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Date : 20240913


Dossier : T-654-22

Référence : 2024 CF 1441

Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

GIUSEPPE DE LUCA

demandeur

et

GEOX S.P.A.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Giuseppe De Luca, le demandeur, est propriétaire de la marque de commerce ANFIBIO & DESSIN, illustrée ci-dessous, enregistrée le 16 novembre 1990 sous le numéro LMC375888 [Marque ANFIBIO] :

[2] L’emploi de la Marque ANFIBIO est régi par une convention signée entre M. De Luca et la compagnie Chaussures De Luca Montréal Inc. [Compagnie].

[3] La défenderesse, Geox S.P.A. [Geox], entreprise incorporée en Italie, détient la marque de commerce AMPHIBIOX / AMPHIBI OX, enregistrée le 31 mars 2017 sous le numéro LMC967206 [Marque AMPHIBIOX]. En 2010, au moment de la demande d’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX, aucune déclaration d’opposition n’a été produite.

[4] Geox opère au Canada par l’intermédiaire de sa filiale Geox Canada Inc. [Geox Canada], laquelle est autorisée à utiliser la Marque AMPHIBIOX au Canada en vertu d’un contrat de licence signé en 2004 puis amendé en 2022.

[5] Les parties n’en sont pas à leur premier différend. En effet, en 2015, à la demande de Geox, la registraire des marques de commerce envoie l’avis prévu à l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [Loi], enjoignant à M. De Luca de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle démontrant que sa Marque ANFIBIO a été employée au Canada entre le 14 avril 2012 et le 14 avril 2015.

[6] Le 19 septembre 2017, la registraire des marques de commerce modifie l’enregistrement de la Marque ANFIBIO pour y radier les « souliers ». Cependant, la registraire juge que M. De Luca a fourni suffisamment d’éléments pour prouver que la Marque ANFIBIO a été employée en liaison avec des « bottes » au cours des trois ans précédant immédiatement l’envoi de l’avis aux termes de l’article 45 de la Loi et elle maintient le reste de l’enregistrement (Geox SpA c Giuseppe De Luca, 2017 COMC 124). Le 24 août 2018, la Cour fédérale rejette l’appel de Geox (Geox SPA c De Luca, 2018 CF 855); le 13 septembre 2021, la Cour d'appel fédérale fait de même (Geox SPA c De Luca, 2021 CAF 178) et enfin le 24 mars 2022, la Cour suprême du Canada rejette la demande d’autorisation présentée par Geox (Geox SPA c Giuseppe De Luca, 2022 CanLII 21678 (CSC)).

[7] Dans le cadre de la présente instance, M. De Luca loge une demande sous l’égide des articles 55 et 57 de la Loi et demande à la Cour d’ordonner que la Marque AMPHIBIOX, détenue par Geox, soit radiée du registre des marques de commerce. En bref, et tel qu’il l’a confirmé lors de l’audience, M. De Luca invoque l’alinéa 18(1)b) de la Loi et soutient que l’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX est invalide puisqu’elle n’était pas distinctive à l’époque où sa demande a été entamée, soit le 28 mars 2022.

[8] Pour les motifs détaillés ci-dessous, la demande de M. De Luca sera rejetée. En bref, ce dernier n’a pas rempli son fardeau d’établir, tel que l’exige l’alinéa 18(1)b) de la Loi, que la Marque AMPHIBIOX, appartenant à Geox, n’était pas distinctive en date du 28 mars 2022.

II. Position des parties et preuve

[9] Le 28 mars 2022, M. De Luca soumet son avis de demande. Il invoque alors les paragraphes 16(3), 18(1) et 30(1) ainsi que, plus spécifiquement, l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

[10] Dans le mémoire des faits et du droit qu’il dépose avec son Dossier du demandeur, M. De Luca ajoute le paragraphe 6(5) de la Loi et examine les circonstances qui y sont énumérées pour déterminer si des marques de commerce créent de la confusion.

[11] Lors de l’audience, M. De Luca n’est malheureusement pas en mesure d’expliquer comment ou pourquoi lui, le demandeur, invoquait le paragraphe 16(3) de la Loi. M. De Luca précise alors que son objectif, en invoquant le paragraphe 16(3) de la Loi, est de soutenir que la Marque ANFIBIO n’a jamais été abandonnée. Considérant ces explications, la Cour est disposée à accepter, sans décider, que la Marque ANFIBIO n’a pas été abandonnée. Ceci n’est pas en jeu dans la présente instance.

[12] Ainsi, considérant les explications du demandeur lors de l’audience, le seul recours de ce dernier devant la Cour est celui sous l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Il soutient ainsi que l’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX est invalide puisque cette dernière n’était pas distinctive à l’époque où ont été entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement, soit le 28 mars 2022. M. De Luca précise que, dans le cadre du recours sous l’alinéa 18(1)b) de la Loi, la Cour doit examiner s’il y a confusion entre sa Marque ANFIBIO et la Marque AMPHIBIOX selon les circonstances prévues au paragraphe 6(5) de la Loi. M. De Luca soutient ainsi qu’il y a confusion entre les deux marques selon l’article 6(5) de la Loi, ce qui justifie la radiation de l’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX.

[13] Au niveau de la preuve, M. De Luca soumet (1) son propre affidavit, assermenté le 12 mai 2022, introduisant 10 pièces en preuve; et (2) l’affidavit de M. Franco Rota, un des administrateurs, trésorier et contrôleur de la Compagnie, assermenté le 30 mai 2022, introduisant une pièce en preuve, soit la Convention entre M. De Luca et la Compagnie. MM. De Luca et Rota n’ont pas été contre-interrogés.

[14] Geox s’oppose d’abord à l’admissibilité de certains paragraphes des affidavits de MM. De Luca et Rota. Elle allègue que ces paragraphes contiennent soit des conclusions légales, soit des déclarations spéculatives qui ne relèvent pas de la connaissance personnelle du déclarant.

[15] Quant au mérite, Geox répond essentiellement que M. De Luca n’a pas rempli son fardeau de démontrer que la Marque AMPHIBIOX n’était pas distinctive le 28 mars 2022. Geox précise que M. De Luca n’a soumis aucune preuve de l’emploi, des ventes ou de la promotion de la Marque ANFIBIO et n’a soumis aucune preuve démontrant que cette dernière est connue au Canada dans une certaine mesure. Ainsi, Geox soutient que M. De Luca n’a pas établi que la réputation de la Marque ANFIBIO au Canada est substantielle, significative ou suffisante de façon à nier le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX en date du 28 mars 2022.

[16] Au niveau de la preuve, Geox soumet les affidavits de (1) Me Pierluigi Ferro, avocat principal de Geox depuis 2010, introduisant quinze pièces en preuve; (2) M. Gino Stinziani, administrateur de Geox Canada depuis au moins 2003, à l’exception d’une période entre octobre 2016 et mai 2019, introduisant 10 pièces en preuve; et (3) Mme Juliana Laboucane, une employée du cabinet d’avocats Ridout & Maybee LLP qui a représenté Geox dans les procédures judiciaires précédentes, assermentée le 11 octobre 2022, introduisant une pièce en preuve, soit le dossier de la demande d’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX produit par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada le 9 août 2022. M. Stinziani et Me Ferro ont été contre-interrogés les 18 et 21 avril 2023 respectivement.

III. Questions en litige

[17] Considérant les arguments soulevés, tel que confirmé lors de l’audience, la Cour doit déterminer si (1) certains paragraphes des affidavits de MM. De Luca et Rota doivent être radiés; et (2) M. De Luca a établi que la Marque AMPHIBIOX n’est pas distinctive au 28 mars 2022, et qu’elle est donc invalide en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

IV. Discussion

A. Certains paragraphes des affidavits de MM. De Luca et Rota seront radiés

[18] Geox soutient que les énoncés contenus aux paragraphes 12, 16, 24, 27 et 30 de l’affidavit de M. De Luca sont des conclusions légales et que les énoncés contenus aux paragraphes 17, 18 et 25 ne sont pas de sa connaissance personnelle. Geox soutient que la Cour devrait conséquemment leur accorder peu ou pas de poids.

[19] Geox soutient aussi que l’énoncé contenu au paragraphe 8 de l’affidavit de M. Rota est une conclusion légale et qu’en conséquence, la Cour devrait lui accorder peu ou pas de poids.

[20] Lors de l’audience, M. De Luca a rejeté les objections de Geox et a soutenu que les énoncés en question étaient au contraire admissibles. Au niveau de l’objection portant sur des déclarations ne relevant pas de sa connaissance personnelle, M. De Luca a essentiellement répondu qu’en 2010, la Marque ANFIBIO était utilisée depuis 20 ans déjà et que M. Stinziani a indiqué qu’il connaissait le nom Anfibio lors de son contre-interrogatoire. M. De Luca a souligné qu’il était d’avis que ses déclarations étaient appropriées puisque M. Stinziani travaillait dans le domaine des chaussures depuis plusieurs années et donc qu’il pouvait connaitre les autres joueurs du domaine.

[21] Au niveau de l’objection portant sur des conclusions légales, M. De Luca a essentiellement répondu qu’il s’agissait d’opinions tirées des faits dont il avait personnellement connaissance. Quant à l’objection relative au paragraphe 8 dans l’affidavit de M. Rota, M. De Luca a plaidé qu’il ne s’agissait pas d’une conclusion légale, mais plutôt de l’opinion d’une personne du domaine des chaussures qui connait les impacts d’une marque de commerce.

[22] Tel que l’a souligné monsieur le juge Denis Gascon dans SSE Holdings, LLC c Le Chic Shack Inc, 2020 CF 983 [SSE Holdings], les affidavits de témoins ordinaires tels ceux de MM. De Luca et Rota doivent se limiter aux faits dont ils ont personnellement connaissance conformément à la Règle 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. De plus, ces affidavits ne peuvent renfermer des opinions ou des conclusions légales; la Cour peut radier ou écarter des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont manifestement aucune pertinence, ou lorsqu’ils renferment des opinions, des arguments ou des conclusions de droit (SSE Holdings au para 49 citant Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18; Cadostin c Canada (Procureur général), 2020 CF 183 au para 36; White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 au para 14; Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 au para 78).

[23] La Cour a considéré les explications et arguments de M. De Luca en réponse. Cependant, la Cour est convaincue que les paragraphes 12, 16, 24, 27 et 30 de l’affidavit de M. De Luca ainsi que le paragraphe 8 de l’affidavit de M. Rota renferment soit des opinions, soit des conclusions de droit et qu’ils sont inadmissibles. Lesdits paragraphes seront conséquemment radiés. La Cour est aussi convaincue que les paragraphes 17, 18 et 25 de l’affidavit de M. De Luca quant à eux ne relèvent pas de sa connaissance personnelle et ils seront donc radiés.

[24] Par ailleurs, et compte tenu des motifs détaillés ci-dessous, même si les paragraphes en jeu n’étaient pas radiés, le résultat de la présente décision demeurerait inchangé.

B. M. De Luca n’a pas établi que la Marque AMPHIBIOX n’était pas distinctive en date du 28 mars 2022 tel que l’exige l’alinéa 18(1)b) de la Loi

[25] L’alinéa 18(1)b) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide lorsque « la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement ». En effet, le caractère distinctif d’une marque s'apprécie à la date de l'introduction de la procédure visant sa radiation; ainsi, la marque qui n'était pas distinctive à la date de son enregistrement peut l’être devenue par la suite en raison de l'usage qu'en a fait son propriétaire (Tommy Hilfiger Licensing Inc c Produits de Qualité IMD Inc, 2005 CF 10 aux para 54-57 [Tommy Hilfiger]). Tel que le souligne monsieur le juge Michel Beaudry au paragraphe 53 de sa décision dans Tommy Hilfiger, il existe deux types de caractère distinctif : le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis.

[26] En l’espèce, la date pertinente pour évaluer le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX est le 28 mars 2022, soit le jour où M. De Luca a déposé son avis de demande devant cette Cour.

[27] L’enregistrement d’une marque est présumé valide et toute incertitude doit être tranchée en faveur de sa validité. Il s’agit toutefois d’une présomption plutôt faible qui nécessite la présentation d’une preuve que la Cour devra soupeser (Bedessee Imports Ltd c GlaxoSmithKline Consumer Healthcare (UK) IP Limited, 2019 CF 206 aux para 13-14 [Bedessee] conf par 2020 CAF 94 [Bedesse CAF] citant M. P’s Mastertune Ignition Services Ltd c Tune Masters Inc, [1984] 82 CPR (2d) 128 (CF), à la p 134, Cheaptickets and travel Inc c Emall Inc, 2008 CAF 50 aux para 10-12; Ottawa Athletic Club inc (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc, 2014 FC 672 aux para 120-122).

[28] L’article 2 de la Loi définit le terme « distinctive » comme suit :

Définitions

Definitions

distinctive Se dit de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire de ceux d’autres personnes, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trademark, describes a trademark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or that is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[29] Une marque sera distinctive d’une personne si le message envoyé au public est que cette personne est la source des produits portant la marque (White Consolidated Industries Inc v Beam of Canada Inc (1991), 39 CPR (3d) 94, 1991 CarswellNat 214 aux para 59, 69 (CF)). Autrement dit, une marque est distinctive lorsqu'elle ne comporte aucun élément susceptible de diriger les consommateurs vers une multitude de sources.

[30] Dans sa décision Naked Whey Inc S/N Naked Nutrition c N8ked Brands Inc, 2023 CF 1079 [N8ked Brands], monsieur le juge Michael Manson rappelle que, pour être distinctive, une marque doit respecter les trois conditions suivantes : (1) la marque et le produit doivent être associés; (2) le propriétaire de la marque doit utiliser cette association dans la fabrication et la vente de ses produits; et (3) cette association doit permettre au propriétaire de distinguer son produit de ceux d’autres propriétaires (N8ked Brands au para 51 citant Labatt Brewing Co c Molson Breweries, société en nom collectif, [1992] ACF no 523 (CF 1reinst); Bodum USA, Inc c Meyer Housewares Canada Inc, 2013 CAF 240 au para 5 conf 2012 CF 1450 au para 14).

[31] Le juge Manson ajoute que, comme pour les autres allégations d’invalidité, il incombe au demandeur, dans le cadre d’un recours sous l’alinéa 18(1)b) de la Loi, de démontrer l’absence de caractère distinctif (N8ked Brands au para 53). Dans la présente instance, le fardeau d’établir que la Marque AMPHIBIOX est invalide puisqu’elle n’était pas distinctive le 18 mars 2022, appartenait donc à M. De Luca, selon la prépondérance des probabilités (Bedessee au para 15 citant Uniwell Corp c Uniwell North America Inc, [1996] 109 FTR 81 (CF) au para 6). Il faut déterminer le caractère distinctif selon les circonstances particulières de l'affaire (Bedesse CAF au para 23 citant Brasseries Molson c John Labatt Ltée, 2000 CanLII 17105 (CAF), [2000] 3 CF 145 (CA) au para 70).

[32] Par ailleurs, un demandeur peut alléguer que la réputation de sa marque annule le caractère distinctif d’une autre marque (Bojangles’International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 [Bojangles]). À ce titre, lorsqu’il est question de prouver qu’une marque de commerce (ici la Marque ANFIBIO) est suffisamment connue pour faire perdre à une autre marque (ici la Marque AMPHIBIOX) son caractère distinctif, la première marque « doit être connue au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque, et sa réputation au Canada devrait être importante, significative ou suffisante » (Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 10 au para 4 citant Bojangles au para 34; 1648074 Ontario Inc c Akbar Brothers (pvt) Ltd, 2019 CF 1305 aux para 31-32).

[33] Aux paragraphes 13 à 16 de son Mémoire des faits et du droit, et dans le cadre de l’analyse qu’il présente en lien avec la probabilité de confusion entre les marques ANFIBIO et AMPHIBIOX, M. De Luca traite du caractère distinctif inhérent des marques et de la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, en lien avec l’alinéa 6(5)a) de la Loi). M. De Luca réfère alors à son propre affidavit, à celui signé par M. Rota et aux paragraphes 33 et suivants de la décision précitée de la registraire (pièce 7 de l’affidavit de M. De Luca) comme éléments de preuve.

[34] Il n’est pas entièrement clair si M. De Luca allègue que la réputation de sa Marque ANFIBIO est de nature à nier le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX. Cependant, si tel est le cas, il n’a clairement pas présenté la preuve nécessaire. Tel que le souligne Geox, rien dans la preuve déposée par M. De Luca ne démontre l’emploi, les ventes ou la promotion de la Marque ANFIBIO au Canada en date du 28 mars 2022 et M. De Luca n’a donc certainement pas démontré que la Marque ANFIBIO était connue jusqu’à un certain point et que sa réputation au Canada était importante, significative ou suffisante au 28 mars 2022, tel que l’exige la jurisprudence précitée. Dans son affidavit, M. De Luca ne traite pas du caractère distinctif de sa Marque ANFIBIO au 28 mars 2022; il ne mentionne pas non plus la réputation de sa marque ou le niveau auquel elle est connue à la date pertinente. En effet, dans son affidavit, M. De Luca ne traite que de la probabilité de confusion au moment de l’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX, en 2010, et du litige qui a opposé les parties jusqu’au 24 mars 2022, soit avant la date du 28 mars 2022. M. Rota n’affirme rien non plus à cet égard.

[35] Lors de l’audience, M. De Luca a plaidé que les différentes procédures en lien avec l’article 45 de la Loi, mentionnées plus haut, sont pertinentes pour démontrer que la Marque ANFIBIO était employée de 2015 à 2022. M. De Luca a aussi plaidé que sa motivation à défendre la décision de la registraire démontrait, en quelque sorte, que sa marque était employée. Plus spécifiquement, M. De Luca a invité la Cour à accepter les conclusions de la registraire comme de la preuve dans la présente instance.

[36] En réponse, Geox s’est opposée aux arguments de M. De Luca à ce sujet en soulignant que la preuve qui était devant la registraire ne constitue pas de la preuve dans la présente instance. Geox a également souligné qu’il serait contraire à la jurisprudence de considérer les conclusions de la registraire comme de la preuve dans la présente instance.

[37] La Cour souscrit à la position de Geox. D’abord, la preuve qui était devant la registraire n’est pas devant la Cour. Ensuite, les conclusions que la registraire tire à partir de la preuve qui était devant elle, ne peuvent servir de preuve en l’instance devant la Cour. À tout évènement, dans le cadre du litige sous l’article 45 de la Loi, la registraire devait examiner si la marque avait été employée pendant la période d’avril 2012 à 2015, et non pas en date du 28 mars 2022. Le fait que la décision de la registraire ait fait l’objet d’appels et de décisions judiciaires jusqu’en mars 2022 ne change rien à ce constat.

[38] À la fin de l’audience, en réplique, M. De Luca a demandé à la Cour l’autorisation de compléter son dossier de preuve afin de produire des documents démontrant l’emploi, les ventes ou la promotion de la Marque ANFIBIO afin de démontrer particulièrement que cette dernière était connue en date du 28 mars 2022. Geox s’est opposée à cette demande, soulignant que M. De Luca connaissait depuis longtemps les arguments soulevés par Geox quant à l’insuffisance de la preuve. Geox a précisé avoir signifié et déposé son Dossier du défendeur le 23 décembre 2023 et que M. De Luca n’avait rien initié à cet égard avant la fin de l’audience, en juin 2024. La Cour a rejeté la demande de M. De Luca séance tenante.

[39] La preuve devant la Cour n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ANFIBIO a une quelconque notoriété ou réputation au Canada, en lien avec des bottes, au 28 mars 2022, de façon à nier le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX.

[40] Par ailleurs, M. De Luca n’a pas non plus soumis de preuve afin de démontrer l’absence du caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX, en date du 28 mars 2022, selon d’autres moyens. Plus spécifiquement, M. De Luca n’a pas établi que l’une ou l’autre des conditions établissant le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX n’était pas respectée, soit que :

  • (a)la Marque AMPHIBIOX n’était pas associée aux bottes de Geox;

  • (b)Geox n’utilise pas cette association, c’est-à-dire qu’elle ne fabrique et ne vend pas les bottes portant la Marque AMPHIBIOX;

  • (c)l’association entre la Marque AMPHIBIOX et ses bottes ne permet pas à Geox de distinguer ses produits de ceux d’autres propriétaires, notamment M. De Luca.

[41] Geox soutient que, puisque M. De Luca n’a pas rempli son fardeau de preuve pour contester la validité de l’enregistrement de la Marque AMPHIBIOX sous l’égide de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, la Cour peut rejeter la demande de radiation de M. De Luca sans avoir à déterminer si une marque crée de la confusion. La Cour est d’accord.

[42] La Cour ajoute par ailleurs que les parties n’ont pas été en mesure d’expliquer pourquoi la Cour devrait examiner si une marque crée de la confusion, selon les circonstances du paragraphe 6(5) de la Loi, dans le cadre d’un recours sous l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Cependant, il n’est pas nécessaire de traiter de cette préoccupation dans les circonstances de la présente affaire.

[43] Au surplus, la Cour note que Geox a soumis un volumineux dossier de preuve qui démontre l’utilisation, les ventes importantes et la promotion de la Marque AMPHIBIOX, notamment en lien avec des bottes, à travers le Canada de 2010 à 2022. Les éléments de preuve joints aux affidavits de Me Ferro et M. Stinziani démontrent que la Marque AMPHIBIOX est devenue très connue même avant le 28 mars 2022 et qu’elle l’était en date du 28 mars 2022 en association avec des bottes. La preuve démontre aussi que, à la date pertinente, Geox utilise cette association et que l’association entre la Marque AMPHIBIOX et ses bottes permet à Geox de distinguer ses produits de ceux d’autres propriétaires, ce qui démontre le caractère distinctif de la Marque AMPHIBIOX au 28 mars 2022.

V. Conclusion

[44] M. De Luca n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque AMPHIBIOX n’était pas distinctive le 28 mars 2022, soit la date à laquelle il a déposé sa demande devant cette Cour. Son recours sous l’alinéa 18(1)b) de la Loi ne peut conséquemment pas réussir.

[45] Geox demande que les dépens lui soient adjugés selon le milieu de la colonne III du tableau du tarif B. M. De Luca n’a pas fait de représentations quant aux dépens et il n’a pas contesté les représentations de Geox à ce sujet. Vu le résultat de la demande, les dépens seront accordés à Geox et ils seront adjugés selon le milieu de la colonne III du tableau du tarif B.


JUGEMENT au dossier T-654-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de radiation de la Marque AMPHIBIOX est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés à Geox S.P.A. selon le milieu de la colonne III du tarif B.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-654-22

INTITULÉ :

GIUSEPPE DE LUCA c GEOX S.P.A.

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2024

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 13 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Me Franco Iezzoni

Me Lise A. Gagnon

Pour le demandeur

Me Timothy Bourne

Me Meika Ellis

Pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pateras & Iezzoni Inc.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Smart & Biggar LLP

Ottawa (Ontario)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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