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Date : 20240920


Dossier : IMM-8075-22

Référence : 2024 CF 1477

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2024

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE :

AMADOU DIAGNE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Amadou Diagne [demandeur] demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 14 juillet 2022 de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] laquelle avait conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité en tant que citoyen de la Mauritanie en raison de problèmes de crédibilité de son témoignage en vertu des articles 106 et 107 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR]. La SAR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II. Faits

[3] Le demandeur allègue être un citoyen de la Mauritanie qui craint d’être persécuté par les autorités mauritaniennes puisqu’il appartient au groupe des Afro-Mauritaniens et qu’il serait de l’ethnie peulh. Les allégations du demandeur telles que formulées dans son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA] sont principalement qu’il serait né en 1973 en Mauritanie, et qu’il y aurait vécu jusqu’en 1987, car sa famille et lui ont été forcés de quitter à cause des persécutions qu’ils vivaient. Le demandeur avance qu’il a pris la fuite avec sa famille vers le Sénégal. À partir des années 2000, le demandeur a vécu aux États-Unis après l’obtention d’un visa, puis il demanda l’asile et s’installa à Cincinnati, Ohio. Suite à la nouvelle présidence du Président Donald Trump et conscient de son statut illégal dans ce pays, le demandeur décida de se rendre au Canada pour « sauver » sa vie.

[4] Le 31 juillet 2018, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a intercepté le demandeur alors qu’il avait traversé la frontière entre les États-Unis et le Canada. Le demandeur leur avoue que, pour arriver aux États-Unis, il a utilisé un passeport de la Mauritanie appartenant à une autre personne qui lui ressemblait. Dans la mesure où l’ASFC était au courant qu’une tendance existait à l’effet que des citoyens sénégalais prétendaient d’être mauritaniens afin de faciliter leur demande d’asile, l’ASFC décida d’appeler la femme (Lala Yemina NDIAYE) et la fille (Faty Abou DIAGNE) du demandeur au Sénégal afin de confirmer les informations que ce dernier leur avait communiquées. Quand les agents ont posé une question sur le lieu de naissance du demandeur, elles n’ont pas pu donner une réponse claire: « They said either on the border between Senegal and Mauritania or in Ouro Madiou, their village in Senegal ». Par la suite, le demandeur a demandé l’asile au Canada.

[5] Le 14 mars 2022, après un examen du dossier au complet, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas pu démontrer son identité principalement parce que sa crédibilité a été minée. Vu toutes les contradictions, la SPR a déterminé que sa déclaration de naissance n’était pas une preuve suffisante à elle seule pour confirmer son identité.

[6] Insatisfait avec la conclusion de la SPR, le demandeur interjette appel de cette décision alléguant que la SPR a erré dans son évaluation de la preuve qui aurait dû établir l’identité du demandeur. Le demandeur allègue aussi que la SPR a omis de considérer la preuve qui démontre la situation particulière des défis que les Afro-Mauritaniens subissent pour obtenir des documents officiels des autorités mauritaniennes.

III. Décision sous contrôle judiciaire

[7] La SAR a examiné l’ensemble de la preuve, incluant l’écoute de l’audience du 3 mars 2022, et a pris en compte le profil du demandeur et le contexte particulier des citoyens Afro-Mauritaniens et des difficultés qu’ils peuvent rencontrer pour établir leur identité. La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que le demandeur n’a pas établi son identité par des documents acceptables. Bien que la preuve documentaire sur les Afro-Mauritaniens ait été acceptée et que la déclaration de naissance du demandeur ait été jugée authentique en absence de preuve contraire, les problèmes de crédibilité du demandeur dépassent le poids de la déclaration de naissance soumise en preuve. Par ailleurs, les autres preuves documentaires ne suffisent pas à établir l’identité du demandeur selon la prépondérance des probabilités.

A. L’authenticité de la déclaration de naissance des autorités mauritaniennes

[8] La SAR a d’abord conclu que la déclaration de naissance des autorités mauritaniennes est authentique malgré le fait que sa naissance ait été déclarée en 1978, soit cinq ans après sa naissance en 1973, et qu’il y ait une différence entre le FDA et la déclaration quant au nom de son père. La SAR n’a pas tiré d’inférence négative et a conclu que le document étranger est présumé authentique et qu’il n’y a pas de raison valide de douter de son authenticité, même si la déclaration de naissance ne peut être reliée directement au demandeur comme le serait un passeport.

B. Les autres documents à l’appui de la citoyenneté mauritanienne du demandeur

[9] La SAR a noté que la preuve documentaire établit que les Afro-Mauritaniens expulsés de leur pays vers le Sénégal peuvent faire face à des difficultés pour obtenir des documents d’identité puisque les autorités mauritaniennes leur refusent systématiquement une pièce d’identité gouvernementale, même s’ils sont de véritables citoyens mauritaniens.

[10] La SAR a ensuite examiné les autres documents à l’appui de la citoyenneté mauritanienne et a conclu qu’il est probable que, même s’il est Mauritanien de naissance, le demandeur n’ait pas pu obtenir un passeport ou une carte d’identification. La SAR n’a pas tiré d’inférence négative du fait qu’aucune autre preuve documentaire n’a été déposée, telle que des documents scolaires ou d'autres documents familiaux de la période où il vivait en Mauritanie.

[11] Premièrement, la SAR a conclu que la lettre de l’ambassade mauritanienne ne permet pas de tirer une inférence négative sur l’allégation que le demandeur est Mauritanien. En effet, la SAR affirme qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un demandeur Afro-Mauritanien, dont la famille aurait été expulsée de Mauritanie, dépose un passeport, mais la lettre n’est pas non plus un document acceptable pour établir sa citoyenneté.

[12] Deuxièmement, la SAR a conclu que les déclarations de la femme et de la fille du demandeur faites lorsqu’elles ont été contactées par l’ASFC n’étaient pas contradictoires. La SAR constate que Tékane est à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie, ce qui n’est pas contradictoire avec la femme du demandeur qui a affirmé ne pas savoir s’il est né à la frontière entre la Mauritanie et du Sénégal, ou à Ouro Madiou, leur village du Sénégal. La SAR n’a donc pas tiré d’inférence négative à cet égard. Cependant, la SAR tire une inférence négative du fait que l’appelant n’a pas déposé de témoignage de sa femme, alors qu’il pouvait raisonnablement le faire puisqu’il savait depuis son arrivée au Canada que son identité est une question déterminante et alors qu’il a témoigné s’être réconcilié avec sa femme et lui parler quotidiennement depuis 2019. Le demandeur s’est justifié tant bien que mal par son témoignage, mais la SAR a relevé des différences entre la version des agents de l’ASFC et celle du demandeur concernant les échanges avec sa femme et ses enfants. La SAR a expliqué qu’elle n’a pas de raison de douter du contenu du rapport de représentants gouvernementaux et qu’elle doutait plutôt de la version du demandeur.

[13] Troisièmement, la SAR a examiné l’ensemble des autres preuves documentaires au soutien de l’identité du demandeur. La SAR a conclu ce qui suit :

  • -Les lettres de soutien de l’organisation Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste [IRA] d’Ohio et du Canada ne mentionnent pas connaître la nationalité du demandeur ni que seuls les citoyens mauritaniens s’impliquent auprès d’eux. Bien que les lettres mentionnent son implication aux activités, la SAR ne leur a attribué aucun poids pour établir que le demandeur est un citoyen mauritanien;

  • -L’attestation de témoignage de mariage au Sénégal entre le demandeur et sa femme datée du 13 octobre 2020 ne mentionne pas la nationalité des mariés. La SAR a conclu que l’attestation a du poids que pour établir que le demandeur s'est marié, mais qu’elle n'est pas un document acceptable pour établir son identité;

  • -Les extraits du registre des actes de naissance de l’état civil sénégalais des enfants du demandeur sont présumés authentiques vu leur source, mais ne mentionnent pas les nationalités des parents. La SAR a conclu que ces extraits n’ont pas de poids pour établir l’identité du demandeur et ne sont pas des documents acceptables pour établir son identité;

  • -L’attestation de l’officier de l’État civil sénégalais ne fait que témoigner des faits qu’il a constatés ou de ce qui lui a été rapporté par la femme du demandeur. Bien que la SAR a précisé ne pas être d’accord avec la SPR et qu’elle est plutôt de l’avis que l’attestation a été rédigée à partir de la visite de la femme du demandeur, ce dont le demandeur a témoigné, la SAR a conclu que l’attestation ne permet pas d’établir si le demandeur est sénégalais, mauritanien ou d'une autre nationalité. Ce n'est donc pas un document acceptable et il n’a pas de poids pour établir son identité.

C. Les témoignages de personnes ayant connu le demandeur

[14] Finalement, la SAR a pris en compte les témoignages de personnes ayant connu le demandeur, soit le témoignage d’YS, la lettre de Jibi Kebe, la lettre de Bakary B, la lettre d’Amadou B, la lettre de Cherif Mohamed Ba, et les papiers d’identité américains du demandeur. La SAR n’a pas retenu les arguments du demandeur voulant que le rejet des témoignages de ses amis vivants aux États-Unis et originaires de Mauritanie soit inacceptable, que ce soient des membres de sa communauté, que les témoignages ne soient pas contredits et qu’ils aient affirmé qu’il est un citoyen mauritanien de l’ethnie peulh. La SAR a conclu ce qui suit :

  • -La lettre d’YS contient trois contradictions et soulève un doute sur la crédibilité de ces allégations. La première contradiction, bien qu’elle ne soit pas déterminante, est la façon dont le demandeur a pris contact avec YS afin d’obtenir cette lettre. D’un côté, YS mentionne être resté en contact permanent avec le demandeur depuis 1987, et de l’autre côté, le demandeur allègue devant la SPR qu’il avait plutôt des nouvelles de temps en temps par la communauté mauritanienne. La deuxième contradiction, bien qu’elle ne soit pas déterminante, concerne le mois de départ de la Mauritanie. D’un côté, YS mentionne le mois d’avril 1987 deux fois dans son témoignage, et de l’autre côté, le demandeur allègue avoir quitté au mois de décembre 1987. La troisième contradiction, qui est la plus importante selon la SAR, concerne la sœur du demandeur. D’un côté, YS mentionne que le demandeur a été forcé de fuir son pays avec sa mère et sa sœur, et de l’autre côté, le demandeur mentionne un frère, mais pas de sœur dans son FDA. La SAR rappelle l’importance du moment de la fuite puisque cela est le point de départ des allégations contre la Mauritanie. La SAR a donc tiré une inférence négative quant à la crédibilité de l’identité alléguée du demandeur et n’accorde pas de poids à ce document;

  • -La lettre de Jibi Kebe n’est pas signée, et même si c’était un courriel, il n’y a pas d’entête ou d’adresse courriel, ce qui soulève un doute sur sa fiabilité selon la SAR. Jibi Kebe mentionne connaître le demandeur « from Mauritania tekane », mais dans les années 2000, ce qui n’est pas clair puisque le demandeur a quitté en 1987. Dans ce cas, puisqu’il n’a pas connu le demandeur en Mauritanie, la lettre n’a pas de poids pour établir l'identité du demandeur;

  • -La lettre de Bakary B est fiable selon la SAR. Elle comporte la signature de son auteur et est datée. Son auteur est un ami du demandeur depuis 14 ans. Il ne donne pas d’information sur sa connaissance du fait que le demandeur est de Tékane. Il n’explique pas avoir connu le demandeur en Mauritanie. Cette lettre n'a pas de poids pour établir l’identité nationale du demandeur selon la SAR;

  • -La lettre d’Amadou B est également fiable selon la SAR. Elle est datée et comporte la signature de son auteur et son numéro de téléphone. Cette lettre établit que le demandeur est connu comme un Mauritanien de Tékane depuis 2001 par son auteur, mais ce dernier ne témoigne d'aucune connaissance personnelle du fait que le demandeur est né à Tékane en Mauritanie. Cette lettre n'a pas de poids pour établir l’identité nationale selon la SAR;

  • -La lettre de Cherif Mohamed Ba est aussi fiable selon la SAR. Elle est datée et signée. Cette lettre établit que le demandeur est connu comme un Mauritanien depuis 2006 par son auteur, mais ce dernier n'a aucune connaissance personnelle du fait que le demandeur est né en Mauritanie. L’auteur mentionne les qualités humaines du demandeur, qu’il le connaît sous ce nom, mais ne parle pas de sa nationalité;

  • -Les papiers d’identité américains du demandeur n’ont aucun poids selon la SAR. La SAR constate que le permis de conduire et la carte de travail américains mentionnent le nom d’Amadou Diagne, ce que confirme le rapport des données biométriques américaines. Cependant, la SAR a conclu que ce ne sont pas des documents acceptables pour établir que le demandeur est mauritanien. En effet, ils permettent au mieux d’établir que le demandeur utilisait ce nom aux États-Unis.

[15] À la lumière de toutes ces preuves, la SAR était d’avis que le demandeur n’avait pas établi, par le biais d’une preuve fiable ou digne de confiance, qu’il est un ressortissant de la Mauritanie et qu’il est ce qu’il prétend être. Il ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir son identité personnelle et nationale selon la prépondérance des probabilités. L’identité étant une question déterminante si elle n’est pas établie, la SAR n’était donc pas tenue d’analyser les autres aspects de la demande d’asile.

IV. Question préliminaire

[16] La Cour est d’accord pour modifier l’intitulé dans la présente affaire pour désigner Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui est le bon défendeur pour les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions de la SAR en vertu de l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [Règles], et du paragraphe 4(1) de la LIPR.

V. Question en litige

[17] La question en litige est celle à savoir s’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, son identité mauritanienne.

VI. Norme de contrôle

[18] Les parties sont d’accord que la norme de contrôle applicable pour réviser la décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable. En ce qui concerne la norme de contrôle appropriée en contrôle judiciaire devant la Cour, le défendeur fait quelques erreurs en soumettant que : « il a été établi dans la jurisprudence que la cour fédérale doit effectuer son propre examen de la preuve et tirer sa propre conclusion » et « il suffit de trouver une seule erreur pour infirmer la décision de la SAR ».

[19] La Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, hormis un examen se rapportant à un manquement à la justice naturelle et/ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[20] Une Cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov au para 83).

[21] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125).

[22] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure » (Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156 au para 36). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100).

[23] La norme de la décision raisonnable exige de la Cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).

VII. Analyse

A. L’état du droit

[24] Le demandeur qui revendique l’asile doit d’abord établir son identité devant la SPR. L’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 s’appliquent dans la présente demande :

Étrangers sans papier

Crédibilité

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Document établissant l’identité et autres éléments de la demande

Documents

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

 

Claimant Without Identification

Credibility

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Documents Establishing Identity and Other Elements of the Claim

Documents

11 The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

 

[25] L’article 106 de la LIPR prévoit que le demandeur qui n’est pas muni de papiers d’identité acceptables doit démontrer son identité par le biais d’une preuve crédible. Il incombe au demandeur d’établir son identité personnelle, son pays de nationalité (ou son manque de nationalité), et d’autres facteurs personnels (par exemple, leurs langue, religion, etc.), et c’est un fardeau lourd (Woldemichael c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté, 2024 CF 523 aux paras 15 et 16, citant Toure c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1189 au para 31).

[26] Le défendeur cite le jugement Terganus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 903 dans lequel le juge Gascon aux paras 22 et 23, mentionne :

[22] L’identité d’un demandeur d’asile est une question préliminaire et fondamentale, et le défaut d’établir l’identité est fatal à une demande d’asile (Daniel au para 28; Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 373 [Bah] au para 7). Tel que l’écrivait le juge Norris dans Edobor, « il est indubitable que la preuve de l’identité est un préalable pour tout demandeur d’asile »; en l’absence d’une telle preuve, « il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Edobor au para 8, citant Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 126 au para 26).

[23] L’identité d’un demandeur, faut-il le rappeler, demeure la pierre angulaire du régime canadien d’immigration. L’identité établit l’unicité d’un individu. C’est ce qui singularise une personne et permet de la différencier de toutes les autres. Aussi, c’est sur l’identité que reposent les questions telles que l’admissibilité d’un demandeur d’asile au Canada, l’évaluation de son besoin de protection, l’appréciation d’un éventuel danger pour la sécurité publique, ou encore les risques de voir l’intéressé se soustraire aux contrôles officiels des autorités (Bah au para 7, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 2004 CF 1634 au para 38 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. X., 2010 CF 1095 au para 23).

[Nos accentuations]

[27] En effet, la question de l’identité du demandeur est au cœur de cette affaire. Le demandeur qui demande l’asile doit démontrer qu’il est réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger du pays dont il a la nationalité. Dans ce contexte, la nationalité du demandeur et plus particulièrement, sa citoyenneté mauritanienne est en question.

B. Le fardeau de la preuve en l’espèce

[28] Le demandeur prétend que la SAR a imposé un fardeau trop « lourd » au demandeur allant à l’encontre des exigences prévues par l’article 106 de la LIPR en ne tenant pas compte du critère « et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer ». Le demandeur soulève dans son mémoire qu’il « n’a ménagé aucun effort pour établir son identité auprès des autorités d’immigration canadiennes » et que « la SAR a commis une erreur de droit en ignorant les efforts raisonnables faits par le demandeur ». Cependant, le test ne requiert pas que le demandeur démontre ses efforts. À mon avis, la SAR n’a ni reposé sa décision sur un manque d’efforts du demandeur pour fournir des preuves ni ignoré les efforts de ce dernier. La SAR a simplement imposé le fardeau qui respecte la loi. La SAR a plutôt rempli son rôle qui est de soupeser la preuve testimoniale et documentaire et de tirer des conclusions en ce qui a trait à la suffisance de la preuve pour établir l’identité selon la prépondérance des probabilités.

[29] Le demandeur prétend aussi que la SAR n’a pas tenu compte de la réalité pour les Afro-Mauritaniens qu’il était « impossible […] d’obtenir de nouveaux documents » des autorités mauritaniennes.

[30] Contrairement à l’allégation du demandeur, la SAR ne faisait pas abstraction de la réalité des Afro-Mauritaniens. Il est clair que la SAR, notamment au paragraphe 10 de sa décision, avait pris en considération le contexte et la réalité pour les Afro-Mauritaniens dans la preuve documentaire. Dans ses circonstances, il était raisonnable pour la SAR d’exiger le demandeur d’établir son identité par d’autres documents ou preuves testimoniales crédibles, tel que souligné au paragraphe 12 de sa décision:

[12] Comme souligne le ministre, le passeport est habituellement le document d’identité le plus fiable, parce qu’il possède des données biométriques. Mais considérant le contexte et le fait que des milliers d’Afro-Mauritaniens sont encore apatrides et ne peuvent obtenir des documents d'identité mauritaniens, l’appelant peut établir son identité par d’autres documents et des preuves testimoniales crédibles. […]

[31] Le défendeur soumet, avec raison, que le demandeur doit établir son identité afin de pouvoir qualifiée pour une demande d’asile. La SAR a bien précisé que le fardeau de soumettre des éléments de preuves crédibles incombait au demandeur afin d’établir son identité. La SAR a défini le fardeau tel que le prescrit l’article 106 de la LIPR. Ce fut alors que la SAR a confirmé la conclusion de la SPR :

[90] Le fardeau d’établir son identité est celui de l’appelant. En l’espèce, il ne s’est pas déchargé de ce fardeau. J’ai examiné l’ensemble de la preuve présentée à l'appui de son identité personnelle et nationale. Après avoir entendu ses explications, j’estime qu’il n’a pas établi par des éléments de preuve suffisamment crédibles et dignes de foi qu’il est bien la personne qu’il prétend être.

C. La déclaration de naissance n’était pas une preuve suffisante en soi pour confirmer l’identité du demandeur

[32] Le demandeur prétend que la SAR a erré en ignorant l’attestation de naissance du demandeur. Il est clair que l’argument du demandeur ne se tient pas. On voit clairement de la décision que la SAR n’a pas ignorée ou niée cet élément de preuve. La SAR a tenu compte de la déclaration de naissance, a présumé son authenticité et lui a accordé un certain poids :

[23] Les documents étrangers sont présumés authentiques. Je n'ai pas de raison valide de douter de l'authenticité de la déclaration. La SPR a correctement conclu que, même si la déclaration de naissance ne peut être reliée directement à l’appelant comme le serait un passeport, elle est un document acceptable pour établir l'identité de l'appelant et je lui un certain poids.

[…]

[92] L'appelant a déposé un seul document d’identité émis par les autorités mauritaniennes, une déclaration de naissance qui ne possède pas d’élément permettant de le relier à lui. J’ai conscience qu’une personne afro-mauritanienne peut faire face à des difficultés pour obtenir des documents d’identité comme un passeport ou une carte d'identification. Cela explique le fait qu’il n’a pu produire de passeport ou de carte d'identification, mais pas son défaut de présenter des témoignages crédibles.

[33] Un des paragraphes clés de la décision de la SAR est le suivant :

[16] La SPR a correctement conclu que la déclaration de naissance de l’appelant n’est pas suffisante à elle seule pour établir l’identité de l'appelant selon la prépondérance des probabilités. Malgré la preuve documentaire sur les Afro-Mauritaniens et malgré la déclaration de naissance jugée authentique en absence d'une preuve contraire, les problèmes de crédibilité de l’appelant surpassent le poids de la déclaration de naissance. Les autres documents déposés par l'appelant ne suffisent pas à établir son identité selon la prépondérance des probabilités.

[34] À mon avis, la SAR n’a pas rendu une décision déraisonnable en ayant conclu, à la lumière des faits en l’espèce, que la déclaration de naissance seule n’était pas suffisante en soi pour confirmer l’identité du demandeur, vu les contradictions qui ont surgi et ont éventuellement miné à la crédibilité du demandeur.

D. La SAR n’a pas ignoré ou mal apprécié la preuve

[35] En passant à travers chaque élément de preuve, tel qu’illustré dans le résumé de la décision de la SAR reproduit ci-haut, la SAR était satisfaite de l’analyse de la SPR et était insatisfaite des explications qui ont été fournies pour expliquer pourquoi le demandeur manquait de la preuve crédible de sa nationalité sous l’article 107 de la LIPR.

[36] Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR s’est longuement attardée sur les explications soumises par le demandeur lorsque confronté aux contradictions dans sa preuve et a estimé que les explications du demandeur n’étaient pas raisonnables et crédibles. Certains documents soumis n’établissaient pas la nationalité mauritanienne du demandeur tels que les documents américains et sénégalais. Certains documents contredisaient les informations indiquées dans son FDA, et lorsque le demandeur était interrogé sur ces contradictions et les divergences dans la preuve, les explications soumises ont été raisonnablement jugées insatisfaisantes et non crédibles par la SAR. Il était loisible à la SAR de tirer une inférence négative du fait que le demandeur n’a pas pris de mesure pour déposer un témoignage de son épouse pour établir une preuve de sa nationalité, alors qu’il pouvait raisonnablement le faire et qu’il a témoigné s’être réconcilié avec sa femme et lui parler quotidiennement depuis 2019, et alors qu’il sait depuis son arrivée au Canada que son identité est une question déterminante. Il était également loisible à la SAR de conclure que la déclaration d’YS, le seul témoignage d’une personne qui aurait connu sa famille en Mauritanie, contenait des informations importantes qui contredisent certaines informations contenues dans son FDA :

[93] En l’espèce, l’appelant n’a déposé qu’un seul témoignage d’une personne qui a une connaissance personnelle de sa vie en Mauritanie avant 1987, le témoignage d’YS. Or, ce document n’a pas de poids pour établir son identité parce qu’il n'est pas crédible, en raison d’une contradiction sur la façon dont l’appelant a pris contact avec YS et les liens qu’ils ont pu entretenir au fil des années, une contradiction sur le mois de départ de l’appelant de Mauritanie, mais surtout une contradiction importante sur la composition de la famille lorsqu’ils auraient été expulsés de Mauritanie. L’auteur de la lettre témoigne que la mère de l’appelant a fui le pays avec la sœur de l’appelant, alors que l’appelant n’avait pas, selon son FDA, de sœur. Ses explications sur l’omission de sa sœur dans le FDA n’étaient pas acceptables. Même si l’appelant ne sait ni lire ni écrire, il était représenté par un conseil tout au long des procédures et les documents lui ont été interprétés.

[Notre accentuation]

[37] La valeur probante et le poids à attribuer aux documents et éléments de preuve relèvent du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de la SAR (Takow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1290 au para 27; Magonza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 aux paras 21 à 26) et il n’est pas approprié pour la Cour, dans les circonstances en l’espèce, de réévaluer cette preuve.

[38] À mon avis, la SAR a tenu compte de l’ensemble de la preuve soumis et a raisonnablement conclu que ces documents ne permettent pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’identité du demandeur, en tenant compte des problèmes de crédibilité suffisamment importants relevés dans les témoignages du demandeur et d’YS.

VIII. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[40] Les parties ne proposent aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8075-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

3. L’intitulé de la cause est modifié afin de désigner Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8075-22

 

INTITULÉ :

AMADOU DIAGNE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 mars 2024

 

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 septembre 2024

 

COMPARUTIONS :

Ibrahima Bocar THIAM

pour la partie demanderesse

 

Nadine Saadé

pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ibrahima Bocar THIAM

Montréal, Québec

pour la partie demanderesse

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal, Québec

 

pour la partie défenderesse

 

 

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