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Date : 20240919


Dossier : IMM-12835-23

Référence : 2024 CF 1479

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

SATBIR SINGH

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Le demandeur, Satbir Singh [demandeur] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendu le 14 septembre 2023 qui a refusé la demande d’asile du demandeur [Décision]. Dans sa Décision, la SPR a conclu n’avoir reçu aucune preuve crédible ou digne de foi lui permettant de reconnaître au demandeur le « statut de réfugié » ou de « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Le demandeur allègue que l’analyse de la SPR quant à sa crédibilité et à la preuve documentaire était déraisonnable, que la commissaire de la SPR a manqué à son devoir d’impartialité et qu’il y a eu une violation à l’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable. Je conclus également qu’il n’y a pas eu de manquements à l’équité procédurale.

II. Faits et Décision sous contrôle

[4] Le demandeur est de religion sikhe, résident du Penjab et citoyen de l’Inde. Il allègue une crainte de la police du Penjab après avoir été ciblé en 2014 par celle-ci. La police l’accuse d’avoir été impliquée dans des crimes de cybercriminalité, de narcotrafic et d’extorsion. Il dit que sa crainte s’est cristallisée en mars 2014.

[5] En octobre 2014, le demandeur a quitté l’Inde et est arrivé au Canada avec l’aide d’un agent. Il est venu au Canada avec un Permis d’études prévu pour un programme à l’Université de Waterloo. Par contre, le demandeur a effectué ses études au Collège Cambrian et non à l’Université de Waterloo.

[6] En début 2016, le demandeur a demandé et obtenu une prolongation du Permis d’études et en fin 2016, le demandeur a reçu un Permis de travail post-diplôme. Ce dernier permis était prévu d’expirer le 25 janvier 2020. En mars 2017, le demandeur a obtenu un visa de résident temporaire suivant son retour d’un visa aux États-Unis. Ce visa expirait à la même date que le Permis de travail post-diplôme.

[7] Par la suite, il envisageait déposer une demande de résidence permanente par l’entremise du programme atlantique d’Entrée expresse, mais il a reçu une lettre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada le convoquant à une entrevue en juin 2019. Entre 2017 et 2019, le demandeur a également présenté neuf demandes de visa temporaire aux États-Unis.

[8] En juin 2019, le demandeur a été questionné par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada qui lui ont avisé qu’il avait été le sujet d’une enquête depuis 2017. Le demandeur a été questionné au sujet de la fausse lettre d’acceptation de l’Université de Waterloo qu’il avait soumis avec sa demande de permis d’études en 2014. Ce document lui avait permis d’obtenir son Permis d’études.

[9] En novembre 2019, le demandeur a été convoqué à une audience en inadmissibilité devant la Section d’immigration [SI] prévue le 6 février 2020. En janvier 2020, le demandeur a présenté une demande d’asile.

[10] Devant la SPR, le demandeur a affirmé qu’il ne savait pas que la lettre de l’Université de Waterloo était frauduleuse, car la lettre lui avait été remise par son agent en Inde. La SPR a aussi considéré que le demandeur avait soumis un faux diplôme d’une université en Inde avec sa demande de permis d’études. Le demandeur confirme avoir été conseillé par son agent de répéter les mêmes fausses informations et documents dans ses demandes subséquentes au Canada depuis 2014.

[11] La SPR a évalué la demande d’asile de M. Singh et a conclu qu’il n’était ni un réfugié ni une personne à protéger comme prévu aux articles 96 et 97 de la LIPR, car sa demande d’asile n’avait pas le minimum de fondement requis, en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR.

[12] De prime abord, la SPR a questionné M. Singh ainsi que son avocate sur les nouvelles allégations qu’ils ont soulevées auprès de la SPR, mais qui ne figuraient pas dans le formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA]. La SPR a rejeté l’argument de l’avocate soutenant qu’il n’était pas nécessaire de modifier le FDA pour y ajouter de nouvelles allégations. La SPR a ajouté que le FDA avise clairement au demandeur d’asile que toutes informations importantes sur sa demande doivent y être incluses.

[13] La SPR a accepté les documents d’identité de M. Singh et a aussi accepté le lien entre la persécution et sa religion et/ou ses opinions politiques. Par la suite, la SPR a abordé la question de crédibilité de M. Singh. En somme, elle a trouvé qu’il y avait plusieurs problèmes de crédibilités, sur la balance des probabilités, qui mettent en doute la demande d’asile de M. Singh.

[14] La SPR a considéré les fausses représentations contenues dans les antécédents d’immigration de M. Singh, les déclarations incohérentes entre sa demande d’asile et ses demandes de permis d’études, ainsi que les fausses représentations auprès des autorités américaines. De plus, la SPR a jugé le fait que M. Singh ait attendu un délai de cinq ans avant de présenter sa demande d’asile a miné sa crainte subjective. La SPR a aussi jugé la crédibilité de ses explications quant au délai. Le demandeur avait allégué qu’il était devenu un supporter du mouvement du Khalistan, alors que ceci n’était pas dans son FDA. La SPR a aussi soulevé des questions d’authenticité quant à la preuve médicale soumise à l’appui des allégations de blessures subies à la main des autorités en Inde, ainsi qu’aux deux affidavits soumis par le demandeur. Finalement, le demandeur a fourni à la SPR un rapport d’un psychologue qui aurait décrit de nouvelles allégations qui n’étaient pas incluses dans son FDA.

[15] En conclusion, la SPR a conclu que le demandeur a seulement pu établir qu’il habitait au Penjab, qu’il est sikh, qu’il est venu au Canada en octobre 2014 et qu’il a soumis sa demande d’asile en janvier 2020. Le reste de son dossier est jugé non crédible. Son témoignage n’était pas crédible et, par conséquent, il n’a pas pu établir le minimum de fondement requis en vertu de la LIPR.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[16] Les questions en litige sont de savoir s’il y a eu une atteinte à l’équité procédurale et si la Décision était déraisonnable.

[17] Une allégation d’équité procédurale est déterminée sur la base ressemblant la décision correcte. La question que la Cour doit se poser est si la procédure était équitable ayant considéré toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14). La question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. L'obligation d'agir équitablement comporte deux volets: 1) le droit à une audience équitable et impartiale devant un décideur indépendant et 2) le droit d'être entendu (Fortier c Canada (AG), 2022 CF 374 au para 14; Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Chacun a droit à une possibilité complète et équitable de présenter sa cause (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 28).

[18] S’il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale, les parties s’entendent que la Cour doit réviser le bien-fondé de la Décision en appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]). Je suis d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire.

[19] Une cour appliquant le test du caractère raisonnable ne demande pas quelle décision elle aurait prise à la place du décideur administratif. Elle est ancrée dans le principe de la retenue judiciaire (Vavilov au para 13). Elle ne cherche pas à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une analyse de novo, ni à déterminer la bonne solution au problème (Vavilov au para 83). La cour de révision ne peut soupeser ni réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov au para 125). Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

A. Pas de manquement à l’équité procédurale

[20] D’emblée, le demandeur a plaidé de façon détaillée, lors de l’audience et dans ses prétentions écrites, que la commissaire de la SPR avait manqué à son devoir d’impartialité et qu’elle avait une idée préconçue quant au manque de crédibilité du demandeur. À l’appui de ces allégations, le demandeur a présenté des « statistiques » de 2021 sur le taux d’acceptation de cette commissaire. Le demandeur a soumis que la commissaire a trop rapidement rédigé une décision de trente pages en seulement trois jours, car elle avait informé le demandeur à la fin de l’audience qu’elle aurait besoin de temps afin de préparer une décision. Il ajoute également qu’elle aurait expressément choisi la conclusion « no credible basis », qui mène à la perte d’un appel devant la section d’appel des réfugiés [SAR], pour rejeter injustement la présente demande sans droit d’appel.

[21] Par contre, et de façon plus inquiétante, l’avocate du demandeur a concédé à la fin de sa plaidoirie qu’elle ne peut pas démontrer avec la preuve au dossier que la commissaire de la SPR était partielle. L’avocate soutient que je dois toutefois prendre en compte le comportement de cette commissaire en contrôle judiciaire.

[22] Avec tout respect, la position du demandeur à l’égard de l’impartialité de la SPR ne peut être retenue. Une allégation d’impartialité est sérieuse, porte atteinte à la réputation d’un individu et va au cœur de l’équité procédurale. Ce serait tout à fait inapproprié de demander à la Cour de considérer le « comportement » de la SPR en contrôle judiciaire sans aucun fondement dans la preuve.

[23] Le demandeur n’a démontré aucun lien entre les « preuves » du demandeur (les statistiques fournies, le fait d’avoir rédigé une décision dans une certaine période, et les conclusions rendues dans la Décision) et l’allégation que la SPR était impartiale. Cette allégation est totalement dépourvue de mérite.

B. La Décision est raisonnable

[24] La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas pu établir le minimum de fondement en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR :

Décision sur la demande d’asile

[…]

Preuve

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

Decision on Claim for Refugee Protection

[…]

No credible basis

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[25] Dans le cas en l’espèce, la SPR a considéré les explications du demandeur et a analysé les documents à l’appui de sa demande d’asile. La Décision a fait état des considérations qui ont mené à la conclusion d’une absence de minimum de fondement de la demande. La SPR n’a pas pu conclure qu’il y avait une situation de danger ou une crainte réelle pour la sécurité du demandeur en Inde.

[26] Le juge Gascon dans Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057 au paragraphe 18 [Vall] résume que les incohérences, contradictions et omissions dans la preuve constituent un fondement reconnu pour conclure défavorablement quant à la crédibilité. Il souligne qu’en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, il faut faire preuve d’un degré de déférence élevé particulièrement lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits (Vall au para 15, citant Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 15 [Lawani]).

[27] Je note aussi que lorsque la SPR a conclu à la tardiveté du demandeur à revendiquer sa demande d’asile, elle a considéré le délai de cinq ans du demandeur à présenter sa demande d’asile, ainsi que d’autres facteurs pour apprécier la crédibilité de la demande. Ces facteurs ont été soulignés par le juge Norris dans l’affaire Zeah c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2020 FC 711 au paragraphe 61 [Zeah].

[28] En considérant les facteurs dans Zeah, je constate qu’en l’espèce, la SPR a dûment considéré la crainte du demandeur, son récit personnel décrit dans le FDA, son témoignage devant la SPR, ainsi que l’évaluation de son explication du retard. D’ailleurs, je note que la SPR souligne que lors de son témoignage, le demandeur a admis avoir présenté une demande d’asile dans le seul but d’éviter l’audience d’inadmissibilité devant la SI en février 2020.

[29] La SPR a déterminé que la preuve au dossier n’était pas compatible avec une crainte subjective. Considérant la preuve au dossier et le témoignage du demandeur, la conclusion de la SPR suit l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux de la demande d’asile. En l’espèce, il était loisible à la SPR de tirer une conclusion défavorable au sujet du demandeur (Vall au para 16, citant Lawani au para 21).

[30] Finalement, je ne souscris pas à l’argument du demandeur que le FDA n’est pas clair, que ces formulaires induisent les demandeurs en erreur et qu’il est erroné de tirer une conclusion défavorable à partir d’une omission dans le FDA. Il est clair que le récit qui se retrouve dans un FDA est un des éléments de preuve importants dans le processus de demande d’asile. Le FDA est analysé par plusieurs acteurs du système juridique tel que les décideurs comme les agents d’immigration, les tribunaux administratifs (comme la SI et la SPR, par exemple) ainsi que la Cour en contrôle judiciaire. La jurisprudence a bien établi que les contradictions qui se trouvent dans un FDA sont aussi des facteurs importants concernant la crédibilité, entre autres. Les arguments du demandeur semblent banaliser l’importance d’un FDA et l’obligation d’un demandeur d’asile de fournir un FDA à jour et précis.

[31] En conclusion, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence selon Vavilov. De plus, en considérant le paragraphe 107(2) de la LIPR et l’ensemble du dossier, la Décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[32] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-12835-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12835-23

INTITULÉ :

SATBIR SINGH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AOÛT 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 19 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Me Meryam Haddad

Pour LE DEMANDEUR

Me Zoé Richard

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Haddad Justice Légale Inc.

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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