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Date : 20240925


Dossier : IMM-7130-23

Référence : 2024 CF 1510

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SEBASTIAN FELIPE SEPULVEDA VENEGAS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Sebastian Felipe Sepulveda Venegas, est un citoyen du Chili. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 17 mai 2023 [Décision] dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SPR] a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR a rejeté la demande de M. Sepulveda Venegas en raison de son manque de crédibilité et de ses omissions et incohérences sur des points centraux de sa demande. Elle a aussi conclu que la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas n’avait pas un minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) de la LIPR.

[2] M. Sepulveda Venegas soutient que la SPR aurait erré en accordant trop d’importance aux incohérences entre la preuve au dossier et son témoignage et en concluant à l’absence de fondement minimal de sa demande d’asile.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Sepulveda Venegas sera rejetée. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, la Cour ne voit aucune raison d’infirmer la Décision. Les lacunes dans la preuve soumise par M. Sepulveda Venegas et les incohérences répétées dans son témoignage soutiennent raisonnablement les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité. Les motifs de la SPR possèdent donc les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il en va de même pour les conclusions de la SPR sur le caractère manifestement infondé de la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Sepulveda Venegas est un homme homosexuel originaire de Santiago, la capitale du Chili. Il allègue avoir souffert de discrimination en public au Chili et dans son milieu de travail, et avoir été victime de deux agressions en raison de son orientation sexuelle.

[5] M. Sepulveda Venegas affirme avoir été victime de discrimination pendant plus d’une décennie en raison de son orientation sexuelle, que ce soit à l’école, au travail ou même à la maison lorsqu’il habitait chez ses parents.

[6] En 2018, près du métro San Miguel à Santiago, M. Sepulveda Venegas et son partenaire de l’époque auraient été agressés par un groupe de néonazis parce qu’ils marchaient main dans la main.

[7] En novembre 2019, le Chili traversait une période de troubles politiques. Des couvre-feux étaient en vigueur et des soldats patrouillaient dans les rues. Durant cette période, M. Sepulveda Venegas aurait été assailli dans la rue par des soldats chiliens, alors qu’il magasinait. Dans son formulaire de « Fondement de la demande d’asile » [FDA], il raconte que des soldats chiliens l’auraient insulté en le traitant de « tapette », l’auraient rattrapé alors qu’il s’enfuyait en courant et l’auraient battu jusqu’à ce qu’il perde conscience.

[8] Après son altercation avec les soldats, M. Sepulveda allègue dans son FDA qu’il a tenté de porter plainte auprès de la police. Cependant, la police aurait refusé d’agir parce qu’elle travaillait avec l’armée en raison de la crise politique.

[9] Au fil des ans, M. Sepulveda Venegas a fait de nombreux voyages hors du Chili : au Pérou en février 2017, en Bolivie en mars 2017, au Canada en 2018, en Espagne en 2021 et en République dominicaine en juin 2022. Lors de ces voyages, il n’a jamais présenté de demande d’asile auprès des pays susmentionnés.

[10] Du 1er octobre 2021 au 22 juin 2022, M. Sepulveda Venegas travaillait dans un magasin de détail au Chili. Pendant son travail, son patron le harcelait quotidiennement, lui demandant d’agir de manière plus virile et lui disant que son travail n’était pas fait pour les homosexuels. Ces incidents de harcèlement l’ont finalement conduit à démissionner.

[11] À la suite de nouveaux incidents de discrimination au travail, M. Sepulveda a décidé de quitter le Chili et a demandé l’asile au Canada le 20 septembre 2022.

B. La Décision de la SPR

[12] Dans des motifs exhaustifs, la SPR a conclu à une absence de crédibilité générale du témoignage de M. Sepulveda Venegas et ce, pour plusieurs raisons.

[13] Premièrement, la SPR a remarqué que le témoignage oral de M. Sepulveda Venegas sur l’incident de novembre 2019 était fondamentalement différent de ce qu’il prétendait être arrivé dans son FDA. Contrairement à son récit dans son FDA, M. Sepulveda Venegas a témoigné à l’audience qu’il avait réussi à échapper aux soldats chiliens — il n’aurait donc pas été battu jusqu’à s’évanouir — et qu’il était d’avis que les soldats croyaient qu’il était communiste (et non homosexuel). Il a aussi témoigné qu’il n’a pas porté plainte à la police, alors que son FDA indiquait le contraire. Confronté à ces importantes contradictions, il n’a pas fourni des explications satisfaisantes et a plutôt modifié à nouveau son récit.

[14] Deuxièmement, la SPR a souligné que le comportement de M. Sepulveda Venegas était incompatible avec sa crainte alléguée en ce qu’il a attendu trois ans après l’événement de novembre 2019 avant de quitter le Chili. Plus encore, depuis ce fâcheux événement, il a voyagé à plusieurs occasions à l’extérieur de son pays sans jamais demander l’asile et est toujours retourné au Chili nonobstant ses allégations de crainte de persécution. Encore une fois, la SPR a jugé insuffisantes les explications fournies par M. Sepulveda Venegas à ce sujet.

[15] La SPR a également conclu à une absence de minimum de fondement en vertu de l’article 107(2) de la LIPR, puisqu’il n’y avait aucun document crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour accueillir la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas. D’une part, les documents personnels déposés en preuve (soit un rapport psychologique, une lettre d’une membre de la communauté LGBTQ au Chili, une lettre d’une ancienne collègue de travail de M. Sepulveda Venegas et un rapport médical avec des photos) ne suffisaient pas pour contrebalancer les conclusions négatives de crédibilité à l’égard de M. Sepulveda Venegas et ne pouvaient prouver les faits allégués au soutien de la demande d’asile. D’autre part, la preuve documentaire objective sur la situation de la communauté LGBTQ au Chili ne pouvait en soi fonder la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas. Aux dires de la SPR, il y a certes des cas de violence à l’encontre des personnes LGBTQ au Chili, mais la preuve démontrait que ces dernières bénéficient de protections juridiques et que le gouvernement chilien veille à leur application.

 

C. La norme de contrôle

[16] Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique en ce qui regarde les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ou d’absence d’éléments de preuve suffisants pour établir le fondement d’une demande d’asile (Mokoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 815 au para 12 [Mokoko]; Regala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 192 au para 5; Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 17; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 13).

[17] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui fixé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[18] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64 ; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[19] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60 ; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57 ; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[20] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[21] M. Sepulveda Venegas soutient que la SPR aurait erré dans l’analyse de sa crédibilité en tirant des inférences exagérées sur la seule base de l’agression de novembre 2019 et en minimisant ainsi la gravité des autres incidents, en lui reprochant de ne pas avoir demandé l’asile lors de ses voyages dans d’autres pays, et en ne retenant pas ses explications fournies pour justifier son comportement. Plus spécifiquement, il affirme qu’il ne revient pas à la SPR d’effectuer sa propre appréciation de la gravité des événements de son récit afin de déterminer lesquels s’avèrent plus graves que d’autres. Il plaide aussi que le défaut de demander la protection d’un autre pays n’est pas déterminant et qu’il fallait tenir compte de ses explications sincères.

[22] M. Sepulveda Venegas maintient aussi que seules les conclusions erronées sur son manque de crédibilité ont permis à la SPR de conclure à l’absence de minimum de fondement de sa demande, ce qui l’a indûment privé d’un droit d’appel. Or, il aurait présenté des documents personnels soutenant son narratif ainsi que de la preuve documentaire objective exposant la persécution vécue par les personnes LGBTQ au Chili.

[23] Avec égards, les arguments de M. Sepulveda Venegas n’ont aucun mérite.

[24] Comme l’a bien fait valoir le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre], il est bien acquis que la SPR peut tirer des inférences négatives eu égard à la crédibilité lorsqu’un demandeur d’asile présente de la preuve contradictoire ou invraisemblable sur les points centraux de sa demande d’asile. C’est le cas en l’espèce en ce qui a trait au récit fondamentalement contradictoire de M. Sepulveda Venegas sur l’événement de novembre 2019, son délai à quitter définitivement le Chili, ses divers voyages hors du pays sans jamais demander l’asile dans les pays visités, et ses retours répétés au Chili malgré sa crainte de persécution. Qui plus est, il n’y avait aucune preuve documentaire crédible qui pourrait fonder une décision positive.

A. La Décision de la SPR sur la crédibilité est raisonnable

[25] Bien que les demandeurs d’asile soient présumés dire la vérité, le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à réfuter cette présomption, notamment « lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication fournie par le demandeur pour [ses] incohérences » (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 21 [Lawani], citant Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19). Il est bien connu que la SPR est habituellement mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, puisqu’elle a l’avantage d’entendre son témoignage (Lawani au para 22, citant Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595 au para 10). De plus, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions sur des éléments fondamentaux de la demande d’asile peut être suffisante pour appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur (Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 au para 56, citant Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 au para 19; Lawani au para 22).

[26] À la lumière de ces principes, la Cour est d’avis que les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Sepulveda Venegas sont tout à fait raisonnables. Lorsqu’analysées cumulativement, les nombreuses contradictions et incohérences de M. Sepulveda Venegas étaient amplement suffisantes pour mener à une conclusion générale de non-crédibilité.

[27] En premier lieu, les contradictions relatives à l’événement de novembre 2019 sont majeures et touchent au cœur de la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas. Comme le note la Décision, lorsque la SPR l’a confronté sur ce sujet, M. Sepulveda Venegas a été incapable de donner une explication adéquate et a tout bonnement modifié à nouveau son narratif. La SPR s’est exprimée comme suit dans la Décision :

[54] Le demandeur a essentiellement présenté trois versions différentes du même événement :

a) les soldats lui ont demandé ce qu’il faisait ici, l’ont poussé et le demandeur d’asile s’est ensuite échappé ; (témoignage oral)

b) les soldats lui ont lancé des insultes homophobes, l’ont poursuivi, l’ont rattrapé et l’ont battu jusqu’à ce qu’il perde connaissance ; (récit écrit)

c) les soldats l’ont poussé, il a perdu connaissance, il s’est réveillé d’une manière ou d’une autre et il s’est ensuite échappé en courant. (témoignage oral)

[55] Le témoignage oral du demandeur était évolutif, intrinsèquement incohérent et extrinsèquement incohérent par rapport à ses allégations écrites. Ses explications n’ont pas résolu ces problèmes, mais les ont aggravés.

[…]

[57] Enfin, j’ai demandé à deux reprises au demandeur d’asile s’il avait signalé cette prétendue agression à la police. Les deux fois, il a déclaré sans équivoque qu’il ne l’avait pas fait.

[58] J’ai alors fait remarquer au demandeur que son FDA et son récit disaient le contraire ;

[…]

[60] Le demandeur a ensuite modifié son témoignage. Il dit maintenant qu’il ne s’est pas adressé à la police, mais qu’il est allé voir l’armée pour qu’elle fasse quelque chose. [TRADUCTION]

[28] Dans son mémoire, M. Sepulveda Venegas tente d’expliquer les contradictions en avançant qu’il s’est simplement mal exprimé et qu’il considérait qu’il s’agissait de « détails insignifiants ». Avec égards, les questions de savoir si les soldats l’ont attaqué ou non et si c’était à cause de son homosexualité sont cruciales, car sa demande d’asile est fondée sur une crainte de persécution en raison de son orientation sexuelle. Par conséquent, les contradictions sont graves et sèment un doute sérieux eu égard au récit de M. Sepulveda Venegas.

[29] En deuxième lieu, comme le souligne correctement la SPR, le délai pour quitter son pays d’origine et présenter une demande d’asile peut constituer un facteur important pour apprécier la crédibilité bien que, dans certaines circonstances, ce délai peut, à lui seul, justifier un constat d’absence de crédibilité (Ndoungo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 541 aux para 21–23 [Ndoungo]; Guarin Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1092 aux para 19–21; Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923 au para 28). Ainsi, la Cour a noté que « le retard peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande. Cela dépendra en fin de compte des faits de l’affaire » [soulignements ajoutés] (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988 au para 14).

[30] En l’espèce, la SPR a soulevé qu’après l’incident de novembre 2019, M. Sepulveda Venegas est resté au Chili pendant trois ans avant de demander l’asile au Canada. À l’audience, il a expliqué qu’il est demeuré au Chili parce que « ces attaques ne signifiaient rien pour lui » et qu’il est venu au Canada parce que ses collègues de travail se moquaient de son orientation sexuelle. À l’instar de la SPR, la Cour ne peut accepter un tel raisonnement. Il est certainement humiliant de se faire harceler au travail sur la base de son homosexualité. La discrimination au travail liée à l’orientation sexuelle est malheureusement un fléau commun à plusieurs pays, y compris le Canada. Cependant, être battu par des soldats — ou même pourchassé, si l’on tient compte d’une autre version du récit de M. Sepulveda Venegas — est un incident objectivement plus traumatisant. Il convient de noter qu’en adoptant ce point de vue, la SPR ne minimisait pas la gravité de la discrimination subie au travail par M. Sepulveda Venegas. Elle a simplement conclu que ce dernier n’était pas crédible.

[31] En troisième lieu, M. Sepulveda Venegas a raison d’affirmer que le défaut de demander l’asile dans le premier pays possible n’est pas toujours un critère suffisant pour refuser une demande d’asile. En revanche, les explications de M. Sepulveda Venegas sur ses multiples voyages sans jamais demander l’asile ne sont pas raisonnables. Dans un tel cas, il était tout à fait loisible à la SPR d’en inférer qu’un tel comportement minait sa crédibilité (Mokoko aux para 25–26; Ndoungo au para 23).

[32] À titre d’exemple, après avoir été prétendument battu par des néonazis, M. Sepulveda Venegas est parti en vacances au Canada pendant presque cinq mois. Devant la SPR, il a prétendu qu’il ignorait pouvoir demander l’asile au Canada. Cet argument est dénué de bon sens. La Cour souscrit à l’opinion de la SPR selon laquelle M. Sepulveda Venegas, un jeune homme ayant fait des études universitaires, aurait pu faire une simple recherche sur Internet pour s’informer sur le processus de demande d’asile au Canada. Plus encore, dans son mémoire devant la Cour, M. Sepulveda Venegas tente de rationaliser ses voyages en affirmant qu’il croyait sincèrement que la situation des personnes LGBTQ dans les pays visités n’était pas meilleure qu’au Chili.

[33] En dernier lieu, de 2017 à 2022, M. Sepulveda Venegas est systématiquement retourné au Chili après chacun de ses voyages à l’étranger. Comme l’a reconnu la SPR dans la Décision, une nouvelle réclamation de la protection de l’État indique généralement une absence de risque ou de crainte subjective. À défaut de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des lieux de refuge pour retourner dans des lieux où leur sécurité personnelle est menacée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 para 64, citant Ortiz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346, au para 8). Ici, M. Sepulveda Venegas n’a pas offert d’explication plausible en ce qui a trait à ses multiples retours au Chili.

[34] Les conclusions d’absence de crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR. Comme cette Cour l’a réitéré maintes fois, la crédibilité est « une question de fait au cœur de l’expertise de la SPR » et « les conclusions de crédibilité formulées par la SPR attirent une déférence considérable » (Mokoko au para 34; Mbuyamba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 918 au para 28, citant Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 au para 36 et Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 aux para 31–32). Dans le présent dossier, la SPR a fourni des motifs étoffés et rigoureux dans lesquels elle a analysé la preuve en détail avant de conclure au manque de crédibilité de M. Sepulveda Venegas. En somme, les arguments avancés par ce dernier pour attaquer les conclusions de la SPR sur son manque de crédibilité se résument à un désaccord avec le poids accordé à la preuve et l’interprétation retenue par le décideur. Or, il est bien établi qu’un tel désaccord ne suffit pas pour justifier l’intervention de la Cour.

B. La SPR a raisonnablement conclu que la demande d’asile n’avait pas un minimum de fondement

[35] Même si elle avait raisonnablement jugé que M. Sepulveda Venegas n’était pas crédible, la SPR a tout de même entrepris une analyse de l’ensemble de la preuve documentaire disponible au dossier. Il s’agit de la démarche appropriée, car la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre le fait de déclarer automatiquement qu'une demande n’a aucun minimum de fondement chaque fois qu’elle conclut que le demandeur n’est pas un témoin crédible (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 au para 51 [Rahaman]). Néanmoins, il est bien établi que le manque de crédibilité peut entacher d’autres éléments de preuve de la demande d’asile et éroder la crédibilité de ceux‑ci (Mokoko au para 21; Lawani au para 24).

[36] En vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR, lorsqu’un demandeur ne présente aucun élément de preuve crédible ou digne de foi qui aurait pu fonder une décision favorable, la SPR doit conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande (Aboubeck c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 370 au para 15, citant Rahaman au para 51; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 19). C’est le cas ici. En effet, les documents personnels soumis, mêmes cumulés avec la preuve documentaire objective, ne suffisent pas pour appuyer la demande de statut de réfugié logée par M. Sepulveda Venegas.

[37] Comme l’a bien fait valoir l’avocat du Ministre lors de l’audience devant la Cour, le paragraphe 107(2) de la LIPR a une double dimension. Il exige la présence d’éléments de preuve qui soient, d’une part, crédibles ou dignes de foi et, d’autre part, capables de fonder une décision favorable de la SPR sur la demande d’asile. Il est manifeste que le dossier de M. Sepulveda Venegas ne satisfait à ni l’une ni l’autre de ces exigences.

[38] Dans la Décision, la SPR a procédé à un examen méthodique, transparent et exhaustif de la documentation personnelle soumise par M. Sepulveda Venegas et de la preuve documentaire objective. La SPR était d’abord libre de juger que les documents personnels ne pouvaient ni surmonter les conclusions négatives de crédibilité de M. Sepulveda Venegas ni étayer les points centraux de la demande d’asile, puisqu’ils avaient peu de poids :

  • Le rapport psychologique présenté n’indique pas les qualifications de l’auteure. Ce défaut justifie à lui seul le rejet du rapport (Khan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 309 au para 14).

  • La lettre de la membre de la communauté LGBTQ au Chili n’explique pas comment l’auteure a appris que M. Sepulveda Venegas a été battu par un groupe de néonazis.

  • La lettre de l’ancienne collègue de M. Sepulveda Venegas attestait crédiblement qu’elle a vu ce dernier se faire humilier au travail en raison de son homosexualité. Toutefois, la lettre ne démontre pas en quoi l’incident de discrimination atteint le niveau de la persécution. Pour constituer de la persécution, la discrimination « doit être grave et répétée et doit occasionner de graves conséquences pour l’individu » (Noel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1062 aux para 29–30).

  • M. Sepulveda Venegas a présenté un rapport médical et des photos de blessures de traumatisme facial. La date du rapport correspond à peu près à celle de l’agression supposée par des néonazis. Cela dit, ni le rapport médical ni les images ne permettent de savoir comment les blessures ont été subies.

[39] En ce qui concerne la preuve documentaire objective, la SPR a judicieusement observé que le Cartable national de documentation pour le Chili établit clairement que la communauté LGBTQ au Chili jouit des droits légaux au mariage, à l’adoption, à l’égalité ainsi qu’à la protection contre le harcèlement, la violence et la discrimination dans les soins de santé, l’éducation, l’emploi et le logement. Bien entendu, cela ne veut pas dire que les personnes LGBTQ ne subissent aucune discrimination ou violence au Chili. Cependant, lorsqu’elles le sont, elles jouissent de protections juridiques et le gouvernement chilien veille à ce qu’elles soient respectées. Par exemple, la loi dite de Zamudio prévoit une cause d’action que les victimes de harcèlement ou de discrimination en raison de leur orientation sexuelle peuvent utiliser contre l’État ou des parties privées.

[40] Ainsi, aucun élément de preuve n’aurait pu permettre à la SPR de rendre une décision favorable sur la demande de protection de M. Sepulveda Venegas (Rahaman au para 30; Mokoko aux para 36–37; Nezerali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1375 aux para 25, 28). En résumé, M. Sepulveda Venegas a été incapable de faire valoir un argument ou une preuve solide permettant de contester le caractère raisonnable des conclusions de la SPR sur l’absence de minimum de fondement.

[41] La Cour ajoute que, contrairement à la situation qui prévalait dans plusieurs des décisions citées par l’avocate de M. Sepulveda Venegas, la SPR n’a aucunement confondu ou brouillé ses analyses de l’absence de crédibilité et de minimum de fondement. Bien au contraire, ces deux analyses étaient distinctes et séparées.

IV. Conclusion

[42] Pour les motifs qui précèdent, la demande de M. Sepulveda Venegas est rejetée. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, la Cour ne décèle rien d’irrationnel dans la Décision. Les contradictions répétées dans le témoignage de M. Sepulveda Venegas soutiennent raisonnablement la conclusion de manque de crédibilité générale formulée par la SPR, et les motifs de la Décision possèdent les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable. Il en va de même pour les conclusions de la SPR sur le caractère manifestement infondé de la demande d’asile de M. Sepulveda Venegas en raison des lacunes dans sa preuve documentaire personnelle et de la preuve documentaire objective, lesquelles ne permettent pas de conclure que M. Sepulveda Venegas est victime de discrimination atteignant le niveau de la persécution. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

[43] Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et la Cour convient qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-7130-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7130-23

INTITULÉ :

SEBASTIAN FELIPE SEPULVEDA VENEGAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SEPTEMBRE 2024

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 25 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Me Chanez Ikhlef

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Bruno-Olivier Bureau

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Compagnie Waice Ferdoussi Avocat

Montréal(Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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