Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
HUSSEN NAYEF ELCHARITI, DIMA THINE,
NOURALDEAN HUSS ELCHARITI et HUSSEN AYA ELCHARITI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Hussen Nayef Elchariti (le demandeur principal) est un citoyen de la Syrie qui, après avoir pratiqué la religion druze, s’est converti à l’islam. Au soutien de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il prétend craindre d’être persécuté parce qu’il est musulman. Les prétendus agents de persécution sont des pratiquants de la religion druze. Dans une décision datée du 23 novembre 2005, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a décidé que le demandeur principal, son épouse (Dima Thine) et leurs enfants (Nouraldean Huss Elchariti et Hussen Aya Elchariti) (collectivement appelés les demandeurs) n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.
Le contexte
[2] Le demandeur principal a grandi dans la foi druze mais s’est converti à l’islam, la religion de son épouse, Dima Thine, peu de temps après leur mariage en 1996. Il prétend n’avoir rien dit de sa conversion à sa famille par crainte des conséquences. Sa famille l’a finalement découverte en 1998. En octobre 1997, le demandeur principal et son épouse sont allés aux États‑Unis, où leur fils, Nouraldean Huss Elchariti, est né en 1998 et leur fille, Hussen Aya Elchariti, en 2002.
[3] La famille est retournée en Syrie en 1999 où, selon l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur principal a reçu la visite de membres de sa famille et de la communauté druze qui ont menacé de le tuer. Il prétend que les services de sécurité syriens ont rendu visite à la tante de Dima Thine en mars 2004 pour lui apprendre qu’il était recherché par le gouvernement syrien.
[4] Les demandeurs ont quitté la Syrie et sont retournés aux États‑Unis le 9 septembre 1999. Le 12 mars 2004, M. Elchariti a été déclaré coupable d’usurpation d’identité aux États‑Unis. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 6 avril suivant, après que leur demande d’asile eut été rejetée aux États‑Unis, et ont revendiqué le statut de réfugié le même jour.
Les questions en litige
[5] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :
- Les trous dans la transcription sont‑ils suffisamment graves pour constituer un manquement à la justice naturelle?
- La Commission a‑t‑elle contrevenu aux règles de justice naturelle en ne faisant pas savoir aux demandeurs qu’elle allait se fonder sur les prétentions du ministre?
- La Commission a‑t‑elle rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?
La décision de la Commission
[6] La Commission a conclu que la crainte de persécution du demandeur principal et de son épouse n’était pas fondée. Ayant lu la décision, je constate que la Commission y décrit les faits importants suivants :
- Selon les prétentions écrites du ministre, le demandeur principal a omis de révéler, au point d’entrée, qu’il avait été déclaré coupable d’usurpation d’identité aux États‑Unis en 2004, qu’il était alors en probation ou que son agent de probation lui avait expressément dit de ne pas voyager. Selon le ministre, les antécédents criminels du demandeur principal et le fait qu’il n’avait pas divulgué cette information au point d’entrée jetaient des doutes sur sa crédibilité;
- Malgré les affirmations du demandeur principal selon lesquelles les Druzes qui se convertissent à l’islam encourent parfois la mort, la Commission a préféré la preuve documentaire indiquant que les Druzes qui épousent une femme d’une autre religion sont plutôt excommuniés;
- La Commission a tenu compte de la période de temps passée par les demandeurs aux États‑Unis avant de demander l’asile dans ce pays. Vu les prétendues craintes du demandeur principal, il n’était pas crédible que les demandeurs n’aient pas demandé immédiatement la protection des États‑Unis;
- Même si l’audience a été ajournée afin de permettre aux demandeurs d’obtenir le mandat d’arrestation original que la tante du demandeur principal aurait reçu en Syrie, ce document n’a pas été produit.
[7] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la décision devrait être infirmée.
Analyse
Question no 1 : Les trous dans la transcription
[8] Dans leur plaidoirie, les demandeurs ont exprimé des préoccupations concernant la transcription du premier jour d’audience. Dans une lettre transmise avec le premier volume de la transcription, le transcripteur a écrit : [traduction] « il y a de nombreux passages inaudibles dans la transcription parce que le demandeur principal n’utilisait pas de micro; il parlait aussi très bas et était très difficile à entendre ». Un examen du premier volume permet de constater que le terme « inaudible » figure à de nombreux endroits. Les demandeurs soutiennent qu’il est impossible pour la Cour de trancher la présente demande à cause de ces trous. Je ne suis pas de cet avis.
[9] Je reconnais qu’il y a un grand nombre de trous de ce genre, mais presque tous apparaissent dans le milieu d’une phrase ou d’une remarque du demandeur principal. Ce n’est pas comme si des parties complètes du témoignage manquaient. On peut facilement comprendre le sens des phrases dont des parties étaient inaudibles. De plus, je suis d’avis que les mots ou les expressions inaudibles ne modifient pas le témoignage du demandeur principal ou ne réparent pas les omissions qu’il contient.
Question no 2 : Les prétentions du ministre
[10] Conformément au paragraphe 25(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, le ministre a participé à l’audience en déposant un avis d’intention de participer. Dans l’avis, il a indiqué qu’il n’assisterait pas à l’audience et a présenté des prétentions sur les échanges entre l’agent au point d’entrée et le demandeur principal. À l’audience, la Commission a attiré l’attention du demandeur principal sur cette question. La discussion a surtout porté sur la condamnation pour fraude d’identité en 2004 et sur les faits entourant cette condamnation. La Commission n’a pas interrogé le demandeur principal sur les allégations selon lesquelles il avait omis de révéler à l’agent qu’il avait été déclaré coupable, qu’il était en probation et qu’on lui avait demandé de ne pas voyager. Dans sa décision, elle a fait référence aux prétentions du ministre, notamment celles concernant la condamnation et le fait que le demandeur principal avait été réticent à fournir des renseignements complets et avait induit en erreur l’agent au point d’entrée. La Commission [traduction] « a soupesé cette preuve à la lumière des autres problèmes concernant la crédibilité ».
[11] Cette remarque finale concernant les prétentions du ministre ne permet pas de savoir dans quelle mesure la Commission s’est fondée sur ces prétentions. Aux fins de la présente analyse, j’ai supposé que la Commission avait considéré que la conduite du demandeur principal à la frontière – en plus de sa condamnation aux États‑Unis – avait jeté des doutes sur sa crédibilité.
[12] S’appuyant sur Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 239, aux pages 243 et 244 (C.A.), les demandeurs font valoir que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide. Ils prétendent essentiellement que la Commission a agi de manière inéquitable en posant des questions et en faisant des remarques uniquement sur la condamnation et en se fondant ensuite sur les autres aspects des prétentions du ministre. La Commission aurait manqué ainsi à la justice naturelle. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis.
[13] Les prétentions du ministre faisaient partie du dossier aux audiences de la Commission. Celle‑ci a fait référence à ces prétentions à maintes reprises. Même si ses questions ont porté surtout sur la condamnation pour usurpation d’identité, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas tenu compte de la conduite du demandeur principal au point d’entrée. À mon avis, il était évident que l’ensemble des prétentions devaient être prises en considération à l’audience. Il est illogique de penser que la Commission ne s’intéresserait pas à la conduite du demandeur principal au point d’entrée. Le conseil des demandeurs pouvait produire une preuve émanant du demandeur principal pour contredire l’information divulguée par le ministre au sujet de ce qui s’était passé au point d’entrée, mais il ne l’a pas fait. Il ne s’agit pas d’une affaire où la Commission s’est appuyée, dans sa décision, sur des renseignements qui ne figuraient pas dans le dossier ou dont il n’avait pas été question à l’audience. Dans ces circonstances, il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle.
Question no 3 : Les conclusions de la Commission sur la crédibilité
[14] Les autres prétentions des demandeurs ont trait à la conclusion générale de la Commission concernant la crédibilité. Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur :
- en considérant que les raisons pour lesquelles le demandeur principal était retourné en Syrie après la naissance de son fils aux États‑Unis n’étaient pas crédibles;
- en ne tenant pas compte des témoignages de membres de la famille qui confirmaient que sa vie était en danger;
- en tirant une conclusion défavorable concernant la crédibilité du fait que les demandeurs n’avaient pas produit l’original du mandat d’arrestation;
- en ne tenant pas compte de la preuve documentaire décrivant le traitement réservé aux Druzes convertis;
- en concluant que le demandeur principal ne risquait pas d’être tué, d’être torturé ou de faire l’objet de traitements ou de peines cruels et inusités en raison de l’absence d’une preuve médicale concernant une attaque, appliquant ainsi un critère de persécution trop rigoureux;
- en ne tenant pas compte de la preuve expliquant pourquoi ils avaient tardé à demander l’asile aux États‑Unis.
[15] C’est la norme de contrôle la plus rigoureuse – la décision manifestement déraisonnable – qui s’applique à la décision de la Commission sur le manque de crédibilité. Comme la Cour l’a dit dans Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2133 (C.F.) (QL), au paragraphe 22, « [c]onstitue une décision manifestement déraisonnable la décision “clairement irrationnelle” ou “de toute évidence non conforme à la raison”, viciée à un point tel qu’aucun degré de déférence judiciaire ne saurait justifier son maintien ».
[16] J’ai examiné la décision de la Commission et la preuve dont elle disposait selon cette norme, à la lumière de chacune des erreurs alléguées.
[17] La Commission pouvait soupeser les explications données par les demandeurs relativement à leur retour en Syrie en 1998 et à leur retard à demander l’asile, puis les rejeter. Compte tenu du dossier en l’espèce, je ne vois rien d’abusif dans ces conclusions. Celles‑ci sont fondées sur l’absence de crainte objective. Bien qu’elle ne se soit pas exprimée aussi clairement qu’elle l’aurait pu, la Commission a conclu que le fait que le demandeur principal est retourné en Syrie pour terminer ses études de médecine démontrait l’absence d’une véritable crainte. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. Une conclusion défavorable similaire a été tirée relativement au défaut des demandeurs de demander l’asile aux États‑Unis en temps opportun. Lorsqu’on l’évalue à la lumière de la prétendue crainte du demandeur principal d’être tué pour s’être converti à l’islam, le fait de ne pas avoir demandé l’asile plus tôt mine la crédibilité et le fondement de cette crainte.
[18] Dans l’affidavit qu’il a produit au soutien de la présente demande, le demandeur principal explique de manière très détaillée son retour en Syrie en 1998 et son retard à demander l’asile aux États‑Unis. Or, une grande partie de cette information n’a pas été communiquée à la Commission; ces explications ne font tout simplement pas partie du dossier. Je suis convaincue que les conclusions de la Commission ne sont pas déraisonnables compte tenu de l’information et des témoignages dont elle disposait.
[19] Dans ses motifs, la Commission a mentionné que le demandeur principal n’avait jamais été attaqué par des membres de sa famille ou des [traduction] « agents hostiles ». Les demandeurs s’appuient sur Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, à la page 258 (C.A.), pour faire valoir :
· que le requérant [réfugié au sens de la Convention] n’a pas à prouver qu’il avait été persécuté lui‑même dans le passé ou qu’il serait lui‑même persécuté à l’avenir;
· que le requérant [réfugié au sens de la Convention] peut prouver que la crainte qu’il entretenait résultait non pas d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis directement à son égard, mais d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartenait.
[20] Les demandeurs prétendent, en faisant référence à l’absence d’attaque physique, que la Commission a appliqué une norme de persécution trop rigoureuse. Bien que je souscrive parfaitement aux principes énoncés ci‑dessus, je n’approuve pas la façon dont les demandeurs interprètent la décision. Selon mon interprétation de cette partie de la décision, la Commission énonçait simplement un autre fait qui, lorsqu’on le considère avec la preuve documentaire concernant les pratiques des Druzes, étayait sa conclusion. Aucune erreur n’a été commise.
[21] Les demandeurs invoquaient également le mandat d’arrestation qui aurait été remis à la tante du demandeur principal en 2004. Seule une copie du mandat transmise par courriel a été produite. Le premier jour d’audience, la Commission a indiqué qu’elle souhaitait voir l’« original » du mandat ou de la sommation reçu par la tante afin que ce document puisse être authentifié. Ayant lu la transcription, je suis convaincue qu’il était clair pour les parties que la Commission faisait référence au mandat qui avait été signifié à la tante et non à l’original qui aurait évidemment été conservé par les autorités. L’audience a été ajournée pour permettre aux demandeurs d’obtenir le document auprès de la tante, ce qu’ils n’ont pas fait. Ils ont plutôt produit une copie d’une lettre d’un avocat syrien indiquant que [traduction] « l’original du mandat se trouve dans le dossier de la personne recherchée qui est conservé par les responsables de la sécurité ». L’avocat a expliqué ensuite que la tante avait reçu une copie de la sommation. Ce n’est évidemment pas ce qui a été demandé; la Commission voulait voir la copie du document qui avait été remise à la tante. [traduction] « Cet élément de preuve important » n’ayant pas été produit, la Commission pouvait conclure que le demandeur principal n’était pas visé par un mandat d’arrestation.
[22] Je reconnais que la Commission aurait pu faire référence de manière plus précise à la preuve documentaire et aux autres éléments de preuve qui décrivaient le traitement réservé aux Druzes convertis. Toutefois, ayant examiné la preuve dont elle disposait, je ne suis pas convaincue que je devrais infirmer sa décision parce qu’elle n’a pas fait mention de chacun des éléments de preuve contraires.
Conclusion
[23] En résumé, aucun manquement à la justice naturelle ni aucune erreur ne justifient que j’infirme la décision.
[24] Aucune des parties n’a proposé une question à des fins de certification et aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑7571‑05
INTITULÉ : HUSSEN NAYEF ELCHARITI ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 7 SEPTEMBRE 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 27 SEPTEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Rocco Galati POUR LES DEMANDEURS
Catherine Vasilaros POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Galati, Rodrigues & Associates POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous‑procureur général du Canada