[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 2 octobre 2006
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS ET JUGEMENT
[1] La Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte concernant les droits de la personne déposée par Jennifer Holm à l’égard de son ancien employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada après avoir conclu que les éléments de preuve présentés ne soutenaient pas son allégation selon laquelle elle avait été victime de discrimination au cours de son emploi en raison de son invalidité.
[2] Mme Holm demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision; elle affirme que la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur un examen biaisé et pas suffisamment rigoureux. La Commission a également commis une erreur, selon ce qu’elle affirme, en ne tenant pas compte des observations écrites qu’elle a présentées en réponse au rapport d’enquête et en concluant que les éléments de preuve présentés ne soutenaient pas ses allégations de discrimination.
[3] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis d’erreur, comme le prétend Mme Holm. Sa demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
Faits
[4] Mme Holm avait travaillé à l’Agence en tant qu’inspectrice étudiante des douanes et elle a été réembauchée pour quatre mois supplémentaires au cours de l’été 2004.
[5] Dans ses conditions d’emploi, Mme Holm devait suivre et réussir un cours de formation sur le « recours à la force » et à cette fin, elle a suivi ladite formation en juin 2004. Rien dans le dossier n’indique si elle avait déjà suivi ce genre de formation.
[6] Les parties s’entendent sur le fait que le 12 juin 2004, pendant la formation, Mme Holm est tombée pendant qu’elle participait à une procédure d’« amené au sol ». Elle s’est cogné le dos et la tête sur un matelas de mousse posé sur le sol. Les parties s’entendent aussi sur le fait que les instructeurs de Mme Holm étaient au courant de sa chute, et ce, même si on ignore si les instructeurs connaissaient l’ampleur de ses blessures.
[7] Plus tard ce jour‑là, Mme Holm a subi le test sur le recours à la force. Elle a échoué à son premier test et a subi de nouveau le test le même jour, après une période de repos. Elle l’a de nouveau échoué.
[8] Étant donné qu’elle ne répondait pas à une condition à la poursuite de son emploi, Mme Holm a été congédiée le même jour. Le licenciement de Mme Holm, en vigueur à compter du 12 juin 2004, a par la suite été confirmé par écrit dans une lettre datée du 14 juin 2004.
[9] Le 13 juin 2004, après avoir consulté un médecin pour ses blessures, Mme Holm a parlé à un superviseur et a demandé à ce qu’on lui donne des fonctions simples et qu’on lui fasse de nouveau subir le test. Sa demande a été refusée.
[10] Mme Holm a ensuite présenté sa plainte concernant les droits de la personne à la Commission. Elle y affirmait que l’Agence avait fait preuve de discrimination à son égard dans le cadre de son emploi en lui refusant une attention médicale, en la contraignant à subir un test malgré le fait qu’elle s’était blessée et en la congédiant.
L’enquête de la Commission
[11] Une enquête a été menée sur la plainte concernant les droits de la personne déposée par Mme Holm, qui a abouti à la présentation d’un rapport, le 27 juillet 2005.
[12] Dans le cadre de l’enquête, l’enquêteur a interrogé un certain nombre de personnes, y compris Mme Holm, son médecin de famille, les deux formateurs présents le 12 juin et trois des autres étudiants du cours.
[13] L’enquêteur a retenu l’idée que Mme Holm s’était blessée pendant qu’elle participait à un exercice de formation le 12 juin 2004. Selon Mme Holm, elle s’est cogné la tête durement et s’est sentie étourdie en conséquence. Mme Holm a affirmé que son formateur ne lui a pas demandé si elle avait mal – c’est plutôt elle qui lui a dit qu’elle s’était blessée; après quoi on lui a dit de s’asseoir et de se masser la tête.
[14] Mme Holm a mentionné à l’enquêteur qu’elle craignait de perdre sa chance de subir le test si elle ne poursuivait pas la formation.
[15] Mme Holm a aussi indiqué qu’elle avait mentionné aux autres élèves qu’elle s’était blessée et qu’elle en avait fait part aux instructeurs pendant qu’elle subissait son test.
[16] Mme Holm s’est présentée dans une clinique sans rendez‑vous le 12 juin et elle a vu son médecin environ quatre jours plus tard. Son médecin a indiqué que Mme Holm souffrait de [traduction] « spasmes et douleur à la pression, avec une amplitude limitée du mouvement du muscle cervical postérieur gauche ». Une radiographie indiquait qu’elle souffrait d’une [traduction] « perte de lordose de la colonne cervicale, aucune fracture ou subluxation aiguës et une légère scoliose palpable en raison des spasmes et de l’inflammation ».
[17] Le médecin a informé l’enquêteur que le 25 juin 2004, Mme Holm avait retrouvé une amplitude complète des mouvements dans son cou et qu’elle était apte à retourner au travail. Mme Holm avait cependant informé l’enquêteur qu’elle ressentait toujours des raideurs dans le cou.
[18] Les deux formateurs présents le 12 juin 2004 ont confirmé avoir été témoins de la chute de Mme Holm; l’un d’eux a indiqué avoir porté une attention particulière à Mme Holm à ce moment, en raison de son mauvais rendement pendant la formation. Ce formateur a aussi indiqué avoir guidé Mme Holm jusqu’à une chaise après sa chute et lui a offert un bloc réfrigérant, qu’elle a refusé en indiquait qu’elle allait bien. Quelques minutes plus tard, le formateur a demandé à Mme Holm comment elle se sentait, ce à quoi elle aurait répondu qu’elle allait bien et qu’elle était prête à poursuivre la formation.
[19] Le formateur a aussi affirmé à l’enquêteur que Mme Holm ne semblait pas blessée et qu’elle n’a pas mentionné de nouveau sa blessure à aucun moment pendant le reste de la journée, y compris pendant les séances de test. Le formateur nie en particulier que Mme Holm a mentionné sa blessure pendant le premier test et il affirme aussi qu’elle n’en a pas fait mention pendant le compte rendu qui a suivi son échec au premier test.
[20] Enfin, cet instructeur affirme que, même si Mme Holm avait réussi le test, il aurait hésité à lui faire réussir le cours en raison de la [traduction] « façon dont elle avait marché pendant le cours de formation ». Le formateur s’est inquiété que Mme Holm se trouve dans une situation où elle pourrait se blesser en tentant de contrôler des personnes plus grandes et plus fortes qu’elle.
[21] Le deuxième formateur a indiqué qu’on lui a dit que Mme Holm s’était blessée lorsqu’il l’a vue assise pendant la formation. Après son rendement « lamentable » au premier test, Mme Holm a reçu un plan d’apprentissage et on lui a dit ce qu’elle devait faire au moment de subit le test de nouveau. Avant de subir le test de nouveau, on a demandé à Mme Holm si elle était prête et s’il y avait des éléments qu’elle ne comprenait pas. Elle n’a pas parlé de sa blessure à ce moment. Ce formateur a aussi indiqué que Mme Holm n’avait pas eu un bon rendement pendant la formation.
[22] L’enquêteur a aussi interrogé trois des sept autres étudiants qui avaient suivi la formation sur le recours à la force avec Mme Holm. L’un des étudiants, qui ne se souvenait pas de la chute de Mme Holm, a indiqué que tous tombaient pendant la formation et que les formateurs les aidaient. Cet étudiant s’est souvenu que Mme Holm ne semblait pas très engagée à l’égard de la formation.
[23] Un autre étudiant se souvenait que Mme Holm était tombée pendant la formation et qu’on lui avait demandé si elle se sentait bien, ce à quoi elle aurait répondu qu’elle n’avait pas besoin d’aide. Lorsqu’un autre étudiant a demandé à Mme Holm s’il était approprié qu’elle subisse le test vu ses blessures, cette dernière aurait répondu qu’elle voulait tout simplement poursuivre et subir le test. L’étudiant interrogé a également indiqué que Mme Holm n’était pas aussi forte que les autres étudiants et qu’elle croyait qu’elle ne réussirait pas le test. Finalement, cet étudiant aurait que les étudiants avaient été mis en garde au début du cours qu’ils éprouveraient des douleurs musculaires à la fin de la formation, ce qui avait été le cas pour lui.
[24] Le troisième étudiant interrogé a confirmé que Mme Holm s’était plainte de douleurs au cou et que l’un des formateurs lui avait donné un bloc réfrigérant. Cet étudiant n’a pas entendu Mme Holm dire que sa blessure ne lui permettrait pas de subir le test. Cet étudiant a aussi affirmé que Mme Holm n’avait pas consacré beaucoup d’efforts à la formation et qu’elle s’inquiétait de son rendement au test.
[25] Dans son analyse, l’enquêteur a conclu que Mme Holm s’était effectivement blessée le 12 juin 2004, comme elle l’affirmait, et qu’elle s’était remise de ses blessures en moins de deux semaines. L’enquêteur a aussi conclu que Mme Holm avait subi le test de son plein gré le jour où elle s’était blessée et qu’elle avait échoué le premier et le deuxième test. Qui plus est, l’enquêteur a conclu que, selon les éléments de preuve, elle n’aurait probablement toujours pas réussi le test, même si le second test avait eu lieu à une date ultérieure. Enfin, l’enquêteur a conclu que Mme Holm n’avait pas demandé à obtenir des mesures d’adaptation pour sa blessure uniquement après son congédiement.
[26] Vu ces conclusions, l’enquêteur a recommandé de rejeter la plainte concernant les droits de la personne déposée par Mme Holm au motif que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que l’Agence avait fait preuve de discrimination à son égard en refusant de prendre des mesures d’adaptation pour son invalidité et en la congédiant.
La décision de la Commission
[27] Mme Holm et l’Agence ont formulé des observations écrites en réponse au rapport d’enquête : Mme Holm, dans une lettre en date du 18 août 2005; l’Agence, dans une lettre en date du 13 septembre 2005.
[28] Les commissaires de la Commission canadienne des droits de la personne ont accepté la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte, comme il est confirmé dans une lettre de décision du secrétaire de la Commission en date du 4 novembre 2005, dont la partie essentielle ne fait qu’adopter les motifs invoqués par l’enquêteur. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
Questions
[29] Les questions soulevées par Mme Holm peuvent être regroupées sous les rubriques suivantes :
1. L’enquête menée par la Commission était‑elle assez rigoureuse?
2. Mme Holm avait‑elle une crainte raisonnable de partialité de l’enquêteur de la Commission à son égard?
3. Mme Holm s’est‑elle vu refuser son droit à l’équité procédurale pendant le processus de la Commission puisque les commissaires n’ont pas pris en considération les observations écrites qu’elle a présentées en réponse au rapport d’enquête?
4. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les éléments de preuve ne soutenaient pas ses allégations de discrimination?
Norme de contrôle
[30] Les trois premières questions soulevées par Mme Holm comprennent des questions d’équité procédurale. Comme la Cour d’appel fédérale l’a réitéré récemment dans Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas aux demandes de contrôle judiciaire fondées sur un manquement allégué à l’équité procédurale. La Cour doit plutôt s’employer à isoler tout acte ou toute omission pertinents pour la question de l’équité procédurale et à déterminer si le processus suivi par la Commission répondait au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances.
[31] Autrement dit, étant donné que les questions d’équité procédurale sont examinées en tant que questions de droit. Aucune déférence n’est nécessaire : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation : Sketchley, au ¶ 53.
[32] Dans la mesure où la quatrième question est visée, il n’est pas nécessaire de mener une analyse pragmatique et fonctionnelle puisque le résultat serait le même, peu importe si la décision de la Commission est soumise à un examen selon la norme de la décision manifestement déraisonnable ou la norme plus exigeante de la décision raisonnable.
Contenu du dossier
[33] Avant de passer à l’étude des diverses questions soulevées dans la présente demande, il faut faire référence à l’état du dossier. Outre les documents qui avaient été présentés à la Commission quand elle a décidé de rejeter sa plainte, Mme Holm a aussi présenté deux affidavits contenant de nombreux documents supplémentaires qui n’avaient pas été présentés à la Commission et dont au moins certains ne semblaient pas avoir été présentés à l’enquêteur. En fait, un certain nombre de ces documents étaient postérieurs à la décision de la Commission.
[34] L’avocate de l’Agence a soulevé une objection sur l’admissibilité des documents contenus dans l’affidavit dans son mémoire des faits et du droit; elle a toutefois indiqué, pendant l’audition de la présente demande, qu’elle avait changé d’avis et qu’elle m’invitait à examiner les documents.
[35] À la demande des parties, j’ai examiné les documents et l’affidavit de Mme Holm. Ces documents sont pour la plupart liés à sa demande d’indemnisation pour accident du travail, à sa couverture de la Croix Bleue, à sa demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et à son litige avec la Commission sur le contenu du dossier du tribunal. Qu’ils soient admissibles ou pas, ces documents ne sont que très peu appropriés pour les questions soulevées par la présente demande.
[36] L’un des affidavits contenait aussi des copies des observations que Mme Holm a présentées à la Commission pendant l’enquête, le rapport du médecin de famille de Mme Holm et sa lettre de licenciement. Ces documents sont pertinents dans le cadre de la présente demande; étant donné que Mme Holm a soulevé des questions sur la rigueur et l’équité de l’enquête, je les ai pris en considération dans mes délibérations.
[37] Passons maintenant au bien‑fondé de la demande présentée par Mme Holm; la première question à déterminer porte sur la rigueur de l’enquête menée par la Commission. Je l’aborderai ensuite.
L’enquête menée par la Commission était‑elle assez rigoureuse?
[38] Mme Holm affirme que la Commission n’a pas mené une enquête suffisamment rigoureuse, en partie parce que seulement trois des sept étudiants présents le 12 juin 2004 n’ont pas été interrogés. Selon ce que je comprends de ses observations, Mme Holm croit que les témoignages des autres étudiants l’aideraient à établir qu’elle s’est effectivement blessée le 12 juin 2004.
[39] L’arrêt de principe sur le degré de rigueur requis pour les enquêtes de la Commission est Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (T.D.), confirmé dans [1996] A.C.F. no 385. Dans Slattery, la Cour fédérale a conclu qu’il est possible qu’une enquête ne possède pas le degré requis de rigueur, par exemple quand l’enquêteur fait une omission déraisonnable, comme le défaut d’enquêter sur la preuve manifestement importante.
[40] Cela étant dit, dans Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 543, 2005 CAF 113, au ¶ 39, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection et que l’enquêteur de la Commission n’a pas à remuer ciel et terre. La Cour a aussi mentionné que les ressources de la Commission sont limitées et que son volume de travail est élevé. En conséquence, la Commission doit tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif.
[41] En l’espèce, je ne suis pas convaincue que le défaut de l’enquêteur d’interroger les quatre autres étudiants présents le jour en question a donné lieu à un défaut d’examiner la « preuve manifestement importante ». En fait, le fait que Mme Holm est tombée pendant la formation et qu’elle a subi une blessure quelconque n’est pas contesté. Le véritable litige en l’espèce réside dans le fait de savoir si les circonstances entourant le test étaient telles qu’elles faisaient entrer en jeu l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’Agence.
[42] Mme Holm affirme aussi que l’enquête comportait des lacunes puisque l’enquêteur n’a pas interrogé le médecin de la clinique sans rendez‑vous qu’elle avait consulté le jour où elle s’était blessée. L’enquêteur a effectivement parlé au médecin de famille de Mme Holm, qui l’avait traitée pour ses blessures quelques jours plus tard et rien qui m’a été présenté ne me porte à croire que le témoignage du médecin de clinique aurait ajouté quoi que ce soit à l’analyse.
[43] Les autres lacunes alléguées du processus d’enquête portent véritablement sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’Agence et elles seront abordées quand j’examinerai la dernière question.
La conduite de l’enquêteur de la Commission a‑t‑elle donné lieu à une crainte raisonnable de partialité?
[44] Mme Holm affirme que l’enquêteur ne l’a pas interrogée en personne et que les questions qu’il lui a posées lui ont donné l’impression qu’il avait fait montre de partialité à son endroit. À titre d’exemple, elle a mentionné que l’enquêteur formulait ses questions ainsi : « untel et untel ont dit “x”; qu’avez‑vous à rajouter? ».
[45] Mme Holm affirme aussi que les questions posées par l’enquêteur n’étaient pas ouvertes, ce qui ne lui a pas permis de raconter toute son histoire.
[46] Tout en reconnaissant qu’elle ne connaissait pas bien le processus d’enquête, Mme Holm affirme néanmoins que les questions posées par l’enquêteur l’ont rendue mal à l’aise et qu’elle avait donc une crainte raisonnable de partialité de la part de ce dernier.
[47] Le critère applicable à la partialité est bien connu : la Cour doit se demander ce qu’une personne bien renseignée qui examinerait de façon réaliste et pratique la question et qui y aurait attentivement réfléchi conclurait : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (L’Office national de l’Énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.
[48] Le fait que l’enquêteur a choisi de ne pas interroger Mme Holm en personne ne donne pas lieu, à mon avis, à une crainte raisonnable de partialité. Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué, la Commission est maître de son processus et on doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont elle mène ses enquêtes : voir Tahmourpour, précité, au paragraphe 39.
[49] Qui plus est, selon la description que fait Mme Holm de la conduite de l’enquêteur, il semblerait que les questions qu’il a posées visaient à la mettre au courant des éléments de preuve et des allégations formulées à son encontre et à lui donner l’occasion d’y répondre. Cette façon de procéder était totalement adéquate.
[50] Enfin, il ressort clairement du dossier que Mme Holm a eu amplement l’occasion de présenter à l’enquêteur et à la Commission ses observations écrites exposant sa thèse et qu’elle a saisi cette occasion à deux reprises au moins. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que Mme Holm a été privée d’une occasion de présenter des détails complets sur sa version des événements entourant sa plainte.
[51] Je comprends que Mme Holm ne connaît pas bien le processus d’enquête sur les plaintes; toutefois, la conduite de l’enquêteur ne donnerait pas lieu, à mon avis, à une crainte de partialité aux yeux d’une personne bien renseignée.
Les commissaires ont‑ils omis de tenir compte des observations écrites de Mme Holm?
[52] Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Holm affirme qu’il est possible que les commissaires n’aient pas pris en considération les observations écrites qu’elle a présentées en réponse au rapport d’enquête.
[53] À l’audition de la demande, j’ai demandé à Mme Holm de donner plus de détails sur ce point et d’expliquer pourquoi elle croyait que ses observations n’avaient pas été prises en considération. D’après ce que je comprends de son explication, Mme Holm croit que la Commission n’a pas pu prendre en considération ses observations puisqu’elle a adopté la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte. Cela ne se serait pas produit, selon elle, si ses observations avaient été adéquatement prises en considération.
[54] Je ne puis souscrire à cette observation. Selon le dossier certifié du tribunal, les observations de Mme Holm se trouvaient devant la Commission canadienne des droits de la personne quand elle a décidé de rejeter la plainte; rien dans le dossier ne porte à croire que ces observations n’ont pas été dûment prises en considération. Le fait que la Commission n’a pas adopté le point de vue de Mme Holm sur l’affaire ne suffit pas à établir qu’elle a négligé ses observations.
La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les éléments de preuve ne soutenaient pas la plainte?
[55] Il faut indiquer dès le départ que ni l’Agence ni la Commission ne contestent le fait que les blessures temporaires que Mme Holm a subies le 12 juin 2004 constituent une « invalidité » au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et ce, même si, selon la preuve médicale présentée à la Commission, Mme Holm s’était remise des effets de sa chute dans les deux semaines qui l’ont suivie. En conséquence, je poursuivrai en m’appuyant sur le postulat selon lequel Mme Holm était effectivement invalide.
[56] Dans l’examen de la décision de la Commission de rejeter la plainte déposée par Mme Holm, il faut aussi préciser qu’en raison de la nature succincte des décisions rendues par la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les rapports d’enquête constituent les motifs de la Commission : voir Sketchley, précité, au paragraphe 37.
[57] La plainte déposée par Mme Holm repose essentiellement sur le fait que l’Agence a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses employés invalides en lui exigeant de subir un test sur le recours à la force alors qu’elle était blessée et en la congédiant après qu’elle a échoué à ce test.
[58] Au moment de se pencher sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de révision en décidant que la preuve ne soutenait pas les allégations de discrimination formulées par Mme Holm, il est utile d’examiner d’abord les principes liés aux obligations des employeurs et des employés respectivement, dans la mesure où la question des mesures d’adaptation est en cause.
[59] L’employeur a l’obligation de composer avec un employé tant qu’il n’en résulte pas pour lui une contrainte excessive : voir, par exemple, Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »). Ce sont les employeurs qui ont le fardeau de montrer qu’ils ont examiné et rejeté raisonnablement toute forme possible de mesure d’adaptation. Ce fardeau incombe aux employeurs à cet égard parce que c’est l’employeur qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec l’employé sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise.
[60] Il s’agit d’un lourd fardeau pour les employeurs : pour s’en acquitter, ils doivent démontrer qu’il est impossible d’intégrer des aspects de mesure d’adaptation individuels sans que l’employeur subisse une contrainte excessive : voir Meiorin, précité. Les syndicats ont aussi l’obligation de faciliter les mesures d’adaptation, s’il y a lieu : Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970.
[61] Toutefois, aussi exigeante l’obligation des employeurs d’adopter des mesures d’adaptation pour les employés handicapés soit‑elle, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Renaud, au paragraphe 43, la recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Autrement dit, outre les obligations des employeurs et des syndicats, les plaignants ont eu aussi l’obligation de contribuer à obtenir des mesures d’adaptation appropriées.
[62] L’un des aspects fondamentaux de l’obligation de l’employé est le devoir de porter à l’attention de son employeur les faits relatifs à la discrimination alléguée : Renaud, au paragraphe 44.
[63] Maintenant que nous comprenons les principes juridiques pertinents, j’examinerai maintenant les éléments de preuve présentés à l’enquêteur et à la Commission.
[64] Il ne fait aucun doute que les formateurs de Mme Holm savaient qu’elle était tombée et qu’elle s’était blessée pendant la formation. Même si elle se plaint du fait qu’on ne lui a offert aucune attention médicale, rien dans le dossier ne porte à croire qu’elle a indiqué à ses formateurs qu’elle avait besoin d’une aide médicale.
[65] Il ressort aussi clairement de la preuve que la formation sur le recours à la force était très exigeante sur le plan physique et, comme Mme Holm l’a avoué elle‑même, tous les étudiants étaient contusionnés à la fin du cours.
[66] Les parties s’entendent sur le fait que Mme Holm n’a pas eu un bon rendement pendant le test; toutefois, les éléments de preuve sous‑entendent qu’elle n’a pas eu un bon rendement tout au long de la formation et qu’ainsi, son rendement ne s’est pas détérioré soudainement pendant le test, ce qui aurait signalé aux formateurs que quelque chose n’allait pas.
[67] Qui plus est, l’enquête disposait d’éléments de preuve selon lesquels Mme Holm avait indiqué vouloir poursuivre avec le test malgré ses blessures. Mais, surtout, même si Mme Holm affirme avec véhémence avoir informé ses formateurs qu’elle était blessée pendant le test (un point que les formateurs réfutent vigoureusement), rien dans le dossier n’indique qu’à un moment donné avant son congédiement, Mme Holm a demandé de reporter le test jusqu’à ce qu’elle se sente mieux ou a indiqué à ses formateurs qu’elle exigeait de prendre une mesure d’adaptation.
[68] Vu que Mme Holm n’a pas indiqué rapidement qu’elle avait souffert d’une blessure invalidante et qu’elle devait faire l’objet de certaines mesures d’adaptation, il n’incombait pas à l’Agence d’explorer des solutions de rechange à la poursuite du test ce jour‑là.
[69] Les parties s’entendent sur le fait que la réussite du cours de formation sur le recours à la force constituait une condition à la poursuite de l’emploi de Mme Holm. Étant donné qu’elle a échoué au test et qu’elle n’a pas informé son employeur qu’elle souffrait d’une invalidité et qu’elle exigeait la prise de mesures d’adaptation, il était loisible à l’Agence de congédier Mme Holm.
[70] Même s’il avait été souhaitable que l’enquêteur mène une analyse plus complète, dans tous les cas, sa conclusion selon laquelle les éléments de preuve ne soutenaient pas les allégations de discrimination formulées par Mme Holm, il était raisonnable pour lui d’en conclure ainsi. De même, la Commission n’a commis aucune erreur en adoptant la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte déposée par Mme Holm.
Conclusion
[71] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’avocate du défendeur a informé la Cour que son client n’insistait pas sur la question des dépens et, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse de rendre une ordonnance sur les dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée sans dépens.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2096-05
INTITULÉ : JENNIFER HOLM c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 septembre 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : La juge Mactavish
DATE DES MOTIFS : Le 2 octobre 2006
COMPARUTIONS :
Mme Jennifer Holm
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Mme Tracy King
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mme Jennifer Holm
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DEMANDERESSE SE REPRÉSENTANT ELLE‑MÊME |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |