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Date : 20240911

Dossier : T-2215-23

Référence : 2024 CF 1430

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2024

En présence de l'honorable juge Régimbald

ENTRE :

CLAUDE PAQUIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] M. Paquin [le demandeur] demande le contrôle judiciaire de trois décisions, datées du 27 septembre 2023 [les décisions], par lesquelles l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a rejeté ses demandes de prestations au titre de la Prestation canadienne d’urgence [PCU], de la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] et de la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement [PCTCC].

[2] L’ARC a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCU, à la PCRE et à la PCTCC parce qu’il n’avait pas gagné des revenus d’au moins 5,000 $ provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte pour l’année 2019, 2020, 2021 (selon le cas) ou au cours des douze (12) mois précédant la date à laquelle il a présenté ses demandes.

[3] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non de M. Paquin aux prestations. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’ARC, si sa décision est raisonnable.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Cour n’est pas convaincue que les décisions « souffre[nt] de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle[s] satisf[ont] aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100). Les décisions de l’ARC selon lesquelles le demandeur n’est pas admissible à la PCU, à la PCRE et à la PCTCC sont raisonnables.

II. Faits

[5] Le demandeur a demandé et reçu des prestations de PCU pour les périodes 1 à 7, soit du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020. Le demandeur a ensuite demandé et reçu des prestations de PCRE pour les périodes 1 à 27, soit du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021. Enfin, le demandeur a demandé et reçu une prestation de PCTCC soit pour la période 1 allant du 24 octobre 2021 au 30 octobre 2021.

[6] Le demandeur a une entreprise de publication spécialisée qui concerne l’écosystème, qui s’adresse surtout aux professionnels et aux entrepreneurs dans le domaine architectural. Lors de la période de la COVID-19, le demandeur allègue que les imprimeurs ont été dans l’obligation de cesser leurs activités, et par la suite, une pénurie de papier a eu un impact sur ses possibilités de publication. Malgré qu’il a, durant cette période, tenté de convertir sa publication en une publication numérique afin de mitiger les conséquences, ses revenus ont chuté.

[7] Le demandeur affirme que sa compagnie n’a jamais été rentable à l’exception d’une seule année où il a fait des profits. Au niveau personnel, il n’a jamais déclaré de revenu à l’exception de l’année 2020, où il a reçu un montant de 7,000 $ en dividendes de son entreprise.

[8] Selon les relevés bancaires fournis par le demandeur, ce dernier a fait un transfert de 10,000 $, le 4 janvier 2020, de son compte bancaire conjoint personnel vers le compte de son entreprise. La même journée, le 4 janvier 2020, l’entreprise a ensuite transféré au demandeur le même montant de 10,000 $. Le demandeur a ensuite fait un chèque d’un même montant le 7 janvier 2020 à son frère.

[9] Le journal général de comptabilité de l’entreprise démontre que le transfert de 10,000 $ fut considéré comme un paiement de 3,000 $ pour son épouse pour de la « Rédaction », et un montant de 7,000 $ au demandeur pour un « Retraits – Propriétaires ».

[10] Le demandeur a justifié le transfert de son compte bancaire conjoint du montant de 10,000 $ au compte bancaire de son entreprise par le fait qu’il a retiré un montant de son Régime enregistré d’épargne-retraite [REER] en décembre 2019 afin de transférer le montant de 10,000 $ dans le compte bancaire de son entreprise, pour faire baisser son ratio de dette de l’entreprise dans le but de la rendre admissible à une subvention.

[11] Dans sa déclaration de revenus de 2020, le demandeur a déclaré un montant en dividendes, mais n’a pas déposé un feuillet T5. Le demandeur n’a émis le feuillet T5 pour l’année 2020 que le 12 septembre 2023, suite aux demandes de l’ARC et aux explications de l’ARC que la question du dividende de 2020 était problématique.

III. Question en litige

[12] La seule question en litige est à savoir si les décisions de l’ARC concluant que M. Paquin est inadmissible pour recevoir la PCU, la PCRE et la PCTCC sont raisonnables.

[13] La norme de contrôle appropriée pour une décision d’un agent de l’ARC est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 16-17; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 aux para 18-19). Le rôle de la Cour consiste à examiner le raisonnement du décideur administratif et le résultat obtenu, afin de déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100 (voir aussi Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 45 [Aryan]; Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131 au para 15; Kleiman c Canada (Procureur général), 2022 CF 762 [Kleiman] au para 29).

IV. Analyse

[14] Le gouvernement du Canada a mis en place la PCU, la PCRE, la PCTCC dans le cadre d’une série de mesures visant à atténuer les conséquences de la pandémie de COVID-19 (Loi sur la prestation canadienne d’urgence LC 2020, ch. 5; Loi sur les prestations canadiennes de relance économique LC 2020, ch.12; Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement LC 2021, ch. 26). Afin de recevoir des prestations, un résident canadien admissible devait présenter une demande.

[15] L’une des conditions à remplir pour être admissible aux prestations était d’avoir des revenus d’au moins 5,000 $ provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte pour l’année d’imposition 2019, 2020 ou 2021 (selon le cas), ou au cours des douze (12) mois précédant la date de présentation de la demande.

[16] Afin de recevoir des prestations, il incombait au demandeur de démontrer à l’ARC qu’il satisfaisait, selon la prépondérance des probabilités, à tous les critères établis de ces programmes de prestations (Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 [Ntuer] au para 24). Ces critères d’admissibilité ne sont pas discrétionnaires (Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au para 23).

[17] Le système fiscal du Canada est un système d’auto-déclaration. Il part du principe que le contribuable est capable de fournir tous les documents pertinents à l’appui de sa déclaration (Walker c Canada (Procureur général), 2022 FC 381 au para 37 [Walker]). À cette fin, le demandeur devait produire suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande (Payette c Canada (Procureur général), 2023 CF 131 au para 35; Walker au para 55), et l’ARC pouvait lui demander de fournir des documents ou de l’information additionnelle afin de prouver son admissibilité (Aryan au para 34).

[18] L’ARC n’est pas tenu de se fier qu’à une déclaration de revenus, mais peut aussi considérer la preuve dans son ensemble. Comme l’explique le juge Diner dans la décision Ntuer :

[27] De plus, un avis de cotisation n’est pas suffisant pour établir qu’un demandeur a gagné un revenu net d’au moins 5000 $ (Aryan au para 35). L’Agent était tenu d’évaluer non seulement les avis de cotisation soumis par M. Ntuer, mais également les autres éléments de preuve au dossier, dont les factures et reçus de paiement de clients soumis par M. Ntuer, ainsi que les informations disponibles à travers les registres internes de l’ARC, pour vérifier que M. Ntuer avait bel et bien gagné un revenu net d’au moins 5000 $.

[19] Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Aryan, il est raisonnable pour l’ARC de ne pas considérer un avis de cotisation ou une déclaration de revenus comme étant définitif pour conclure que le demandeur a gagné les revenus donnant droit aux prestations, et de plutôt tirer ses conclusions à partir de tous les éléments de preuve qui lui sont présentés.

[20] Il est important de noter que dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision de l’ARC, la Cour peut considérer le rapport de révision de l’ARC ainsi que les notes au dossier interne. Ceux-ci font partie des motifs de l’ARC, comme le sont les notes du Système mondial de gestion des cas utilisés par les agents d’immigration (Aryan au para 22; Kleiman au para 9; Sedoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1431 au para 36; Ezou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 251 au para 17; McClintock’s Ski School & Pro Shop Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CF 471 aux para 26-27; Vavilov, aux para 94-98). En l’espèce, le dossier révèle que l’ARC a examiné tous les documents et les représentations orales soumis par le demandeur.

[21] Selon moi, les décisions de l’ARC sont raisonnables. Les conclusions de l’ARC à savoir que le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a reçu un paiement de 7,000 $ en dividendes de son entreprise en janvier 2020 sont raisonnables et justifiées compte tenu de toute la preuve au dossier.

[22] En l’espèce, l’ARC a justifié sa décision en soulignant que les documents et les représentations orales du demandeur comportaient des incohérences et que, par conséquent, le demandeur n’a pas suffisamment démontré qu’il rencontre le critère de revenu d’au moins 5,000 $ permettant son admissibilité aux prestations. Par exemple, le demandeur a indiqué que son entreprise n’a jamais été rentable à l’exception d’une seule année (avant 2019), il n’a jamais déclaré de revenu et il ne s’est jamais payé de dividendes à l’exception de l’année 2020. Ensuite, le demandeur a fourni une copie du compte bancaire de son entreprise et de son compte bancaire personnel conjoint. Cette preuve démontre qu’un montant de 10,000 $ a d’abord transité du compte bancaire personnel conjoint vers le compte bancaire de l’entreprise, afin de permettre ensuite à l’entreprise de refaire un transfert inverse de 10,000 $ le même jour, que le demandeur a ensuite justifié à l’aide du journal général de la compagnie comme étant un « Retraits – Propriétaires » de 7,000 $ (un dividende selon le demandeur) ainsi qu’un paiement de 3,000 $ à son épouse pour de la rédaction. Au sujet de cette série de transactions, le demandeur a indiqué avoir retiré une somme de ses REER en décembre 2019, afin de faire un investissement dans son entreprise et faire baisser son ratio de dette dans le but de rendre l’entreprise admissible à une subvention. Enfin, le demandeur n’a pas produit de feuillet T5 avec ses revenus de dividendes lors du dépôt de sa déclaration de revenus en 2020, ne produisant ce document que le 12 septembre 2023 suite aux demandes de justification de l’ARC.

[23] À la lumière de cette preuve, l’ARC en est venue à la conclusion que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de prouver que le montant de 7,000 $ reçu correspondait à un revenu de dividendes versés par son entreprise. De fait, l’ARC tire la conclusion que la preuve déposée par M. Paquin, de par ses explications orales, son formulaire T5 rempli seulement en septembre 2023 suite à une demande de l’ARC, ainsi que la séquence des transactions entre son compte bancaire personnel conjoint préalable au paiement du dividende, n’était pas suffisamment crédible pour démontrer son admissibilité aux prestations demandées (Lalonde c Canada (Agence du revenue), 2023 CF 41 au para 44).

[24] En conséquence, en raison de la preuve présentée par le demandeur, l’ARC a jugé que les renseignements fournis ne permettaient pas de confirmer qu’il avait gagné des revenus suffisants pour remplir la condition d’admissibilité relative aux revenus. Le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau de démontrer son admissibilité. À mon avis, la conclusion de l’ARC à l’effet que M. Paquin ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver avoir gagné un montant admissible suffisant pour être admissible à la PCU, à la PCRE et à la PCTCC n’est pas déraisonnable. À la lumière de la preuve fournie, il était raisonnable pour l’ARC de conclure que le demandeur n’avait pas généré un revenu d’au moins 5,000 $ provenant d’un emploi ou travail indépendant en 2019, 2020, 2021 (selon le cas) ou dans les douze (12) mois précédents ses demandes de prestations.

[25] Le raisonnement de l’ARC est cohérent, fondé sur la preuve qui a été soumise et se justifie à l’égard des lois applicables. Les motifs de l’ARC illustrent une logique interne satisfaisante, compte tenu du dossier dont était saisi l’ARC et de la preuve soumise par le demandeur. Par conséquent, la décision de l’ARC, à savoir que le demandeur n’était pas admissible aux prestations parce qu’il n’a pas prouvé avoir gagné 5,000 $ afin de permettre son admissibilité à des prestations, est raisonnable.

V. Conclusion

[26] Les décisions de l’ARC relatives à l’admissibilité à la PCU, la PCRE, et la PCTCC sont donc fondées sur un raisonnement cohérent et rationnel. Dans ces circonstances, les décisions sont raisonnables. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-2215-23

LA COUR ORDONNE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2215-23

INTITULÉ :

CLAUDE PAQUIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 SEPTEMBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 11 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Claude Paquin

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE NOM)

Me Emmanuelle Rochon

Pour le défendeur

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Québec (Québec)

Pour le défendeur

 

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