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Date : 20240917


Dossier : T-1158-23

Référence : 2024 CF 1248

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2024

En présence de madame la juge Blackhawk

ENTRE :

CHARLOTTE ISABEL MITCHELL,

ANNA BELLE TRONSON,

GEORGE MERVIN JOE,

ET PIERRE JOSEPH WILLIAMS

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA, représenté par le MINISTRE DE SERVICES AUX AUTOCHTONES DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les présents motifs concernent la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’administratrice de la succession de Susan Joe (la succession) a refusé de fournir un compte rendu de la succession aux demandeurs (la décision).

[2] La décision est fondée sur la « pratique » de Services aux Autochtones Canada (SAC) suivant laquelle une valeur nulle ou négligeable est accordée aux biens situés dans une réserve s’ils ne font pas l’objet d’un bail enregistré.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie. La pratique de SAC suivant laquelle une valeur négligeable est accordée aux biens situés dans une réserve n’est pas raisonnable. La décision de l’administratrice de la succession de ne pas fournir un compte rendu de la succession aux demandeurs est également déraisonnable.

[4] L’affaire sera renvoyée à SAC aux fins d’une nouvelle évaluation de la valeur des biens de la succession situés dans la réserve, et de la transmission aux demandeurs d’un compte rendu de la succession.

[5] Je tiens à faire quelques remarques sur la terminologie que j’utilise dans les présents motifs. Les termes « Indien » et « Aborigène » figurent dans la constitution canadienne et dans de nombreux autres textes législatifs canadiens, y compris la législation et les politiques qui se rapportent à la présente demande (voir la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5; et le Règlement sur les successions d’Indiens, CRC c 954 (le Règlement)). Les termes « Autochtone » et « Première Nation », selon les cas, ont largement supplanté ces termes, mais lorsque je fais référence, dans les présents motifs, à une loi ou une politique précise, j’utilise la terminologie de la loi ou de la politique en question. Ce faisant, mon intention n’est aucunement de manquer de respect envers quiconque.

II. Contexte

[6] Susan Joe (la défunte) est décédée le 5 janvier 2005. Au moment de son décès, elle résidait dans la réserve indienne Okanagan no 1 avec son époux, M. Elmer Isaac George (M. George).

[7] Les demandeurs sont les enfants de la défunte. L’époux de la défunte, M. George, est décédé en 2023. Il n’est pas un parent biologique des demandeurs ni un membre de la bande indienne des Okanagan, ce qui entraîne l’application de l’article 50 de la Loi sur les Indiens.

[8] La succession comprend des droits à l’égard de plusieurs parcelles de terre situées dans la réserve indienne Okanagan no 1, à l’extrémité nord du lac Okanagan, près de Vernon, en Colombie-Britannique (les droits à l’égard des certificats de possession). Plus précisément, la succession comprend les droits suivants :

  1. Droits à l’égard des certificats de possession visant :

    1. le lot 160-1, bloc 2 RSBC 4134R (lot 160), environ sept hectares avec façade sur la route 97;

    2. le lot 8, bloc 4 RSBC 556 (le lot 8).

  2. Droits partiels à l’égard de plusieurs parcelles de terre dont est titulaire la succession de Mary Powers (mère de la défunte), qui est décédée avant la défunte, mais dont la succession n’a pas encore été réglée, et visant :

    1. le lot 5, bloc A Fry Sketch 319-37 (le lot 5);

    2. les lots 7-1, 7-2 et 7-3, bloc 4 RSBC 4110R (le lot 7), environ 47,2 hectares avec façade sur le lac Okanagan;

    3. le lot 8-2, bloc 4 RSBC 4110R (le lot 8-2).

[9] Un testament qui aurait été fait par la défunte le 7 décembre 2004 a été produit après le décès de cette dernière (le testament). Des membres de la famille de la défunte, dont les demandeurs, ont contesté la validité du testament au motif que la défunte n’avait pas la capacité de tester requise ou qu’elle avait été indûment influencée.

[10] SAC a renvoyé la question de la validité du testament à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique conformément à l’article 44 de la Loi sur les Indiens.

[11] Le testament désignait Sherry Paul (Mme Paul) en tant qu’administratrice de la succession. La succession n’a pas été réglée du fait de la contestation de la validité du testament. Le 2 juin 2021, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que le testament était nul, car la défunte n’était pas habile à tester.

[12] Le 28 mars 2022, SAC a déclaré nul le testament suivant l’article 46 de la Loi sur les Indiens. Ainsi, la défunte est décédée intestat. Dans des lettres adressées individuellement aux demandeurs en l’espèce, Laurie Charlesworth (Mme Charlesworth), agente principale de succession à SAC, a indiqué que, la défunte étant décédée intestat, le seul héritier de la succession était l’époux de la défunte, M. George, conformément à ce que prévoit l’article 48 de la Loi sur les Indiens.

[13] Le 29 mars 2022, SAC a pris un arrêté ministériel en vertu de l’alinéa 43a) de la Loi sur les Indiens, révoquant Mme Paul en tant administratrice de la succession et la remplaçant par Mme Charlesworth (l’administratrice de la succession).

[14] Le 26 juillet 2022, dans un courriel adressé à l’avocat des demandeurs, Mme Charlesworth a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Lorsque les biens de la succession comprennent un droit à l’égard de terres de réserve, nous avons pour pratique de considérer la valeur de ces terres comme négligeable, sauf si des baux enregistrés y sont associés […]

Si une partie souhaite que nous accordions une valeur plus élevée aux terres, il lui incombe de fournir des éléments de preuve démontrant que notre évaluation devrait être modifiée […]

Lorsque notre mandat d’administration de la succession tire à sa fin, nous transmettons un compte rendu aux héritiers ou aux bénéficiaires.

Veuillez également prendre note que j’ai été nommée administratrice de la présente succession le 29 mars de l’année en cours. La représentante personnelle des dix-sept dernières années n’a présenté aucun compte rendu de son administration, malgré notre demande. Contrairement aux tribunaux, nous n’avons aucun moyen d’exiger la production d’un compte rendu […]

[15] Le 28 septembre 2022, l’avocat des demandeurs a confirmé par courriel sa thèse selon laquelle les administrateurs de succession sont tenus de fournir un compte rendu aux héritiers et bénéficiaires potentiels d’une succession.

[16] Le 28 septembre 2022, Mme Charlesworth a répondu par courriel à l’avocat des demandeurs :

[traduction]

Comme vous le savez probablement, le testament de Mme Joe a été déclaré nul, ne laissant que les héritiers prévus à l’article 48 de la Loi sur les Indiens. Nous estimons que le paragraphe 48(1) s’applique à la présente succession et que le seul héritier est Elmer Isaac George; c’est donc à lui, et à lui seul que nous pouvons communiquer des renseignements sur la succession. Si vos clients ont un point de vue différent, ils sont invités à présenter des éléments de preuve à l’appui de leur thèse.

[17] Le même jour, l’avocat des demandeurs a répondu par courriel à Mme Charlesworth, et lui a rappelé qu’en sa qualité d’administratrice de la succession, elle avait l’obligation fiduciaire envers la succession et tous les héritiers potentiels de fournir un compte rendu de la succession. Plus précisément, Mme Charlesworth a été informée que [traduction] « [l]es autres héritiers potentiels ont le droit de prendre connaissance des renseignements sur lesquels vous vous êtes appuyée ainsi que des calculs que vous avez faits ou des rapports comptables que vous avez préparés et qui justifient votre conclusion selon laquelle la valeur de la succession ne dépasse pas celle des parts préférentielles auxquelles M. George avait droit à titre d’époux ».

III. Questions en litige et norme de contrôle

[18] Trois questions se posent en l’espèce :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire a-t-elle été présentée dans le délai prescrit?

  2. La « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur négligeable aux biens situés dans une réserve aux fins de l’administration de la succession d’un Indien mort intestat qui résidait habituellement dans une réserve est-elle raisonnable?

  3. La décision de l’administratrice de la succession selon laquelle il n’est pas nécessaire de transmettre un compte rendu de la succession aux demandeurs est-elle raisonnable?

[19] Les parties estiment, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 25, 86).

[20] Le contrôle de la décision administrative selon la norme de la décision raisonnable se veut une analyse faisant appel à la déférence et consistant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12‑15, 95. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ les motifs de la décision. Selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, la décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

[21] Pour que son intervention à l’égard de la demande de contrôle judiciaire soit justifiée, la Cour doit relever dans la décision une erreur suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov, au para 100).

IV. Législation pertinente

A. Loi sur les Indiens

Le ministre peut déclarer nul un testament

Minister may declare will void

46 (1) Le ministre peut déclarer nul, en totalité ou en partie, le testament d’un Indien, s’il est convaincu de l’existence de l’une des circonstances suivantes :

46 (1) The Minister may declare the will of an Indian to be void in whole or in part if he is satisfied that

a) le testament a été établi sous l’effet de la contrainte ou d’une influence indue;

(a) the will was executed under duress or undue influence;

b) au moment où il a fait ce testament, le testateur n’était pas habile à tester;

(b) the testator at the time of execution of the will lacked testamentary capacity;

[…]

Cas de nullité

Where will declared void

(2) Lorsque le testament d’un Indien est déclaré entièrement nul par le ministre ou par un tribunal, la personne qui a fait ce testament est censée être morte intestat, et, lorsque le testament est ainsi déclaré nul en partie seulement, sauf indication d’une intention contraire y énoncée, tout legs de biens meubles ou immeubles visé de la sorte est réputé caduc.

(2) Where a will of an Indian is declared by the Minister or by a court to be wholly void, the person executing the will shall be deemed to have died intestate, and where the will is so declared to be void in part only, any bequest or devise affected thereby, unless a contrary intention appears in the will, shall be deemed to have lapsed.

[…]

Part du survivant

Surviving spouse’s share

48 (1) Lorsque, de l’avis du ministre, la valeur nette de la succession d’un intestat n’excède pas soixante-quinze mille dollars ou tout autre montant fixé par décret du gouverneur en conseil, la succession est dévolue au survivant.

48 (1) Where the net value of the estate of an intestate does not, in the opinion of the Minister, exceed seventy-five thousand dollars or such other amount as may be fixed by order of the Governor in Council, the estate shall go to the survivor.

Idem

Idem

(2) Lorsque la valeur nette de la succession d’un intestat excède, de l’avis du ministre, soixante-quinze mille dollars ou tout autre montant fixé par décret du gouverneur en conseil, une somme de soixante-quinze mille dollars ou toute autre somme fixée par décret du gouverneur en conseil est dévolue au survivant et le reste est attribué de la façon suivante :

(2) Where the net value of the estate of an intestate, in the opinion of the Minister, exceeds seventy-five thousand dollars, or such other amount as may be fixed by order of the Governor in Council, seventy-five thousand dollars, or such other amount as may be fixed by order of the Governor in Council, shall go to the survivor, and

a) si l’intestat n’a pas laissé de descendant, le solde est dévolu au survivant;

(a) if the intestate left no issue, the remainder shall go to the survivor,

b) si l’intestat a laissé un enfant, la moitié du solde est dévolue au survivant;

(b) if the intestate left one child, one-half of the remainder shall go to the survivor, and

c) si l’intestat a laissé plus d’un enfant, le tiers du solde est dévolu au survivant,

(c) if the intestate left more than one child, one-third of the remainder shall go to the survivor,

et lorsqu’un enfant est décédé laissant des descendants et que ceux-ci sont vivants à la date du décès de l’intestat, le survivant reçoit la même partie de la succession que si l’enfant avait vécu à cette date.

and where a child has died leaving issue and that issue is alive at the date of the intestate’s death, the survivor shall take the same share of the estate as if the child had been living at that date.

[…]

Biens non aliénés par testament

Estate not disposed of by will

(11) Tous les biens dont il n’est pas disposé par testament sont distribués comme si le testateur était mort intestat et n’avait laissé aucun autre bien.

(11) All such estate as is not disposed of by will shall be distributed as if the testator had died intestate and had left no other estate.

[…]

Non-résident d’une réserve

Non-resident of reserve

50 (1) Une personne non autorisée à résider dans une réserve n’acquiert pas, par legs ou transmission sous forme de succession, le droit de posséder ou d’occuper une terre dans cette réserve.

50 (1) A person who is not entitled to reside on a reserve does not by devise or descent acquire a right to possession or occupation of land in that reserve.

Vente par le surintendant

Sale by superintendent

(2) Lorsqu’un droit à la possession ou à l’occupation de terres dans une réserve est dévolu, par legs ou transmission sous forme de succession, à une personne non autorisée à y résider, ce droit doit être offert en vente par le surintendant au plus haut enchérisseur entre les personnes habiles à résider dans la réserve et le produit de la vente doit être versé au légataire ou au descendant, selon le cas.

(2) Where a right to possession or occupation of land in a reserve passes by devise or descent to a person who is not entitled to reside on a reserve, that right shall be offered for sale by the superintendent to the highest bidder among persons who are entitled to reside on the reserve and the proceeds of the sale shall be paid to the devisee or descendant, as the case may be.

Les terres non vendues retournent à la bande

Unsold lands revert to band

(3) Si, dans les six mois ou tout délai supplémentaire que peut déterminer le ministre, à compter de la mise en vente du droit à la possession ou occupation d’une terre, en vertu du paragraphe (2), il n’est reçu aucune soumission, le droit retourne à la bande, libre de toute réclamation de la part du légataire ou descendant, sous réserve du versement, à la discrétion du ministre, au légataire ou descendant, sur les fonds de la bande, de l’indemnité pour améliorations permanentes que le ministre peut déterminer.

(3) Where no tender is received within six months or such further period as the Minister may direct after the date when the right to possession or occupation of land is offered for sale under subsection (2), the right shall revert to the band free from any claim on the part of the devisee or descendant, subject to the payment, at the discretion of the Minister, to the devisee or descendant, from the funds of the band, of such compensation for permanent improvements as the Minister may determine.

Approbation requise

Approval required

(4) L’acheteur d’un droit à la possession ou occupation d’une terre sous le régime du paragraphe (2) n’est pas censé avoir la possession ou l’occupation légitime de la terre tant que le ministre n’a pas approuvé la possession.

(4) The purchaser of a right to possession or occupation of land under subsection (2) shall be deemed not to be in lawful possession or occupation of the land until the possession is approved by the Minister.

Pouvoir réglementaire

Regulations

50.1 Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir les cas où il existe plus d’un survivant à l’égard du même intestat visé à l’article 48.

50.1 The Governor in Council may make regulations respecting circumstances where more than one person qualifies as a survivor of an intestate under section 48.

B. Règlement sur les successions d’Indiens

Inventaire

Inventory

4 (1) Dès notification du décès ou le plus tôt possible après le reçu de cet avis, le surintendant doit faire parvenir au ministre un état détaillé de l’inventaire en la forme prescrite, qui doit indiquer les biens meubles et immeubles du défunt, la valeur de chaque article appréciée aussi exactement que possible, et toutes les dettes de la succession et les réclamations des créanciers connues à ce moment-là et le surintendant doit aussi déclarer dans cet état si le défunt a fait un testament et donner les noms de toutes les personnes ayant droit à une part de la succession et toute autre information pertinente que peut exiger le ministre.

4 (1) When he receives notice of the death of an Indian, or as soon thereafter as possible, the superintendent shall forward an itemized statement of inventory in the form prescribed, to the Minister, showing all the real and personal property of the deceased, the value of each item estimated as closely as possible, as well as all debts of or claims against the estate known at such time, and he shall also state therein whether the deceased left a will and give the names of all persons entitled to share in the estate and all such other information as may be required by the Minister.

(2) Aux fins du présent article, le surintendant doit agir en qualité d’administrateur et prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer la bonne garde ou protection des biens du défunt et le recouvrement des sommes dues ou exigibles et disposer des deniers recouvrés ou détenus, de la manière que détermine le ministre.

(2) For the purposes of this section, the superintendent shall act in the capacity of an administrator and shall take all necessary steps for the proper safekeeping or safeguarding of the assets of the deceased and for the collection of moneys due or owing to the deceased and shall dispose of the moneys so collected or held as the Minister may direct.

[…]

Pouvoirs et devoirs des administrateurs

Powers and Duties of Administrators

11 (1) Le ministre peut nommer un fonctionnaire de la Division des affaires indiennes et esquimaudes comme administrateur des successions et pour surveiller l’administration des successions et de tous les biens des Indiens décédés; afin de régler une succession, il peut autoriser que l’administration en soit transférée au surintendant de la réserve à laquelle appartenait la personne décédée.

11 (1) The Minister may appoint an officer of the Indian and Eskimo Affairs Branch to be the administrator of estates and to supervise the administration of estates and of all the assets of deceased Indians, and may provide that for the purposes of closing an estate the administration thereof be transferred to the superintendent of the reserve to which the deceased belonged.

(2) L’administrateur nommé conformément au présent article ou la personne qui agit en qualité d’administrateur en vertu de l’article 4 doit rendre compte au ministre de la préparation adéquate de l’inventaire, de la signification de tous les avis et de l’exécution de toutes les enquêtes et fonctions qui peuvent s’imposer ou être ordonnées à l’égard de toute question mentionnée dans le présent règlement.

(2) The administrator appointed pursuant to this section or the person acting as administrator in accordance with section 4 shall be responsible to the Minister for the proper preparation of the inventory, the giving of all notices and the carrying out of all inquiries and duties that may be necessary or be ordered with respect to any matter referred to in these Regulations.

[…]

(11) Un administrateur est autorisé à exercer tous les pouvoirs conférés à un exécuteur si ce dernier refuse d’agir ou est incapable de le faire par suite d’absence ou de maladie ou pour toute autre raison.

(11) An administrator is empowered to do all that an executor is empowered to do where the executor refuses to act or is incapable of acting by reason of absence or sickness or for any other reason.

[…]

(14) Un administrateur doit avoir tous les pouvoirs nécessaires pour s’acquitter des fonctions spécifiées ci-dessus et doit exécuter les ordres ou instructions et maintenir toute conclusion établie ou donnée par le ministre à l’égard de toute matière et cause testamentaires.

(14) An administrator shall have all such powers as are required for the carrying out of the duties herein specified, and shall carry out any order or direction and abide by any finding made or given by the Minister with respect to any matter and cause testamentary.

V. Analyse

A. Délai de présentation de la demande

[22] Le défendeur soutient que la décision a été rendue entre le 28 mars 2022 et le 28 septembre 2022. Les deux parties reconnaissent que la présente affaire se distingue d’une décision administrative traditionnelle en ce sens qu’il n’y a pas de date de décision précise. L’administratrice de la succession a plutôt communiqué la décision par des lettres et des courriels aux demandeurs et à leur avocat le 28 mars 2022, le 26 juillet 2022 et le 28 septembre 2022.

[23] La présente demande a été déposée le 29 mai 2023. Aucune demande officielle d’autorisation et de prorogation du délai de dépôt de la demande n’a été présentée, mais les demandeurs ont formulé des observations à cet égard dans leur plaidoirie. Pour sa part, le défendeur a convenu, dans sa plaidoirie, que les demandeurs pouvaient présenter une demande d’autorisation officielle, ajoutant qu’il ne s’opposerait pas à cette demande. Le défendeur a précisé qu’il ne cherchait pas à faire rejeter la demande en raison du non-respect du délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7. Il a plutôt indiqué qu’il s’agissait d’un [traduction] « vice de forme » qui doit être corrigé.

[24] Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales établit à 30 jours le délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision administrative.

[25] La Cour tient compte de quatre facteurs dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai. Le demandeur doit avoir démontré : 1) une intention constante de poursuivre sa demande; 2) le bien-fondé de sa demande; 3) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et 4) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai : Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 (QL), 1999 CanLII 8190 (CAF) [Hennelly] au para 3.

[26] La Cour d’appel fédérale a précisé que le respect de l’ensemble des quatre facteurs n’est pas nécessaire dans tous les cas (Première Nation de Whitefish Lake c Grey, 2019 CAF 275 au para 3). Comme l’a souligné récemment la juge Christine Pallotta au paragraphe 50 de la décision Whitelaw v Canada (Attorney General), 2023 FC 1410, [traduction] « [l]e facteur primordial est de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai ».

[27] À mon avis, les demandeurs ont respecté trois des facteurs du critère énoncé dans l’arrêt Hennelly. Ils ont démontré une intention constante de poursuivre la présente demande, comme en témoigne le litige concernant l’administration de la succession de la défunte qui perdure depuis deux décennies. J’estime en outre que la demande est fondée. Je suis également d’avis que le défendeur ne subit aucun préjudice, comme ce dernier l’a lui-même concédé dans sa plaidoirie.

[28] Quant au retard dans le dépôt de la demande, l’explication est quelque peu moins claire. Les demandeurs et le défendeur conviennent qu’il ne s’agit pas d’une instance administrative ordinaire; il n’y a donc pas de [traduction] « date de décision » précise. En outre, les demandeurs soutiennent que l’obligation de rendre compte en common law s’applique dans le contexte de l’administration d’une succession.

[29] Selon les demandeurs, comme la décision a été communiquée au fil d’une série d’échanges sur une période de plusieurs mois, ils pouvaient reprendre la série d’échanges et présenter une nouvelle demande dans les 30 jours. Autrement dit, le rejet de la demande pour cause de retard ne présente aucun avantage net. Le défendeur a semblé souscrire à cette observation.

[30] Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 36 de l’arrêt Première Nation de Key c Lavallée, 2021 CAF 123 36 :

[36] Ce n’est que lorsque l’« objet de la demande » est une décision ou ordonnance isolée que le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) s’applique (arrêt Krause, par. 20 à 23; arrêt Air Canada, par. 25). Lorsque l’« objet de la demande » visé par le contrôle constitue une série d’actes (Save Halkett Bay Marine Park Society c. Canada (Environnement), 2015 CF 302, 476 F.T.R. 195, par. 77), plutôt qu’une décision isolée (voir, par exemple, Apotex Inc. c. Canada (Santé)), 2011 CF 1308, 400 F.T.R. 28, par. 18), le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne fait pas en sorte que le contrôle ne porte que sur la première décision (Servier Canada inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 196, 2007 CarswellNat 2184, par. 17 Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2010 CF 1310, 2010 CarswellNat 4944, par. 10).

[31] Compte tenu de ce qui précède, et conformément au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour permettre le dépôt tardif de la présente demande, sans qu’une requête officielle soit nécessaire. Les demandeurs ont respecté les facteurs dont la Cour doit tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. J’accorde la prorogation du délai pour le dépôt de la présente demande.

B. « Pratique » de SAC consistant à accorder une valeur négligeable aux terres de réserve

[32] Les demandeurs soutiennent que la « pratique » de SAC consistant à considérer que les biens situés dans une réserve ont une valeur négligeable s’ils ne font pas l’objet d’un bail enregistré est déraisonnable.

(1) Nouveaux éléments de preuve

[33] Les demandeurs ont déposé en preuve deux nouveaux affidavits à l’appui de leur thèse :

  1. L’affidavit de M. Michael Blackwell, avocat chez Fulton & Company LLP, qui présente de l’information générale concernant les terres de réserve ainsi que les mécanismes auxquels les titulaires de certificats de possession peuvent avoir recours pour [traduction] « recouvrer la valeur des terres de réserve d’une manière similaire à celle applicable aux terres en fief simple situées hors réserve », par la location des terres de réserve.

  2. L’affidavit de Mme Jessica MacDonald, adjointe administrative juridique chez Fulton & Company LLP, auquel sont joints les documents suivants :

    1. une lettre du 18 avril 2005 que Mme Charlesworth a envoyée à Mme Tronson (demanderesse en l’espèce);

    2. une carte tirée de Google Maps, consultée en ligne, du parc immobilier Desert Cove Estates situé dans la réserve indienne Okanagan no 1;

    3. une capture d’écran de la page d’accueil du site Web de Desert Cove Estates, que l’on trouve à l’adresse https://www.desertcove.ca;

    4. une capture d’écran d’une page de présentation tirée du site Web de Desert Cove Estates, que l’on trouve à l’adresse https://www.desertcove.ca/about-us/;

    5. une sélection de pages tirées de la version anglaise du « Manuel de procédures des successions » (« Procedures Manual for Decedent Estates » [sic]) de SAC, soit de la page de titre à la page xi ainsi que les pages 8 à 82, et 104 à 156.

[34] En règle générale, le dossier de preuve qui est soumis à notre Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, se limite au dossier dont disposait le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 19).

[35] Il existe des exceptions à cette règle, mais uniquement si l’admission de nouveaux éléments de preuve est compatible avec les rôles différents de la cour de révision et du décideur administratif. Les trois grandes exceptions sont les suivantes :

  1. Présenter des informations contextuelles générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. Les tribunaux doivent veiller à ce que l’affidavit ne contienne pas d’éléments de preuve relatifs au fond de la question à trancher dans le cadre de la demande.

  2. Porter à l’attention de la Cour des vices de procédure qui ne peuvent être décelées dans le dossier de preuve dont disposait le décideur administratif; pour permettre au tribunal de remplir son rôle dans l’examen des allégations de manquement à l’équité procédurale.

  3. Mettre en évidence l’absence totale d’éléments de preuve à la disposition du décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion donnée (Access Copyright, au para 20).

[36] Les demandeurs ont fait valoir que les deux affidavits sont visés par les exceptions relatives à l’admission de nouveaux éléments de preuve puisqu’ils présentent des informations contextuelles générales et mettent en évidence l’absence d’éléments de preuve à la disposition de Mme Charlesworth dans son administration de la succession et avant qu’elle ne prenne sa décision.

[37] Pour sa part, le défendeur a affirmé que la Cour devait radier l’affidavit de M. Blackwell ainsi que les pièces B à D de l’affidavit de Mme MacDonald parce que ces éléments de preuve n’étaient pas à la disposition de Mme Charlesworth, qu’il s’agit de témoignages d’opinion ou qu’ils ne sont pas pertinents. Le défendeur a également fait remarquer que Mme Charlesworth avait invité les demandeurs à soumettre des renseignements supplémentaires quant à la valeur des droits de la succession à l’égard des certificats de possession et qu’ils n’avaient soumis aucun renseignement avant d’introduire la présente instance. Le défendeur soutient que notre Cour ne devrait donc pas tenir compte des nouveaux éléments de preuve dans le présent contrôle judiciaire.

[38] À mon avis, l’affidavit de M. Blackwell est visé par l’exception concernant les informations contextuelles générales. Il contient des informations générales sur des mécanismes auxquels les Premières Nations et leurs membres ont recours pour la location des terres de réserve à des fins de développement économique. Ces mécanismes peuvent leur permettre de générer des possibilités et d’augmenter considérablement la valeur des terres de réserve. Ces informations contextuelles sont utiles aux fins de l’appréciation du caractère raisonnable de la « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur négligeable aux terres de réserve.

[39] Les demandeurs ont fait valoir que, même si l’administratrice de la succession n’était pas une [traduction] « spécialiste des terres » de SAC, il est raisonnable de supposer qu’elle était (ou qu’elle aurait dû être) au courant de l’existence de ces mécanismes, compte tenu des liens entre ces mécanismes et l’évaluation des biens de la succession. Je suis du même avis. Je souligne également que l’administratrice de la succession a reconnu, lors du contre-interrogatoire au sujet de l’affidavit qu’elle a souscrit en l’espèce, qu’elle était au fait de l’existence de tels mécanismes, notamment les « baux au noir », des baux informels visant la location de terres de réserve.

[40] S’agissant de l’affidavit de Mme MacDonald, les pièces B à D sont radiées puisque l’information qu’elles contiennent n’est ni utile ni visée par l’une des exceptions dont je fais mention plus haut.

(2) Caractère raisonnable de la « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur symbolique aux terres de réserve

[41] Le défendeur a fait valoir que, suivant l’article 48 de la Loi sur les Indiens, lorsque le ministre est d’avis que la valeur nette de la succession d’une personne décédée est inférieure à 75 000 $, la succession est entièrement dévolue à l’époux survivant.

[42] Le Manuel de procédures des successions de SAC (le Manuel) est un guide de politique opérationnelle destiné aux administrateurs de succession de SAC. Il n’y est pas précisé que les administrateurs doivent obtenir une estimation de la valeur des terres de réserve. Le « rôle de l’administrateur ministériel » est défini au chapitre 8 du Manuel, tandis que la question de l’évaluation des biens et de l’expertise en la matière est examinée à la section 4 du même chapitre :

4.0 Évaluation des biens

Un administrateur ministériel doit obtenir une estimation de la juste valeur marchande (le prix auquel un article peut être vendu sur le marché libre) de chaque bien de valeur importante (à l’exception des terres de réserve).

4.1 Expertise en matière d’évaluation

À l’instar de l’embauche d’un avocat ou d’un comptable, un administrateur ministériel peut devoir embaucher un évaluateur pour évaluer des articles comme des bijoux, des meubles anciens ou des biens immobiliers hors réserve.

[43] Le défendeur a fait valoir que les administrateurs de succession de SAC ne sont pas tenus d’évaluer les biens situés dans les réserves parce que les terres de réserve ne peuvent être vendues sur le « marché libre » puisqu’elles sont réservées au profit uniquement de la bande et de ses membres, tel qu’il est prévu à l’alinéa 2a) de la Loi sur les Indiens.

[44] Le défendeur a ajouté que les administrateurs de succession de SAC n’ont pas le pouvoir discrétionnaire d’engager des dépenses pour une évaluation sans avoir obtenu une autorisation prévue par la loi. Les demandeurs n’ont fourni aucun renseignement sur la valeur des droits à l’égard des certificats de possession, malgré l’invitation de Mme Charlesworth en ce sens.

[45] Selon le défendeur, puisque les seuls biens de la succession sont les droits à l’égard des certificats de possession, lesquels ne peuvent être vendus ou transférés qu’aux membres de la bande indienne des Okanagan, leur valeur sera déterminée lorsqu’ils seront vendus, conformément à l’article 50 de la Loi sur les Indiens.

[46] Les demandeurs ont fait valoir que la « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur négligeable aux terres de réserve qui ne font pas l’objet d’un bail enregistré est fondée sur une présomption tombée en désuétude il y a longtemps, selon laquelle on ne peut tirer profit des terres de réserve et que celles-ci ne peuvent avoir une valeur considérable. Des mécanismes modernes, tels que des baux immobiliers à long terme, permettent aux peuples autochtones de tirer profit de la valeur de leurs terres.

[47] Les demandeurs ont allégué que la « pratique » de SAC se traduit par un préjudice considérable pour les enfants survivants, comme eux, lorsque seul l’époux survivant hérite de la succession de la personne décédée suivant le fondement de la part préférentielle de l’époux prévue à l’article 48 de la Loi sur les Indiens. Les demandeurs soutiennent que cette pratique est contraire à l’intention de l’article 48, selon lequel tout ce qui ne constitue pas une petite succession (75 000 $ ou moins) est réparti entre l’époux survivant et les enfants.

[48] En outre, les demandeurs ont indiqué que la « pratique » de SAC semble contraire aux paragraphes 4(1), 4(2), 11(1) et 11(2) du Règlement, et que, par conséquent, l’hypothèse selon laquelle les biens situés dans une réserve ont une valeur négligeable n’est pas raisonnable.

[49] Les demandeurs ont fait valoir qu’en dépit de la directive donnée à la section 4 du chapitre 8 du Manuel, il est explicitement fait mention de l’estimation de la valeur des terres dans d’autres sections du Manuel. En effet, les procédures de vente de terres situées dans les réserves sont énoncées au chapitre 8 : à la section 5, intitulée « Pouvoir et pouvoir discrétionnaire de vendre des biens dans les réserves », et à la section 10, intitulée « Terre de réserve à titre de biens ». La présomption selon laquelle la valeur des terres de réserve est nulle ou négligeable est par conséquent réfutée.

[50] À mon avis, la « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur nulle ou négligeable aux terres de réserve qui ne font pas l’objet d’un bail enregistré n’est pas raisonnable. Cette pratique ne tient pas compte des mécanismes auxquels les peuples autochtones peuvent avoir recours pour tirer profit de la valeur des terres de réserve.

[51] Je crois comprendre que seuls les membres de la bande indienne des Okanagan peuvent être titulaires des droits à l’égard des certificats de possession. Je prends également note qu’en l’espèce, les droits à l’égard des certificats de possession concernent des terres inexploitées. Il n’en découle pas pour autant que ces terres ont une valeur négligeable.

[52] En l’absence d’une évaluation ou de toute autre information provenant de SAC ou de l’administratrice de la succession, il est impossible d’estimer la valeur des droits à l’égard des certificats de possession. Comme je le mentionne plus haut, la présomption selon laquelle les droits à l’égard des certificats de possession ont une valeur nulle ou symbolique n’est pas raisonnable.

[53] Enfin, je souligne que la pièce A jointe à l’affidavit de Mme MacDonald est une lettre du 18 avril 2005 que Mme Charlesworth a envoyée à Mme Tronson (demanderesse en l’espèce). Il semble que Mme Charlesworth ait déterminé, dès 2005, que la valeur de la succession de la défunte était inférieure à 75 000 $ :

[traduction]

En réponse à votre lettre du 7 avril 2005, je vous informe que nous pouvons examiner une demande de contestation d’un testament présentée par un héritier, un bénéficiaire ou un créancier. Comme vous n’êtes ni l’un ni l’autre, je ne peux malheureusement pas donner suite à votre demande.

Je vous rappelle que si le testament est contesté avec succès, le seul héritier de Mme Joe serait son survivant, Elmer I George […]

[54] Il ne ressort pas clairement de la preuve au dossier que SAC disposait d’informations concernant l’estimation de la valeur des biens de la succession au moment de cette communication en 2005.

[55] En outre, il est impossible de savoir si d’autres efforts ont été déployés pour déterminer la valeur de la succession après la reprise de l’administration de la succession par SAC en 2022. La manière dont l’administratrice de la succession a déterminé la valeur de la succession n’est pas claire.

[56] En bref, s’agissant de l’administration d’une succession hors réserve en Colombie‑Britannique, il incombe à l’exécuteur testamentaire de trouver, d’obtenir et de protéger les biens de la succession. Pour s’acquitter de ces tâches, l’administrateur de succession peut recouvrer les dépenses raisonnables qu’il engage dans l’exercice de ses fonctions (voir Aubrie Girou, B.C. Executor’s Guide to Probate and Estate Administration (2021) (Vancouver : Association canadienne des professionnels en dons planifiés, chapitre de la région de Vancouver, 2021), à la p 17 (le Guide de l’exécuteur testamentaire de la C.-B.)).

[57] Par ailleurs, l’administrateur de succession a droit à une rémunération pour l’exercice de ses fonctions. En l’absence de testament, ou si le testament ne donne aucune précision sur la rémunération et les honoraires de l’administrateur, l’article 88 de la loi britanno-colombienne intitulée Trustee Act (Loi sur les fiduciaires), RSBC 1996, c 464, s’applique (Guide de l’exécuteur de la C.-B., aux p 18-19).

[58] Le défendeur a fait valoir que les administrateurs de succession de SAC ne peuvent faire estimer la valeur des terres de réserve parce qu’ils ne peuvent pas dépenser les fonds publics. Toutefois, rien dans la Loi sur les Indiens ni dans le Règlement n’empêche les administrateurs de succession de SAC de prendre des mesures pour recouvrer les dépenses raisonnables engagées dans le cadre de l’administration de la succession d’un intestat. Cette interprétation trouve appui dans le Manuel :

Introduction, section 6 :

6.0 Lois provinciales/territoriales d’application générale

La primauté de tout traité, ou de toute loi du Parlement du Canada, sur les lois provinciales (et territoriales), est établie par l’article 88 de la Loi sur les Indiens, « Lois provinciales d’ordre général applicables aux Indiens ».

Les lois provinciales et territoriales, conformes à la Loi sur les Indiens ou aux règlements, s’appliquent aux Indiens de cette province/[de ce] territoire dans les réserves et hors réserve. La mesure dans laquelle les lois provinciales/territoriales s’appliquent dépendra de la mesure dans laquelle la Loi sur les Indiens, les règlements subséquents ou les tribunaux répondent à cette question.

Chapitre 8, section 1.5 :

1.5 Administrateur exercice de discrétion

L’administrateur a le pouvoir discrétionnaire (le pouvoir de décider) d’exécuter certaines tâches et fonctions pour une succession (ex. quand et comment vendre un bien). Toutefois, l’administrateur doit aussi être en mesure de prouver (dans un tribunal, au besoin) que son pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement et raisonnablement (ex. que la décision de vendre un bien a été prise en tenant compte des conditions du marché et d’autres facteurs pertinents).

[Non souligné dans l’original.]

C. Compte rendu de la succession pour les héritiers et bénéficiaires potentiels

[59] Le défendeur a allégué qu’il était raisonnable pour l’administratrice de la succession de conclure qu’elle n’avait pas à fournir un compte rendu de la succession aux demandeurs, puisqu’ils ne sont pas des héritiers aux fins de l’application du paragraphe 48(2) de la Loi sur les Indiens. De plus, dans le Manuel, il n’est pas indiqué que les administrateurs de succession doivent transmettre un compte rendu aux personnes qui n’ont pas qualité d’héritier ou de bénéficiaire. Enfin, le défendeur a fait remarquer que, pour des raisons touchant à la protection de la vie privée, Mme Charlesworth ne peut communiquer des renseignements, notamment un compte rendu de succession, à des personnes qui n’ont pas qualité d’héritier ou de bénéficiaire.

[60] Les demandeurs ont fait valoir que l’obligation de rendre compte est au cœur des responsabilités de tout fiduciaire, y compris de l’administrateur de succession. Les demandeurs ont soutenu, et je suis d’accord, que l’obligation de rendre compte s’applique non seulement pour les personnes qui ont le droit de bénéficier d’une succession, mais aussi pour les personnes qui pourraient ne pas avoir ce droit (Smith, Re (1951), 1951 CarswellOnt 388, [1952] OWN 62 au para 1; Girouard c Robichaud, 2023 NBBR145 au para 30).

[61] En outre, s’agissant de l’administration d’une succession hors réserve en Colombie‑Britannique, les exécuteurs testamentaires sont tenus de préparer un compte rendu complet de la succession, y compris un registre de tous les biens disponibles, des ventes de biens et de toutes les dettes, notamment celles payées par l’exécuteur testamentaire, ainsi qu’une proposition de distribution. Le compte rendu doit être transmis à tous les bénéficiaires restants (Guide de l’exécuteur de la C.-B., à la p 16). Rien dans la Loi sur les Indiens, ni dans le Règlement, ni dans le Manuel ne semble interdire à l’administratrice de la succession de fournir un compte rendu de la succession à tous les héritiers et bénéficiaires potentiels, c’est-à-dire aux demandeurs en l’espèce. À mon avis, la transmission d’un compte rendu aux demandeurs serait conforme à l’obligation générale de rendre compte qui incombe aux administrateurs de succession. Je fais remarquer qu’il est indiqué ce qui suit au chapitre 8 du Manuel :

1.0 Un administrateur ministériel, nommé en vertu de l’article 43 de la Loi sur les Indiens, peut être appelé à accomplir un certain nombre de tâches, notamment :

[…]

- faire un compte rendu aux héritiers/bénéficiaires sur l’administration d’une succession;

[…]

1.1 Valorisation d’une succession

En général, [un] agent régional est nommé administrateur d’une succession lorsque personne dans la famille n’est disposé à être l’administrateur et que la valeur nette connue d’une succession est de moins de 75 000 $. Tous les héritiers possibles, ou les proches parents, ont besoin de l’occasion de commenter sur la valeur successorale.

[…]

1.6 Compte rendu et divulgation des renseignements y compris l’inventaire et le contrôle des biens

1.6.1 L’administrateur ministériel doit fournir un compte rendu complet de l’administration de la succession aux héritiers/bénéficiaires connus avec lettre A-10 (Lettre aux héritiers/bénéficiaires – Liste provisoire des biens), y compris une liste :

i) des biens de la succession dès le début;

ii) des sommes reçues pendant l’administration de la succession;

iii) des frais d’administration de la succession;

iv) des placements effectués par le défunt;

v) des biens restants et de la distribution proposée de ceux‑ci;

vi) si une déclaration finale d’impôt a été achevée pour une succession défunt[e].

1.6.2 Sur demande, l’administrateur doit être prêt à rendre compte et à communiquer tous les renseignements se rapportant à ses tâches et fonctions dans l’administration d’un bien.

[Non souligné dans l’original.]

[62] Je ne suis pas d’accord avec les affirmations du défendeur quant aux enjeux en matière de protection de la vie privée. Selon l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P‑21, la communication des renseignements est autorisée si elle sert les fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés, ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins. En l’espèce, les renseignements ont été obtenus aux fins de l’administration de la succession, et les demandeurs, en tant que bénéficiaires potentiels, demandent que ces renseignements leur soient transmis. À la lumière de ce qui précède, il semble que cette communication soit autorisée.

[63] Ainsi, pour les motifs qui précèdent, le refus de l’administratrice de la succession de fournir aux demandeurs un compte rendu de la succession de la défunte est déraisonnable.

VI. Conclusion

[64] Je termine en faisant des observations similaires à celles faites par notre Cour aux paragraphes 62 à 67 de la décision Jack c Wildcat, 2024 CF 1. Je suis troublée par le fait que SAC a élaboré un manuel et des pratiques qui, dans les faits, accorde une moins grande protection aux héritiers potentiels si le défunt était titulaire de droits à l’égard de terres de réserve que s’il était titulaire de droits à l’égard de terres hors réserve. En effet, la « pratique » de SAC fait en sorte que le traitement réservé aux Autochtones qui ont des terres de réserve est moins équitable que celui réservé aux propriétaires terriens hors réserve se trouvant dans une situation similaire (Pronovost c Ministre des Affaires indiennes, [1985] 1 CF 517, 1984 CanLII 5325 (CAF) aux p 528-529).

[65] J’ai des réserves quant à l’estimation que l’administratrice de la succession a faite aveuglément de la valeur de la succession de la défunte en se fondant sur la « pratique » de SAC et en faisant fi de la valeur potentielle des terres pour d’autres membres de la bande indienne des Okanagan. Cette estimation a servi de fondement au refus de fournir un compte rendu de la succession aux demandeurs. À mon sens, en l’espèce, le raisonnement circulaire appliqué sans aucune preuve à l’appui n’est pas raisonnable.

[66] En conclusion, la « pratique » de SAC consistant à accorder une valeur nulle ou négligeable aux terres de réserve qui ne font pas l’objet d’un bail enregistré n’est pas raisonnable. Par conséquent, la conclusion de l’administratrice de la succession selon laquelle la valeur de la succession de la défunte était inférieure à 75 000 $ n’est pas raisonnable. Le refus de fournir un compte rendu de la succession aux demandeurs en leur qualité d’héritiers ou de bénéficiaires potentiels n’est pas raisonnable.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1158-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Les demandeurs bénéficient d’une prorogation de délai pour poursuivre leur demande de contrôle judiciaire.

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’évaluation de la succession de la défunte est renvoyée au ministre pour nouvelle évaluation dans un délai de 90 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  3. L’administratrice de la succession, Mme Charlesworth, doit fournir aux demandeurs un compte rendu de la succession de la défunte dans les 30 jours suivant l’évaluation complète et révisée de la succession.

« Julie Blackhawk »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1158-23

INTITULÉ :

MITCHELL ET AL c SMR

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUILLET 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

BLACKHAWK J.

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 17 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Tyson McNeil-Hay

POUR LES DEMANDEURS

Joshua Ingram

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fulton & Company LLP

Avocats

Kamloops (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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