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Date : 20240909


Dossier : IMM-13323-23

Référence : 2024 CF 1401

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2024

En présence de l'honorable monsieur le juge Pamel

ENTRE :

JESUS GUILLERMO MONTERO DURAN

LUCIA ELENA ALPUCHE DELOYA

LEAH MARIE MONTERO ALPUCHE

MIA ELIZABETH MONTERO ALPLUCHE

EREN JEZZIEL MONTERO LIZARRAGA

ROXANA DAYANNE LIZARRAGA BALAM

ABRAHAM ULISES MONTERO DURAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Par décision en date du 22 septembre 2023, la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR] a rejeté l’appel des demandeurs d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui avait rejeté leur demande d’asile.

[2] M. Jesus Guillermo Montero Duran [M. Montero Duran], sa conjointe, Mme Roxana Dayanne Lizarraga Balam, et leur enfant mineur, Eren Jezzel Montero Lizarraga, de même que M. Abraham Ulises Montero Duran [frère de M. Montero Duran], sa conjointe Mme Lucia Elena Alpuche Deloya et leurs deux enfants mineurs, Leah Marie Montero Alpuche et Mia Elizabeth Montero Alpuche, sont tous citoyens du Mexique, de la ville de Mérida, dans l’État du Yucatan, où M. Montero Duran travaillait en tant que chauffeur pour la compagnie Uber. M. Montero Duran prétend avoir transporté un dénommé Israel Diaz Cordoba [Israel] sortant de prison, le 28 janvier 2021, jusqu’à un motel de la ville de Mérida; il dit avoir été interrogé le lendemain par des policiers à la recherche d’Israel et avoir dévoilé aux policiers l’endroit où il avait transporté l’individu.

[3] M. Montero Duran affirme qu’il est devenu, à son insu, une personne d’intérêt aux yeux des autorités mexicaines qui le suivaient quotidiennement à compter du mois de janvier 2021, le soupçonnant d’être impliqué avec Israel; cette filature semble avoir pris fin à l’automne 2021. Cependant, à la même époque, il a commencé à avoir d’autres problèmes. Au mois d’octobre 2021, un individu dénommé Daniel Diaz Cordoba [Daniel], se disant le cousin d’Israel, et membre du cartel Sinaloa, aurait menacé Mme Lizarraga Balam au téléphone. L’homme reprochait à M. Montero Duran sa collaboration avec la police dans l’arrestation de son soi-disant cousin. De plus, M. Montero Duran affirme que, en novembre 2021, il aurait reçu des menaces par messages textes de la part de Daniel; il semblerait que les coordonnées personnelles de M. Montero Duran auraient été fournies à Daniel par l’officier de police qui avait commencé à le suivre en janvier 2021. Dans son formulaire de fondement de sa demande d’asile, M. Montero Duran indique qu’il a été menacé durant tout le mois de novembre.

[4] M. Montero Duran a quitté Mérida pour aller chez un ami dans la ville de Guadalajara le 16 novembre 2021. Le 22 novembre, son épouse, Mme Lizarraga Balam, l’a appelé pour lui dire qu’elle était rentrée à la maison où elle avait trouvé une note anonyme disant que, où qu’ils aillent, on les retrouveraient. M. Montero Duran affirme aussi dans le formulaire de fondement de la demande d’asile que, le 25 novembre 2021, ses agents de persécution ont tenté de le forcer à sortir de son véhicule pour lui casser les bras et les jambes avec des bâtons de baseball, mais les voisins, alertés, sont sortis de chez eux, ce qui aurait fait fuir les agents de persécution. M. Montero Duran affirme également que Daniel lui aurait dit qu’il le considérait comme un mouchard et qu’il le retrouverait. M. Montero Duran a également reçu des photos de lui prises devant la porte de sa maison. Il est clair que Daniel savait où vivait M. Montero Duran et qu’il était censé le suivre, mais pour une raison quelconque, il n’a jamais mis ses menaces à exécution, à l’exception de l’incident au cours duquel il a tenté de forcer M. Montero Duran à sortir de sa voiture.

[5] M. Montero Duran a quitté le Mexique, seul, le 7 décembre 2021, pour se rendre au Canada où il a demandé l’asile. La raison pour laquelle il est parti sans sa famille n’est pas claire. Pour sa part, Mme Lizarraga Balam affirme avoir reçu des menaces écrites en janvier 2022 de Daniel, qui affirmait être à la recherche de son conjoint; la façon dont Daniel a réussi à la trouver et, une fois l’ayant trouvée, la raison pour laquelle il ne l’a pas poursuivie, demeurent un mystère. Mme Alpuche Deloya, qui hébergeait Mme Lizarraga Balam et son fils, a aussi allégué avoir reçu les mêmes menaces.

[6] Mme Lizarraga Balam, de même que sa belle-sœur et les trois enfants mineurs ont quitté le Mexique trois mois plus tard, soit le 14 avril 2022, pour se rendre au Canada. Une fois réunis au Canada, les demandeurs, dont M. Abraham Ulises Montero Duran, qui se trouvait déjà au Canada depuis novembre 2021 grâce à un visa de visiteur – arrivé vraisemblablement avant M. Montero Duran – ont tous déposé une demande d’asile.

[7] Sans avoir mis en doute la survenance des incidents allégués, la SPR a rejeté la demande d’asile au motif que les demandeurs ont une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable au Mexique, dans la ville de Puerto Vallarta, dans l’État de Jalisco. La SAR a confirmé cette décision, disant qu’elle ne voyait pas où la SPR aurait erré à ce sujet; les demandeurs demandent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[8] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II. Norme de contrôle

[9] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23; Adefisan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CF 359 au para 10). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour ne peut intervenir que si les demandeurs démontrent que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[10] Selon l’analyse à deux volets établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 (CAF) [Rasaratnam], pour déterminer si une PRI est viable pour les demandeurs, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, (1) qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution pour les demandeurs dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI et (2) qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, dont celles qui leur sont particulières, que les demandeurs se relocalisent à cet endroit (Rasaratnam aux pp 709-11).

[11] Quoiqu’elle ne nie pas que des criminels organisés au Mexique puissent avoir la capacité de retracer une personne sur le territoire mexicain, la SAR conclut néanmoins que les éléments de preuve ne démontrent pas un intérêt ou une motivation de la part de Daniel à pourchasser les demandeurs jusqu’à la ville de Puerto Vallarta.

[12] Pour appuyer ses conclusions sur le premier volet de l’analyse de la PRI, la SAR a pris en compte les éléments suivants du dossier des demandeurs qui avaient été soulevés par la SPR et qui illustrent le manque de motivation de leur agent de persécution à les poursuivre ailleurs au pays :

  • a)Questionné à savoir si des suites avaient été données à la menace de le retrouver à Guadalajara lorsqu’il s’y était réfugié en novembre 2021, M. Montero Duran a admis qu’on ne l’y avait pas retrouvé;

  • b)La note de menaces reçue au nom du frère de M. Montero Duran n’est qu’un message écrit bref et anonyme qui ne peut servir à établir la motivation de Daniel à pourchasser les demandeurs sur tout le territoire mexicain;

  • c)Les copies des messages textes issus d’une conversation tenue sur l’application WhatsApp ne révèlent pas l’identité de l’auteur des messages ni la date de leur envoi. De plus, leur contenu demeure vague et est insuffisant pour établir la motivation d’un ou de plusieurs individus à s’en prendre aux demandeurs advenant leur retour, plus précisément s’ils s’installent ailleurs qu’à Mérida;

  • d)Les autres membres de la famille des demandeurs qui demeurent toujours à Mérida n’ont pas été importunés par quiconque serait à leur recherche depuis le départ des demandeurs, ce qui témoigne du peu de volonté à les retrouver.

[13] Selon les demandeurs, la SAR minimise le rôle de M. Montero Duran dans l’arrestation du cousin de Daniel, soit le membre du cartel, alors que la SAR aurait plutôt dû s’attarder à la perception qu’avait Daniel, ou un autre membre du cartel auquel il appartient, de l’important rôle joué par M. Montero Duran dans l’arrestation d’un des leurs. Toujours selon les demandeurs, cette perception serait une motivation suffisante pour que les membres du cartel veuillent se venger et retrouver les demandeurs peu importe la ville où ils se trouvent au Mexique.

[14] L’argument principal des demandeurs est que, puisque la SAR n’a pas mis en doute leur crédibilité et qu’elle a admis que leurs agents de persécution avaient à la fois la capacité de les suivre dans la PRI et la motivation de les retrouver à Mérida, il devrait nécessairement s’ensuivre qu’ils auraient la motivation de les suivre dans la PRI. Aucune décision de la jurisprudence n’a été invoquée à l’appui de cette affirmation, et, pour ma part, je ne l’accepte tout simplement pas. Les demandeurs me demandent de spéculer sur le degré de motivation de leurs agents de persécution à les retrouver dans la PRI, alors qu’il n’existe peu ou pas de preuves suggérant raisonnablement l’existence d’un tel degré d’intérêt; un motif n’équivaut pas à une motivation et la capacité n’équivaut pas à la volonté ou à l’intérêt d’un agent de persécution à poursuivre un individu partout dans un pays (Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 13; Ortiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1066 aux paras 25‑27; Torres Zamora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1071 au para 14). En conséquence, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables. Il était certainement loisible à la SAR de conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que leurs agents de persécution avaient la volonté ou l’intérêt de les retrouver partout au Mexique, notamment à Puerto Vallarta.

[15] Concernant le deuxième volet de l’analyse de la PRI, mis à part leur crainte d’être retrouvés par leurs agents de persécution à Puerto Vallarta, les demandeurs n’ont pas soulevé d’argument sérieux selon lequel il serait déraisonnable de les faire se déplacer vers la PRI. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les demandeurs se soient acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que ce serait le cas.

IV. Conclusion

[16] Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier IMM-13323-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-13323-23

 

INTITULÉ :

JESUS GUILLERMO MONTERO DURAN, LUCIA ELENA ALPUCHE DELOYA, LEAH MARIE MONTERO ALPUCHE, MIA ELIZABETH MONTERO ALPLUCHE, EREN JEZZIEL MONTERO LIZARRAGA, ROXANA DAYANNE LIZARRAGA BALAM, ABRAHAM ULISES MONTERO DURAN

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 septembre 2024

 

JUGEMENT et motifs:

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 septembre 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Émilie Le-Huy

 

Pour les demandeurs

 

Me Larissa Foucault

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Émilie Le-Huy

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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