Citation : 2024 CF 1739
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ENTRE :
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ÉRIC TREMBLAY
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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ORDONNANCE
[1] Le défendeur a déposé une requête en vertu de la Règle 221(a), (c) et (f) des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les «
Règles »
) pour une ordonnance radiant la déclaration du demandeur sans autorisation pour la modifier. Le défendeur soumet entre autres:
a) que même en tenant les faits plaidés dans la déclaration pour avérés, l’action du demandeur ne révèle aucun fait constitutif de faute;
b) il est manifeste et évident que la Déclaration ne révèle aucune cause d’action valable et qu’elle doit être radiée suivant l’alinéa 221(1)a) des Règles;
c) le recours du demandeur est frivole et vexatoire puisqu’il est dépourvu d’un raisonnement logique en droit pour l’appuyer, et ne respecte pas les exigences de l’article 174 des Règles; et,
d) le recours du demandeur constitue un abus de procédure selon l’alinéa 221(1)f) des Règles, puisqu’il vise à remettre en question un jugement de la Cour fédérale qui a tranché la question sur laquelle repose son action.
[2] Le demandeur qui se représente seul. Il répond à la requête en soumettant un bref affidavit et une série de documents compris dans un document plus large qu’il a nommé « Déclaration (Supplément d’information) »
qui présente ses arguments et d’autres faits portant sur les dommages réclamés ainsi que des extraits transcrits très précis de l’enregistrement sonore de l’audition de sa demande dans le dossier T-2043-23 devant le juge Lafrenière. Ces éléments additionnels ne sont pas plaidés dans sa déclaration. Il dépose également 14 pièces distinctes que ne sont pas jointes à son affidavit en conformité avec la Règle 80(3) des Règles avec le résultant qu’elles ne sont pas admissibles à titre de preuve dans le cadre de cette requête.
[3] Le défendeur réplique que le document intitulé « Déclaration (Supplément d’information) »
n’est pas validement produit et, même s’il était validement produit, ne contient pas d’allégations suffisantes qui révèlent une cause d’action. Du même coup, le défendeur plaide que les arguments du demandeur appuient la thèse et l’argument du défendeur que la déclaration devrait être radiée sans autorisation pour y effectuer des modifications.
[4] Pour les motifs qui suivent, la requête du défendeur est accordée et la déclaration du demandeur est radiée sans autorisation pour y effectuer des modifications.
I. Le droit applicable
[5] Le droit applicable à une requête en radiation d’une déclaration en vertu de la Règle 221 des Règles est bien établi et est sans controverse.
[6] Tel que résumé par le juge Southcott dans Butt c. Canada, 2024 CF 983 (CanLII), au paragraphe 15, la Règle 221(1)a) des Règles prévoit que, sur requête, la Cour peut ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. Le critère qui s’applique à la radiation d’une demande aux termes de cette Règle consiste à savoir si, en tenant pour acquis que les faits matériaux plaidés sont avérés, il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause d’action valable et n’a aucune chance raisonnable de succès (Hunt c Carey, 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959 à la page 980; Fitzpatrick c. District 12 du service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040 (CanLII), aux paras 13 à 20).
[7] La Cour doit néanmoins être alerte puisque seulement les allégations de faits matériaux doivent être tenues pour avérées. Même là, les allégations de faits sont tenues pour avérées à moins d’être manifestement ridicules, impossibles à prouver, ou fondées sur des suppositions, des hypothèses ou de la spéculation (Empire Company Limited v. Canada (Attorney General), 2024 FC 810 (CanLII), au para 22, et la jurisprudence qui y est citée). Les simples affirmations de faits et les simples conclusions de droit n’ont pas à être considérées comme avérées puisqu’elles ne se conforment pas aux exigences des Règles 174, 175 et 181 des Règles (Mancuso c. Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 (CanLII), aux paras 17 et 20).
[8] La jurisprudence est constante voulant qu'une déclaration ne révèle aucune cause d’action valable lorsque la Cour n'a pas la compétence pour entendre ou trancher une réclamation (Horsman c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2023 CF 929 (CanLII), au para 13; Ebadi c Canada, 2022 CF 834 au para 26; Kakuev v. Canada, 2022 FC 1721 (CanLII), au para 15; (Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 (CanLII)), ou lorsque la demande constitue une contestation indirecte d’une ordonnance de la Cour qui à force de chose jugée entre les parties (Strickland v. Canada (Attorney General), 2013 FC 475 (CanLII), aux paras 41 à 47 et la jurisprudence qui y est citée).
II. La déclaration en cette instance
[9] Le 19 juin 2024, le demandeur a institué cette instance en déposant une déclaration au greffe. Le demandeur recherchait alors « un montant de 491 348,76 $ et l’annulation du montant de 24 600 $ au compte de la partie défenderesse en cause dans l’affaire entendu en Contrôle Judiciaire (Dossier T-2046-23) »
.
[10] La déclaration fait ensuite état de la chronologie de certains événements entre 1998 et le 28 septembre 2023, date à laquelle le demandeur a institué un recours en contrôle judiciaire en révision d’une décision de l’Agence de revenu du Canada (« l’ARC »
) en date du 10 mars 2022.
[11] Cette demande en contrôle judiciaire a été rejetée par l’ordonnance du juge Lafrenière en date du 10 juin 2024, publiée sous la citation 2024 CF 882. Le juge Lafrenière a écrit comme suit aux paragraphes 12 et 13 de sa décision :
[12] Il est certes regrettable qu’il y a eu en l’espèce un retard important à entamer le processus de vérification des demandes de prestations et que le demandeur se sente lésé. Il n’en demeure pas moins que la décision contestée n’est pas déraisonnable, puisqu’elle est intelligible et justifiée à la lumière des faits et du droit. Je ne vois aucune erreur justifiant l’intervention de cette Cour.
[13] J’ajoute, à titre indicatif, que le demandeur réclame un montant de 433 677,43 $ au défendeur comme dédommagement pour des préjudices extracontractuels subis à cause de pertes d’honoraires. Or, le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 ne permet pas à cette Cour d’octroyer des dommages-intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 aux para 26-27; Première Nation Huronne-Wendat c Canada, 2014 CF 91 au para 28; Canada (Procureur général) c Aéroports de Montréal, 2023 CF 1562 au para 151).
[12] Le demandeur plaide aux paragraphes 16 et 17 de sa déclaration dans l’instance courante, avec soulignements, italiques et caractères gras, comme suit :
16. À la lumière du jugement déposé par l’honorable juge, il est possible de lire au paragraphe 3, le signalement de l’acte illégal perpétré par l’ARC « Sur la foi de ses déclarations, les demandes pour les périodes 1 à 27 ont été acceptées par l’ARC, et ce, sans examen par un agent de validation de prestation ». Ceci représente un viol de l’article 7 de la loi PCRE « Le ministre verse la prestation canadienne de relance économique à la personne qui présente une demande en vertu de l’article 4 et qui y est admissible. »
17. L’acte illégal de l’ARC a généré d’importante perte financière pour le demandeur.
[13] Le paragraphe 3 de la décision du juge Lafrenière se trouve dans la partie de sa décision qui décrit le contexte de la demande plaidée devant lui.
III. Analyse
[14] La décision du juge Lafrenière du 10 juin 2024 n’a pas été portée en appel par le demandeur. La décision de la Cour et sa conclusion que la décision contestée de l’ARC que le demandeur n’avait pas droit aux prestations de la PCRE reçues suite à ses 27 premières demandes pour des prestations, ainsi que suite à sa 28e demande de prestation, a donc force de chose jugée entre les parties. Le demandeur plaide que la décision du juge Lafrenière fait état des 27 violations de l’article 7 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 (la « Loi »
) commis par l’ARC et que l’ARC a ensuite rectifié ces violations lors du traitement de sa 28e demande pour l’octroi d’une prestation. Le demandeur plaide de plus que ces violations constituent des violations de la Loi qui donnent lieu aux dommages qu’ils réclament ainsi qu’à la radiation de la confirmation des sommes dues par le demandeur à l’ARC qui ont été confirmées par le juge Lafrenière.
[15] L’argument présenté par le demandeur dans ses prétentions écrites en réponse à la requête du défendeur sont plus limpides et complets que les allégations contenues dans sa déclaration. Ceci étant, l’acte de procédure ici en cause est la déclaration du demandeur telle que rédigée et déposée, et non la déclaration telle qu’expliquée par le demandeur dans ses prétentions écrites.
[16] Quoi qu’il en soit, il est clair d’après la Cour suprême du Canada que la demande du demandeur doit être rejetée puisque la simple violation d’une loi ou d’une obligation légale par une agence de l’état, s’il est en, sur simple preuve d’une violation et d’un préjudice ne constitue pas un délit civil donnant lieu à un fondement pour l’octroi de dommages-intérêts (La Reine c. Saskatchewan Wheat Pool, 1983 CanLII 21 (CSC), [1983] 1 RCS 205, à la page 227). Le recours du demandeur est mal fondé en droit, ne présente pas de cause d’action valable et n’a aucune chance de succès.
[17] De plus, il est clair que la demande du demandeur constitue une contestation ou attaque indirecte d’une ordonnance de la Cour qui a force de chose jugée entre les parties en ce qui concerne la demande d’annulation du montant de 24 600 $ au compte du demandeur. La juge Gleason, telle qu’elle était alors, a bien résumé la théorie de la contestation indirecte comment il s’agit d’un abus de procédure dans Strickland v. Canada (Attorney General), 2013 FC 475 (CanLII), au para 43 comme suit :
[43] Tant les demandeurs que le défendeur renvoient à l’arrêt R c Wilson, 1983 CanLII 35 (CSC), [1983] 2 RCS 594, [1983] ACS n° 88 [Wilson] quant au critère applicable à la contestation ou attaque indirecte. La Cour suprême a déclaré dans cet arrêt (à la page 599) que [traduction] « l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement ». En vertu de la règle interdisant aux parties les contestations indirectes, l’ordonnance rendue par un tribunal ayant une compétence concurrente ne doit pas être remise en cause dans une autre instance, si ce n’est par la voie d’appel applicable à l’ordonnance [Wilson, à la page 599; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 20 [Danyluk]; Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c British Columbia (Human Rights Tribunal), 2011 CSC 52, au paragraphe 28 [Figliola]).
[18] La demande du demandeur constitue de toute évidence à sa face même une contestation indirecte de la décision du juge Lafrenière par rapport au compte du demandeur. Ce genre de contestation est inadmissible et constitue de l’abuse de procédure au sens de la Règle 221(1)(f) des Règles.
[19] La jurisprudence enseigne qu’un acte de procédure ne sera pas radié sans autorisation de le modifier, sauf dans les cas où il n’existe pas la moindre trace d’une cause d’action dans l’acte radié (McMillan c Canada, (1996) 108 FTR 32 [McMillan] et Sivak) (Al Omani c. Canada, 2017 CF 786 (CanLII), au para 37). Les vices qui entachent la déclaration du demandeur ne sont pas du genre ou d’une nature qui peuvent être rectifiés par des modifications aux allégations puisqu’aucune moindre trace d’une cause d’action valable y est plaidée.
[20] La requête de défendeur est alors bien fondée et est accordée.
1. La requête du demandeur est accordée.
2. La déclaration du demandeur est radiée en vertu des Règles 221(1)(a) et (f) des Règles, sans autorisation pour y effectuer des modifications curatives.
3. L’instance est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles.
4. Le demandeur doit payer les dépens de l’instance et de la requête au défendeur, lesquels dépends sont fixés en vertu de la Règle 400 des Règles à 500,00 $, tout inclus.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCAT(E)S INSCRIT(E)S AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1519-24
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ÉNONCÉ DE LA CAUSE :
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ÉRIC TREMBLAY c PROCUREUR GÉRÉNAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA, ONTARIO
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DATE DE L’AUDIENCE :
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31 OCTOBRE 2024 (PAR ÉCRIT)
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RAISONS DE L’ORDONNANCE :
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B.M. DUCHESNE, J.
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DATE :
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31 OCTOBRE 2024
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AVOCAT(E)S INSCRIT(E)S AU DOSSIER :
Éric Tremblay Lévis, Québec |
POUR LE DEMANDEUR
AUTO-REPRÉSENTÉ
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Me Maude Mercier
Procureur général du Canada
Montréal, Québec
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POUR LE DÉFENDEUR
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