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Date : 20060619

Dossier : IMM-3165-06

Référence : 2006 CF 782

Montréal (Québec), le 19 juin 2006

En présence de Monsieur le juge Shore

ENTRE :

EMMANUEL CHIMAOBIM IWEKAOGWO

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                Ceci est une requête demandant le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi émise contre le demandeur jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur sa demande de dispense de visa de résident permanent en raison de l'existence de considérations humanitaires (ci-après la « demande CH » ou la « demande de dispense » ) et/ou jusqu'à la décision finale de la Cour fédérale sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[2]                La date de renvoi du demandeur vers son pays d'origine, le Nigéria, est fixée au 20 juin 2006.

[3]                Cette requête en sursis est rattachée à une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui a été produite à la Cour fédérale le 12 juin 2006 et signifiée au défendeur le 15 juin 2006. Dans cette demande d'autorisation, le demandeur :

§          Demande à la Cour que soit rendue une décision de la nature d'un mandamus. Le demandeur allègue que le défendeur omet, néglige ou refuse de rendre une décision sur sa demande de dispense soumise en novembre 2004 dans le dossier d'immigration portant le numéro de dossier 5323-2235.

§          Demande l'annulation de la décision d'exécuter la mesure de renvoi rendue par l'agent de renvoi, le 5 juin 2006.

[4]                La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée par le demandeur porte sur deux décisions différentes (refus de rendre une décision (mandamus) et exécution de la mesure de renvoi).

[5]                Dans l'affaire Gonsalves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 588 (QL), monsieur le juge Muldoon s'exprimait ainsi :

Deux questions préliminaires doivent être tranchées en l'espèce. La première est le fait que la requérante semble contester deux décisions, soit la décision par laquelle la section d'appel a nié avoir la compétence voulu pour entendre l'appel de la requérante, et la décision selon laquelle celle-ci constitue un danger pour le public. Selon l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, une seule décision peut faire l'objet d'un contrôle dans une demande de contrôle judiciaire. Il appert de la demande de contrôle judiciaire déposée en l'espèce que la décision attaquée était celle par laquelle la section d'appel a nié sa compétence. Par conséquent, la Cour n'est pas saisie en bonne et due forme de la demande visant à contester la décision relative à l'avis susmentionné.

(Voir également : Tei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1902 (QL))

[6]                Le demandeur ne peut pas contester deux décisions dans la même demande d'autorisation.

[7]                Conformément à la règle 364 (3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le demandeur avait jusqu'au 14 juin 2006, 17h00 (deux jours ouvrables avant la date d'audition), pour signifier au défendeur son dossier de requête et ses prétentions qu'il entend soulever lors de l'audition de sa demande de sursis. Or, le demandeur a choisi de signifier son dossier de requête au défendeur le 13 juin 2006 à 12h07. Il ne peut pas simplement alléguer dans son dossier de requête « le bref délai » pour étayer sa preuve et son argumentation et se réserver le droit d'amender ses prétentions lors de l'audition et ainsi, prendre par surprise le défendeur qui n'aura, de toute évidence, pas l'opportunité de répondre de façon adéquate aux prétentions amendées du demandeur.

[8]                Tel qu'il appert de l'affidavit de M. Raymond Dubrule, le demandeur sait depuis de nombreux mois qu'il est sans statut au Canada et que son renvoi était imminent. Plus spécifiquement, il sait depuis le 5 juin 2006 que son renvoi a été fixé au 20 juin 2006. Ainsi, le demandeur connaît depuis plus d'une semaine la date de son renvoi et il ne peut certes pas alléguer, dans le cadre d'une requête en sursis, « un bref délai » et prendre le défendeur par surprise lors de l'audition.

EXPOSÉ DES FAITS

[9]                Pour un résumé des faits ainsi qu'un portrait du dossier d'immigration du demandeur, le défendeur réfère cette Cour à l'affidavit de Raymond Dubrule, produit au soutien du présent dossier de réponse. Cet affidavit réfère à de nombreux documents pertinents et importants du dossier d'immigration du demandeur.

ANALYSE

[10]            Afin d'évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, la présente Cour doit déterminer si le demandeur satisfait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Toth. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1998] A.C.F. no 587 (QL) :

(1)         l'existence d'une question sérieuse;

(2)         l'existence d'un préjudice irréparable; et

(3)         l'évaluation de la balance des inconvénients.

[11]            Les trois critères doivent être rencontrés pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d'entre eux n'est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé. (Pao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 941, [2005] A.C.F. no 1173)

            A)         Préjudice Irréparable

[12]            La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l'affaire Kerrutt comme étant le renvoi d'une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité. (Kerrutt c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992) 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237; Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1271, [2003] A.C.F. no 1620 (QL))

[13]            Au niveau du préjudice irréparable, le demandeur allègue (par. 10 à 12 de son affidavit et par. 8 de ses prétentions) qu'il craint toujours de rentrer au Nigéria en raison de sa crainte d'être victime des menaces de l'organisation Ogboni ce qui lui créé des problèmes de santé et de stress sévères.

[14]            Ce préjudice irréparable allégué par le demandeur est constitué exactement des mêmes faits présentés à la SPR, lesquels ont été jugés non crédibles (voir pièce A).

[15]            Ces mêmes faits ont également été révisés par la Cour fédérale, laquelle a rejeté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la SPR (voir pièce A).

[16]            Le demandeur a aussi présenté ces mêmes faits à l'appui de sa demande ERAR. L'agent, après avoir considéré l'analyse faite par la SPR, et après avoir procédé à sa propre analyse de la preuve soumise devant lui, a conclu que le demandeur n'avait pas rencontré son fardeau de preuve, soit qu'il serait personnellement à risque au Nigéria.

[17]            Les risques allégués tant devant la SPR, que devant l'agent ERAR, tous jugés non crédibles et insatisfaisants, ne peuvent constituer un préjudice irréparable. À cet égard, la Cour se réfère aux arrêts suivants :

Le fait d'alléguer simplement que les personnes en cause subiront le préjudice allégué dans leurs demandes d'ERAR ne suffit pas pour les besoins du critère. Je tiens d'abord à faire remarquer que la grande majorité des personnes touchées ont bénéficié d'un certain nombre d'examens des risques. Avant les décisions relatives aux ERAR, les personnes touchées ont dans tous les cas été parties à des procédures antérieures engagées en vertu de la LIPR.

(Nalliah c. Canada(Solliciteur general) (C.F.), [2005] 3 R.C.F. 210, 2004 CF 1649)

Voir également :

La jurisprudence de la Cour établit que lorsque le récit d'un demandeur est jugé non crédible, ce récit ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis...

(Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FC 931 (C.F.), [2003] A.C.F. no 1182 (QL))

(Voir aussi Knyasko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-3240-06; Ulusoy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-3277-05)

[18]            Quant aux problèmes de santé et de stress allégués par le demandeur, ils reposent sur une simple allégation générale du demandeur dans son affidavit et cette allégation n'est appuyée par aucune preuve médicale ou autre.

[19]            Le demandeur ne démontre certes pas que son renvoi dans son pays lui causerait un préjudice irréparable.

[20]            Le demandeur n'ayant pas satisfait le critère du préjudice irréparable, la présente requête en sursis devrait être rejetée pour ce seul motif.

[21]            Néanmoins, la matière suivante au niveau de la question sérieuse démontre.   

B.         Question sérieuse

[22]            Le demandeur allègue que son ancienne procureur, Me Langelier, aurait tenté en vain de contacter CIC afin de leur fournir des documents supplémentaires à l'appui de sa demande CH et pour le rencontrer afin de discuter du dossier (par. 3 des prétentions).

[23]            En réponse, le défendeur réfère au par. 15 de l'affidavit de M. Raymond Dubrule qui affirme que tous les documents que le demandeur a produits comme pièces au soutien de sa requête en sursis dont notamment, toute la correspondance de son ancienne avocate, Me Michelle Langelier, se retrouvent dans son dossier d'immigration. Pour ce qui est de la rencontre, CIC n'avait aucune obligation de rencontrer son ancienne avocate dans le cadre de sa demande CH, surtout considérant le stade auquel est rendue cette demande chez CIC-Montréal.

[24]            Au paragraphe 5 de ses prétentions, le demandeur allègue que la décision ne respecte pas l'application des principes de justice naturelle notamment, parce qu'elle n'a pas permis au demandeur de se faire entendre avant son renvoi.

[25]            Cette prétention est beaucoup trop générale et elle n'est appuyée par aucune preuve. Il s'agit de la décision de l'agent des renvois. Si c'est le cas, il suffit de mentionner que le demandeur a eu droit à plusieurs rencontres avec les agents de CIC avant qu'une date de renvoi soit fixée (voir 11 à 14 de l'affidavit de Raymond Dubrule). De plus, pour ce qui est du droit d'être entendu, le défendeur rappelle que le demandeur a pu revendiquer le statut de réfugié, présenter une Demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire (DACJ) à l'encontre de cette décision de la SPR, ainsi que faire une demande d'ERAR. Il a épuisé les recours qui lui sont permis par la loi.

[26]            Au paragraphe 6 de ses représentations, le demandeur allègue qu'il soulève des questions sérieuses, soit que des éléments et des événements nouveaux se sont produits depuis la date d'audition à faire valoir par sa demande d'autorisation en l'instance.

[27]            Ces allégations sont beaucoup trop générales et elles ne sont appuyées par aucune preuve ou informations. Ainsi, le défendeur est dans l'impossibilité de répondre à ces allégations du demandeur.

[28]            Dans son affidavit, le demandeur réfère à une directive et/ou politique régionale et allègue que CIC a l'obligation d'évaluer les risques qu'il a invoqués dans sa demande CH avant son renvoi du Canada. Il allègue la doctrine de l'expectative légitime et qu'il est en droit et qu'il a une attente à ce que l'étude des risques soit faite avant son départ.

[29]            Est-il utile de répéter que le demandeur a eu droit, depuis son arrivée au Canada en septembre 2003, à plusieurs évaluations des risques allégués (SPR, DACJ, ERAR). Toutes ces évaluations ont été négatives. Dans sa demande CH, ainsi qu'au au soutien de la présente requête en sursis, le demandeur allègue exactement les mêmes faits qui ont été jugés non crédibles et/ou insatisfaisants pour démontrer un risque de retour dans son pays.

[30]            Sa demande CH suivra son cours malgré le renvoi de demandeur.

[31]            La jurisprudence de cette Cour est à l'effet que l'existence d'une demande pour motifs humanitaires pendante ne constitue pas en elle-même une question sérieuse dans le cadre d'un sursis. (Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1081 (C.F.), [2003] A.C.F. no 1353, 2003 FC 1081 (C.F.); Lail c. Canada (Solicitor General of Canada), IMM-10238-03, 19 janvier 2004 (C.F.); Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 FCT 1307 (C.F.), [2001] A.C.F. no 1802; Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FC 1430, [2003] A.C.F. no 1837, 2003 FC 1430)

[32]            Pour ce qui est de l'allégation du demandeur que l'absence d'une décision sur sa demande CH et une déportation vers son pays vont à l'encontre des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, il est bien établi que le renvoi d'une personne inadmissible ou d'un étranger n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale et que l'exécution dudit renvoi ne va pas à l'encontre des articles 7 et 12 de la Charte. (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] R.C.S. 711)

[33]            Le demandeur ne démontre certes pas l'existence d'une question sérieuse à être tranchée par la Cour.

[34]            La Cour traite également la procédure de mandamus puisque la présente requête est rattachée à une telle demande.

Mandamus

[35]            Un bref de mandamus est un recours extraordinaire qui ne trouve application que dans des circonstances limitées.

[36]            Les conditions préexistantes pour qu'un bref de mandamus soit émis sont clairement établies dans la cause de la Cour d'appel fédéral Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] A.C.F. no 1093. La Cour a réitéré les critères énoncés dans la cause Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1993] A.C.F. no 1098 :

L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en équité. La Cour ne l'accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) [Voir Note 6 ci-dessous], sont réunies :

Note 6 : [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

a) Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

b) l'obligation doit exister envers le demandeur;

c) il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, et notamment, le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

d) le demandeur n'a aucun autre recours;

e) l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

f) dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé; et

g) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue [Voir Note 7 ci-dessous]. »

[37]            Le demandeur n'a pas satisfait à toutes ces conditions qui sont nécessaires afin de justifier le recours à un bref de mandamus.

[38]            Les frais exigibles à la demande CH du demandeur ont été payés le ou vers le 17 novembre 2004 (voir affidavit de Raymond Dubrule et affidavit de Suzanne Alary).

[39]            Selon le dossier, le défendeur n'a jamais refusé d'agir et de traiter la demande de dispense du demandeur et le délai pour ce faire n'est pas déraisonnable.

[40]            À cet égard, cette Cour se réfère à l'affidavit de Mme Suzanne Alary, qui démontre que le traitement de la demande CH soumise par le demandeur suit son cours, et il est tout à fait normal qu'une décision n'ait pas encore été rendue puisque le demandeur a payé les frais exigibles à sa demande de dispense en novembre 2004, il y a 19 mois environ et CTD-Vegreville a référé sa demande CH à CIC Montréal, le 19 décembre 2005, il y a 6 mois environ.

[41]            En vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, (LIPR), le Ministre peut dispenser un étranger de l'obligation d'avoir un visa en raison de considérations humanitaires. Il s'agit d'un processus qui est tout à fait discrétionnaire.

[42]            Il est à noter que la loi ou les règlements n'imposent pas de limites ou de délais spécifiques aux agents dans l'exécution de leurs fonctions relativement à la détermination qu'ils doivent faire concernant les demandes de dispense comportant des considérations humanitaires.

[43]            Cette Cour s'est prononcée, dans l'affaire Bakhsh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigratin), 2004 CF 1060, [2004] A.C.F. no 1281 (QL)., sur le délai de traitement d'une demande en vertu du paragraphe 25(1) LIPR.

En l'espèce, le défendeur admet l'existence de l'obligation d'agir à caractère public et aussi que cette obligation existe envers le demandeur. La seule question en litige consiste à savoir si le délai d'exécution de l'obligation prescrite par la loi est déraisonnable. On considère généralement qu'un délai déraisonnable dans le prononcé d'une décision est assimilable à un refus implicite d'exécuter l'obligation d'agir à caractère public. Notre Cour a énoncé les exigences suivantes pour qu'on puisse dire qu'un délai est déraisonnable :

1. le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2. le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables; et

3. l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

(Voir Conille c. Canada (MCI), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.).)

S'agissant de la première des trois exigences précitées, le défendeur admet que le délai de presque quatre ans dans le traitement de la demande CH est à peu près deux fois plus long que le délai normal. Il y a peu de doute qu'un tel délai est plus long que ce que la nature du processus exige et j'en conclus donc ainsi. Le défendeur admet aussi que le demandeur n'est pas responsable du délai. Bien que le demandeur admette être responsable de sept mois du délai, je suis d'accord que par ailleurs la preuve indique clairement que le demandeur ne peut être tenu responsable d'un aussi long délai.

[44]            Dans une autre cause rendue en juillet 2004, cette Cour a énoncé ce qui suit :

Il est accepté que la Cour puisse délivrer un bref de mandamus pour forcer l'exécution d'une obligation légale. La jurisprudence de la Cour établit également qu'un retard déraisonnable dans l'exécution d'une telle obligation peut justifier la délivrance d'un bref de mandamus. Il y a un tel retard lorsque le temps écoulé est plus long que ce que la nature des choses exige. Le demandeur ne doit pas avoir provoqué le retard et on ne lui a fourni aucune justification valable pour le retard [voir Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33].

Le défendeur ne conteste pas qu'il a une obligation légale à remplir, soit rendre une décision sur la demande du statut de résident permanent que le demandeur lui a présentée. Il est également évident que le demandeur ne peut pas être tenu responsable pour le long retard. En outre, le défendeur n'a fourni aucune explication précise du retard et allègue simplement que l'affaire progresse.

Le retard inexpliqué du ministre, de cinq années depuis le moment où il a accordé l'exemption, et de plus de quatre ans depuis sa demande de renseignements et de documents supplémentaires, laisse perplexe. Cependant, à partir de la preuve que j'ai devant moi, je ne peux pas conclure que le retard est excessif ou hors de proportion compte tenu de la nature du processus. Pour les motifs qui suivent, je refuse d'accorder la réparation extraordinaire demandée.

            (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 981, [2004] A.C.F. no 1202 (QL))

[45]            Dans le présent dossier, il n'y a pas de preuve que le délai de traitement de la demande de dispense est excessif ou hors de proportion compte tenu de la nature du processus. Il n'y a aucune indication que dans la présente affaire, le délai est dû à l'inaction ou à l'indifférence de CIC. Au contraire, il est clair que le dossier suit son cours et que le délai n'est pas déraisonnable (voir affidavit de Mme Suzanne Alary).

[46]            Dans la cause Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 585 (QL), cette Cour a statué que le Ministre ne peut être tenu responsable des délais du système comme c'est clairement le cas en l'espèce :

La demande de résidence permanente du requérant semble être bien traitée, car même s'il l'a déposée en juin 1995, seulement huit mois se sont écoulés depuis que le Comité de surveillance a reçu le rapport du SCRS. À mon avis, le ministre a agi dans le délai prévu au paragraphe 46.04(6) de la Loi, qui lui impose l'obligation de régler une demande "le plus tôt possible". Selon moi, dans la présente instance, le délai émane simplement du système. Il n'existe aucune preuve de délai déraisonnable. J'adopterais donc le même raisonnement que le juge Muldoon dans Carrion c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 584 (C.F. 1re inst.), où il a statué que le ministre intimé ne peut être tenu responsable des délais du système. Comme l'a aussi déclaré le juge Muldoon, à la page 589 :

La Cour ne peut conclure comme le lui demande l'avocat du requérant que le ministre reporte ou refuse l'exécution d'une obligation prévue par la loi. Il est évident en droit que cette conclusion est un prérequis à la délivrance d'un bref de mandamus. [...]

[47]            Considérant ce qui précède, le délai encouru avant qu'une décision soit rendue sur la demande CH présentée par le demandeur n'est pas déraisonnable et qu'en conséquence, l'émission d'un bref de mandamus n'est pas justifiée.

[48]            Le demandeur ne démontre pas l'existence d'une question sérieuse.

C)         Balance des Inconvénients

[49]            Le paragraphe 48(2) de la Loi prévoit qu'une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent. (Mobley c. M.C.I., IMM-106-95, 18 janvier 1995)

[50]            La Cour d'appel a développé la question de la balance des inconvénients en matière de sursis et de l'intérêt public qui doit être pris en considération :

iii) Équilibre des inconvénients

L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.

Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

(Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. no 1200)

(Voir aussi : Atwal v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2004 FCA 427, [2004] F.C.J. No. 2118 (QL); Dasilao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1168, [2004] A.C.F. no 1410 (QL))

[51]            Dans le cas présent, le demandeur a pu revendiquer le statut de réfugié, présenter une Demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision de la SPR. De plus, il a pu faire une demande d'ERAR. Il a épuisé les recours qui lui sont permis par la loi.

[52]            La balance des inconvénients est donc en faveur du défendeur.

CONCLUSION

[53]            Pour l'ensemble des raisons ci-dessus, la présente requête en sursis est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête demandant le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi soit rejetée.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3165-06

INTITULÉ :                                        EMMANUEL CHIMAOBIM IWEKAOGWO

                                                            c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 19 juin 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       le 19 juin 2006

COMPARUTIONS:

Me Jean-Philippe Trudel

POUR LE DEMANDEUR

Me Isabelle Brochu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JEAN PHILIPPE TRUDEL

(Québec), (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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