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Date : 20060810

Dossier : IMM-4286-06

Référence : 2006 CF 961

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 AOÛT 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

YUEMAI FANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

[1]               Le jeudi 3 août 2006, la demanderesse, une citoyenne chinoise, a signifié au défendeur une requête en sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi. Le renvoi de la demanderesse est prévu pour le vendredi 11 août 2006.

 

[2]               Le défendeur a également reçu le 3 août 2006 une lettre dans laquelle la demanderesse réclamait que l'audience ait lieu sous forme de conférence téléphonique le lundi 7 août 2006. Comme la Cour n'a pas inscrit d'audience au rôle pour le 7 août 2006, la demanderesse a demandé à la Cour d'être entendue dès que possible.

 

[3]               Par lettre, le défendeur a soumis à la Cour le 4 août 2006 des observations par lesquelles il affirmait que la requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi ne devait pas être instruite parce qu'elle avait été présentée à la dernière minute. Le défendeur a également demandé à la Cour de proroger le délai qui lui était imparti pour formuler ses observations par écrit pour le cas où la Cour déciderait d'instruire la requête.

 

[4]               Le 8 août 2006, la Cour a fixé au lendemain la date de l'audience qui devait être tenue sous forme de conférence téléphonique et elle a accordé au défendeur la possibilité de répondre à la requête.

 

[5]               Le 3 août 2006, la demanderesse a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui a été signifiée au défendeur le même jour.

 

[6]               Dans sa demande d'autorisation, la demanderesse conteste la décision en date du 25 avril 2006 par laquelle un agent d'examen des risques avant le renvoi (agent d'ERAR) avait rejeté la demande de protection de la demanderesse.

 

[7]               Ainsi qu'il ressort de l'annexe A de l'affidavit de M. Éric Lefrenière, la demanderesse a été mise au courant de cette décision négative le 2 mai 2006.

 

[8]               La demanderesse soutient que l'agent qui examine les risques avant le renvoi en analysant les risques auxquels serait exposé l'intéressé à son retour dans son pays d'origine ne respecte pas les principes d'équité (observations de la demanderesse, paragraphes 28 à 35, dossier de la demanderesse, aux pages 104 à 106).

 

[9]               La demanderesse n'a pas réussi à démontrer que le critère à trois volets établi par la Cour d'appel fédérale pour juger les requêtes en sursis à l'exécution de mesures de renvoi était respecté.

 

[10]           La demande d'autorisation soulève une question sérieuse à juger. Par les allégations contenues dans sa requête, la demanderesse n'a pas démontré que l'agent ERAR qui avait rendu la décision qui fait l'objet de sa demande de contrôle judiciaire avait tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables ou qu'il avait commis une erreur de droit. La demanderesse cherche essentiellement à substituer sa propre appréciation de la preuve documentaire à celle faite par l'agent d'ERAR.

 

[11]           Quant au préjudice irréparable, le retour en Chine de la demanderesse a été correctement évalué tant par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié que par l'agent d'ERAR. Or, cette évaluation était négative.

 

[12]           Qui plus est, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Le critère à trois volets établi par la Cour d'appel fédérale pour statuer sur les requêtes en sursis à l'exécution de mesures de renvoi a-t-il été respecté ?

 

[14]           La demanderesse doit démontrer qu'elle satisfait aux trois éléments du critère à trois volets établis par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.) et que : (1) la requête soulève une question sérieuse; (2) la demanderesse subira un préjudice irréparable si la mesure de renvoi est exécutée, (3) la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la demanderesse. (R.J.R.-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148 (C.F. 1re inst.), [2001] 3 C.F. 682).

 

A.        Question sérieuse

                        i)          Retards

[15]           La demanderesse était au courant depuis le 2 mai 2006 de la décision négative rendue par l'agent d'ERAR et elle savait que son renvoi était prévu pour le 17 mai 2006. Or, elle a attendu au 3 août 2006 pour déposer sa requête en sursis à l'exécution de sa mesure de renvoi (affidavit de M. Lafrenière, annexe A).

 

[16]           Ainsi que la juge Danièle Tremblay-Lamer l'explique dans le jugement Katalin Ilbolya Bedene Mesznikow et autres c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-7047-03, 30 septembre 2003 :

Vu le retard des demandeurs à présenter leur demande alors qu'ils savaient depuis au moins 21 jours qu'ils doivent quitter le 1er octobre, date qui leur a été confirmée depuis 13 jours, il n'est pas dans l'intérêt de la justice d'entendre cette requête de dernière minute.

 

 

[17]           La demanderesse a été informée le 2 mai 2006 de la décision ERAR négative dont l'exécution a été repoussée du 17 mai 2006 au 11 août 2006 :

 

a.         tel qu’il appert de mes notes d’entrevues déposés en liasse au soutien de mon affidavit comme pièce « A », j’ai rencontré la demanderesse le 2 mai 2006 pour préparer son départ;

 

b.         la décision ERAR négative lui a été remise à cette date;

 

c.         une autre rencontre a eu lieu le 8 mai 2006. La date du départ a été fixée pour le 17 mai 2006, date fournie par la demanderesse qui attendait la confirmation de son billet d’avion avec Air Canada;

 

d.         ayant pris connaissance que la demanderesse prévoyait un délai de trois mois pour vendre son dépanneur, j’ai tenté d’obtenir une extension de délai de trois mois auprès de l’Ambassade de Chine à Ottawa;

 

e.         le 9 mai 2006, j’ai appris que je ne pouvais pas l’obtenir;

 

f.          le 10 mai 2006, la demanderesse a fait elle-même les démarches auprès de l’Ambassade de Chine à Ottawa afin que son permis d’entrée soit prolongé de trois mois;

 

g.         le 11 mai 2006, nous avons à nouveau communiqué avec la demanderesse. Cette dernière nous a avisé que l’Ambassade de Chine à Ottawa lui accorderait une extension de délai de trois mois. Nous avons convenu qu’on se rencontrerait à nouveau le 15 mai 2006;

 

h.         le 15 mai 2006, nous avons reçu la confirmation de l’Ambassade de Chine à Ottawa que le permis d’entrée de la demanderesse vers la Chine serait prolongé de trois mois;

 

i.          le 15 mai 2006, le départ a été annulé et une nouvelle rencontre a été fixée au 5 juin 2006. Il a été entendu qu’un nouveau délai de trois mois serait accordé à la demanderesse afin qu’elle puisse vendre son dépanneur;

 

j.          j’estime avoir été très coopératif et attentif aux besoins de la demanderesse en remettant son départ de trois mois afin qu’elle vende son dépanneur. De plus, bien que ce fait n’apparaisse pas à mes notes, son amie, Madame Yan Yan Wang, qui l’accompagnait souvent à titre de traductrice lors de nos rencontres, m’a confirmé qu’elle achèterait elle-même le dépanneur si la demanderesse ne parvenait pas à le vendre;

 

k.         le 5 juin 2006, il a été convenu que la demanderesse quitterait le Canada le 11 août 2006;

 

l.          elle a également déclaré qu’elle pensait bien avoir vendu son dépanneur avant la date de départ;

 

m.        conséquemment, la demanderesse savait depuis le 2 mai 2006 que son départ était imminent. De plus, j’ai collaboré dans les limites de ma juridiction pour remettre le départ de la demanderesse de trois mois afin qu’elle puisse vendre son dépanneur avant son départ;

 

n.         je tiens également à souligner que l’extension de trois mois pour le permis d’entrée alloué par l’Ambassade de Chine à Ottawa se termine le ou vers le 18 août 2006.

 

                        ii)         Le bien-fondé de la décision de l'agent d'ERAR

[18]           Ainsi qu'il ressort des notes déposées au soutien de la décision ERAR, l'agent a examiné les éléments de preuve soumis par la demanderesse à l'appui de sa demande d'ERAR, a examiné la situation personnelle de la demanderesse ainsi que la situation qui existait dans son pays d'origine et fondé son évaluation des risques sur les éléments de preuve documentaires dont il disposait.

 

[19]           La demanderesse n'a pas démontré par ses allégations que les conclusions de l'agent d'ERAR avaient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'agent disposait au sens de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7.

 

[20]           La demanderesse n'a pas convaincu la Cour que la décision rendue par l'agent d'ERAR sur le fondement de ses conclusions de fait était manifestement déraisonnable. Il n'y a donc pas de question sérieuse à trancher.

 

B.        Préjudice irréparable

[21]           Ainsi que le juge Luc Martineau l'a précisé dans le jugement Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 931, [2003] A.C.F. no 1182 (QL), la preuve de l'existence d'un préjudice irréparable n'a pas été faite :

Troisièmement, la Cour note que le risque que les demandeurs courraient s'ils retournaient en Turquie a été évalué deux fois : une première fois par la SPR, et la seconde fois par l'agent d'ERAR. Dans les deux cas, ces deux tribunaux administratifs ont conclu que les demandeurs ne courraient pas de risque. En l'espèce, la SPR a clairement mis en doute la crédibilité des demandeurs lorsqu'elle a conclu, en se fondant sur le comportement que les demandeurs avaient eu pendant une longue période, qu'ils n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés qui était à la base de leur revendication. La jurisprudence de la Cour établit que lorsque le récit d'un demandeur est jugé non crédible, ce récit ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis : Saibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 151, 2002 CFPI 103, au paragraphe 11; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 751, au paragraphe 12; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 483, aux pages 492 et 493 (1re inst.).

 

[22]           Vu l'ensemble de ces faits, l’agent d'ERAR n'était pas convaincu que la demanderesse serait exposée à un risque si elle devait retourner en Chine.

 

[23]           En ce qui concerne l'argument invoqué par la demanderesse au sujet du critère à appliquer pour ce qui est du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), il convient de citer la version française du jugement Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.), [2005] 3 R.C.F. 239, 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. no 1 (QL) :

Finalement, il n'est pas facile de comprendre pourquoi un critère relatif au degré de danger « plus probable que le contraire » contreviendrait à la Convention contre la torture. Le Comité même des Nations Unies contre la torture a adopté un critère aux fins de l'article 3 de la Convention contre la torture qui, pour les motifs susmentionnés, et à tous égards, est le critère « plus probable que le contraire ».

En fin de compte, la réponse à la deuxième question est :

Le degré de risque de torture requis, selon l'expression « motifs sérieux de croire » est que le risque doit être plus probable que le contraire.

 

[24]           Vu ce qui précède, j'estime que l'agent d'ERAR a appliqué le bon critère pour ce qui est du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[25]           En conséquence, la demanderesse n'a pas démontré que les conclusions de l'agent d'ERAR étaient manifestement déraisonnables.

 

C.        La prépondérance des inconvénients favorise le ministre

[26]           Pour déterminer la prépondérance des inconvénients, il faut tenir compte de l'intérêt du public et évaluer cet intérêt avec celui des particuliers.

 

[27]           La demanderesse ne satisfait pas au troisième et dernier volet du critère à trois volets, celui de la prépondérance des inconvénients.

 

[28]           Sur cette question, il convient de rappeler que, lorsque l'affaire ne soulève pas de question sérieuse et qu'aucune preuve de préjudice irréparable n'a été fournie, comme c'est le cas en l'espèce, la prépondérance des inconvénients penche automatiquement en faveur du défendeur (Naseem c. Canada (Solliciteur général), (1993) 68 F.T.R. 230, [1993] A.C.F. no 971 (QL).

 

[29]           La demanderesse n'a pas démontré que la prépondérance des inconvénients jouait en sa faveur.

 

CONCLUSION

[30]           Pour les motifs susmentionnés, la requête présentée par la demanderesse en vue de faire surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi dont elle fait l'objet devrait être rejetée.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR REJETTE la requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4286-06

 

INTITULÉ :                                      YUEMAI FANG c.

                                                           MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION et MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 9 AOÛT 2006, par conférence téléphonique

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 AOÛT 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Bertrand

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Diane Lemery

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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