Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
VUE GÉNÉRALE
[1] Le fardeau de présenter une « preuve claire et convaincante » pour démontrer l’incapacité d’un État d’assurer la protection ne doit pas être une tâche impossible à réaliser. Il semblerait aller à l’encontre du but recherché par la protection internationale qu’un tribunal spécialisé exige d’un demandeur d’asile crédible sans aucune équivoque qu’il prenne un risque pouvant être fatal, en lui disant de rechercher une protection inefficace auprès des autorités étatiques du pays qu’il a fui.
Si le tribunal spécialisé en arrive à sa conclusion en semblant ne pas tenir compte de la preuve sur la situation qui règne dans le pays visé et sans qu’il y ait de clairs éléments de preuve contredisant le témoignage du demandeur d’asile, on ne peut alors dire que celui‑ci peut se réclamer de la protection de l’État d’où il s’est enfui.
Pour ne pas analyser en vase clos la preuve relative à la situation qui règne dans le pays, il faut au besoin, lorsqu’on examine la preuve objective, se pencher – outre sur la situation actuelle – sur le contexte historique, politique et culturel passé. De la sorte, le tribunal spécialisé démontre que son analyse n’est pas, selon le cas, déraisonnable ou manifestement déraisonnable.
Le tribunal spécialisé doit faire état de toute la panoplie des éléments concernés, (la myriade de références et de définitions des mots, ainsi que la galerie de portraits) qui souvent sont contradictoires, et il doit les prendre en compte. Il doit à tout le moins dire brièvement pourquoi il privilégie un ensemble de faits et d’interprétations plutôt qu’un autre. Ce n’est qu’alors qu’une décision correctement énoncée peut être rendue relativement à un demandeur d’asile en particulier.
Sans une décision ainsi exprimée de manière transparente par le tribunal spécialisé, on ne peut dans le cadre d’un contrôle judiciaire considérer raisonnable à un degré quelconque l’analyse faite du contexte et de la situation particulière d’un demandeur d’asile, et l’affaire doit être renvoyée au tribunal spécialisé pour qu’il rende une nouvelle décision.
LA PROCÉDURE JUDICIAIRE
[2] Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue du contrôle judiciaire, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, R.S.C. 1985, ch. F-7, de la décision du 2 novembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
LE CONTEXTE
[3] La demanderesse, Mme Alphonsine Ndikumana, est une citoyenne du Burundi. La demande d’asile des enfants de la demanderesse, Kessy Gakura (7 ans) et Elisa Bettine Dushime (4 ans), s’appuie sur la demande d’asile de leur mère et se fonde sur leur appartenance à un groupe social particulier, à savoir la famille.
[4] Mme Ndikumana est une Tutsie. En octobre 1993, des militants hutus ont mené une attaque dans son voisinage et tué un bon nombre de ses voisins et amis. Ils ont mis le feu à la maison de la demanderesse, croyant que l’incendie lui serait fatal. La demanderesse a pris la fuite et, alors qu’elle se cachait, elle a pu reconnaître certains de ses voisins parmi les assaillants.
[5] En octobre 2004, un groupe d’hommes armés (dont deux que la demanderesse avait reconnus lors du précédent massacre) sont apparus devant sa maison. Ces hommes ont menacé la demanderesse parce que, l’ayant aperçue sur la place du marché, ils avaient alors découvert qu’elle n’avait pas été tuée lors de l’attaque précédente et ils craignaient qu’elle n’aille témoigner contre eux. Des voisins ont été réveillés par le bruit et sont venus voir quelle en était la source; les assaillants ont alors quitté les lieux. La demanderesse est allée consulter les autorités, qui lui ont dit que le gouvernement ne disposait pas de suffisamment de ressources pour poster un soldat à la maison de chaque citoyen pour en assurer la protection.
[6] Le 1er novembre 2004, des hommes armés sont revenus et sont entrés de force dans la maison de Mme Ndikumana. Cette dernière s’est enfuie avec ses enfants tandis que son mari est demeuré caché dans la maison. Les hommes armés ont saccagé la maison et ils ont laissé un message pour faire savoir à la demanderesse qu’elle mourrait si elle restait au Burundi.
[7] Mme Ndikumana et son mari ont décidé d’aller chercher protection chacun de leur côté. Le mari est parti seul en direction d’une autre ville. Pour leur part, Mme Ndikumana et ses enfants sont allés demander la protection de l’armée, puis on les a conduits à la maison d’un ami. Cet ami a pris des arrangements pour qu’ils puissent quitter le Burundi à destination des États-Unis le 26 novembre 2004. Après être restés dix jours aux États-Unis, Mme Ndikumana et ses enfants sont venus au Canada et ils y ont demandé l’asile. Mme Ndikumana ne sait pas où se trouve son mari en ce moment.
LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE
[8] La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité de Mme Ndikumana. Elle a cru son récit et estimé crédible son témoignage. Mme Ndikumana a démontré l’existence d’une crainte fondée de persécution.
[9] La Commission a toutefois conclu que Mme Ndikumana pouvait se réclamer de la protection de l’État. Les autorités ont réagi lors des deux attaques dont elle a fait l’objet et elle a pu faire rapport de ces incidents. La Commission a conclu que Mme Ndikumana n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité des autorités du Burundi de la protéger.
QUESTIONS EN LITIGE
[10] La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que Mme Ndikumana n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’elle a conclu que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État au Burundi?
ANALYSE
Dispositions législatives applicables
[1] En vertu de l’article 96 de la LIPR, une personne a qualité de réfugié si elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
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a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
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(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
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b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
[2] Le paragraphe 97(1) précise, pour sa part, qui a qualité de personne à protéger :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
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a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
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(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, or torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
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b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
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(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
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(i) elle ne peut, ou de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
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(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
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(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
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(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
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(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
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(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
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(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
La norme de contrôle judiciaire
[11] La norme de contrôle appropriée pour la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable simpliciter, comme il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui suppose l’application d’une norme juridique, c’est-à-dire « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. n° 74 (QL), paragraphe 50), à un ensemble de faits (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. n° 232 (QL), paragraphes 9 à 12).
La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que Mme Ndikumana n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’elle a conclu que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État au Burundi?
[12] Sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu dans Zalzali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.), [1991] A.C.F. n° 341 (QL), il y a généralement lieu de présumer que l’État est capable de protéger ses citoyens. Un demandeur d’asile doit par conséquent fournir une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection pour pouvoir réfuter cette présomption (Ward, précité, paragraphes 50 et 52; Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 167 N.R. 91 (C.A.F.)).
Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.
[…]
Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet «ne veut» ou sous le volet «ne peut» de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. Je reconnais que ces conclusions élargissent l'éventail des revendications du statut de réfugié auxquelles il sera peut‑être fait droit au delà de celles qui comportent la crainte d'être persécuté par le gouvernement nominal du demandeur. Dans la mesure où cette persécution vise le demandeur pour l'un des motifs énumérés, je ne crois pas que l'identité de l'auteur redouté de la persécution a pour effet de soustraire ces cas aux obligations internationales du Canada dans ce domaine. Sur ce, je passe maintenant à l'examen des motifs énumérés. (Ward, précité)
[13] L’incapacité d’un État d’assurer une protection parfaite ne suffit pas à établir qu’il ne peut ou ne veut pas fournir une protection raisonnable dans les circonstances. Ainsi, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger les personnes dans sa situation (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189 (C.A.F.) (QL); Ward, précité.).
Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. (Villafranca, précité)
[14] Mme Ndikumana a présenté un témoignage clair et une preuve convaincante quant au fait qu’au Burundi l’État ne peut lui assurer une protection raisonnable dans son cas particulier, ce qui vient réfuter la présomption de protection de l’État à son égard.
[15] Selon son témoignage, Mme Ndikumana était directement ciblée parce qu’elle avait été témoin d’agressions violentes et du meurtre de plusieurs personnes à Mubimbi lors du génocide perpétré en 1993 par des militants hutus partisans de l’ancien président Melchior Ndadaye.
[16] Mme Ndikumana a en outre déclaré que, plusieurs années après le génocide, certains auteurs de ces crimes qui étaient revenus de leur exil en Tanzanie l’avaient reconnue au marché central de Bujumbura. Plusieurs d’entre eux l’avaient suivie jusque chez elle, munis de grenades et de machettes et déterminés à la tuer pour l’empêcher d’aller témoigner en cour contre eux.
[17] Mme Ndikumana a présenté une preuve orale et documentaire selon laquelle elle avait demandé aux autorités de la protéger après avoir l’objet de harcèlement à de nombreuses reprises ainsi que de menaces de mort, et qu’on lui avait alors répondu que « les forces de l’ordre ne sont pas en mesure de protéger chaque ménage ». Mme Ndikumana soutient qu’à cet égard, la Commission a mal interprété la preuve lorsqu’elle a déclaré qu’elle avait demandé à obtenir « des garanties de protection supérieures à celles dont dispose l’état de Burundi ». Elle a témoigné qu’elle était personnellement en danger et qu’à ce titre, il était raisonnable qu’on s’attende à ce qu’elle demande à son gouvernement de lui assurer une certaine forme de protection, ajoutant qu’elle n’a pas eu le sentiment de pouvoir obtenir de son gouvernement une protection efficace.
[18] J’estime, en toute déférence, que la Commission a tiré une conclusion erronée lorsqu’elle a déclaré que Mme Ndikumana avait demandé des garanties de protection supérieures à celles qu’on pouvait s’attendre à obtenir d’un pays comme le Burundi. Selon l’exposé circonstanciel contenu dans le FRP de Mme Ndikumana, l’armée ne lui aurait pas déclaré que les garanties de protection qu’elle demandait étaient supérieures à celles qui étaient disponibles. L’armée a simplement dit à la demanderesse qu’elle n’avait pas alors les effectifs requis pour donner suite à sa demande d’enquête, comme la plupart de ses membres étaient aux premières lignes dans la lutte contre la guerre civile. Mme Ndikumana n’a demandé à aucun moment des garanties de protection « supérieures ». Il y a lieu de s’attendre, d’ailleurs, à ce que toute personne dans une situation semblable à la sienne demande aux militaires de mener une enquête.
[19] La preuve documentaire a également permis d’établir que, dans le contexte politique et militaire actuel au Burundi, les exécutions sommaires de civils demeurent un grave problème et font rarement l’objet d’enquêtes. Cela équivaut, dans le cas d’espèce, à l’incapacité de la part du gouvernement d’agir ou même de réagir convenablement.
[20] Mme Ndikumana avait l’obligation de solliciter la protection de son gouvernement dans des situations où il était raisonnable qu’une telle protection puisse être offerte. En outre, elle a demandé et s’attendait à obtenir des garanties de protection appropriées compte tenu du degré et de la gravité de la persécution à laquelle elle était confrontée. Le fait que des militaires soient venus chez Mme Ndikumana après chaque attaque, pour en faire rapport, ne démontre pas que celle‑ci a obtenu une protection réelle ou adéquate. Il n’y a aucune preuve que Mme Ndikumana aurait demandé un type quelconque de protection autre qu’une enquête de la police et l’entrée en communication avec les agresseurs, que la demanderesse connaissait.
[21] La simple volonté de l’État de protéger ses citoyens ne constitue pas une protection; l’État doit réellement donner de la protection. La juge Danièle Tremblay-Lamer a statué en ce sens dans Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1364 (QL), paragraphe 13 :
Ainsi donc, même si l'État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace. Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d'aider. Lorsque la preuve révèle qu'un demandeur a connu de nombreux incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination sans que l'État le défende efficacement, la présomption joue, et on peut conclure que l'État veut peut-être protéger le demandeur, mais qu'il ne peut le faire.
[22] Le fardeau de présenter une « preuve claire et convaincante » pour démontrer l’incapacité d’un État d’assurer la protection ne doit pas être une tâche impossible à réaliser. Il semblerait aller à l’encontre du but recherché par la protection internationale que la Commission exige que la demanderesse d’asile risque sa vie en tentant d’obtenir de l’État au Burundi une protection inefficace.
[23] La Commission est arrivée à sa conclusion en ne tenant pas compte de la situation qui règne au Burundi, et sans qu’il y ait des éléments de preuve clairs contredisant le témoignage de Mme Ndikumana selon lequel le Burundi ne lui offrirait pas une protection efficace.
CONCLUSION
[24] La Cour conclut que la Commission a commis une erreur en évaluant la preuve et n’a pas tenu compte d’éléments dont elle disposait en concluant que Mme Ndikumana pouvait se réclamer de la protection de l’État. La décision de la Commission est déraisonnable, comme elle n’est pas fondée sur la preuve présentée ni étayée par celle‑ci. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l’affaire renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision.
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Michel M.J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, trad. a., LL.L
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7411-05
INTITULÉ : ALPHONSINE NDIKUMANA c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 AOÛT 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS ET
DU JUGEMENT : LE 1er SEPTEMBRE 2006
COMPARUTIONS :
Marie Saintilna
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POUR LA DEMANDERESSE |
Aviva Basmal
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MARIE SAINTIL Avocate Windsor (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |