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Date : 20240906

Dossier : IMM-15564-23

Citation : 2024 CF 1393

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2024

En présence de Monsieur le juge adjoint Benoit M. Duchesne

ENTRE :

Makrem ABDELLAOUI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La partie demanderesse sollicite une ordonnance prorogeant le délai à l’intérieur duquel elle peut signifier et déposer son dossier du demandeur visé par la Règle 10 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les « RCFMCIPR ») ainsi qu’une ordonnance pour la communication de l’enregistrement audio et la transcription de l’audition tenue devant la Section d’Appel d’Immigration (SAI) du 26 septembre 2023 dans le dossier numéro MC3-18719.

[2] Pour les motifs qui suivent, la requête de la partie demanderesse est rejetée et son instance est rejeté en vertu de la Règle 168 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »).

I. Le contexte

[3] Tel qu’il appert de la preuve versée au dossier pour cette requête par le défendeur, la partie demanderesse a introduit cette instance par le dépôt de sa Demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 7 décembre 2023 (la « DACJ »). La DACJ comprend l’allégué que « Le demandeur a reçu les motifs écrits du tribunal administratif, mais n’a pas reçu la transcription et/ou l’enregistrement de l’audition ».

[4] La Règle 10(a) des RCFMCIPR prévoit qu’un demandeur met sa DACJ en état en signifiant et déposant au greffe un dossier du demandeur conforme à la Règle 10(2) des RCFMCIPR dans les 30 jours suivant le dépôt de sa DACJ s’il indique dans sa DACJ qu’il a reçu les motifs écrits du tribunal administratif. Comme la partie demanderesse avait indiqué dans sa DACJ qu’elle avait reçu les motifs écrits, elle devait mettre son dossier en état dans les 30 jours du 7 décembre 2023.

[5] Considérant les vacances saisonnières de la Cour entre le 21 décembre 2023 et le 8 janvier 2024, et appliquant la Règle 10(1)(a) des RCFMCIPR à la lumière de l’admission de la partie demanderesse contenue dans sa DACJ qu’elle avait déjà reçue les motifs écrits du tribunal administratif lorsqu’elle a introduit sa DACJ, la partie demanderesse devait mettre son dossier en état au plus tard le 15 janvier 2024.

[6] Ce n’est pas ce qu'elle a fait.

[7] Le 12 avril 2024, le procureur de la partie demanderesse transmet un courriel au procureur du défendeur dans lequel il lui demande son assistance pour obtenir une copie de l’enregistrement audio de l’audience tenue devant la Section d’Appel d’Immigration en date du 26 septembre 2023. Le procureur de la partie demanderesse écrit dans son courriel qu’il a dans la préparation de son dossier entrepris de contacter le greffe de la Cour fédérale pour obtenir une copie de l’enregistrement sans succès. Il écrit de plus avoir fait une demande de l’enregistrement audio de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sans succès. Il écrit aussi avoir, le 20 mars 2024, adressé une correspondance au greffe de la Section d'Appel d’Immigration pour solliciter une copie de l’enregistrement sonore de l’audience, toujours sans succès.

[8] Le 15 avril 2024, la parajuriste du procureur du demandeur lui écrit pour l’informer que « toutes les transcriptions orales sont systématiquement téléchargées dans le dossier du demandeur d'asile devant la CISR et, si le DACJ est accordé, elles seront toutes disponibles sur le lien partage de la Cour Fédérale ».

[9] Le 30 avril 2024, la partie demanderesse signifie et dépose le dossier de requête maintenant en cause.

II. Le droit applicable

[10] Le juge Gascon résume bien le droit qui s’applique en matière de prorogation de délai dans Clinique Gascon Inc. c. Canada, 2023 CF 1757 (CanLII), aux paragraphes 15 à 17 comme suit :

[15] Pour avoir gain de cause sur sa requête, Clinique Gascon doit satisfaire aux quatre critères bien établis par la Cour d’appel fédérale pour accorder une prorogation de délai (Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 au para 5 [Thompson]; Alberta c Canada, 2018 CAF 83 au para 44 [Alberta]; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61 [Larkman]; Canada (Procureur général) c Hennelly, 244 NR 399, 1999 CanLII 8190 (CAF) au para 3 [Hennelly]).

[16] Ces quatre facteurs sont les suivants : (i) Clinique Gascon a-t-elle eu une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire? (ii) Y a-t-il un bien‑fondé éventuel à sa demande? (iii) Le PGC ou l’ARC subit-il un préjudice en raison du délai? et (iv) Existe-t-il une explication raisonnable justifiant le délai? Il incombe à Clinique Gascon de prouver chacun de ces éléments (Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 au para 2). Toutefois, les critères ne sont pas conjonctifs : une requête en prorogation de délai peut être accordée même si tous les critères ne sont pas satisfaits (Alberta au para 45; Larkman au para 62).

[17] Cela dit, le pouvoir d’octroyer une prorogation de délai demeure discrétionnaire et les quatre critères établis par la jurisprudence, s’ils en encadrent l’exercice, n’ont par ailleurs pas pour effet de restreindre cette discrétion. En fin de compte, la considération primordiale dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour est « l’intérêt de la justice » (Larkman aux para 62, 85). La Cour doit donc examiner chacun des critères avec souplesse pour veiller à ce que justice soit rendue et décider s’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai (Alberta au para 45; Thompson au para 6; Larkman au para 62; MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 2 au para 11).

[11] Dans le cas présent, la preuve présentée par la partie demanderesse se limite à l’affidavit de l'avocat saisi du dossier, Me Chokri Ktaifi. La preuve de Me Ktaifi n’adresse aucun des facteurs prévus par la jurisprudence pour avoir gain de cause sur une demande de prorogation de délai.

[12] En effet, l’affidavit de Me Ktaifi n’adresse pas directement l’intention constante de la partie demanderesse de poursuivre sa demande judiciaire. Ceci étant, sa description des démarches entreprises pour obtenir l’enregistrement sonore de l’audition devant le tribunal administratif au moins depuis la fin février 2024 permet à la Cour de déceler une certaine intention de la part de la partie demanderesse de poursuivre sa DACJ. Cette preuve est toutefois insuffisante. L’absence d’un affidavit de la part de la partie demanderesse elle-même est fatale à cette requête (Kiflom v. Canada (Citizenship and Immigration), 2020 FC 205 (CanLII), au para 30).

[13] L’affidavit de Me Ktaifi n’adresse pas les questions de savoir s’il y a un bien-fondé éventuel à la demande ou si une partie ou l’autre subirait un préjudice en raison du délai encouru jusqu’à présent. Aucune preuve n’est versée à ces égards, bien qu’un argument sans appui dans la preuve est présenté dans les prétentions écrites de la partie demanderesse par rapport à la balance des inconvénients.

[14] La question de savoir s’il existe une explication raisonnable pour le délai encouru n’est pas adressée par l’affidavit de Me Ktaifi de façon directe. La Cour doit comprendre que le dossier de la partie demanderesse n’a pas été mis en état le 15 janvier 2024 parce que la partie demanderesse était à la poursuite de l’enregistrement sonore de l’audition original par l’entremise de demandes auprès du greffe de cette Cour, de la Section d’Appel de l’Immigration, et de la procureure du défendeur. La recherche des enregistrements sonores en question ne constitue pas une explication raisonnable pour le délai encouru (Hogea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1996) 117 FTR 155, aux paras 8-11 (sub nom, Stellian c Canada (Min. of Citizenship and Immigration) (1996) 117 FTR 155); Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2024] ACF no 743, 2024 CF 628, [2024] ACF no 743, au para 4). La Règle 17(d) des RCFMCIPR prévoit que le tribunal devra fournir la transcription de tout témoignage oral donné de vive voix à l'audition qui a abouti à la décision si la demande d’autorisation est accordée. C’est précisément ce qui est recherché ici. De plus, la partie demanderesse devrait être à même de présenter une preuve du témoignage qui a été présenté lors de l’audition originale par voie d’affidavit compris dans son dossier du demandeur, des lors obviant la nécessité d’obtenir une copie de l’enregistrement sonore qui fait état de la preuve testimoniale de la partie demanderesse.

[15] La partie demanderesse n’a pas présenté de preuve pouvant satisfaire son fardeau de preuve par rapport aux quatre facteurs identifiés ci-dessus.

[16] Finalement, les intérêts de la justice ne suggèrent pas que la prorogation de délai recherchée devrait être accordée. Plutôt, l’intérêt de la justice dicte que la Cour ne peut pas ignorer l’absence des éléments de preuve requis par la jurisprudence afin que la Cour puisse exercer sa discrétion pour proroger le délai de la Règle 10 des RCFMCIPR en ce cas.

III. Conclusion

[17] Appréciant l’ensemble des facteurs requis par la jurisprudence ainsi que l’intérêt de la justice, la Cour doit conclure que la partie demanderesse n’a pas satisfait le fardeau de preuve qui lui incombe sur cette requête pour obtenir une prorogation de délai.

[18] Comme la demande de prorogation est rejetée, il n’a pas lieu de se prononcer sur la demande pour une ordonnance pour la communication de l’enregistrement audio et la transcription de l’audition tenue devant la Section d’Appel d’Immigration (SAI) du 26 septembre 2023 dans le dossier numéro MC3-18719, autre que pour noter que la communication de la transcription est prévue par le processus qui suit une ordonnance faisant droit à la demande d’autorisation comprise dans la DACJ.

[19] La requête doit être rejetée. Puisque la DACJ ne peut maintenant pas être mise en état, il est approprié que la Cour rende une ordonnance rejetant la DACJ au complet en vertu de la Règle 168 des Règles.


 

LA COUR ORDONNE que :

1. Me Chokri Ktaifi est autorisé en vertu de la Règle 82 des Règles à être à la fois l’auteur d’un affidavit versé à titre de preuve sur cette requête et de présenter des arguments à la Cour fondés sur son affidavit.

2. La requête de la partie demanderesse est rejetée.

3. L’instance de la partie demanderesse rejetée en vertu de la Règle 168.

4. Le tout, sans dépens.

 

« Benoit M. Duchesne »

 

Juge adjoint


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCAT(E)S AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-15564-23

 

ÉNONCÉ DE LA CAUSE :

MAKREM ABDELLAOUI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO (PAR ÉCRIT)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SEPTEMBRE, 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

JUGE ADJOINT BENOIT M. DUCHESNE

 

DATE:

LE 6 SEPTEMBRE, 2024

AVOCAT(E)S AU DOSSIER :

Me Chokri Ktaifi

KC-Legal

Montréal, Québec

 

pour la partie demanderesse

 

Me Chantal Chatmajian

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

pour la partie défenderesse

 

 

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