Montréal (Québec), le 12 septembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU
ENTRE :
et ALEXIS JORDANA MCIVOR‑GRISMER
et
également dénommée LE CONSEIL DE LA NATION SQUAMISH
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant deux décisions du comité d’appel en matière d’appartenance à la nation Squamish (le comité d’appel) en date du 22 juillet 2004, rejetant les appels formés par les demanderesses en vue de se voir reconnaître l’appartenance à la nation Squamish.
I. Appartenance à la bande indienne de Squamish
[2] La nation Squamish est une nation autochtone et une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la Loi). Selon les témoignages non contredits produits au nom de la défenderesse, la nation Squamish était déjà, avant l’arrivée des Européens, une collectivité autochtone distincte et reconnaissable, ayant sa langue propre, et enraciné dans une région très précise. Les anthropologues ont appelé tribu de Squamish la population qui habitait cette région avant l’arrivée des Européens et avant, aussi, l’adoption de la Loi sur les Indiens.
[3] Les membres de la tribu étaient répartis entre divers groupes de Squamish installés ici et là dans différents villages, mais l’appartenance à ces groupes locaux était déterminée selon des critères communs à l’ensemble de la tribu de Squamish. L’appartenance à un groupe local était en fonction des liens du sang, c’est‑à‑dire de l’appartenance à la lignée des ancêtres Squamish.
[4] L’adoption, en 1874, de l’ancienne Loi sur les Indiens (Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance, S.C. 1868, ch. 42, S.C. 1868 (31 Vict)), en Colombie‑Britannique a mis fin à cette capacité qu’avaient les Squamish de décider eux‑mêmes qui appartenait à la tribu. À partir de ce moment‑là, en effet, le ministère des Affaires indiennes a commencé à réglementer l’appartenance aux bandes indiennes, y compris à la Bande de Squamish. Cette réglementation a été resserrée en 1951 par l’adoption d’une liste d’appartenance tenue par le ministère des Affaires indiennes.
[5] Au départ, le ministère des Affaires indiennes administrait, en tant que bandes de Squamish séparées, les villages de False Creek, de la rivière Capilano, de Missions Creek et de la rivière Seymour. Ce régime, cependant, était contraire au mode d’organisation des Squamish et, en 1923, les diverses bandes de Squamish furent réunies au sein d’une seule bande, dénommée nation Squamish.
[6] En 1985, le Parlement a adopté le projet de loi C‑31, modifiant sensiblement les règles d’appartenance – énoncées maintenant à l’article 10 de la Loi – et permettant à la bande d’assumer à nouveau le contrôle de ses effectifs. Les Squamish se sont prévalus immédiatement de cette nouvelle disposition. Un Code d’appartenance, aux termes duquel appartenaient à la nation Squamish, conformément aux traditions de ce peuple, les Squamish « de naissance », a été ratifié le 8 juin 1987. Le 14 juillet 1987, le ministère des Affaires indiennes confirmait que les Squamish avaient recouvré le contrôle des règles d’appartenance à leur collectivité.
[7] L’application du nouveau code a soulevé quelques difficultés, l’expression [Traduction] « membre de naissance de la nation Squamish » n’ayant pas été définie dans le Code d’appartenance de 1987. Des consultations ont été menées entre 1993 et 1996, afin de voir s’il y avait lieu de modifier le Code d’appartenance. Tout au long de ces consultations, les membres de la nation Squamish ont manifesté la volonté de soumettre l’appartenance à leur nation à certaines conditions de parenté afin de protéger l’identité collective du peuple Squamish et ses traditions culturelles. Cela a abouti à l’adoption du Code d’appartenance de l’an 2000.
[8] Le Code d’appartenance de l’an 2000 prévoit trois catégories de membres : 1) les descendants, 2) les me mbres lignagers et 3) les membres par acquisition d’appartenance. Les descendants sont ceux qui, aux termes du code de 1987, étaient de sang intégralement Squamish. Leur appartenance à la nation passe de plein droit à leurs enfants. Les membres lignagers sont dans une situation analogue à celle des membres qui, aux termes du code de 1987, étaient reconnus comme n’étant de sang Squamish qu’à 50 p. 100. Leur droit de transmettre leur appartenance à leurs enfants est soumis à certaines conditions. Les membres par acquisition sont essentiellement des enfants ayant le statut d’Indien et ayant été adoptés par deux parents Squamish. Cette catégorie comprend en outre les femmes d’autres Premières nations ayant épousé un membre de la nation Squamish. Les personnes appartenant à cette catégorie ne peuvent pas transmettre à leurs enfants l’appartenance à la nation Squamish.
II. Les faits à l’origine de l’affaire
[9] Alice Maxine Jaime Grismer (Jaime) et Alexis Jordana McIvor‑Grismer (Jordana) sont soeurs (les demanderesses). Elles sont nées respectivement en 1976 et 1983. Leur mère biologique, Mme Sharon McIvor, appartient à la bande indienne de Lower Nicola. En 1992, les demanderesses, encore mineures, ont déménagé à Ottawa avec leur mère et Mme Teressa Nahanee, de la nation Squamish.
[10] En 2001, Mme McIvor et Mme Nahanee ont déposé, au titre de la Adoption Act de la Colombie‑Britannique (R.S.B.C. 1996, ch. 5), une demande en vue de l’adoption de Jaime et de Jordana. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu, le 29 novembre 2001, une ordonnance d’adoption. Au moment de leur adoption, les deux soeurs avaient atteint leur majorité. Les demanderesses se sont vues par la suite reconnaître le statut d’Indien en vertu des alinéas 6(1)f) et 11(2)b) de la Loi. Le 6 juin 2002, les demanderesses sont devenues membres de la Bande indienne de Lower Nicola, à laquelle appartenait leur mère biologique.
[11] Le 15 juillet 2003, les demanderesses, excipant des liens qui les unissaient à Mme Nahanee, leur mère adoptive, ont déposé une demande en vue du transfert de leur appartenance de la Bande de Lower Nicola à la nation Squamish. Le 12 août 2003, le comité d’appartenance de la nation Squamish a rejeté leurs demandes, invoquant pour cela les motifs suivants :
[Traduction]
1. Votre demande a été déposée au titre du sous-alinéa 7b)(i) du Code d’appartenance Squamish de l’an 2000. Aux termes de cette disposition :
7. [...] les personnes suivantes sont en droit d’être inscrites sur la liste d’appartenance en tant que membres lignagers :
[...]
b) toute personne ayant
(i) un parent biologique qui est, ou qui le serait s’il était encore en vie, inscrit ou en droit d’être inscrit sur la liste d’appartenance en tant que descendant [...]
Nous constatons que votre demande se fonde sur l’appartenance de votre parent, Teressa Nahanee, à la nation Squamish. Mais Mme Nahanee n’est pas votre parent biologique et vous ne pouvez donc pas, aux termes du sous-alinéa 7b)(i), bénéficier de son appartenance à la nation Squamish.
2. Le comité d’appartenance a également examiné la question de votre admissibilité aux termes de l’alinéa 9a) du Code d’appartenance de l’an 2000. Aux termes de cette disposition :
9. Sous réserve de l’article 14, les personnes suivantes peuvent solliciter du comité d’appartenance l’inscription de leur nom sur la liste d’appartenance en tant que membre par acquisition d’appartenance.
a) un enfant indien de moins de 18 ans adopté par des parents qui sont tous deux, ou, s’ils sont décédés, qui étaient tous deux membres [...]
Or, nous relevons qu’à la date de votre demande, vous aviez 20 ans [et 26 ans en ce qui concerne Jaime] et que vous dépassiez donc la limite d’âge prévue à l’alinéa 9a).
Cela étant, le comité d’appartenance de la nation Squamish a le regret de devoir rejeter votre demande d’affiliation à la nation Squamish. Si vous n’êtes pas d’accord avec la décision à laquelle est parvenu le comité d’appartenance, vous pouvez, conformément à l’article 28 du Code d’appartenance de l’an 2000, faire appel devant le comité d’appel de la nation Squamish. Aux termes de l’article 28, tout appel doit être porté devant le comité d’appel dans les 90 jours suivant réception de la présente lettre.
[12] Les demanderesses ont fait appel des décisions en cause devant le comité d’appel en matière d’appartenance. Mme Nahanee, à l’époque, a déclaré au comité d’appel qu’elle se faisait construire une maison sur la réserve indienne de Capilano et qu’elle entendait, dans son testament, léguer cette maison à ses deux filles adoptives. Or, selon la politique coutumière des Squamish en matière d’habitation, les demanderesses doivent, pour hériter de la maison, appartenir à la nation Squamish.
[13] Le 30 avril 2004, le comité d’appel a confirmé, à l’unanimité, les décisions du comité d’appartenance :
[Traduction] Après avoir examiné avec attention votre mémoire et la documentation soumise, le comité d’appel de la nation Squamish en matière d’appartenance (le comité d’appel) a décidé à l’unanimité de confirmer la décision du comité d’appartenance de la nation Squamish (le comité d’appartenance).
Le comité d’appartenance avait décidé que vous ne pouviez devenir membre de la nation ni au titre du sous‑alinéa 7b)(i) ni au titre de l’alinéa 9a) du Code d’appartenance de la nation Squamish (le « code »). À l’audition de votre appel, vous avez déclaré que vous invoquiez, à l’encontre de la décision du comité d’appartenance, le sous‑alinéa 7b)(i) du code.
Aux termes du sous-alinéa 7b)(i), le droit d’appartenance est reconnu aux personnes ayant un parent biologique inscrit sur la liste des membres de la nation Squamish. Teresse Nahanee est bien membre de la nation Squamish par descendance, mais elle n’est pas votre parent biologique. Vous ne pouvez donc pas être membres au titre du sous‑alinéa 7b)(i).
L’article 9 du code permet à certaines personnes adoptées par des membres de la nation Squamish de demander leur inscription sur la liste des membres. Votre demande présentée au titre de cette disposition a été rejetée par le comité d’appartenance et l’appel que vous interjetez n’est pas fondé sur cette disposition. Par conséquent, le comité d’appartenance n’a pas retenu, dans ses délibérations, l’article 9.
Le code a été ratifié par les membres de la nation Squamish. Si le code devait, à l’avenir, être modifié, il se peut que vous puissiez à nouveau demander à être admises en tant que membres de la nation.
Le comité d’appel tient à préciser que sa décision n’affecte en rien votre statut d’Autochtone ou vos droits vis‑à‑vis d’une autre nation.
Les demanderesses contestent les décisions du comité d’appel, invoquant plusieurs motifs à l’appui de leur demande.
III. Les arguments des parties
[14] Les thèses respectives des parties se résument en ces termes :
A. Les demanderesses
[15] Les demanderesses affirment que, selon la jurisprudence des tribunaux judiciaires, une bande indienne telle que définie dans la Loi est considérée comme un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Les demanderesses soutiennent que, cela étant, la décision prise par la nation Squamish est soumise aux dispositions de la Charte. Elles ajoutent que, selon le droit fédéral, les gouvernements indiens sont des délégataires qui n’exercent que les pouvoirs qui leur sont délégués par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Ce serait, selon elle, le sens que le mot « bande » revêt dans la Loi.
[16] Les demanderesses soutiennent qu’en général l’appartenance aux bandes indiennes est régie, selon l’article 9 de la Loi, par le registraire du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Les bandes qui souhaitent décider d’elles‑mêmes l’appartenance à leurs effectifs peuvent le faire en suivant la procédure prévue à l’article 10 de la Loi. C’est ce que la nation Squamish a fait avant de promulguer son Code d’appartenance. Le pouvoir de décider de l’appartenance à ses effectifs a donc été délégué à la nation Squamish dans le cadre de la procédure prévue à l’article 10 de la Loi.
[17] Les demanderesses font valoir que les enfants adoptifs peuvent être inscrits sur la liste de bandes qui ne décident pas elles‑mêmes de l’appartenance à leurs effectifs. Aux termes de la Loi, il faut entendre par « enfants » à la fois les enfants biologiques et les enfants adoptifs. Pour décider s’il y a lieu de reconnaître à un requérant le statut d’Indien et l’appartenance à une bande, le registraire, à qui l’article 9 de la Loi confère la responsabilité à cet égard, ne fait aucune distinction entre les enfants biologiques et les enfants adoptifs.
[18] Selon les demanderesses, la nation Squamish fait, elle, une distinction entre les enfants biologiques et les enfants adoptifs. Aux termes du sous‑alinéa 7b)(i) du Code d’appartenance, une personne est en droit d’être inscrite sur la liste d’appartenance en tant que « membre lignager » si elle a au moins un parent biologique qui est, ou qui le serait s’il était encore en vie, inscrit sur la liste à titre de descendant. En tant qu’enfants adoptifs d’un membre de la nation Squamish, les demanderesses estiment pouvoir, au titre du sous‑alinéa 7b)(i), prétendre au même bénéfice de la Loi que les personnes nées de membres de la nation Squamish.
[19] Les demanderesses affirment donc que l’article 7 du Code d’appartenance outrepasse les pouvoirs délégués à la nation Squamish en vertu de l’article 10 de la Loi, étant donné que cette disposition du code opère à leur encontre une discrimination fondée sur un motif analogue aux motifs prévus à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.‑U.), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte), en l’occurrence, leur statut au sein de la famille en tant qu’enfants adoptifs d’un membre de la nation Squamish. La différence de traitement infligé aux demanderesses en tant qu’enfants adoptifs, au titre de l’article 7 du Code d’appartenance, traduit une application stéréotypée des règles tendant à accréditer l’idée qu’elles sont moins capables, ou dignes de reconnaissance, ou qu’elles ont une valeur moindre en tant qu’êtres humains méritant, au même titre que toute autre personne, la sollicitude, le respect et la considération
[20] Les demanderesses font également valoir que l’article 9 du Code d’appartenance opère à leur encontre contrairement à l’article 15 de la Charte, une discrimination fondée sur un motif analogue aux motifs prévus au paragraphe 15(1), en l’occurrence le fait que c’est par adoption qu’elles ont obtenu le statut d’Indien.
[21] Les demanderesses font en outre valoir que le pouvoir de décider des conditions d’appartenance à la bande n’est pas un droit ancestral existant au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.‑U.), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11. Les demanderesses estiment, en outre, que le Code d’appartenance de la nation Squamish ne peut prétendre à la protection offerte par l’article 25 de la Charte. Selon elles, l’article 25 de la Charte n’est pas fait pour servir d’abri aux pouvoirs délégués à une bande en vertu d’une disposition de la Loi.
B. La défenderesse
[22] La défenderesse fait pour sa part valoir que les demanderesses ne possèdent pas les qualités permettant de leur reconnaître l’appartenance à la nation Squamish, étant donné l’absence chez elles des liens du sang prévus par le Code d’appartenance. Les décisions du comité d’appel contestées en l’espèce sont fondées tant en fait qu’en droit et il n’y a, par conséquent, pas lieu d’intervenir.
[23] La défenderesse soutient en outre que la demande d’appartenance déposée par les demanderesses a été examinée à la lumière des dispositions relatives tant à l’appartenance lignagère qu’à l’appartenance acquise. Le comité d’appartenance et le comité d’appel ont tous deux estimé que l’appartenance ne pouvait pas être accordée aux demanderesses à l’un ou l’autre de ces titres.
[24] La défenderesse estime que le contrôle que la nation Squamish exerce sur l’appartenance à ses effectifs ne provient pas d’un pouvoir délégué en vertu de la Loi, contrairement à ce qu’affirment les demanderesses. Invoquant le jugement rendu dans l’affaire News c. Wahta Mohawks, (2000) 189 F.T.R. 218, au para. 20 (C.F. 1re inst.), la défenderesse considère que l’article 10 de la Loi permettait aux Premières nations de « recouvrer » le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs. À partir du moment où une bande récupère ce pouvoir de contrôle, le ministre n’est plus compétent pour l’assumer à nouveau ou pour empêcher une bande de l’assumer. L’article 10 de la Loi n’aurait donc aucunement pour effet de déléguer à une bande le pouvoir de décision en matière d’appartenance mais, simplement, de le lui rendre.
[25] La défenderesse soutient que, selon la jurisprudence, les bandes indiennes ne sont pas de simples émanations du statut d’Indien. Ce sont, en effet, des entités préexistantes avec un statut juridique propre et leurs propres coutumes, lois, privilèges, droits et obligations. À ce titre, les Squamish avaient autrefois déjà des lois et des coutumes régissant l’appartenance à la tribu.
[26] Selon la défenderesse, vu l’article 25 de la Charte et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, le paragraphe 15(1) de la Charte ne s’applique pas à la décision du comité d’appel. Invoquant le triple critère dégagé dans l’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, [1996] 137 D.L.R. (4th) 289, pour les cas où il s’agit de démontrer qu’une activité donnée relève effectivement d’un droit ancestral, la défenderesse affirme que le droit de la nation Squamish de définir et de contrôler les conditions d’appartenance à la communauté constitue un droit ancestral antérieur à l’arrivée des Européens et protégé à ce titre par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[27] Selon la défenderesse, non seulement l’article 25 de la Charte met‑il les droits ancestraux – qui par leur nature même sont des droits communautaires – à l’abri des dispositions de la Charte garantissant les droits individuels, mais cette disposition met également à l’abri les « droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada », selon les termes mêmes de la disposition en question. Les tribunaux n’ont pas encore eu l’occasion de décider en quoi consistent au juste ces « autres » droits, mais la défenderesse affirme qu’il faut compter parmi ces droits le droit de la nation Squamish de contrôler ses conditions d’appartenance, comme le prévoit l’article 10 de la Loi. Il s’agit selon elle d’un droit prévu par la loi et susceptible de relever de la protection qu’accorde l’article 25 : voir Corbière c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203, au para. 52. Ce n’est pas, non plus, un droit temporaire ou révocable. À partir du moment où une Première nation se charge de contrôler l’appartenance à ses effectifs, conformément à l’article 10 de la Loi, aucune disposition ne permet au ministre de reprendre ce pouvoir : voir R. v. Kapp (2004), 31 B.C.L.R. (4th) 258, 2004 BCSC 958, aux para. 35 à 37, conf. (2006) 69 W.C.B. (2d) 667, 2006 BCCA 277, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC. (Les demanderesses ont invoqué, à l’appui de leurs conclusions, l’arrêt de la Cour suprême de Colombie‑Britannique. La Cour relève que cet arrêt a été confirmé par la Cour d’appel de Colombie‑Britannique en juin de cette année, après l’audition de la présente demande. Deux des cinq juges se sont penchés sur la question de savoir si les droits de pêche commerciale reconnus aux pêcheurs autochtones par le permis en question faisaient partie de ces « autres » droits. L’un d’eux a estimé que l’article 25 ne s’appliquait aucunement aux permis de pêche, l’autre étant d’avis que les avantages que procure le permis en question relèvent effectivement de la protection accordée par l’article 25 aux « autres » droits ou libertés. Deux des autres membres de la Cour ont jugé superflu de faire appel à l’article 25, le cinquième juge refusant de s’exprimer sur la question.)
[28] Pour la défenderesse, il est essentiel, dans toute interprétation de l’article 25 de la Charte, de se montrer sensible au point de vue des peuples autochtones. Le concept européen/nord‑américain de droits individuels ne s’accorde pas nécessairement bien avec les droits collectifs et l’identité communautaire dont se réclament les Squamish. Il ne faut pas sous‑estimer le caractère communautaire des intérêts qu’invoquent les peuples autochtones par rapport à la notion libérale de droits individuels : voir Campbell c. British Columbia (A.G.) (2000), 189 D.L.R. (4th) 333, 2000 BCSC 1123, au para. 155.
[29] Les demanderesses se fondent sur leur statut de personnes adoptives. La nation Squamish estime pour sa part qu’aux fins du paragraphe 15(1) de la Charte, les demanderesses n’ont pas correctement caractérisé leur statut. Étant donné que Jaime et Jordana ont toutes deux été adoptées alors qu’elles étaient déjà adultes, elles devraient se dire personnes adoptées à l’âge adulte.
[30] Et enfin, la défenderesse soutient que dans l’hypothèse où la Cour déciderait que l’article 7 du code opère effectivement une discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte, cette disposition de son code trouve appui dans l’article premier de la Charte. Si, cependant, la Cour estime que l’article 7 du code ne peut puiser aucun salut dans l’article premier de la Charte, la défenderesse maintient que la mesure corrective décrétée par la Cour devrait insister davantage sur l’article 9 du Code d’appartenance que sur son article 7. En effet, si la mesure décrétée par la Cour insiste sur l’article 7 du code, les demanderesses se verront automatiquement reconnaître l’appartenance à la nation Squamish, ce qui est tout à fait contraire à l’objet même d’un Code d’appartenance. Une solution fondée sur l’article 9 du Code d’appartenance aurait des effets moins draconiens.
IV. La question des droits à l’égalité
[31] Les demanderesses affirment que l’article 7 du Code d’appartenance opère à leur encontre une discrimination du fait qu’elles sont les enfants adoptives d’un parent Squamish, plutôt que ses enfants biologiques. Elles invoquent en cela le paragraphe 15(1) de la Charte, selon lequel :
La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. |
Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability. |
[32] Je suis prêt à admettre, à titre d’hypothèse, que c’est à juste titre que les demanderesses affirment que les dispositions du Code d’appartenance qu’elles contestent en l’espèce doivent être conformes à l’article de la Charte garantissant les droits à l’égalité. Pour les motifs exposés ci‑après, j’admets même la thèse des demanderesses, selon laquelle les dispositions du Code d’appartenance qu’elles contestent en l’espèce sont effectivement discriminatoires et entraînent une violation des droits que leur garantit le paragraphe 15(1) de la Charte. J’admets, cependant, l’argument subsidiaire avancé par la défenderesse, à savoir que les dispositions du Code d’appartenance contestées en l’espèce sont justifiées au sens de l’article premier de la Charte. C’est pourquoi je vais examiner séparément la question de la discrimination et celle de son éventuelle justification.
A. La discrimination au regard du paragraphe 15(1) de la Charte
[33] La Cour suprême a, dans son arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, 170 D.L.R. (4th) 1, para. 88, précisé la démarche à suivre lorsqu’il s’agit de décider si une disposition donnée est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. Voici les trois volets de l’approche qu’elle a ainsi définie :
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(1) La loi contestée : a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? |
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(2) Le demandeur fait‑il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? |
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(3) La différence de traitement est‑elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?
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[34] Les demanderesses revendiquent l’égalité de traitement par rapport aux autres personnes à qui elles peuvent légitimement être comparées. À ce titre, tout examen du droit à l’égalité ne peut venir qu’une fois qu’on a établi le groupe à retenir aux fins de cette comparaison. Dans l’arrêt Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2004] 3 R.C.S. 357, 2004 CSC 65, au para. 23, le juge Binnie se prononce en ces termes :
Le groupe de comparaison approprié est celui qui reflète les caractéristiques du demandeur (ou du groupe demandeur) qui sont pertinentes quant au bénéfice ou à l’avantage recherché, sauf que la définition dans la loi prévoit une caractéristique personnelle qui contrevient à la Charte ou omet une caractéristique personnelle d’une manière qui contrevient à la Charte. Un exemple de la première situation est l’exigence que les conjoints soient de sexe opposé (M. c. H., précité). Un exemple de la seconde situation est l’omission de l’orientation sexuelle dans l’Individual’s Rights Protection Act de l’Alberta (Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493).
[35] Soulignons que s’il revient initialement aux demanderesses de choisir la personne, le ou les groupes auxquels elles entendent être comparées, la Cour n’est aucunement tenue de retenir le groupe de comparaison qu’elles ont choisi. Le bien‑fondé de ce choix constitue effectivement une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher : voir Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2001] 1 R.C.S. 703, 2000 CSC 28, aux para. 47, 52 et 64; voir également Hodge, précité, au para. 21.
[36] Les demanderesses affirment que le groupe de comparaison approprié est celui que forment les enfants dont un des parents biologiques appartient à la nation Squamish. C’est aussi mon avis.
1a). La loi contestée établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?
[37] Le Code d’appartenance de la nation Squamish a pour objet de définir trois différentes catégories d’appartenance : a) les descendants, b) les membres lignagers et c) les membres par acquisition d’appartenance. Ces trois catégories d’appartenance dépendent de l’étendue des liens du sang avec la nation Squamish.
[38] Les descendants (articles 5 et 6 du Code d’appartenance) sont les personnes de sang 100 p. 100 Squamish. Les membres descendants peuvent transmettre intégralement leur appartenance à leurs enfants biologiques. La mère adoptive des demanderesses possède, au sein de la nation Squamish, ce statut.
[39] Les membres lignagers de la nation Squamish (article 7 du Code d’appartenance) sont des personnes qui, par le sang, ne sont Squamish que dans une proportion de 50 p. 100. Ces membres de la tribu n’ont qu’un droit limité de transmettre leur appartenance à leurs enfants. L’enfant biologique d’un membre descendant et d’une autre personne peut prétendre à l’appartenance lignagère puisqu’elle a, comme le prévoit le code, 50 p. 100 de sang Squamish. Pour ces mêmes raisons, l’enfant biologique de deux membres lignagers peut prétendre à l’appartenance à la tribu.
[40] L’appartenance acquise (articles 8 à 11 du Code d’appartenance) peut être reconnue aux enfants indiens de moins de 18 ans adoptés par deux membres de la nation Squamish. Ces enfants n’ont cependant pas automatiquement droit à l’appartenance. En effet, le comité d’appartenance jouit en la matière d’un certain pouvoir d’appréciation. Quoi qu’il en soit, les enfants adoptifs qui peuvent se voir reconnaître l’appartenance acquise ne peuvent pas, à leur tour, transmettre leur statut à leurs propres enfants.
[41] Nous avons vu, en l’occurrence, que le sous‑alinéa 7b)(i) du Code d’appartenance confère le droit d’être inscrit sur la liste des membres de la nation à titre de membres lignagers, à condition que la personne en question ait un parent biologique qui est, ou qui le serait s’il était encore en vie, inscrit ou en droit d’être inscrit à titre de descendant sur la liste des membres de la tribu. Cette disposition établit une distinction très nette entre les enfants biologiques de parents Squamish et les enfants adoptifs de tels parents. Cette conclusion est confirmée par l’affidavit de Juliette Marlene Baker, membre élue du conseil de la nation Squamish. Elle affirme, aux paragraphes 33 à 36 de son affidavit :
[traduction] Lors des réunions de concertation qui ont abouti à l’adoption tant du code de 1987 que du code de l’an 2000, la question des personnes adoptées a été longuement débattue. Les membres de notre nation étaient fermement attachés à l’idée de ne pas conférer de droit d’appartenance aux personnes adoptées. Il y avait pour cela deux raisons, essentiellement.
D’abord, il est contraire à une tradition bien enracinée du peuple Squamish de reconnaître un droit d’appartenance aux personnes qui ne sont pas de sang Squamish.
Deuxièmement, le comité, et les membres de la bande, craignaient que l’on abuse du système établi dans le cadre du Code d’appartenance si l’on accordait un droit d’appartenance aux personnes adoptives n’ayant qu’un seul parent Squamish. Cela aurait en effet crée une échappatoire permettant aux personnes qui ne répondent pas aux conditions d’appartenance lignagère ou descendante, de devenir membres par le truchement de l’adoption.
C’est pourquoi les membres de la nation Squamish ont considéré qu’il convenait de ne pas reconnaître un droit d’appartenance aux enfants adoptifs n’ayant qu’un seul parent Squamish.
[42] L’affidavit de Mme Baker fait nettement ressortir l’existence d’une distinction formelle fondée sur des caractéristiques personnelles communes aux deux demanderesses qui, en effet, sont les enfants adoptives d’un seul parent Squamish. Le Code d’appartenance des Squamish ne reconnaît pas l’appartenance lignagère aux enfants adoptifs n’ayant qu’un seul parent Squamish, mais en offre la possibilité aux enfants dont un des parents biologiques est Squamish.
1b). Le texte contesté omet‑il de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?
[43] Selon le critère dégagé dans l’arrêt Law, précité, la Cour doit, en l’espèce, se poser trois questions et parvenir, pour chacune, à une réponse positive avant de passer à la question suivante. La première étape exige que la Cour apporte une réponse positive à l’une ou l’autre des sous‑questions 1a) ou 1b). La Cour peut, à partir du moment où elle parvient à une conclusion positive sur l’un ou l’autre point, passer à la question suivante. Étant parvenu à une réponse positive en ce qui concerne le premier point, il n’y a pas lieu pour moi de me pencher sur la question 1b).
2. Les demanderesses ont‑elles fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?
[44] Selon les demanderesses, les dispositions du Code d’appartenance, contestées en l’espèce, établissent une distinction formelle fondée sur un motif analogue, en l’occurrence leur situation de famille en tant qu’enfants adoptifs d’une personne membre de la Bande de Squamish, et non ses enfants biologiques.
[45] Les critères de ce qui constitue un motif analogue ont été définis en ces termes par les juges McLachlin et Bastarache dans l’arrêt Corbière c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203, 173 D.L.R. (4th) 1, au para. 13 :
En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 ‑‑ la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. [...]
[46] Un enfant ne peut pas changer sa situation d’enfant adoptif. Il s’agit donc bien d’un trait caractéristique immuable. La situation des enfants qui ont été adoptés après avoir atteint l’âge adulte est elle aussi immuable quelle que soit la manière dont on interprète ce terme. La situation d’enfants adoptifs, qui est celle des demanderesses, constitue donc un motif analogue. La politique de la défenderesse en matière d’appartenance lignagère entraîne manifestement une différence de traitement fondée sur ce motif analogue.
3. La différence de traitement est‑elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?
[47] Afin de répondre à cette question, la Cour doit décider s’il y a bien une différence de traitement constitutive d’une discrimination. En effet, ce n’est pas toute distinction ou différence de traitement au regard du droit qui constitue une violation du droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte. Il faut, pour cela, que la dignité des demanderesses soit affectée par la différence de traitement qu’impose le Code d’appartenance. La Cour doit donc décider si les dispositions du Code d’appartenance contestées en l’espèce imposent aux demanderesses un fardeau, ou les privent d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe, ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’idée qu’elles sont moins capables ou moins dignes d’être reconnues ou valorisées en tant qu’êtres humains ou membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération.
[48] Il y a violation du paragraphe 15(1) lorsqu’il peut être démontré que, dans l’optique d’une personne raisonnable, dans des circonstances comparables à celles des demanderesses, et compte tenu des facteurs contextuels qui se rattachent à la demande, l’imposition, par un texte qui fait loi, d’une différence de traitement porte atteinte à la dignité des demanderesses. Celles‑ci doivent, en faisant appel à des facteurs contextuels, démontrer – ou, à tout le moins, avancer sur ce point des arguments sérieux – que le Code d’appartenance entraîne une violation du paragraphe 15(1). Les facteurs pouvant être invoqués à cet égard sont divers, et leur liste n’est aucunement limitative. Parmi les facteurs contextuels importants susceptibles de peser sur la question de savoir s’il y a effectivement violation de l’article 15, citons : 1) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes ou de préjugés; 2) la correspondance entre le ou les motifs de la distinction et les caractéristiques ou la situation propres au demandeur; 3) l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société et 4) la nature et l’étendue du droit touché.
[49] Dans l’arrêt Law, précité, la Cour suprême a souligné, au para. 63, que le facteur vraisemblablement le plus concluant pour démontrer qu’une différence de traitement imposée par une disposition législative est vraiment discriminatoire sera, le cas échéant, la préexistence d’un désavantage, d’une vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés subis par la personne ou par le groupe. Selon la Cour, la raison probablement la plus courante de conclure qu’une disposition législative donnée entraîne une violation du paragraphe 15(1) est qu’elle traduit et renforce des idées reçues quant au mérite, aux capacités et à la valeur d’une personne ou d’un groupe particulier, aggravant par là même la stigmatisation de la personne et des membres du groupe, ou entraînant un traitement injuste à leur égard (voir Law, précité, para. 64).
[50] Pour dire si la réalité d’une discrimination a effectivement été établie, il y a lieu de se livrer à une analyse téléologique du motif sur lequel repose la thèse d’une violation du paragraphe 15(1). Selon l’arrêt Law, précité, au para. 70 :
Il est donc nécessaire d’analyser en fonction de l’objet visé le motif sur lequel est fondée l’allégation formulée sous le régime du para. 15(1) lorsqu’il s’agit de décider si l’on a établi la preuve d’une discrimination. En règle générale, comme l’ont dit le juge McIntyre dans Andrews, précité, et le juge Sopinka dans Eaton, précité, et comme je l’ai indiqué précédemment, la disposition législative qui prend en compte les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur et d’autres personnes partageant les mêmes caractéristiques, d’une façon qui respecte leur valeur en tant qu’êtres humains et que membres de la société canadienne, sera moins susceptible d’avoir un effet négatif sur la dignité humaine. Cela ne veut pas dire que le simple fait que la mesure législative contestée prend en compte dans une certaine mesure la situation véritable de personnes telles que le demandeur sera suffisant pour faire échouer une demande présentée en vertu du para. 15(1). L’accent doit toujours être mis sur la question centrale de savoir si, dans la perspective du demandeur, la différence de traitement imposée par la mesure a pour effet de violer la dignité humaine. Le fait que la mesure contestée est susceptible de contribuer à la réalisation d’un but social valide pour un groupe de personnes ne peut pas être utilisé pour rejeter une demande fondée sur le droit à l’égalité lorsque les effets de la mesure sur une autre personne ou un autre groupe entrent en conflit avec l’objet de la garantie prévue au para. 15(1). En conformité avec les motifs des juges McIntyre et Sopinka, je veux simplement dire qu’il sera plus facile d’établir la discrimination si les dispositions contestées omettent de tenir compte de la situation véritable d’un demandeur, et plus difficile si les dispositions répondent adéquatement aux besoins, aux capacités et à la situation du demandeur.
[51] Un autre facteur dont il convient de tenir compte est l’amélioration que les dispositions contestées peuvent viser ou apporter à la situation d’une personne ou d’un groupe social plus désavantagé. Ce facteur n’est à retenir que lorsqu’il s’agit d’une disposition législative qui vise effectivement à améliorer une situation de ce genre. C’est un argument qui a été avancé par la défenderesse. Selon la nation Squamish, son Code d’appartenance a pour objet, et pour effet, l’amélioration de la situation, en ce sens qu’il vise à protéger la culture et l’identité des Squamish. La défenderesse considère que ce facteur est déterminant en l’espèce.
[52] Un autre facteur contextuel qui peut aider le cas échéant à décider s’il a effectivement été porté atteinte à la dignité des demanderesses est la nature et la portée du droit affecté par le texte en question. Dans l’arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, au para. 63, la Cour suprême s’est prononcée sur ce point en ces termes : « Toutes autres choses étant par ailleurs égales, plus les conséquences économiques ressenties par le groupe touché sont graves et localisées, plus il est probable que la distinction qui en est la cause soit discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte. »
[53] La question peut être reformulée ainsi : les dispositions contestées du Code d’appartenance ont‑elles pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes, de préjugés sociaux ou d’une vulnérabilité? La réponse dépend en partie du but visé par le Code d’appartenance, et des effets qu’il entraîne en distinguant plusieurs catégories de membres de la nation Squamish, selon les liens du sang et certaines réalités sociales.
[54] Les demanderesses font en l’espèce valoir qu’elles sont déjà, en tant que femmes indiennes, désavantagées. Elles affirment, en outre, que l’article 7 du Code d’appartenance les rabaisse car cette disposition se fonde sur une opinion stéréotypée des enfants adoptifs, selon laquelle de tels enfants seraient incapables d’assimiler les coutumes et traditions ancestrales de leur parent Squamish. La théorie qui sous‑tend les règles d’appartenance adoptées par la nation Squamish, et qui les porte à rejeter les enfants adoptifs, est en partie fondée sur des idées stéréotypées selon lesquelles on ne saurait s’attendre à ce que des enfants adoptifs en viennent à partager les valeurs, la culture et les traditions de la nation. La conception stéréotypée que la Bande de Squamish se fait des enfants adoptifs, et qui se reflète dans ses règles d’appartenance, défavorise les enfants adoptifs dont un seul des parents est Squamish.
[55] En l’occurrence, si un enfant adoptif ne peut pas devenir membre lignager c’est parce que l’on considère qu’étant donné la lignée dont ils sont issus, de tels enfants ne sauraient prétendre au statut en question. On refuse en l’occurrence aux demanderesses la qualité de membres lignagers ou acquis de la nation Squamish en raison de liens avec la communauté jugés insuffisants. Ces liens à la communauté Squamish dépendent des parts de sang Squamish qui coulent dans leurs veines. Je considère que le sous‑alinéa 7b)(i) opère effectivement une discrimination à l’encontre des demanderesses car l’idée que des enfants adoptifs ne sauraient se voir reconnaître le même statut que des enfants biologiques repose sur les liens du sang.
[56] Cela dit, la défenderesse a rappelé à de nombreuses reprises que son Code d’appartenance n’opère en fait aucune discrimination à l’encontre des demanderesses étant donné qu’il offre la possibilité d’admettre des enfants adoptifs en tant que membres de la nation. La Cour n’a pas à se pencher sur la proposition avancée sur ce point par la défenderesse pour décider si les dispositions contestées du Code d’appartenance entraînent ou non une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. La possibilité offerte aux enfants adoptifs de pouvoir, à certaines conditions, devenir membres de la nation Squamish est une question davantage en rapport avec une éventuelle justification au sens de l’article premier de la Charte.
[57] Je reconnais que la nation Squamish a effectivement, en vertu de l’article 10 de la Loi, le droit d’appliquer un code d’appartenance qui lui est propre, mais je considère que les dispositions de ce code opèrent une discrimination entre les enfants adoptifs et les enfants biologiques (et même entre enfants adoptifs). Le fait qu’un enfant ait été adopté par un ou par deux membres de la nation Squamish constitue un trait caractéristique immuable sur lequel les demanderesses n’ont aucun moyen d’action. L’idée que les enfants adoptifs dont un seul des parents est Squamish ne sont pas capables d’entretenir avec la communauté des liens assez solides est fondée sur une interprétation stéréotypée qui donne effectivement lieu à une discrimination.
[58] Les demanderesses sont parvenues à démontrer que dans l’optique d’une personne raisonnable qui, dans des circonstances comparables aux leurs, tient compte des facteurs contextuels en rapport avec l’affaire, la différence de traitement que leur impose le sous‑alinéa 7b)(i) du Code d’appartenance a effectivement pour effet d’atteindre à leur dignité.
B. Les justifications au sens de l’article premier de la Charte
[59] La garantie que la Charte accorde aux droits qui y sont énoncés fait l’objet, à l’article premier de la Charte, d’une réserve énoncée en ces termes :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[60] Le critère conditionnant l’application de l’article premier est bien connu. Il a été formulé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, pages 138 à 140, 26 D.L.R. (4th) 200. Selon ce critère, les tribunaux doivent décider :
a) si la mesure en question vise un objectif urgent et réel; et
b) si la mesure adoptée en vue de cet objectif est proportionnée à l’empiétement sur le droit garanti par la Charte, c’est‑à‑dire :
(i) si les mesures adoptées en vue de l’objectif en question entretiennent un lien rationnel avec cet objectif;
(ii) si les moyens adoptés portent le moins possible atteinte au droit en question; et
(iii) s’il y a proportionnalité entre les conséquences de la mesure et le but visé, de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.
1. Objectif urgent et réel
[61] Par son article 7, le Code d’appartenance entend protéger la culture et l’identité collectives de la nation Squamish, face notamment à une population qui est, en grande majorité, à la fois non‑Autochtone et non‑Squamish. Le code se propose de faire cela d’une manière compatible avec les valeurs, les traditions et l’héritage culturel des Squamish. Un des moyens de parvenir au résultat voulu est de reprendre la pratique traditionnelle selon laquelle, pour être membre de la nation Squamish, il faut lui être lié par le sang (affidavit de Juliette Marlene Baker, para. 13 à 18; préambule du Code d’appartenance).
[62] La défenderesse soutient qu’il s’agit là d’un objectif effectivement urgent et réel. Je le reconnais. Je note en passant que les demanderesses estiment, pour leur part, que le Code d’appartenance ne peut pas vraiment avoir pour objectif la préservation de l’identité Squamish étant donné que certains membres de cette nation n’ont pas le moindre sang Squamish. Cet argument ne tient cependant pas compte du paragraphe 10(4) de la Loi, aux termes duquel le Code d’appartenance adopté par les Squamish devait reconnaître l’appartenance de tous les membres existants, qu’ils répondent ou non aux conditions d’appartenance définies dans le nouveau code.
2. La proportionnalité
[63] Le second volet du critère dégagé dans l’arrêt Oakes au niveau d’une éventuelle justification au sens de l’article premier, est le critère de proportionnalité qui comporte les trois éléments susmentionnés. Le critère de proportionnalité impose à la Cour de parvenir à un équilibre entre les droits de l’individu et l’intérêt de la société.
a) Le lien rationnel
[64] Selon le premier volet du critère de proportionnalité, la Cour doit se demander si les mesures en question adoptées en vue d’un objectif législatif bien précis entretiennent un lien rationnel avec cet objectif. La défenderesse soutient que son code répond à cette partie du critère. Le fait de limiter l’appartenance aux personnes liées à la nation Squamish par le sang est un moyen rationnel d’assurer la préservation de la culture et de l’identité particulières des Squamish.
[65] C’est aussi mon avis.
[66] Je relève, par exemple, que dans l’arrêt R. c. Powley, [2003] 2 R.C.S. 207, 2003 CSC 43, la Cour suprême a vu dans l’auto‑identification, les liens ancestraux et l’acceptation par la communauté des facteurs qui établissent l’identité métisse aux fins de la revendication des droits métis garantis à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour a notamment conclu que le fait d’exiger un lien ancestral avec une communauté métisse historique permettait d’assurer que les bénéficiaires des droits garantis par l’article 35 avaient un lien réel avec la communauté historique dont les pratiques fondaient le droit revendiqué. À cet égard, la Cour a déclaré, au paragraphe 32 de son arrêt : « Nous n’exigerions pas la preuve de ‘liens du sang’ minimums, mais plutôt la preuve que les ancêtres du demandeur appartenaient, par naissance, adoption ou autrement, à la communauté métisse historique. »
[67] Au paragraphe 34 de l’arrêt Powley, la Cour suprême ajoute ceci :
Il importe de se rappeler que, indépendamment des critères d’appartenance établis par la communauté contemporaine, seuls les membres possédant des liens ancestraux démontrables avec la communauté historique peuvent revendiquer un droit protégé par l’art. 35. Il est donc crucial de vérifier l’appartenance à la communauté, puisqu’un individu n’est admis à exercer des droits ancestraux métis que sur le fondement de ses liens ancestraux avec une communauté métisse et que s’il appartient à cette dernière.
[68] En l’espèce, la défenderesse a démontré que l’exigence de liens du sang est non seulement un moyen rationnel d’assurer la préservation de la culture et de l’identité Squamish parmi ses membres, mais, en plus, selon la preuve non contredite de la défenderesse, cette pratique, qui fait partie de la tradition et de l’héritage culturel des Squamish, était en vigueur chez les Squamish avant même l’arrivée des Européens.
b) L’atteinte minimale
[69] Le second volet du critère de proportionnalité impose de décider si, dans la recherche de l’objectif retenu, la disposition contestée (en l’occurrence les règles d’appartenance de la nation Squamish) porte le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte.
[70] Dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, 151 D.L.R. (4th) 385, aux para. 58 et 59), la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’est pas nécessaire de choisir la mesure qui empiète le moins sur le droit garanti par la Charte. Il faut simplement que la disposition en question se situe « à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables ». Au paragraphe 59 de l’arrêt, la Cour ajoute :
Notre Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que, dans les domaines sociaux, économiques ou politiques où le législateur doit concilier des intérêts différents afin de choisir une politique parmi plusieurs qui pourraient être acceptables, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue face aux choix du législateur en raison de sa position privilégiée pour faire ces choix. [...]
[71] Je relève que, dérogeant en cela à la coutume des Squamish, la défenderesse prévoit, à l’article 9 de son Code d’appartenance, les droits pouvant éventuellement être reconnus aux enfants qui ne peuvent pas se prévaloir d’un lien du sang. L’article 9 prévoit en effet la faculté discrétionnaire de reconnaître l’appartenance à la communauté d’enfants adoptés si les deux parents adoptifs sont eux‑mêmes membres de la nation Squamish. En pareille hypothèse, le comité d’appartenance décide, sur présentation d’une demande, s’il convient d’admettre l’enfant (affidavit de Juliette Marlene Baker, para. 38).
[72] Cette clause, présentée comme un « compromis », prévoit donc le cas des enfants adoptifs. La nation a estimé que des dispositions plus poussées en faveur d’enfants adoptifs dont un seul des parents est Squamish, feraient une trop grande entorse aux lois et aux traditions Squamish et élargiraient déraisonnablement les conditions d’appartenance à la nation Squamish (affidavit de Juliette Marlene Baker, para. 40).
[73] Il convient sur ce point de s’en remettre largement à la nation Squamish étant donné qu’il s’agit d’une question de citoyenneté, de coutume de la bande et de lignage (News c. Wahta Mohawks, précité, para. 20; Libman c. Québec (Procureur général), précité, para. 59).
[74] Je considère qu’en l’espèce le « compromis » inscrit dans le Code d’appartenance porte le moins possible atteinte aux droits d’enfants adoptifs non-Squamish, tout en réalisant l’objectif consistant à assurer, par des moyens traditionnels, la préservation de la culture et de l’identité Squamish.
[75] J’en suis d’autant plus persuadé qu’en l’occurrence la mère biologique des demanderesses, Mme Sharon McIvor, appartient à la bande indienne de Lower Nicola et que, le 6 juin 2002, les demanderesses ont été admises comme membres de cette bande. Mme McIvor, avec Mme Nahanee, membre de la bande indienne de Squamish à titre de descendante, a déposé une demande en vue d’adopter officiellement Jaime et Jordana. Cela étant, il ne semble pas déraisonnable d’exiger que les deux parents adoptifs soient membres de la bande indienne de Squamish, cette condition ne portant guère atteinte aux droits des demanderesses, dont la « citoyenneté » indienne n’est pas mise en cause puisqu’elle est, en raison de leur ascendance, reconnue par leur affiliation naturelle et leur appartenance à la Bande indienne de Lower Nicola.
c) L’effet proportionné
[76] Le troisième volet du critère de la proportionnalité impose à la Cour d’examiner la proportionnalité des effets de la mesure contestée par rapport à son objectif. Compte tenu des éléments versés au dossier et des arguments avancés par la défenderesse, j’estime que sont remplies les conditions qui accompagnent le troisième volet du critère applicable.
[77] Par l’adoption de l’article 9, les Squamish ont tenté de parvenir à un équilibre entre, d’une part, leurs traditions ancestrales et le besoin de préserver leur culture et identité particulières et, d’autre part, les droits éventuels des personnes qui ne sont pas de sang Squamish. Ceux et celles à qui l’on reconnaît l’appartenance à cette nation acquièrent par là même le droit de vivre sur les terres de la réserve et le droit d’y recueillir un héritage. Ces personnes ne peuvent cependant pas transmettre leur appartenance à leurs enfants.
[78] Il s’agit, par la disposition en question, de faire une place aux personnes adoptées par des parents Squamish sans pour cela faire une trop grande entorse aux traditions de la nation.
[79] Il est vrai qu’aux termes de l’alinéa 9a) du Code d’appartenance, tous les enfants adoptifs n’ont pas le droit de devenir membres de la nation Squamish. Les seuls enfants adoptifs pouvant être admis au sein de la nation sont les enfants qui, avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans, sont adoptés par deux parents Squamish. Mais même si un enfant adoptif répond aux conditions d’admission, le statut de membre ne lui sera pas automatiquement conféré. En effet, le comité d’appartenance peut procéder à l’examen de la demande et s’assurer qu’il existe [Traduction] « un lien culturel suffisant pour permettre d’accueillir l’enfant » (affidavit de Juliette Marlene Baker, para. 39).
[80] La raison d’être des conditions ainsi posées a été expliquée de manière satisfaisante par la défenderesse et paraît raisonnable dans les circonstances. Selon l’affidavit de Juliette Marlene Baker, le comité d’appartenance était disposé à accepter ce compromis en ce qui concerne les enfants adoptifs. Selon le comité, cette disposition permettait de parvenir à un équilibre entre la reconnaissance de cette réalité sociale qu’est l’adoption et le maintien de la culture et de l’identité Squamish. Le comité a estimé que, s’agissant de l’enfant adoptif d’un seul parent Squamish, [Traduction] « le lien culturel est trop ténu pour que l’on puisse passer outre aux lois et traditions Squamish exigeant un lien du sang » (affidavit de Juliette Marlene Baker, para. 40). Le fait d’admettre dans la nation un enfant adoptif n’ayant qu’un seul parent Squamish ferait une entorse aux traditions Squamish et ouvrirait exagérément aux personnes non-Squamish le portail de l’appartenance.
[81] Il a également été décidé d’imposer une limite d’âge aux enfants adoptifs souhaitant bénéficier de l’appartenance acquise. La nation Squamish a donc décidé que seuls les enfants de moins de 18 ans pourraient demander à bénéficier de cette appartenance. Le comité d’appartenance a jugé que pour assurer l’existence d’un lien culturel à la nation Squamish suffisamment fort pour compenser l’absence de liens du sang, non seulement fallait‑il que l’enfant soit adopté par deux membres de la nation, mais il fallait également qu’il soit élevé au sein de la communauté Squamish.
[82] Je considère que la Cour n’a pas, sur ce point, à substituer son appréciation à celle du comité étant donné que les dispositions du Code d’appartenance ont été dûment adoptées après consultation et agrément des membres de la nation Squamish.
[83] Je précise qu’en décidant en l’espèce que les dispositions contestées se justifient au sens de l’article premier, je n’écarte aucunement la possibilité que, dans une autre affaire, et au vu d’autres éléments d’appréciation, un autre juge pourrait parvenir à une conclusion différente. Cela démontre que la procédure de contrôle judiciaire n’est peut‑être pas le meilleur moyen de résoudre les délicates questions constitutionnelles que peuvent soulever de présumées mesures discriminatoires prises entre membres des premières nations.
V. Questions intéressant les droits ancestraux
[84] Je relève que les questions de « droits ancestraux » qui se posent au regard du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ne peuvent être tranchées qu’au vu de preuves très fournies permettant effectivement de se prononcer sur de tels droits dans le cadre d’une demande de jugement déclaratoire. En l’espèce, la Cour ne se prononce pas sur la validité des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant l’appartenance à une bande, ni sur leur compatibilité avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour ne rend pas non plus un jugement de portée générale précisant dans quelle mesure les communautés autochtones peuvent effectivement contrôler l’appartenance à leurs effectifs. Ces questions, d’une grande complexité, ont été approfondies dans la décision Bande de Sawridge c. Canada (1re inst.), 1996 1 C.F. 3 (C.F. 1re inst.), plus tard infirmée par la Cour d’appel fédérale ([1997] 3 C.F. 580) qui a conclu à une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de première instance. Ces questions devront être tranchées dans le cadre du nouveau procès qui se déroule actuellement devant la Cour. Il ne m’appartient donc pas d’en dire plus sur ce point.
[85] Cela dit, et compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu, il n’y a pas lieu en l’espèce de dire si le droit qu’a la défenderesse de contrôler l’appartenance à ses effectifs constitue un « droit ancestral » au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ou, plutôt, un « autre » droit auquel il ne saurait, aux termes de l’article 25 de la Charte, être porté atteinte, même au titre du paragraphe 15(1) de la Charte.
VI. Conclusion
[86] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je considère que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire déposée par les demanderesses soit rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1509‑04
INTITULÉ : ALICE MAXINE JAIME GRISMER ET AL.
c. BANDE INDIENNE DE SQUAMISH, ÉGALEMENT DÉNOMMÉE LE CONSEIL DE LA NATION SQUAMISH
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LES 6 ET 7 JUIN 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU
ET ORDONNANCE
DATE DES MOTIFS : LE 12 SEPTEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Mme Sharon McIvor
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POUR LES DEMANDERESSES |
M. John Rich M. Matthew Kirchner
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mme Sharon McIvor Avocate Merritt (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DEMANDERESSES |
Ratcliff and Company Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LA DÉFENDERESSE |