Date : 20051205
Ottawa, Ontario, le 5 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
SERGIO ALBERTO MESAOSORIO
Demandeurs
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les évènements qui ont eu lieu le 26 janvier 2001 sont primordiaux à cette cause. Andrea Quiroz Trujillo vient de la Colombie mais n'a pas réussi à obtenir le statut de réfugiée. Cette Cour doit donc se prononcer en ce qui a trait à la demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs, époux et épouse.
[2] Au cours de plusieurs années, la famille de la demanderesse, plus particulièrement le père, était visée par l'association « Forces armées révolutionnaires de la Colombie » (FARC) à un tel point que le père quittait la maison pour se cacher d'eux. Cette cause est, entres autres, un cas d'extorsion accompagné de menaces de mort et de blessures corporelles. Au cours de cette période, Andrea avait quitté pour étudier à l'Université. Mais, entre temps, elle est revenue à la maison. Le 26 janvier 2001 il y a eu un appel téléphonique pour son père. Comme son père était absent, elle a pris l'appel pour ce dernier. L'individu ayant placé l'appel, faisant probablement partie de l'association FARC, a menacé le père de la demanderesse et a suggéré qu'il devrait partir. Andrea a rejoint son père et ils sont allés au poste de police où Andrea a signé une plainte écrite.
[3] Le tribunal a déterminé qu'Andrea n'était pas crédible et s'est particulièrement attardé à la preuve de sa plainte écrite. Le tribunal a fait remarquer que cette plainte n'était pas munie d'un sceau officiel et que le tribunal avait des doutes concernant le contenu de sa plainte.
[4] En ce qui concerne le sceau, le rapport a été étampé par un policier. Andrea a affirmé que la copie qu'elle a remise au tribunal était la copie qu'elle avait reçue et qu'elle n'en avait aucune autre. Andrea a stipulé que si le tribunal doutait de l'authenticité du document qu'il pouvait vérifier la véracité de sa prétention auprès de la police.
[5] Pour ce qui est du contenu de la plainte, le tribunal était concerné avec le fait que la présence de son père au poste de police n'était pas notée dans la plainte et que ce dernier n'avait pas signé la plainte de sa fille. Cette Cour se demande comment le père aurait-il pu signer un document témoignant d'un appel téléphonique auquel il n'avait pas été témoin? Pourquoi donc est-ce que ce rapport devrait noter sa présence au poste de police?
[6] La décision du tribunal de rejeter la demande de la demanderesse est fondée sur le fait qu'il ne croit pas les allégations des demandeurs. Alors que le tribunal a déterminé qu'il y avait d'autres contradictions dans le témoignage de la demanderesse, à part la plainte faite à la police, qui nuisait à sa crédibilité, ces dernières ne peuvent être séparées de l'incident s'étant produit le 26 janvier 2001 afin de justifier une détermination de non crédibilité.
[7] En justifiant le rejet de la demande, le tribunal s'est basé sur décision de la Cour d'appel fédérale soit, Sheikh c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 604; [1990] 3 C.F. 238 (QL). Cet arrêt fait allusion à l'ancienne Loi sur l'immigration, R.C.S. 1985, c. I-12. À cette époque, la division de la reconnaissance du statut de réfugié comprenait un panel de premier niveau et un panel de deuxième niveau. Un requérant devait établir que sa requête était crédible au premier niveau avant de pouvoir accéder au deuxième niveau,sinon sa demande pouvait être rejeté. En écrivant pour la Cour, le juge MacGuigan, mentionne aux paragraphes 7 et 8 :
¶ 7 Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.
¶ 8 J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.
[8] Alors que le principe énoncé par le juge MacGuigan a été retenu et discuté par le juge Denault dans l'arrêt Foyer c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1591 (QL) et le juge Evans de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rahaman c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537; 2002 CAF 89 (QL), il importe toujours de considérer le contexte entourant une décision. Il faut noter que les faits en l'espèce sont différents. Le raisonnement dans les décisions mentionnées ci-dessus ne s'applique pas puisque la crédibilité de la demanderesse ne reposait pas uniquement sur son témoignage et les conditions du pays. Malgré l'interprétation que fait le tribunal de son témoignage, il avait, devant lui, une preuve extrinsèque, soit le rapport de police, qui lui permettait donc d'entamer une enquête approfondie de la demande.
[9] Étant donné que le tribunal a suggéré que les documents étaient frauduleux, le fardeau lui incombe de faire enquête à ce sujet. Il y a une présomption réfutable que de tels documents sont valides (Osipenkov c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 59; 2003 CFPI 56 (QL). Il aurait donc été approprié que le tribunal entreprenne une enquête à cet effet (voir Sitoo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1850; 2004 CF 1513 (QL), Quintero c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 686; 2004 CF 565 (QL)).
[10] Il est possible que le rapport de police ne soit pas crédible. Toutefois, devant cette Cour il n'y a aucun fait pour appuyer une telle allégation. Il se peut également qu'Andrea n'a jamais reçu d'appel téléphonique le 26 janvier 2001. Cependant, il est irrationnel d'en venir à une telle conclusion tout simplement parce que le père n'a pas signé la plainte au poste de police. Dans les circonstances du présent cas, la décision du tribunal est manifestement déraisonnable.
[11] Bien que les demandeurs aient soulevé lors de l'audience une question à certifier, cette dernière doit pouvoir être appuyée lorsqu'elle est en appel. Étant donné que la demande est accueillie, il n'est pas nécessaire de certifier une question en l'espèce.
ORDONNANCE
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. L'affaire est renvoyée devant un panel nouvellement constitué de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle audition et détermination du mérite de la revendication du statut de réfugié fait par les demandeurs.
« Sean Harrington »
JUGE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS
DOSSIER : IMM-3519-05
INTITULÉ : Andrea Quiroz Trujillo and Sergio Alberto Mesa Osorio c. Le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : 23 novembre 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : 5 décembre 2005
COMPARUTIONS:
Me Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS
Me Marie-Claude Paquette POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS
Avocat
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)