Dossier : T‑2111‑16
Référence : 2024 CF 1447
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2024
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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SHERRY HEYDER
AMY GRAHAM
NADINE SCHULTZ‑NIELSEN
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demanderesses
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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et
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LA CAPORALE ELVIRA JASZBERENYI
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requérante
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le 25 novembre 2019, la Cour a autorisé un recours collectif engagé pour le compte d’hommes et de femmes qui ont été victimes d’inconduite sexuelle pendant qu’ils servaient dans les Forces armées canadiennes [FAC], qu’ils travaillaient au ministère de la Défense nationale [MDN] ou qu’ils faisaient partie du Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes (Heyder c Canada (Procureur général), 2019 CF 1477 [Heyder 1]. Le recours a été autorisé conformément à une entente de règlement définitive [ERD] négociée pour le compte des parties et approuvée par la Cour.
[2] L’ERD prévoyait une indemnisation financière globale maximale de 900 millions de dollars au moyen d’un processus de réclamation efficace et non contradictoire, assorti de nombreux changements systémiques et programmes (Heyder 1 au para 6). La période de réclamation s’est poursuivie pendant 18 mois après la mise en œuvre de l’ERD, cette période étant assortie de la possibilité d’une prolongation de 60 jours dans des circonstances exceptionnelles.
[3] Les membres du groupe qui souhaitaient s’exclure du recours collectif étaient tenus de le faire dans les 90 jours suivant l’autorisation du recours et l’approbation de l’ERD par la Cour. La date limite pour les exclusions était donc le 24 février 2020.
[4] La Cour a approuvé le plan de l’avis le 18 juillet 2019 (Heyder c Canada (Procureur général), 2019 CF 956). Les avis délivrés conformément à la phase I ont informé les membres du groupe qu’ils pouvaient s’exclure du recours s’ils ne souhaitaient pas être liés par l’ERD. La Cour a approuvé la phase II du Plan de l’avis le 25 novembre 2019. Les avis délivrés conformément à la phase II expliquaient une fois de plus aux membres du groupe leur droit de s’exclure du recours et ce que, de ne pas le faire, avait pour conséquences.
[5] Le 6 janvier 2023, la Cour a ordonné que les réclamations (aussi appelées « demandes ») tardives pouvaient être acceptées après la période de prolongation, à condition que les demandeurs établissent ce qui suit : 1) une intention constante de poursuivre l’affaire, 2) la demande était bien fondée, 3) le délai n’avait causé aucun préjudice, et 4) une explication raisonnable justifiait le délai (Heyder c Canada, 2023 CF 28 [Heyder 2]). La date finale pour accepter des demandes tardives était le 6 février 2023.
[6] La requérante est une ex‑membre des FAC visée par les définitions du groupe figurant dans l’ERD. Elle a déposé la présente requête en vue de s’exclure du recours collectif en décembre 2023, près de quatre ans après la date d’expiration prévue.
[7] L’ERD n’autorise pas la Cour à accorder une prolongation de délai aux membres du groupe pour s’exclure du recours collectif après le délai de 90 jours que prescrit l’ERD. Même si la Cour détenait effectivement ce pouvoir, la requérante n’a pas donné d’explication raisonnable pour justifier son retard ni établi que le défendeur ne subirait aucun préjudice si elle était autorisée à s’exclure du recours à ce stade tardif.
[8] La requête visant à obtenir l’autorisation de s’exclure du recours collectif est donc rejetée.
II. Le contexte
[9] La requérante allègue avoir été agressée sexuellement par un autre membre des FAC pendant qu’elle suivait un entraînement à la Base des Forces canadiennes Borden en 2018. Elle dit que l’enquête qu’a menée par la suite le Service national des enquêtes des Forces canadiennes a été insuffisante. En novembre 2018, elle a porté plainte auprès de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire [CEPPM], qui a rejeté la majeure partie de sa plainte, la considérant infondée. Elle a présenté une demande de contrôle judiciaire quant à la décision de la CEPPM, demande qu’elle a abandonnée en octobre 2022.
[10] La requérante n’a pas présenté de demande d’indemnisation aux termes de l’ERD avant la fin de la période des demandes tardives. Elle ne s’est pas non plus exclue du recours collectif avant le délai prescrit de 90 jours.
[11] La requérante soutient qu’elle a toujours eu l’intention d’engager une action civile contre le défendeur mais qu’elle s’était dit qu’elle attendrait la conclusion des poursuites criminelles avant de le faire. Son présumé agresseur a été inculpé, mais il lui reste encore à subir son procès. Elle dit qu’elle ignorait qu’il était nécessaire de s’exclure du recours collectif pour pouvoir préserver son droit d’engager une action individuelle.
[12] La requérante ne conteste pas avoir reçu l’avis de recours collectif dans le cadre de la phase I du Plan de l’avis. Elle reconnaît avoir peut‑être bien reçu l’avis dans le cadre de la phase II, mais elle dit que, à l’époque, elle surveillait son compte courriel des FAC et elle ne se souvient pas de l’avoir reçu. Elle ajoute que des problèmes de santé mentale et physique l’ont empêchée de saisir parfaitement les conséquences de l’avis qu’elle a reçu.
[13] La requérante a consulté un avocat, qui l’a avisée que l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC, 1985, c C‑50 empêcherait d’intenter une action civile individuelle contre le défendeur. Il l’a de plus avisée qu’une action civile contre son agresseur serait une démarche coûteuse, chronophage et stressante, qui ne déboucherait vraisemblablement pas à une indemnité appréciable. La requérante dit que son ancien avocat l’a encouragée à présenter une demande aux termes de l’ERD, mais qu’il ne lui a pas fait savoir qu’il lui fallait s’exclure du recours collectif si elle souhaitait engager une action individuelle contre le défendeur.
[14] La requérante a engagé une action civile contre son ancien avocat devant la Cour supérieure de l’Ontario en vue d’obtenir réparation pour les avis censément négligents qu’elle a reçus (Jasberenyi et al v Drapeau et al, dossier de la Cour no CV‑24‑00095135‑0000).
III. Les questions en litige
[15] La présente requête en autorisation de s’exclure du recours collectif soulève deux questions :
A.La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour permettre à des membres du groupe de s’exclure du recours collectif après l’expiration du délai de 90 jours que prescrit l’ERD?
B.Dans l’affirmative, faut‑il accorder à la requérante l’autorisation de s’exclure du recours collectif?
IV. Analyse
A. La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour permettre à des membres du groupe de s’exclure du recours collectif après l’expiration du délai de 90 jours que prescrit l’ERD?
[16] La fonction de surveillance judiciaire concernant l’administration d’une entente de règlement se limite à combler les lacunes ou à faire exécuter les modalités de l’entente. La cour qui exerce la fonction de surveillance n’a pas compétence pour modifier les modalités d’une entente à moins que l’entente ne lui confère expressément ce pouvoir. Une fois le règlement conclu, aucune disposition de l’entente ou de l’ordonnance d’approbation de l’entente de règlement ne peut être modifiée sans le consentement de toutes les parties; sinon, la disposition est invalide. (JW c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20 aux para 27, 31‑32, 35; Fontaine v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 103 au para 154; Gray v Great‑West Lifeco Inc, 2011 MBQB 13 aux para 48, 57‑80).
[17] Dans l’arrêt Waldron c Canada (Procureur général), 2024 CAF 2 [Waldron], une membre du groupe visé par la Convention de règlement relative aux externats indiens [CREI] souhaitait obtenir une ordonnance obligeant l’administrateur des demandes à examiner les documents supplémentaires qu’elle avait présentés au sujet des sévices dont elle avait été victime après le dépôt de sa demande d’indemnisation initiale, ainsi qu’à rehausser le niveau d’indemnisation auquel elle avait droit. Elle sollicitait également une déclaration reconnaissant que d’autres membres du groupe bénéficiaient d’un droit semblable. Le juge des requêtes a refusé d’accorder l’ordonnance sollicitée. La Cour d’appel fédérale (le juge Laskin) a confirmé la décision, décrétant ce qui suit (au para 84) :
[traduction]
[…] Il peut exister un droit implicite de modification dans certaines procédures judiciaires ou administratives (bien que je remarque que dans le premier cas, les Règles des Cours fédérales sont explicites et confère ce droit, et aussi, dans la plupart des cas, une autorisation est requise avant de pouvoir apporter des modifications : voir les articles 75, 76, 200 et 201 des Règles). Toutefois, le processus de réclamation prévu dans la CREI est un autre type de procédure; il est prescrit par un contrat, de sorte que les règles régissant les litiges ne s’appliquent pas. Si elle reconnaissait un droit implicite de modification, la CREI irait également à l’encontre des clauses de la « convention globale » et de l’« interdiction de modification sans le consentement des parties », et ignorerait le caractère contraignant de la convention et de son approbation judiciaire. De plus, cela priverait les règlements de recours collectif de toute certitude.
[18] La requérante invoque l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Première Nation de Salt River no 195 c Bande Tk'emlúps te Secwépemc First Nation, 2024 CAF 53 [Salt River] à l’appui de la thèse selon laquelle un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser un membre du groupe à s’inclure dans un recours collectif (et, par analogie, à s’en exclure) après l’expiration du délai prévu à cet effet. Cependant, dans cette affaire, la demanderesse souhaitait s’inclure dans le recours avant que la Cour approuve l’entente de règlement. Les intimés faisaient valoir que la compétence de la Cour à l’égard de l’audience d’approbation du règlement se limitait à approuver ou à rejeter l’entente de règlement qui était en vigueur et que, même si la Cour disposait des pouvoirs nécessaires, il serait inopportun d’ajouter la demanderesse au groupe à ce moment‑là (Salt River au para 25). La Cour d’appel fédérale (le juge Rennie) a critiqué la manière dont le juge des requêtes avait analysé les éléments de preuve et les arguments de la demanderesse, mais elle a fini par conclure qu’elle ne pouvait accorder aucune réparation utile. Cet arrêt est de peu d’utilité pour trancher la présente requête.
[19] Comme dans l’arrêt Waldron, l’ERD dont il est question en l’espèce comporte des clauses établissant l’interdiction de la modifier sans le consentement des parties et qu’elle constitue la globalité de l’entente :
19.04 Modifications
Sauf disposition contraire expresse dans la présente ERD, aucun modification ni complément ne peuvent être apportés aux dispositions de la présente ERD et aucune reformulation de la présente ERD ne peut être faite à moins que les parties n’y consentent, par écrit, et que la Cour n’approuve cette modification, ce complément, ou cette reformulation sans différence importante.
21.03 ERD globale
Sous réserve de l’article 19.04 sur les modifications, la présente ERD constitue l’entente globale entre les parties eu égard aux questions visées par les présentes et annule et remplace tout arrangement ou accord autre ou antérieur entre ou parmi les parties sur ces questions, y compris l’[accord de principe, daté du 15 mars 2019]. Il n’existe pas de représentation, garantie, modalité, condition, engagement, convention ou entente collatérale, expresse, implicite, ou statutaire entre ou parmi les Parties eu égard aux questions visées par les présentes, autres que ceux mentionnés expressément dans la présente ERD.
[20] La clause d’exclusion que prévoit l’ERD peut être mise en contraste avec la clause relative aux demandes tardives que la Cour a examinée dans la décision Heyder 2 :
7.08 Demandes individuelles tardives
[…] L’Administrateur n’acceptera aucune Demande individuelle aux fins d’un examen de fond plus de 60 jours après la Date limite de présentation des demandes individuelles sans l’autorisation de la Cour.
[21] La disposition relative aux demandes tardives interdit d’accepter les demandes présentées après le délai prescrit sauf avec « l’autorisation de la Cour »
. Toutefois, les parties n’ont pas conféré à la Cour le pouvoir discrétionnaire semblable d’autoriser des membres du groupe à s’exclure de l’ERD après l’expiration du délai prescrit (ERD, clauses 1.01; 3.06) :
1.01 Définitions
« Délai d’exclusion » s’entend de la période de quatre‑vingt‑dix (90) jours à partir de la Date d’approbation;
3.06 Processus et formulaire d’Exclusion
Les Membres du groupe qui désirent demander l’Exclusion peuvent le faire durant le Délai d’exclusion. […]
[22] Faire droit à la requête de la requérante serait un changement marqué par rapport aux clauses expresses de l’ERD. Dans leurs réflexions quant au délai d’exclusion de 90 jours, les parties ont vraisemblablement tenu compte du fait que les membres du groupe, par définition, auraient subi un certain degré de difficultés ou de traumatismes du fait d’avoir été victimes d’inconduite sexuelle.
[23] La Cour n’est donc pas habilitée à autoriser la requérante à s’exclure du recours collectif à cette étape tardive.
[24] Pour parer à l’éventualité où cette conclusion devait être erronée, je vais examiner la question de savoir si la requérante a satisfait au critère qui s’applique pour obtenir l’autorisation de s’exclure du recours collectif après l’expiration du délai prévu à cet effet.
B. Dans l’affirmative, faut‑il accorder à la requérante l’autorisation de s’exclure du recours collectif?
[25] Le paragraphe 334.21(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) dispose :
(1) Le membre peut s’exclure du recours collectif de la façon et dans le délai prévus dans l’ordonnance d’autorisation.
[26] Des membres du groupe ne peuvent s’exclure du recours collectif après un délai prescrit que dans des circonstances exceptionnelles, comme celles où il ressort de la preuve qu’ils n’ont pas pu décider de façon pleinement éclairée et de leur plein gré s’ils restaient ou non membres du groupe (Hébert c Wenham, 2020 CAF 186 au para 22).
[27] Dans l’arrêt Johnson v Ontario, 2022 ONCA 725 [Johnson], la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que [TRADUCTION] « [l]e droit d’exclusion est fondamental, non pas seulement pour un membre du groupe, mais aussi pour l’intégrité du régime des recours collectifs »
(au para 48). Néanmoins, [TRADUCTION] « les délais qu’imposent les tribunaux visent des fins particulières, doivent être pris au sérieux et donnent lieu à des conséquences »
(au para 51).
[28] Le critère établi dans l’arrêt Johnson découle d’une décision américaine : Re PaineWebber Limited Partnerships Litigation, 147 F (3d) 132 (2d Cir 1998), et il s’applique ainsi (Johnson au para 52) :
[traduction]
[…] le tribunal n’accorde une prolongation que dans les cas suivants : i) le temps mis à s’exclure est attribuable à une négligence excusable – de bonne foi et pour un motif raisonnable – et ii) le tribunal a examiné si le fait d’autoriser l’exclusion tardive ne causera aucun préjudice aux membres du groupe participants, au défendeur ou à l’intégrité du processus.
[29] Le critère [TRADUCTION] « met en balance, d’une part, l’importance du droit de s’exclure et, d’autre part, l’importance du fait que le tribunal a ordonné un délai pour le faire »
(Johnson au para 46). Et, toujours selon la Cour, dans l’arrêt Johnson (au para 51) :
[traduction]
Si aucun délai n’avait été ordonné, ou s’il était possible de le contourner, d’en faire abstraction cavalièrement ou de le considérer stratégiquement comme une invitation à « attendre et voir ce qui va se passer » […] ces questions seraient une cible incertaine et mobile, susceptible de porter préjudice, d’une part, aux personnes responsables du recours collectif, qui ont à décider de quelle manière le conduire pour le compte des membres du groupe participants, et, d’autre part, aux défendeurs, qui ont à décider de quelle manière y répondre. [Note de bas de page omise.]
[30] Le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Johnson porte que le temps mis à s’exclure doit être attribuable à de la négligence excusable et que les actes ou les omissions du demandeur ont été faits de bonne foi et pour un motif raisonnable.
[31] La requérante dit avoir sincèrement cru, par erreur peut‑être, qu’elle devait attendre l’issue de la poursuite criminelle intentée contre son agresseur avant d’engager une action civile, en partie à cause d’avis obtenus de son ancien avocat, selon qui elle risquait d’avoir l’air [TRADUCTION] « cupide »
si elle témoignait au procès criminel contre son agresseur tout en poursuivant une action civile. Elle avait l’impression que si elle ne présentait pas une demande aux termes de l’ERD, elle conserverait ainsi le droit d’engager une action individuelle. Ni le MDN ni son ancien avocat ne lui ont dit le contraire.
[32] La requérante affirme également que l’agression sexuelle a porté atteinte à son état de santé physique et mentale. Elle dit que certains aspects de la conduite du MDN ont pu exacerber son état et qu’ils peuvent servir de motifs supplémentaires pour l’autoriser à s’exclure tardivement du recours (citant Robinson v Rochester Financial Limited, 2012 ONSC 911 au para 11). Elle signale que son action civile ne serait soumise à aucun délai de prescription légal (citant les al. 16(1)h)‑h.3) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario, L.O. 2002, chap. 24, annexe B).
[33] Dans l’affaire Johnson, un membre du groupe a obtenu l’autorisation de s’exclure tardivement parce qu’il avait été incarcéré pendant toute la durée du délai d’exclusion et qu’il n’avait pas reçu l’avis requis. Dans la présente affaire, la requérante reconnaît avoir reçu l’avis lié à la phase I, mais elle ne se souvient pas d’avoir reçu l’avis lié à la phase II. Elle dit que les annonces radiodiffusées par le défendeur en anglais et en français ne mentionnaient pas qu’il était nécessaire de s’exclure du recours collectif avant de pouvoir poursuivre une action individuelle, mais aucune preuve ne montre qu’elle ait entendu quoi que ce soit à la radio au sujet du recours collectif. En tout état de cause, le défendeur dit que le caractère suffisant du plan de l’avis doit être évalué de manière holistique et que la requérante a bel et bien reçu l’avis requis.
[34] De plus, la requérante a été représentée par un avocat pendant toute la période pertinente. Elle a parlé avec lui de différentes avenues juridiques, dont celle de déposer une demande aux termes de l’ERD. Elle a porté plainte auprès de la CEPPM et a cherché à soumettre à un contrôle judiciaire le rejet ultérieur de sa plainte. Elle a lancé une poursuite criminelle privée et a ensuite demandé l’annulation d’une interdiction de publication après que le procureur général de l’Ontario eut assumé la responsabilité de la poursuite.
[35] Même si la requérante a peut‑être reçu des avis incomplets, elle bénéficiait de [TRADUCTION] « renseignements facilement accessibles sur les avantages possibles du recours collectif par le truchement de l’avis d’autorisation approuvé par le tribunal »
(1250264 Ontario Inc v Pet Valu Canada Inc, 2013 ONCA 279 au para 71). Le défendeur signale que la requérante n’a fourni aucun dossier ou rapport médical pour corroborer ses problèmes de santé physique ou mentale pendant la période pertinente.
[36] Aux dires du défendeur, le processus d’exclusion n’était pas compliqué. Il consistait à cocher quatre cases sur un formulaire pour confirmer que l’on était membre du groupe et que l’on était au courant des conséquences d’une exclusion. Le formulaire pouvait être transmis par la poste ou par courriel et l’administrateur était à disposition pour répondre à toute question des requérants ou de leur avocat.
[37] Je conviens avec le défendeur que les circonstances de la requérante ne sont pas très différentes de celles de nombreux autres membres du groupe, et qu’elles ne sont ni exceptionnelles ni excusables. Les genres d’épreuves subis n’étaient pas uniques au cas de la requérante; elles ont été subies par des membres du groupe. Les parties en étaient parfaitement conscientes lorsqu’elles ont négocié l’ERD. Cette conscience se reflète dans le processus confidentiel et non confrontationnel de traitement des demandes qui a été expressément conçu pour éviter toute retraumatisation.
[38] L’un des objectifs d’un recours collectif est l’économie des ressources judiciaires (Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46 au para 27). Il en découle forcément que l’on impose des délais raisonnables tant au chapitre des demandes qu’à celui des exclusions. Assouplir les délais en fonction des priorités et des préoccupations de requérants particuliers ferait échec au principe de l’économie des ressources judiciaires.
[39] La requérante n’a pas non plus montré que le défendeur ne subira aucun préjudice si la requête est accueillie. Autoriser la requérante à s’exclure à ce stade tardif lui permettra d’éviter l’effet exécutoire de l’ERD, ce qui inclut l’approbation par la Cour de la quittance complète et définitive. Accorder cette autorisation privera le défendeur du caractère définitif que promet l’ERD. L’accorder portera également préjudice [TRADUCTION] « aux responsables du recours collectif qui doivent décider de quelle manière le conduire pour le compte des membres du groupe participants »
, de même qu’à l’administration de la justice (Johnson au para 51).
[40] Dans la décision Romeo v Ford Motor Co, 2019 ONSC 1831, le juge Edward Morgan, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a rejeté la requête de cinq membres qui souhaitaient s’exclure d’un recours collectif après l’expiration du délai prévu à cet effet. Il vaut la peine de réitérer ici ses commentaires (aux para 20‑21) :
[traduction]
Je comprends le point de vue de ces personnes et je reconnais que, si l’on considère un cas isolément, le fait de passer outre au délai et d’autoriser l’exclusion reste peu coûteux. Cependant, comme l’a fait remarquer l’avocat, une mesure de cette nature a des ramifications jurisprudentielles. Si l’on peut autoriser un assouplissement du délai pour une semaine ou deux, pourquoi pas, dans ce cas, pour un mois ou deux, voire pour une année ou deux, à condition que la personne qui en fasse la demande allègue de bonne foi qu’elle ignorait auparavant l’existence du règlement? Or, ce serait d’une lourdeur excessive pour l’administration des demandes, mais, en même temps, il n’y a aucune raison logique pour laquelle il faudrait faire une distinction entre ces demandes tardives et les cinq donc je suis saisi.
Il s’agit ici d’une affaire dans laquelle tous les membres potentiels du groupe étaient connus des défenderesses, et ces dernières ont donné accès à l’administrateur des demandes à leurs banques de données afin de s’assurer que chacun recevait un avis l’informant du règlement. Le seul moyen véritablement logique de traiter de la question de l’exclusion de membres du groupe est de faire respecter le délai pour tous les demandeurs. Si l’on ne peut faire abstraction de la date limite pour tous, on ne peut le faire pour personne.
[41] Les parties conviennent que rien dans l’ERD n’empêche la requérante de présenter une demande d’indemnités ou de prestations sous le régime de la Loi sur les pensions, LRC 1985, P‑6 ou de la Loi sur le bien‑être des vétérans, LC 2005, c 21.
V. Conclusion
[42] La requête de la requérante en vue d’obtenir l’autorisation de s’exclure du recours collectif est rejetée.
[43] Conformément au paragraphe 334.39(2) des Règles, aucuns dépens ne sont adjugés.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête de la requérante en vue d’obtenir l’autorisation de s’exclure du recours collectif est rejetée, sans dépens.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑2111‑16
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INTITULÉ :
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SHERRY HEYDER, AMY GRAHAM et NADINE SCHULTZ‑NIELSEN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LA CAPORALE ELVIRA JASZBERENYI, REQUÉRANTE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 SEPTEMBRE 2024
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 13 SEPTEMBRE 2024
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COMPARUTIONS :
Marilyn Venney
Julie De Marco
Sara Quinn‑Hogan
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POUR LE DÉFENDEUR
|
Guy Lavergne
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POUR LA REQUÉRANTE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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Guy Lavergne
Avocat
Saint‑Lazare (Québec)
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POUR LA REQUÉRANTE
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