Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
et
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1]
Mme Adrienne McNabb (la demanderesse)
demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 24 mars 2004
par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission)
a rejeté la plainte en discrimination, en date du 9 novembre 2003,
qu'elle avait présentée sous le régime de la Loi canadienne sur les droits
de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, modifiée (la Loi).
Elle demande une ordonnance de certiorari cassant ladite décision et une
ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission d'ouvrir une
instruction sous le régime de l'article 49 de la Loi; subsidiairement,
elle sollicite une ordonnance déclarant ladite décision nulle et renvoyant
l'affaire à la Commission pour une nouvelle enquête conforme aux principes de
la justice naturelle et de l'équité procédurale.
II. Le
contexte
[2]
La demanderesse est une employée de la Société
canadienne des postes (la défenderesse). Le 9 novembre 2003, elle a
déposé une plainte en discrimination dans l'emploi où elle alléguait que la
défenderesse avait refusé de prendre des mesures d'adaptation à son égard en
violation de l'article 7 de la Loi et avait enfreint l'article 10 de
celle‑ci en appliquant une ligne de conduite discriminatoire.
[3]
La demanderesse est entrée au service de la
défenderesse en 1978. Elle s'est blessée à l'épaule gauche et au cou dans un
accident professionnel au début de 1996, à la suite de quoi il a été constaté
qu'elle souffrait d'une incapacité permanente partielle (IPP) de 28 %.
Cette IPP a limité ses possibilités d'activité professionnelle, lui interdisant
entre autres de soulever un poids de plus de 15 livres ainsi que les
mouvements répétitifs du cou ou de l'épaule. La demanderesse affirme que, le
16 février 1998, la défenderesse l'a renvoyée chez elle au motif
qu'elle ne pouvait remplir toutes les fonctions de son poste. Elle a réagi en
déposant par l'intermédiaire de son syndicat, le Syndicat des travailleurs et
travailleuses des postes, un grief fondé sur le refus de mesures d'adaptation.
[4]
Ce grief a été réglé en juillet 2000, et la
demanderesse a été affectée à un poste de commis à la vente au détail à
Toronto. En août 2001, la demanderesse a présenté à la défenderesse des
demandes de mutation à divers endroits du Canada. Après avoir reçu une lettre
d'intérêt d'Orillia, elle s'est installée dans cette ville avec son fils.
Cependant, la défenderesse a refusé d'autoriser le transfert, et la
demanderesse a fait la navette entre Orillia et Toronto depuis août 2001
jusqu'à ce qu'elle revînt s'établir dans l'agglomération torontoise avec son
fils en juin 2002. La demanderesse affirme avoir reçu des offres de
mutation de Victoria, Bracebridge, Nanaimo et Courtenay; dans chacune de ces
lettres, les services respectifs de la Société canadienne des postes lui
demandaient si elle était capable de remplir la totalité des fonctions de
l'emploi. Elle affirme avoir été refusée par chacun de ces bureaux au motif des
limitations afférentes à son incapacité.
[5]
La demanderesse a contesté ces refus par voie de
grief, toujours par l'intermédiaire du Syndicat des travailleurs et
travailleuses des Postes (le STTP). En août 2003, dans le cadre du
règlement de son grief, la défenderesse a autorisé sa mutation à Courtenay
(Colombie-Britannique), où elle a commencé à travailler le
15 septembre 2003.
[6]
La demanderesse soutenait dans sa plainte que,
une fois qu'elle eut commencé à travailler à Courtenay, la défenderesse lui
avait assigné des tâches outrepassant les limitations afférentes à son
incapacité, lui refusant ainsi les mesures d'adaptation nécessaires. La
demanderesse a déclaré dans son formulaire de plainte que
M. Ken McInnes, le surintendant du bureau de Courtenay, l'avait
convoquée le 18 septembre 2003 et l'avait avisée qu'elle avait
soulevé des colis dépassant la limite de poids fixée pour elle. M. McInnes
lui avait expliqué, poursuivait-elle, que le service direct au comptoir n'était
pas une tâche qui lui convenait. La demanderesse lui avait répondu qu'elle
gérait elle-même les séquelles de ses blessures depuis plusieurs années et
qu'elle savait très bien ce qu'elle était capable ou non de faire.
[7]
La demanderesse a allégué que M. McInnes et
un dénommé C. Day l'avaient de nouveau convoquée le
29 septembre 2003. On lui avait alors fait l'historique du bureau et
on lui avait dit que certains de ses collègues n'étaient pas contents qu'elle
eût été affectée dans leur service. Elle a ensuite fait le récit de son
accident, de ses problèmes médicaux et de la procédure d'arbitrage à l'issue de
laquelle on lui avait offert le poste de Courtenay. La demanderesse affirmait
dans sa plainte que M. McInnes avait enfreint la convention collective et
la Loi. Un peu plus tard au cours de cet entretien, les interlocuteurs de la
demanderesse avaient fait venir Mme Vera Lebar, agent de formation
syndicale, qui l'avait avisée qu'elle ne pouvait remplir la totalité des
fonctions de son poste. On avait alors renvoyé la demanderesse chez elle en
congé de maladie.
[8]
La demanderesse déclare dans son formulaire de
plainte que la défenderesse l'a avisée le 2 octobre 2003 qu'elle
n'était plus considérée comme malade, et qu'elle devait se présenter au bureau
et observer le plan de travail établi. Elle a de nouveau avisé son employeur
qu'il ne se conformait pas aux restrictions fixées par la Commission ontarienne
de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du
travail (la CSPAAT) et qu'on ne lui avait pas fourni les feuilles de tri
d'acheminement qui devaient l'aider à remplir les fonctions de son poste. On ne
les lui a données qu'un mois après son arrivée. La demanderesse a prié son
syndicat d'organiser un entretien avec la défenderesse, ce qu'il a refusé de
faire, alléguant que les mesures d'adaptation nécessaires avaient été prises à
son égard. Elle a ensuite demandé à son syndicat régional de présenter un grief
en son nom, demande qui a aussi été rejetée.
[9]
Le 9 octobre 2003, la demanderesse a
reçu un troisième plan de travail, aux tâches différentes. On l'avait menacée
de congédiement, affirmait‑t‑elle, si elle ne se conformait pas à
ce plan.
[10]
La demanderesse a en outre déclaré qu'elle avait
demandé communication de son dossier par l'intermédiaire de la Commission de la
protection des renseignements personnels. Elle y avait trouvé un accord entre
le syndicat et l'employeur comme quoi sa candidature au poste de Courtenay
devait être rejetée du fait des limitations afférentes à son incapacité. Cet
accord, affirmait-elle, expliquait pourquoi le syndicat n'avait pas voulu
présenter de grief en son nom. Elle a fait observer que la défenderesse a une
politique nationale et qu'elle est liée au syndicat par une convention
collective stipulant qu'il n'y aura pas de discrimination fondée sur la
déficience.
[11]
Toujours dans son formulaire de plainte, la
demanderesse soutenait qu'elle avait fait l'objet de discrimination en cours
d'emploi du fait du refus de la défenderesse de prendre des mesures
d'adaptation et que le rejet de ses demandes de mutation montrait que cette
dernière appliquait une ligne de conduite consistant à refuser les mutations au
motif d'une déficience.
[12]
Selon la chronologie des faits que comporte le
dossier certifié du tribunal dans la présente affaire, la plainte de la
demanderesse a été soumise à la médiation le 19 février 2004. Cette
plainte a ensuite été renvoyée à l'Unité des enquêtes le 26 mai 2004,
et le dossier a été attribué à un enquêteur le 11 juin de la même année.
Le 8 juin 2004, il a été demandé à la défenderesse de produire sa
défense.
[13]
La défenderesse a produit sa défense le
8 juillet 2004. Ce document ne figure pas au dossier du tribunal,
mais le rapport d'enquête y fait référence. Selon ce rapport, la défenderesse a
soulevé dans sa défense la question de la conformité au délai prescrit de la
plainte de la demanderesse et a fait valoir que l'alinéa 41(1)e) de
la Loi interdisait à la Commission d'examiner les actes censés avoir été
accomplis avant novembre 2002, c'est‑à‑dire plus d'un an avant
la signature de la plainte. La défenderesse faisait aussi valoir que les
allégations de la demanderesse se rapportaient à des questions de relations du
travail qu'elle avait choisi de faire examiner dans le cadre de la procédure de
règlement de griefs prévue par la convention collective et que ces questions
avaient déjà été réglées.
[14]
Selon la chronologie des faits, la demanderesse
a été avisée le 22 juillet 2004 qu'elle pouvait répondre aux
conclusions de la défenderesse. Sa réfutation a été reçue le 1er août 2004.
[15]
L'enquête, y compris les entretiens, a été
exécutée entre le 22 novembre et le 1er décembre 2004,
et le rapport d'enquête a été communiqué le 10 du même mois. On a donné aux
parties la possibilité de répondre au rapport d'enquête, ce que la demanderesse
a fait par lettre reçue le 6 janvier 2005. Elle y contestait la façon
dont l'enquêteur avait traité la question des mesures d'adaptation et affirmait
que les employés de la défenderesse avaient informé l'enquêteur de manière
malhonnête.
[16]
La défenderesse a aussi répondu au rapport
d'enquête, par lettre en date du 11 janvier 2005. Elle y souscrivait
à la proposition de l'enquêteur recommandant à la Commission de rejeter la
plainte de la demanderesse au motif que la preuve n'étayait pas ses
allégations. La défenderesse y reprenait ses arguments voulant que la plainte
était hors délai et que, en tout état de cause, son objet avait été examiné
dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs.
[17] Le rapport d'enquête a ensuite été soumis à la Commission. L'enquêteur y formulait les recommandations suivantes aux paragraphes 35 et 36 :
[TRADUCTION]
35 Il est recommandé que, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission statue sur les allégations de la plainte concernant des faits qui se sont produits après novembre 2002 :
i.
parce qu'elles sont fondées sur des faits qui se
sont produits moins d'un an avant le dépôt de la plainte,
ii.
parce qu'il n'est pas certain que les questions
qu'elles soulèvent aient été réglées.
36 Il est recommandé que la Commission rejette la plainte en vertu de
l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne :
- parce que, selon les conclusions de l'enquêteur, la preuve n'étaye pas les allégations de la plaignante.
[18]
La Commission a rejeté la plainte de la
demanderesse par décision en date du 24 mars 2005. Elle a examiné deux
aspects de cette plainte, soit la conformité des allégations au délai prescrit
et le bien-fondé de l'allégation de discrimination formulée sous le régime de
l'article 7. Pour ce qui concerne la conformité au délai prescrit, la
Commission a décidé de prendre en considération – à l'exclusion des autres –
les allégations portant sur des faits postérieurs à novembre 2002, au
motif que ces faits s'étaient produits moins d'un an avant le dépôt de la
plainte et qu'il n'était pas certain que les questions en cause aient été
réglées. Elle a invoqué à cet égard le paragraphe 41(1) de la Loi.
[19]
La Commission a en fin de compte rejeté la
plainte, en vertu de l'alinéa 44(3)b), au motif que le contenu n'en
était pas étayé par la preuve.
[20]
Dans son formulaire de plainte, la demanderesse
avait basé sa plainte sur les articles 7 et 10. L'article 7 a
pour objet les actes discriminatoires accomplis en cours d'emploi qui sont
fondés sur un motif de distinction illicite. L'article 10 porte que
« [c]onstitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de
distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi
ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour
l'employeur […] de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite ». L'article 3
définit les motifs de distinction illicite, pour l'application de la Loi, comme
étant « ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial,
la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience ».
[21]
La demanderesse soutenait qu'elle faisait
l'objet, en violation de l'article 7, d'une discrimination fondée sur son
incapacité permanente partielle, qui s'exprimait en particulier par le refus de
prendre des mesures d'adaptation à son égard. En ce qui a trait à
l'article 10, elle soutenait que la défenderesse avait appliqué une ligne
de conduite discriminatoire en rejetant les demandes de mutation qu'elle avait
présentées en août 2001. La demanderesse a déposé la présente demande de
contrôle judiciaire le 9 mai 2005. Son dossier de demande contenait
un affidavit portant sa signature, accompagné de douze pièces.
[22]
Ces pièces comprennent sa correspondance avec la
Commission, ainsi que, sous la cote 3, un ensemble considérable de
documents relatifs à sa plainte, notamment des renseignements généraux destinés
à éclairer le contexte. La pièce 5 contient aussi un ensemble important de
documents, dont une déclaration intitulée [TRADUCTION] « Renseignements sur la période ayant suivi la plainte de
novembre 2003 en violation des droits de la personne », ainsi qu'une
liste de quelque 25 personnes que la demanderesse proposait d'interroger si
l'affaire ne pouvait se régler par la médiation sous le régime de la Loi. Ont
aussi été produits sous la cote 5 des documents relatifs à l'évaluation
physique de la demanderesse effectuée par la CSPAAT à la suite des lésions
professionnelles qu'elle a subie en 1996, et des documents afférents à certains
griefs qu'elle a présentés de 1999 à 2002.
III. Les
conclusions de la demanderesse
[23]
La demanderesse soutient que l'enquêteur a omis
d'examiner les allégations de discrimination qu'elle a formulées sous le régime
de l'article 10 de la Loi. Elle a exprimé dans sa plainte l'opinion que la
défenderesse applique à l'échelle nationale une ligne de conduite consistant à
refuser les demandes de mutation des employés affligés d'une déficience. Elle a
soulevé cette question dans sa plainte, y compris dans son exposé écrit des faits,
mais le rapport d'enquête ne fait pas référence à l'article 10. La
demanderesse invoque à cet égard la correspondance comprise dans la
pièce 3 de son affidavit, où la Commission se réfère à l'article 7 de
la Loi, mais pas à son article 10.
[24]
Se fondant sur ces exemples, la demanderesse
soutient que l'enquêteur a omis de prendre en considération son sujet de
plainte relevant de l'article 10 de la Loi.
[25]
La demanderesse soutient aussi que les
renseignements fournis par la défenderesse à l'enquêteur n'étaient pas fiables.
Elle fait valoir que l'enquêteur a pris à tort ces renseignements pour argent
comptant et qu'aucune des déclarations en cause n'était corroborée par des
documents.
[26]
En outre, la demanderesse nie que son absence du
travail était, comme la définit l'enquêteur, un congé de maladie lié à ses
lésions. Elle soutient qu'elle était capable de remplir toutes les fonctions de
son poste en dépit desdites lésions et qu'elle s'était absentée du travail pour
des raisons relatives aux mesures d'adaptation.
[27]
La demanderesse examine ensuite l'accord en date
du 8 août 2003. Elle conteste la déclaration du rapport d'enquête
selon laquelle ni la défenderesse ni la CSPAAT n'avaient pu la joindre
concernant cet accord. Selon elle, on ne devrait pas écarter une question aussi
importante que celle des mesures d'adaptation sous le simple prétexte qu'elle
n'aurait pas été joignable à un moment donné.
[28]
La demanderesse met aussi en question la
légalité de cet accord, étant donné qu'elle n'a appris son existence qu'après
avoir déposé sa plainte sous le régime de la Loi.
[29]
La demanderesse soutient ensuite que les
renseignements fournis par la défenderesse à l'enquêteur touchant l'arbitrage
de juillet 2000 sont inexacts. Aucune des personnes qui ont communiqué ces
renseignements, fait-elle valoir, n'avait une connaissance directe des
événements. Selon la demanderesse, ces personnes ont induit l'enquêteur en
erreur à ce propos. L'enquêteur écrit par exemple qu'elle avait demandé un
poste de vente au détail. Or, affirme‑t‑elle, elle n'a jamais fait
une telle demande, et l'enquêteur a permis à un renseignement erroné de cette
nature d'influer sur sa recommandation finale.
[30]
La constatation de l'enquêteur selon laquelle
elle remplirait des tâches qui outrepassent les limitations afférentes à son
incapacité est erronée, soutient aussi la demanderesse. Il est vrai,
reconnaît-elle, qu'elle a dit à son surveillant qu'elle gérait elle-même les
séquelles de ses blessures, mais elle nie avoir soulevé une boîte de
40 livres.
[31]
La demanderesse soutient en outre que les
fonctions qui lui ont été assignées à Courtenay ne sont pas conformes aux
restrictions fixées par la CSPAAT. Un tiers devrait avoir examiné les fonctions
de son poste pour garantir leur conformité auxdites restrictions, fait-elle
valoir. Cela n'a pas été fait, et l'enquêteur ne s'est pas adressé aux témoins
proposés par la demanderesse pour confirmer sa version des événements.
[32]
Le troisième des principaux arguments de la
demanderesse se rapporte à des manquements supposés aux principes de la justice
naturelle et de l'équité procédurale. La demanderesse affirme que l'enquêteur
ne lui a pas posé de questions sur sa plainte, n'a pas examiné ses allégations
comme quoi elle était traitée différemment des autres employés et a omis de prendre
en considération les préoccupations qu'elle avait formulées dans le cadre de
l'alinéa 7b) et de l'article 10 de la Loi, et qu'il lui est
arrivé une fois de recevoir des documents qui devaient être envoyés par la
poste à la défenderesse.
IV.
Les conclusions de la défenderesse
[33]
La défenderesse a soulevé une exception
préliminaire concernant l'affidavit produit par la demanderesse à l'appui de sa
demande. Elle soutient que, contrairement aux exigences du
paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106
(les Règles), l'affidavit de la demanderesse ne se limite pas aux faits dont
elle a une connaissance personnelle. La défenderesse fait valoir que les
affidavits exprimant des opinions personnelles, des arguments ou des
conjectures sont défectueux et ne sont pas admissibles. Elle invoque à cet
égard la décision Bell Canada c. Canada (Commission des droits de la
personne) (1990), 39 F.T.R. 97 (1re inst.).
[34]
En conséquence, soutient la défenderesse, les
paragraphes 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16 et 17 de l'affidavit
de la demanderesse devraient être radiés au motif qu'ils contiennent des
opinions personnelles, des arguments et des conjectures.
[35]
De plus, la défenderesse fait valoir qu'un bon
nombre des pièces jointes à l'affidavit de la demanderesse n'ont pas été
produites en preuve devant la Commission. Or il n'est pas permis à la
demanderesse de produire de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'une
demande de contrôle judiciaire, fait observer la défenderesse, invoquant à cet
égard la décision Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté
et de l'Immigration) (1998), 144 F.T.R. 76 (1re inst.).
[36]
La défenderesse ajoute que l'exception
juridictionnelle à cette règle ne s'applique pas à la présente espèce. La
demanderesse fait valoir que la Commission a perdu sa compétence par suite des
omissions supposées de l'enquêteur pendant l'enquête. Or, fait valoir la
défenderesse, ce n'est là qu'une variation de l'argumentation de la
demanderesse concernant la justice naturelle et l'équité procédurale.
[37]
La défenderesse soutient subsidiairement que si
la Cour autorise la demanderesse à produire de nouveaux éléments de preuve,
ceux‑ci devraient se limiter à la correspondance liée à l'enquête et aux
documents communiqués à l'enquêteur.
[38]
La défenderesse traite la question de la norme
de contrôle appropriée. Dans son premier exposé des faits et du droit, elle
soutient que la norme de contrôle applicable à une décision de rejet de plainte
par la Commission est celle de la décision raisonnable simpliciter, invoquant
à cet égard MacLean c.
Marine Atlantic Inc.
(2003), 243 F.T.R. 219, et Gardner c. Canada (Procureur
général) (2004), 250 F.T.R. 115, conf. par (2005),
339 N.R. 91 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C.
refusée [2005] C.S.C.R. no 480. La défenderesse affirme en
outre que, pour ce qui concerne l'équité procédurale, la question de la norme
de contrôle ne se pose pas et qu'il n'est pas prescrit à cet égard de retenue
judiciaire, se fondant là encore sur Gardner, précitée.
V. Les conclusions complémentaires
A. La défenderesse
[39]
Après l'audience de la présente demande de
contrôle judiciaire, la Cour a émis une directive demandant aux parties de
présenter de brèves conclusions complémentaires sur la norme de contrôle
applicable à la lumière du récent arrêt de la Cour d'appel fédérale Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.). La Cour a invité la
défenderesse à présenter ses conclusions la première et lui a accordé un droit
de réponse à celles de la demanderesse.
[40]
La défenderesse a effectué une analyse
pragmatique et fonctionnelle dont elle a conclu que, tout bien pesé, la norme
de contrôle applicable à la présente espèce serait celle de la décision
manifestement déraisonnable.
[41]
La défenderesse soutient que la décision de la
Commission remplit les critères de cette norme relativement aux allégations
formulées par la demanderesse sous le régime de l'alinéa 7b) aussi
bien que de l'article 10 de la Loi.
[42]
La défenderesse affirme en outre qu'il n'a pas
été produit d'éléments prouvant qu'il y ait eu manquement à l'équité
procédurale ou à la justice naturelle. La demanderesse a eu la possibilité
d'exposer ses moyens et de répondre à ceux de la défenderesse. Elle a aussi eu
la possibilité de présenter ses observations sur le rapport d'enquête. Se
fondant sur l'arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l'Environnement)
(2003), 302 N.R. 66 (C.A.F.), la défenderesse ajoute que l'obligation
d'équité d'un organisme d'enquête peut différer des exigences de justice
naturelle applicables à d'autres contextes. Elle soutient que les conclusions
de fait et la décision de l'enquêteur touchant la conduite de l'enquête doivent
faire l'objet de retenue judiciaire.
[43]
En ce qui a trait à l'argument de la
demanderesse selon lequel l'enquêteur a omis de prendre en considération son
sujet de plainte fondé sur l'article 10, la défenderesse soutient que
l'enquêteur a bel et bien pris en considération et examiné cette question.
L'exposé du rapport d'enquête faisait état des allégations de la demanderesse
concernant le rejet de ses demandes de mutation, et l'enquêteur a conclu que
cette question avait été [TRADUCTION] « réglée ».
[44]
La défenderesse soutient que l'enquêteur a
examiné régulièrement et suffisamment le sujet de plainte de la demanderesse
fondé sur l'alinéa 7b) de la Loi. Cette question est traitée sous
la rubrique [TRADUCTION] « Refus de mesures d'adaptation » du rapport d'enquête.
La défenderesse fait valoir que ce n'est pas parce qu'il n'a pas consigné une
analyse distincte de chacune des allégations du plaignant que l'enquêteur n'a
pas pris ces allégations en considération, invoquant à cet égard la décision Slattery c.
Canada (Commission des droits de la personne) (1994),
73 F.T.R. 161, conf. par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.).
B. La demanderesse
[45]
Dans les conclusions complémentaires concernant
la norme de contrôle applicable qu'elle a présentées en réponse à celles de la
défenderesse, la demanderesse soutient la thèse que la décision de la
Commission est entachée d'erreurs de droit révisables suivant la norme de la
décision correcte. Il y a erreur de droit, fait-elle valoir, du fait que
l'enquêteur n'a pas examiné la question de l'adaptation à la lumière de la
discrimination prima facie. Elle avance le même argument à propos du
fait que l'enquêteur n'a pas constaté le caractère discriminatoire prima
facie de la politique des mutations.
VI.
Analyse et décision
[46]
La présente espèce est une demande de contrôle
judiciaire présentée sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales,
L.R.C. 1985, ch. F‑7, modifiée. Le paragraphe 18.1(4) de
cette loi, qui prévoit les motifs de contrôle possibles, dispose ce qui
suit :
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :
a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;
b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose; e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;
f) a agi de toute autre façon contraire à la loi. |
(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal
( a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;
( b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;
( c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;
( d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;
( e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or
( f) acted in any other way that was contrary to law. |
[47]
Les mesures de réparation possibles dans le
cadre d'une demande de contrôle judiciaire sont prévues au
paragraphe 18.1(3), ainsi libellé :
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :
a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral. |
(3) On an application for judicial review, the Federal Court may
( a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or
( b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal. |
[48]
L'instruction des demandes de contrôle
judiciaire est régie par la partie 3 des Règles. On instruit normalement une
telle demande sur la base des pièces dont disposait l'instance décisionnelle en
question, qui est en l'occurrence la Commission. Je me réfère à cet égard à
l'arrêt Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of
Architectural Technologists of Ontario (2002), 291 N.R. 61
(C.A.F.). Il est cependant permis de produire des éléments de preuve
supplémentaires sur les questions qui se rapportent à l'équité procédurale et à
la compétence.
[49] Dans la présente espèce, le dossier dont disposait la Commission quand elle a rendu sa décision comprenait les pièces suivantes :
1. le rapport d'enquête, en date du 10 décembre 2004;
2. le formulaire de plainte, en date du 9 novembre 2003;
3. la réponse de la plaignante au rapport d'enquête, en date du 5 janvier 2005;
4. la réponse de la défenderesse au rapport d'enquête, en date du 11 janvier 2005;
5. la réponse de la plaignante à la réponse de la défenderesse au rapport d'enquête, en date du 31 janvier 2005;
6. la réponse de la défenderesse à la réponse de la plaignante au rapport d'enquête, en date du 9 février 2005;
7. un exposé chronologique des faits.
La Commission a produit ces pièces devant la Cour conformément à
l'article 318 des Règles.
[50]
Comme on l'a vu ci‑dessus, la défenderesse
s'oppose à la prise en considération de certains paragraphes de l'affidavit de
la demanderesse, ainsi que de certaines pièces jointes à cet affidavit. Elle
soutient que les paragraphes 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16
et 17 dudit affidavit devraient être radiés au motif qu'ils expriment des
opinions personnelles, des arguments ou des conjectures. Pour ce qui concerne
les pièces auxquelles renvoient ces paragraphes, elle fait valoir que la
demanderesse essaie par leur moyen de produire dans le cadre de la présente
demande de contrôle judiciaire des éléments de preuve dont la Commission ne
disposait pas.
[51] La Cour fédérale fait observer ce qui suit au paragraphe 20 de la décision Farhadi, précitée, à propos du dossier sur lequel elle doit fonder l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire :
20. Il est bien établi en droit qu'une cour de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l'office fédéral dont la décision fait l'objet de l'appel. La jurisprudence des cours de révision a suivi cette règle, faisant observer que si des éléments de preuve qui n'ont pas été déposés devant le tribunal initial étaient présentés dans une instance en contrôle judiciaire, la demande de contrôle serait en fait convertie en un appel ou un procès de novo. Bien que je sois convaincu qu'il existe une exception juridictionnelle à la règle selon laquelle de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans une instance en contrôle judiciaire, je suis également convaincu qu'il n'y a pas en l'espèce de question portant sur une erreur de compétence des tribunaux […]
[Renvois omis.]
[52] Je souscris aux prétentions de la défenderesse concernant l'affidavit de la demanderesse. Le paragraphe 81(1) des Règles précise en termes clairs ce que peut contenir un affidavit :
81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui. |
81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included. |
Les
paragraphes susénumérés ne remplissent pas la condition de la connaissance
personnelle des faits et contiennent des arguments et des conjectures. Dans
l'affaire Deigan c. Canada (Procureur général) (1996), 206 N.R. 195
(C.A.F.), la Cour a radié des passages d'un affidavit exprimant des arguments
et des opinions. Vu le paragraphe 81(1) des Règles et la jurisprudence
applicable, les paragraphes contestés et les pièces s'y rapportant seront radiés.
[53]
Le rôle de la Cour dans la présente instance est
d'établir si la Commission s'est trompée en rejetant la plainte de la
demanderesse. La première étape de cette tâche consiste à établir la norme de
contrôle applicable à la suite d'une analyse pragmatique et fonctionnelle
conforme aux critères formulés dans les arrêts suivants : Pushpanathan c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998]
1 R.C.S. 982; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003]
1 R.C.S. 247; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons
of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; et Sketchley,
précité. L'analyse pragmatique et fonctionnelle exige l'examen de quatre
facteurs : la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise
relative du tribunal, l'objet de la législation applicable et de la disposition
considérée, et la nature de la question. La règle de l'analyse pragmatique et
fonctionnelle ne s'applique pas aux questions d'équité procédurale et de
justice naturelle; voir Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.F.), à la page 219.
[54]
La Loi ne contient pas de clause privative ni ne
prévoit de droit d'appel des décisions rendues par la Commission sous le régime
de l'alinéa 44(3)b). Le fait que la Loi soit muette concernant
l'existence d'une procédure d'appel est à interpréter dans un sens neutre.
[55]
La Commission est habilitée à examiner et à
sanctionner les actes discriminatoires fondés sur les motifs spécifiés dans la
Loi; voir les articles 2 et 27 de celle‑ci. Elle possède une
expertise relative touchant l'examen des actes discriminatoires, et ses
conclusions de fait commandent un degré élevé de retenue judiciaire. Cependant,
lorsque l'examen de tels actes comporte l'application du droit, la retenue
judiciaire doit être moindre. Dans la présente espèce, la décision de rejeter
la plainte était fondée sur une appréciation de la preuve et commande un degré
élevé de retenue judiciaire.
[56] L'objet général de la Loi est de protéger les droits de la personne par la prévention des actes discriminatoires. La Cour d'appel fédérale a formulé les observations suivantes au paragraphe 75 de l'arrêt Sketchley, précité, qui concernait aussi le rejet d'une plainte sous le régime de la Loi :
75. La
décision en cause relativement à la plainte concernant le CT a été prise dans
l'exercice par la Commission de sa fonction d'examen en vertu du
paragraphe 44(3) de la Loi. Pour une plainte donnée, la décision prise par
la Commission en vertu de l'article 44 constitue un seuil important pour
avoir accès aux pouvoirs de redressement du Tribunal en vertu de
l'article 54 […] : à cette étape, la décision de la Commission de ne
pas traiter une plainte a pour effet de refuser au plaignant la possibilité
d'obtenir une mesure de redressement en vertu de la Loi. Les activités de la
Commission relativement à l'enquête concernant des plaintes individuelles ainsi
que leur renvoi sélectif devant un tribunal touchent directement les droits
individuels des parties relativement à une plainte en particulier. Cet aspect
laisse à penser qu'il convient d'appliquer une norme qui commande une moins
grande déférence.
[57]
La Cour d'appel fédérale faisait aussi observer,
au paragraphe 76, que la Commission est mieux placée pour établir si une
plainte donnée devrait être examinée plus avant, compte tenu des considérations
pratiques et pécuniaires. Tout bien pesé, je conclus que ce facteur milite en
faveur de la norme de la décision raisonnable simpliciter.
[58] Il faut enfin prendre en considération la nature du problème. Ici encore, je me référerai à l'arrêt Sketchley, où la Cour d'appel fédérale définit la nature de la question que la Commission doit trancher quand elle examine le rapport d'un enquêteur. On peut lire à ce propos les observations suivantes au paragraphe 77 :
77. Comme
l'a souligné le juge Sopinka dans SEPQA, à la page 899, à la fin du
processus d'examen, la Commission doit déterminer si « la preuve fournit
une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante ». Pour
l'essentiel, l'enquêteur a pour mission de découvrir les faits, mais la
Commission elle-même, lorsqu'elle prend une décision en se fondant sur le
rapport de l'enquêteur, applique néanmoins les faits dans le contexte des
exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La
décision qui en résulte sera, en règle générale, une question mixte de fait et
de droit qui appelle « une déférence plus grande si la question est
principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de
droit » (Dr Q, au paragraphe 34).
[59]
Dans la présente espèce, la nature de la
question est fortement factuelle; voir Ryan, précité, au
paragraphe 41. Il s'agit en effet de savoir si la preuve est suffisante
pour qu'on fasse examiner la plainte plus avant. Je conclus que ce facteur,
étant principalement factuel, commande un degré élevé de retenue judiciaire.
[60]
L'appréciation comparative des quatre facteurs
m'amène à conclure que la décision de la Commission faisant l'objet de la
présente demande doit être contrôlée suivant la norme, comportant un degré
élevé de retenue, de la décision manifestement déraisonnable.
[61]
La Commission a rendu la décision en question
sous le régime de l'alinéa 44(3)b) de la Loi, ainsi libellé :
(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission : … b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,
(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e). |
(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission … b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied
(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or
(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e). |
[62]
La demanderesse soutient que la Commission s'est
trompée en omettant de prendre en considération les allégations de
discrimination qu'elle a formulées sous le régime de l'article 10, c'est‑à‑dire
touchant une ligne de conduite supposée qui consisterait à rejeter les demandes
de mutation des employés atteints d'une déficience.
[63] À mon sens, le dossier n'étaye pas cet argument. En effet, le rapport d'enquête traite le fond de ces allégations, même s'il ne se réfère pas explicitement à l'article 10. Aux paragraphes 3 et 11 de son rapport, l'enquêteur évoque l'objection soulevée au départ par la défenderesse comme quoi la plainte serait hors délai sous le régime du paragraphe 41(1) de la Loi. Ce paragraphe est libellé comme suit :
41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :
a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;
c) la plainte n’est pas de sa compétence;
d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;
e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances. |
41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that
(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;
(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;
(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;
(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or
(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint. |
[64]
La défenderesse soutenait que la Commission ne
devait pas prendre en considération les éléments de la plainte fondés sur des
faits ayant précédé le dépôt de celle‑ci de plus d'un an et, en outre,
que les allégations relatives au rejet des demandes de mutation portaient sur des
questions de relations du travail qui avaient été résolues dans le cadre des
procédures de règlement de griefs que prévoient les conventions collectives
applicables.
[65]
Le rapport d'enquête tient expressément compte
des griefs que la demanderesse a déposés pour contester le rejet de ses
demandes de mutation. Il mentionne expressément aussi deux accords conclus
entre la demanderesse et le STTP, respectivement en juillet 2000 et en
août 2003. L'enquêteur évoque également sous la rubrique [TRADUCTION] « Analyse » de son rapport ces deux accords relatifs à la
question des demandes de mutation.
[66] L'enquêteur a formulé la recommandation suivante touchant les questions de la conformité au délai prescrit et du règlement antérieur d'une partie de la plainte :
[TRADUCTION]
Il est recommandé que, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission statue sur les allégations de la plainte concernant des faits qui se sont produits après novembre 2002 :
i.
parce qu'elles sont fondées sur des faits qui se
sont produits moins d'un an avant le dépôt de la plainte;
ii. parce qu'il n'est pas certain que les questions qu'elles soulèvent aient été réglées.
[67]
La Commission a accepté cette recommandation. Or
il lui est loisible d'adopter les recommandations de l'enquêteur comme motifs
de sa décision; voir Lusina c. Bell Canada (2005), 249 D.L.R.
(4th) 429 (C.F.).
[68]
À mon avis, l'enquêteur accepte ici la thèse de
la défenderesse selon laquelle la question des demandes de mutation ne devrait
pas être examinée parce qu'elle est fondée sur des faits qui se sont produits
plus d'un an avant le dépôt de la plainte et qui ont déjà donné lieu à un
règlement. Seules les questions portant sur des faits survenus après
novembre 2002 et n'ayant pas donné lieu à un règlement seraient prises en
considération. Or la seule allégation de la demanderesse que l'enquêteur
pouvait examiner suivant ce critère était celle qui relève de l'article 7
de la Loi.
[69]
Compte tenu du dossier du tribunal, et notamment
du rapport d'enquête, je conclus que la décision par laquelle la Commission a
rejeté la plainte formée par la défenderesse sous le régime de
l'article 10 n'est pas manifestement déraisonnable.
[70] Passons maintenant à la plainte en refus de mesures d'adaptation, formée sous le régime de l'article 7. Cette question est traitée on ne peut plus directement dans le rapport d'enquête. Celui‑ci se réfère à des éléments de preuve qui étayent la conclusion de l'enquêteur et, en fin de compte, celle de la Commission. On peut lire ce qui suit au paragraphe 29 dudit rapport :
[TRADUCTION] M. Woods [le
président de la section locale du STTP à l'arrivée de la demanderesse à
Courtenay] a résumé la situation professionnelle de la plaignante dans les
termes suivants : « Elle n'a pas le poste qu'elle veut, mais elle a
celui dont elle a besoin. »
[71]
La décision par laquelle la Commission a rejeté
la plainte de la demanderesse ne me paraît pas manifestement déraisonnable, à
la lumière de la preuve produite. C'est à la Commission, et non à la Cour,
qu'il appartient d'apprécier et d'évaluer la preuve. La Commission a le droit
de se fonder sur le rapport établi et présenté par l'enquêteur.
[72]
La demanderesse a invoqué des manquements
supposés à l'équité procédurale et à la justice naturelle. Ces questions ne
relèvent pas de la règle de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. On peut
dire en résumé que la demanderesse a fondé ses arguments relatifs à ces
questions sur des insuffisances supposées de l'enquêteur et de l'enquête.
[73] Le facteur principal à prendre en discussion lorsqu'on examine les questions de l'équité procédurale et de la justice naturelle est que les conditions applicables peuvent varier selon les circonstances de l'affaire. Je me réfère à cet égard au passage suivant de l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 895 :
Aussi bien les
règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des
normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des
dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher
[…]
[74] La neutralité et la minutie constituent les exigences fondamentales que doit remplir l'enquêteur sous le régime de la Loi; voir Slattery, précité. De plus, le plaignant doit avoir la possibilité de s'exprimer sur les renseignements recueillis par l'enquêteur, ainsi que de faire valoir ses arguments; voir Hutchinson, précité.
[75] Le dossier révèle que la demanderesse a communiqué à l'enquêteur une quantité importante de renseignements sur les éléments de sa plainte. Le rapport d'enquête fait six pages et est divisé en cinq sections, dont les titres suivent :
[TRADUCTION]
a. Résumé de la plainte et de la position de la mise en cause,
b. Objections soulevées en vertu du paragraphe 41(1),
c. Refus de mesures d'adaptation,
d. Analyse,
e.
Recommandation.
[76]
Il est vrai que n'ont pas été versés au dossier
du tribunal les notes d'entretien et autres documents sur lesquels se fonde le
rapport d'enquête, mais il ne faut pas en conclure pour autant que l'enquêteur
n'aurait pas fait preuve de neutralité et de minutie. La Loi laisse à
l'enquêteur une grande marge de liberté dans la conduite de l'enquête. Selon
l'exposé chronologique joint au dossier du tribunal, la demanderesse a eu la
possibilité de répondre aux observations de la défenderesse au cours de
l'enquête et, selon ce même exposé, elle en a tiré parti.
[77]
La demanderesse n'avait pas le droit d'exiger de
l'enquêteur qu'il s'entretienne personnellement avec elle ou interroge des
personnes déterminées qu'elle lui désignerait. Vu le rapport d'enquête et
l'exposé chronologique, j'estime établi que les conditions nécessaires d'équité
procédurale et de justice naturelle ont été remplies. La Cour n'est pas fondée
à intervenir à cet égard.
[78]
En conséquence, la présente demande de contrôle
judiciaire est rejetée. La défenderesse n'a pas demandé de dépens. En vertu du
pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles, il n'en sera pas adjugé.
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑812‑05
INTITULÉ : ADRIANNE McNABB
et
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 FÉVRIER 2006 – LES CONCLUSIONS COMPLÉMENTAIRES ONT ÉTÉ REÇUES LES 24 FÉVRIER, 6 MARS ET 17 MARS 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 22 SEPTEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Adrianne McNabb |
LA DEMANDERESSE – POUR SON PROPRE COMPTE |
Muriel R. Henry |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Adrianne McNabb Royston (Colombie-Britannique)
|
LA DEMANDERESSE (QUI SE REPRÉSENTAIT ELLE-MÊME) |
Muriel R. Henry Ogilvy, Renault Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LA DÉFENDERESSE |