29 octobre 2004.
7. Tout autre rapport d'expert ne pourra être produit que suivant l'autorisation de la Cour sur présentation d'une requête en ce sens.
[3] Le 25 octobre 2005, les demanderesses ont fait savoir qu'elles chercheraient à obtenir l'autorisation de signifier le rapport Waugh au sujet de la [traduction] « loi naturelle ».
[4] Le 27 mars 2006, les demanderesses ont signifié à Sa Majesté une copie du rapport Waugh.
[5] Une copie du curriculum vitae de M. Waugh a été annexée au rapport Waugh.
[6] Le 30 mars 2006, Sa Majesté a invité les demanderesses à préciser le champ de compétence dans lequel elles souhaitent que la compétence de M. Waugh soit reconnue. Sa Majesté a également fait savoir qu’une fois qu'elle aurait reçu l'énoncé des compétences de M. Waugh, elle consentirait au report de la signification aux mêmes conditions que celles proposées par les demanderesses relativement à l'acceptation tardive du rapport sur la méthodologie de M. von Gernet.
[7] Les conditions d'acceptation du rapport sur la méthodologie de M. von Gernet étaient énoncées dans la réponse à la requête de Sa Majesté tendant à obtenir l'autorisation de signifier le rapport de M. von Gernet. Voici ces conditions :
a) Que les demanderesses puissent déposer un rapport en vue de réfuter un rapport précédent dans le délai raisonnable qui sera convenu par les parties ou, à défaut, que la Cour fixera;
b) Que les demanderesses aient le droit de soumettre d'autres observations à la Cour relativement aux conséquences que le rapport proposé aura sur le temps nécessaire pour bien se préparer au procès;
c) Que la Cour ne tire pour le moment aucune conclusion au sujet de l'admissibilité du rapport proposé, notamment en ce qui concerne les questions de pertinence, de nécessité, de règles d'exclusion et des compétences de l'expert proposé;
d) Que les demanderesses se réservent le droit de s'opposer à ce que le rapport proposé soit déposé en preuve au procès sur le fondement, notamment, de la pertinence, de la nécessité, des règles d'exclusion et des compétences de l'expert proposé.
[8] N'ayant pas reçu de réponse à sa lettre du 30 mars 2006, Sa Majesté a réclamé de nouveau des précisions, par lettre datée du 3 mai 2006, au sujet du champ de compétence dans lequel les demanderesses souhaitaient que la compétence de M. Waugh soit reconnue. Sa Majesté a fait part aux demanderesses de ses préoccupations au sujet du temps nécessaire pour préparer, au besoin, un rapport d'expert pour réfuter les rapports d'experts antérieurs.
[9] Le 12 mai 2006, les demanderesses ont informé Sa Majesté que les champs de compétence de M. Waugh étaient précisés dans son curriculum vitae et elles ont demandé l'autorisation de reporter la signification du rapport Waugh aux mêmes conditions que celles fixées pour l'admission en preuve du rapport sur la méthodologie de M. von Gernet.
[10] Lors de la rencontre du 19 mai 2006 sur la gestion de l'instance, Sa Majesté a expliqué qu'elle avait besoin de certains renseignements sur la façon dont les demanderesses entendaient s'y prendre pour faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh étant donné que le rapport de ce dernier renfermait des observations et des opinions au sujet de [traduction] « l'ethnohistoire, le droit, la linguistique et l'anthropologie ». La Cour a expliqué qu'elle croyait comprendre que [traduction] « en résumé, les renseignements que Sa Majesté cherche à obtenir portent sur les champs de compétence que vous [les demanderesses] souhaitez utiliser devant le tribunal pour pouvoir savoir ce à quoi elle consent ».
[11] Le 2 juin 2006, j'ai enjoint aux demanderesses de préciser à Sa Majesté les domaines de compétences proposés dans le cas de M. Waugh.
[12] Le 7 juillet 2006, Sa Majesté a répondu aux demanderesses en précisant les domaines de compétences de M. von Gernet :
[Traduction] M. von Gernet est un anthropologue et un ethnohistorien qui se spécialise dans l'utilisation des preuves archéologiques, des documents écrits et des traditions orales pour reconstituer les cultures anciennes des peuples autochtones, et pour retracer l'évolution des contacts entre les peuples autochtones et les Européens sur tout le territoire canadien et dans une partie des États‑Unis.
[13] Le 11 juillet 2006, les demanderesses ont produit ce qu'elles affirment être l'énoncé des compétences de M. Waugh.
[14] Le 27 juillet 2006, Sa Majesté a exprimé des réserves au sujet de l'énoncé des compétences de M. Waugh, qu'elle jugeait trop vague. Sa Majesté a expliqué qu'il serait impossible de discerner si l'avis exprimé dans le rapport Waugh sur un point particulier relevait d'un ou de plusieurs des présumés champs de compétence de M. Waugh. Sa Majesté s'inquiétait aussi du fait qu'en raison de ce manque de précision, il était difficile de déterminer s'il était nécessaire de retenir les services d'un témoin expert pour réfuter les rapports des autres experts.
[15] Le 23 août 2006, Sa Majesté a de nouveau exprimé ses inquiétudes au sujet de la façon dont les demanderesses entendaient s'y prendre pour faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh.
[16] Le 8 septembre 2006, les demanderesses ont soumis une proposition au sujet de l'acceptation, par Sa Majesté, de la signification tardive du rapport Waugh. Cette proposition reprenait certaines des conditions que Sa Majesté avait tacitement acceptées le 30 mars 2006.
[17] La proposition ne renfermait aucune précision sur la façon dont les demanderesses entendaient s'y prendre pour faire reconnaître la compétence de M. Waugh comme expert.
[18] Le 11 septembre 2006, Sa Majesté a expliqué qu'elle était incapable d'accepter la proposition des demanderesses au sujet de la signification tardive du rapport Waugh parce que cette proposition ne répondait pas aux préoccupations exprimées par Sa Majesté au sujet de la façon dont les demanderesses entendaient s'y prendre pour faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh.
ANALYSE
[19] Le seul véritable point de discorde entre les parties porte sur les champs de compétence à l'égard desquels les demanderesses souhaitent faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh.
[20] Sa Majesté affirme qu'elle a toujours été disposée à accepter la signification tardive du rapport Waugh à condition que les demanderesses précisent les champs de compétence à l'égard desquels elles souhaitent faire reconnaître sa compétence d'expert.
[21] J'ai déjà ordonné aux demanderesses, le 2 juin 2006, de préciser à Sa Majesté les champs proposés de compétence de M. Waugh.
[22] Les demanderesses ont d'abord répondu à Sa Majesté le 12 mai 2006 que les champs de compétence de M. Waugh étaient énumérés dans son curriculum vitae. Cette réponse n'était pas assez précise pour permettre à Sa Majesté de se préparer pour le procès et c'est la raison pour laquelle j'ai enjoint aux demanderesses de fournir de plus amples précisions.
[23] Les demanderesses n'ont exprimé aucune réserve en ce qui a trait au degré de précision des renseignements fournis par Sa Majesté relativement à M. von Gernet.
[24] Les demanderesses affirment s'être conformées aux directives que la Cour leur a données le 2 juin 2006 et elles renvoient à cet égard à leur courriel du 11 juillet 2006 auquel est annexé l'énoncé des compétences de M. Waugh.
[25] Les demanderesses soutiennent que, si l'on compare l'énoncé des compétences fourni par Sa Majesté relativement à M. von Gernet avec l'énoncé des compétences qu'elles ont fourni à Sa Majesté au sujet de M. Waugh, les reproches de Sa Majesté au sujet du manque de précision sont injustifiés, d'autant plus que l'énoncé des compétences de M. Waugh est plus détaillé que ceux qui sont habituellement produits dans le cadre d'un procès.
[26] J'ai pris connaissance de l'énoncé des compétences de M. Waugh que les demanderesses ont fourni le 11 juillet 2006. Le problème que comporte cet énoncé est que, comme le curriculum vitae de M. Waugh antérieurement produit, sa portée est très vaste et couvre un grand nombre de champs de compétence possibles. C'est la raison pour laquelle Sa Majesté demande aux demanderesses de préciser pour lesquels de ces nombreux champs de compétence elles chercheront à faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh au procès. Si l'on considère le large éventail de possibilités qui s'offrent, la demande de Sa Majesté n'est pas déraisonnable. Elle permettra à Sa Majesté de bien se préparer et d'éviter des délais et des dépenses inutiles. Qui plus est, il suffirait pour les demanderesses d'adresser à Sa Majesté une lettre énumérant les champs de compétence en question. Sa Majesté a souligné que, si l'on examine le curriculum vitae de M. Waugh ainsi que l'énoncé des compétences fourni par les demanderesses, les domaines suivants sont au nombre des possibilités :
a) Médicine familiale;
b) Études interculturelles sur la santé et la guérison;
c) Littérature comparée;
d) Philosophie;
e) Histoire;
f) Études religieuses;
g) Études comparatives en cinéma et en religion;
h) Les musulmans et l'Islam en Amérique du Nord;
i) Traditions et études culturelles autochtones;
j) Traditions religieuses indigènes;
k) Anthropologie;
l) Ethnologie;
m) Croyances, conceptions et valeurs traditionnelles chez les autochtones;
n) Interprétation et compréhension des traditions orales;
o) Linguistique;
p) Lois et structures de gouvernance traditionnelles autochtones;
q) « Loi naturelle » en ce qui concerne la gouvernance traditionnelle des peuples indigènes de l'Alberta.
[27] Se préparer à faire face à toutes ces possibilités supposerait un investissement de temps et d'argent considérable. Et les demanderesses ne perdent rien à fournir ces renseignements, si ce n'est d'empêcher toute surprise au procès. À la demande des demanderesses, la Cour a déjà bien fait comprendre à Sa Majesté et aux intervenants qu'elle ne tolérerait aucune surprise au procès. Et comme le déroulement des présentes instances l'a démontré à plusieurs reprises, on ne peut s'en remettre aux règles habituelles en la matière et la Cour doit proposer ses propres solutions pour faciliter le déroulement de l'instance.
[28] Si elles sont insatisfaites du degré de précision des renseignements communiqués par Sa Majesté au sujet de M. von Gernet, les demanderesses savent qu'il leur suffit de saisir la Cour de la question; or, elles n'ont signalé aucun problème à ce sujet. Je ne comprends donc pas pourquoi les demanderesses répugnent tant à fournir, au sujet de M. Waugh, les éclaircissements que je leur ai déjà demandé de fournir. Il leur en coûterait si peu et cette mesure pourrait éventuellement faire épargner tellement de temps et de frais. J'estime donc raisonnable d'assujettir la prorogation du délai imparti aux demanderesses pour signifier le rapport de M. Waugh à la condition qu'elles fournissent les renseignements réclamés par Sa Majesté. En fait, la présente requête était tout à fait inutile et je ne vois pas pourquoi les demanderesses n'ont pas réussi à collaborer avec Sa Majesté pour en arriver au même résultat.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Les demanderesses devront fournir à Sa Majesté d'ici le 13 octobre 2006 une déclaration dans laquelle elles indiqueront clairement les champs de compétence à l'égard desquels elles souhaitent faire reconnaître la compétence d'expert de M. Waugh au procès. Cette déclaration devra être suffisamment précise pour permettre à Sa Majesté de déterminer de quel type d'expert elle peut avoir besoin pour réfuter le rapport Waugh. Elles devront énumérer les champs de compétence de façon aussi détaillée qu'au paragraphe 26 des motifs de la présente ordonnance et préciser tout autre champ de compétence non énuméré au paragraphe 26.
2. Si les demanderesses ne fournissent pas une déclaration conforme au paragraphe 1, M. Waugh ne sera pas assigné comme témoin.
3. Si les demanderesses fournissent une déclaration conforme au paragraphe 1, la date de la signification du rapport Waugh sera prorogée au 27 mars 2006 sous réserve des conditions suivantes :
a) Sa Majesté peut signifier un rapport pour réfuter les rapports précédents dans le délai raisonnable qui sera convenu par les parties ou, à défaut, que la Cour fixera;
b) Sa Majesté pourra soumettre d'autres observations à la Cour relativement aux conséquences que le rapport proposé aura sur le délai requis pour bien se préparer pour le procès;
c) La Cour ne tire pour le moment aucune conclusion au sujet de l'admissibilité du rapport Waugh, notamment en ce qui concerne les questions de pertinence, de nécessité, de règles d'exclusion et des compétences de l'expert proposé;
d) Sa Majesté se réserve le droit de s'opposer à ce que le rapport Waugh soit déposé en preuve au procès sur le fondement, notamment, de la pertinence, de la nécessité, des règles d'exclusion et des compétences de l'expert proposé.
4. Sa Majesté a droit aux dépens de la présente requête. Comme Sa Majesté a toujours été disposée à consentir au dépôt tardif du rapport de M. Waugh à des conditions justes et raisonnables, comme la Cour a déjà enjoint aux demanderesses de communiquer les renseignements demandés et comme la présente requête n'aurait pas été nécessaire si les demanderesses s'étaient comportées de façon raisonnable et avaient fourni une simple liste des champs de compétence proposés, les dépens adjugés à Sa Majesté sont payables sur-le-champ, indépendamment de l'issue de la cause.
« James Russell »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-66-86-A
INTITULÉ : BANDE DE SAWRIDGE c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.
T-66-86-B
PREMIÈRE NATION TSUU T’INA (anciennement, la Bande indienne de Sarcee) c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 28 SEPTEMBRE 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : LE 4 OCTOBRE 2006
COMPARUTIONS :
Edward H. Molstad, c.r. POUR LES DEMANDERESSES
Nathan Whitling
Catherine Twinn POUR LES DEMANDERESSES
Wayne M. Schafer POUR LA DÉFENDERESSE
Janet Hutchison POUR L'INTERVENANT, LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA
Derek A. Cranna POUR L'INTERVENANT,
Jeremy Taylor LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)
Mary Eberts POUR L'INTERVENANTE, LE CONSEIL NATIONAL DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA
Michael Donaldson POUR L'INTERVENANTE, LA NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Parlee McLaws LLP POUR LES DEMANDERESSES
Edmonton (Alberta)
Twinn Law Office POUR LES DEMANDERESSES
Slave Lake (Alberta)
John Sims POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Chamberlain Hutchison POUR L'INTERVENANT,
Edmonton (Alberta) LE CONGRÈS NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA
Field LLP POUR L'INTERVENANT,
Edmonton (Alberta) CONSEIL NATIONAL DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)
Me Mary Eberts POUR L'INTERVENANTE,
Toronto (Ontario) ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA
Burnet Duckworth & Palmer LLP POUR L'INTERVENANTE,
Calgary (Alberta) NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA