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Date : 20240830


Dossier : T-96-23

Référence : 2024 CF 1356

Montréal, Québec, le 30 août 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JOCELYNE MURPHY

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Madame Jocelyne Murphy, est une employée du ministère de la Justice du Canada [Ministère] et, au moment des faits en cause, elle détenait un poste d’avocate de niveau LP-03 à la Direction des affaires civiles du Bureau régional du Québec. Madame Murphy sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 6 janvier 2023 [Décision] de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [TSS] refusant sa demande de permission de faire appel d’une décision de la Division générale du TSS, au motif que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès. La Division générale du TSS avait rejeté la demande de prestations d’assurance-emploi de Madame Murphy parce que cette dernière avait été suspendue de son emploi suite à son refus de se conformer à la politique de vaccination de son employeur, le gouvernement du Canada. Madame Murphy ne s’était pas fait vacciner et n’avait pas produit de demande d’exemption de vaccination acceptable.

[2] Madame Murphy soutient qu’elle avait amplement rempli son fardeau de démontrer que son appel avait une chance raisonnable de succès et que la Division d’appel du TSS aurait dû lui permettre de poursuivre son appel. Selon Madame Murphy, la Division générale du TSS aurait omis de trancher des arguments importants qu’elle avait clairement invoqués, aurait statué sur des arguments que le TSS lui impute mais qu’elle n’aurait pourtant pas avancés, aurait commis plusieurs erreurs de fait que la preuve ne supporte pas, et aurait manqué à son devoir d’équité procédurale en démontrant de la partialité institutionnelle à l’encontre des demandeurs d’assurance-emploi non vaccinés.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Murphy sera rejetée. Compte tenu des conclusions de la Division d’appel du TSS, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, la Décision ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour. Madame Murphy n’a pas démontré que la Décision est déraisonnable ou que le processus suivi par le TSS porte atteinte aux règles d’équité procédurale.

II. Contexte

A. Les faits

[4] Le 6 octobre 2021, le premier ministre du Canada a annoncé que tous les employés du gouvernement du Canada se verraient imposer une politique de vaccination obligatoire, soit la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada [Politique]. La Politique est entrée en vigueur le jour même.

[5] La Politique exigeait que tous les employés du gouvernement fédéral soient entièrement vaccinés contre la COVID-19, à moins qu’une mesure d’accommodement ne soit justifiée, et qu’ils informent leur employeur de leur statut vaccinal. Aux termes de la Politique, l’obligation d’être vacciné s’appliquait à tous les employés, tant aux personnes qui travaillaient à distance qu’à celles qui travaillaient en présentiel dans les installations du gouvernement fédéral.

[6] La Politique incluait également plusieurs conditions, parmi lesquelles figuraient les suivantes : les employés devaient produire leur attestation vaccinale au plus tard le 29 octobre 2021; si les employés n’attestaient pas leur statut vaccinal ou ne voulaient pas se faire vacciner, ils seraient placés en congé administratif non rémunéré à partir du 15 novembre 2021; dans les cas exceptionnels où un/e employé/e ne pouvait pas se faire vacciner pour des motifs de discrimination illicites en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP], il/elle pouvait demander des mesures d’adaptation; et les employés qui ne soumettaient pas leur attestation avant le 29 octobre 2021 devaient assister à une séance de formation sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19.

[7] Le 7 octobre 2021, le Ministère envoie un courriel à ses employés, les avisant de la mise en application de la Politique et du délai qui leur est accordé pour se faire vacciner, soit avant le 29 octobre 2021. Le 1er novembre 2021, la gestionnaire immédiate de Madame Murphy l’avise qu’il lui reste jusqu’au 15 novembre 2021 pour se conformer aux exigences de la Politique, faute de quoi elle sera mise en congé administratif non rémunéré.

[8] Le 1er novembre 2021, Madame Murphy suit la formation obligatoire sur la vaccination. Environ deux semaines plus tard, Madame Murphy confirme qu’elle ne se conformera pas aux exigences de la Politique. Conséquemment, Madame Murphy est mise en congé administratif non rémunéré et suspendue de son emploi à compter du 15 novembre 2021 — un lundi. Sa dernière journée de travail est le vendredi 12 novembre 2021. Madame Murphy demeurera suspendue de son emploi sans solde jusqu’au 20 juin 2022, soit une période d’environ sept mois, date à laquelle les éléments de la Politique sur la vaccination obligatoire ont cessé d’être en vigueur.

[9] Un mois après sa suspension, soit le 12 décembre 2021, Madame Murphy soumet une demande de prestations d’assurance-emploi en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [LAE]. Dans sa demande, elle indique être en congé administratif non rémunéré. La Commission de l’assurance-emploi du Canada [Commission] prend connaissance des documents soumis par Madame Murphy ainsi que par le Ministère, et elle fait un suivi par téléphone avec les deux parties afin d’obtenir des renseignements supplémentaires.

[10] Le 21 février 2022, après avoir considéré la preuve, la Commission conclut que Madame Murphy a été suspendue de son emploi en raison de sa propre inconduite et de son défaut de se conformer aux exigences de la Politique. La Commission refuse donc de lui accorder des prestations d’assurance-emploi. Madame Murphy dépose subséquemment, comme la loi l’autorise, une demande de révision de la décision initiale de la Commission.

[11] Dans le cadre de la révision de sa décision initiale, la Commission communique de nouveau avec les deux parties afin d’obtenir des renseignements supplémentaires. En fin de compte, le 11 avril 2022, la Commission maintient sa décision en révision et confirme que Madame Murphy n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi. En désaccord avec ce résultat, Madame Murphy porte alors la décision de révision en appel devant la Division générale du TSS.

B. La décision de la Division générale du TSS

[12] Le 9 novembre 2022, la Division générale du TSS rejette l’appel de Madame Murphy et détermine que cette dernière a effectivement été suspendue de son emploi en raison de son refus de se conformer à la Politique de vaccination de son employeur, ne s’étant pas fait vacciner et n’ayant pas produit de demande d’exemption, tel qu’exigé par la Politique. La Division générale détermine donc que la suspension de Madame Murphy est attribuable à sa propre inconduite. Dans son analyse, la Division générale identifie le test établi par la jurisprudence pour identifier l’inconduite d’un/e employé/e et conclut que Madame Murphy savait, ou aurait dû savoir, que son refus de suivre la Politique mènerait à sa suspension. La Division générale conclut également qu’elle n’a pas le pouvoir de trancher certaines des questions soulevées par Madame Murphy, dont ses arguments concernant l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].

[13] Le 14 décembre 2022, Madame Murphy demande la permission de faire appel à la Division d’appel du TSS, alléguant que la Division générale aurait commis plusieurs erreurs.

C. La Décision de la Division d’appel du TSS

[14] Dans la Décision, la Division d’appel du TSS refuse la demande de permission d’en appeler au motif que l’appel de Madame Murphy n’a aucune chance raisonnable de succès. Au fil de ses motifs, la Division d’appel se penche sur les arguments soulevés par Madame Murphy à l’appui de sa demande de permission de faire appel de la décision de la Division générale, et explique pourquoi aucun des points mis de l’avant ne constitue une erreur susceptible de révision aux termes de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS].

[15] Ainsi, la Division d’appel détermine d’abord que Madame Murphy a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la Politique et que la preuve prépondérante démontre que la Politique s’appliquait à Madame Murphy, même si elle travaillait alors à son domicile. La Division d’appel constate que Madame Murphy a refusé de se conformer à la Politique tout en sachant que son employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances. Ainsi, aux dires de la Division d’appel, son refus était volontaire, conscient et délibéré. La Division d’appel souligne au passage qu’il n’est pas contesté qu’un employeur a une obligation légale de prendre toutes les précautions raisonnables afin de protéger la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail, et qu’il n’appartient pas au TSS de décider s’il était raisonnable pour un employeur d’étendre cette protection aux employés qui travaillaient à domicile pendant la pandémie.

[16] La Division d’appel note également que la Division générale du TSS n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite au sens de la LAE en fonction des paramètres établis à cet égard par la Cour d’appel fédérale [CAF].

[17] Finalement, la Division d’appel ne trouve aucun élément de preuve permettant de soutenir l’allégation de Madame Murphy selon laquelle les membres du TSS — et notamment la membre de la Division générale qui a décidé son dossier — ne seraient pas indépendants ou impartiaux, précisant qu’une allégation de partialité contre un décideur administratif constitue une allégation grave.

[18] En somme, après avoir examiné le dossier, la Division d’appel du TSS conclut que l’appel de Madame Murphy n’a aucune chance de succès et que Madame Murphy n’a soulevé aucune question dont la réponse pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

D. Les dispositions législatives pertinentes

[19] Les dispositions législatives pertinentes se retrouvent à la LMEDS et à la LAE.

[20] Au niveau de la LMEDS, il s’agit de l’article 58, qui se lit comme suit :

Moyens d’appel — section de l’assurance-emploi

Grounds of appeal — Employment Insurance Section

58 (1) Les seuls moyens d’appel d’une décision rendue par la section de l’assurance-emploi sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal of a decision made by the Employment Insurance Section are that the Section

a) la section n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[21] Au niveau de la LAE, les articles pertinents sont les articles 30 et 31, qui se lisent en partie comme suit :

Exclusion : inconduite ou départ sans justification

Disqualification — misconduct or leaving without just cause

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

30 (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

[…]

Inadmissibilité : suspension pour inconduite

Disentitlement — suspension for misconduct

31 Le prestataire suspendu de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations jusqu’à, selon le cas :

31 A claimant who is suspended from their employment because of their misconduct is not entitled to receive benefits until

a) la fin de la période de suspension;

(a) the period of suspension expires;

b) la perte de cet emploi ou son départ volontaire;

c) le cumul chez un autre employeur, depuis le début de cette période, du nombre d’heures d’emploi assurable exigé à l’article 7 ou 7.1.

(b) the claimant loses or voluntarily leaves the employment; or

(c) the claimant, after the beginning of the period of suspension, accumulates with another employer the number of hours of insurable employment required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits.

E. La norme de contrôle

[22] Il ne fait pas de doute que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions de la Division d’appel du TSS est celle de la décision raisonnable (Cecchetto v Canada (Attorney General), 2024 FCA 102 au para 4 [Cecchetto FCA]; Khodykin v Canada (Attorney General), 2024 FCA 96 au para 12 [Khodykin FCA]; Palozzi v Canada (Attorney General), 2024 FCA 81 au para 3 [Palozzi FCA]; Kuk v Canada (Attorney General), 2024 FCA 74 au para 5 [Kuk FCA]; Francis v Canada (Attorney General), 2023 FCA 217 au para 4 [Francis FCA]; Bhamra v Canada (Attorney General), 2023 FCA 121 au para 3; Cecchetto c Canada (Procureur général), 2023 CF 102 aux para 20–21 [Cecchetto CF]; Gauvreau c Canada (Procureur général), 2021 CF 92 aux para 24–27 [Gauvreau CF]; Malonga c Canada (Procureur général), 2020 CF 913 au para 10; Marcoux c Canada (Procureur général), 2020 CF 609 au para 10; Astolfi c Canada (Procureur général), 2020 CF 30 au para 15).

[23] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[24] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87).

[25] L’exercice du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de confier aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75). Une décision ne sera pas infirmée sur la base de simples erreurs superficielles ou accessoires; pour être invalidée, une décision doit plutôt comporter de graves lacunes, telles qu’un raisonnement intrinsèquement incohérent (Vavilov aux para 100–101).

[26] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[27] En ce qui a trait aux questions d’équité procédurale (lesquelles englobent la partialité d’un décideur), la CAF a toutefois affirmé à plusieurs reprises que celles-ci ne requièrent pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 33–56 [CCP]). Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CCP au para 54). Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et sur des manquements aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». C’est plutôt de déterminer si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et a donné aux parties concernées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité complète et équitable d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54). Les cours de révision n’ont pas à faire preuve de déférence envers le décideur administratif sur des questions ayant trait à l’équité procédurale.

III. Analyse

A. Le test pour la permission de faire appel

[28] Le test pour se prononcer sur une permission de faire appel à la Division d’appel du TSS se retrouve dans la LMEDS. L’article 58 y prescrit qu’une demande de permission d’en appeler d’une décision de la Division générale du TSS peut uniquement être accordée si le requérant parvient à démontrer qu’au moins un des trois motifs d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS a une chance raisonnable de succès (Cecchetto FCA au para 5). Aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants : 1) la Division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou 3) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[29] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la Division d’appel doit rejeter une demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Selon la jurisprudence de cette Cour, une chance raisonnable de succès consiste à « disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12).

B. Le caractère raisonnable de la Décision

[30] Madame Murphy fait valoir que cette Cour doit intervenir et renvoyer son dossier devant un nouveau membre de la Division d’appel du TSS. Selon elle, le TSS aurait erré en droit en omettant de trancher des arguments importants qu’elle a clairement invoqués, par exemple, ses arguments concernant l’article 7 de la Charte et ce qu’elle qualifie de « droits protégés ». De plus, Madame Murphy allègue que le TSS aurait commis plusieurs erreurs de fait que la preuve ne supportait pas. Enfin, Madame Murphy accuse la Division générale du TSS de partialité institutionnelle à l’encontre des prestataires non vaccinés. Selon elle, en raison de cette prétendue partialité, le TSS aurait manqué à son devoir d’équité procédurale.

[31] La Cour n’est pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que chacun des arguments soulevés par Madame Murphy n’a aucun mérite et ne justifie aucunement l’intervention de la Cour.

[32] La Décision du TSS, il faut le souligner, est maintenant appuyée par une jurisprudence récente, abondante et unanime de cette Cour et de la CAF qui confirme, dans le cadre de dossiers traitant directement des politiques de vaccination obligatoire, le rôle étroit du tribunal dans les appels portant sur des questions d’inconduite (voir notamment : Cecchetto FCA; Khodykin FCA; Palozzi FCA; Kuk FCA; Lalancette c Canada (Procureur général), 2024 CAF 58 [Lalancette CAF]; Sullivan v Canada (Attorney General), 2024 FCA 7 [Sullivan FCA]; Zhelkov v Canada (Attorney General), 2023 FCA 240 [Zhelkov FCA]; Francis v Canada (Attorney General), 2023 FCA 217 [Francis FCA]; Hazaparu v Canada (Attorney General), 2024 FC 928 [Hazaparu FC]; Boskovic v Canada (Attorney General), 2024 FC 841 [Boskovic FC]; Spears v Canada (Attorney General), 2024 FC 329 [Spears FC]; Butu v Canada (Attorney General), 2024 FC 321 [Butu FC]; Cecchetto CF).

[33] Incidemment, toutes et chacune de ces décisions contredisent la compréhension erronée du test d’inconduite mise de l’avant par Madame Murphy, et la Cour n’est pas convaincue que le cas particulier de Madame Murphy soulève des éléments qui permettent de le distinguer de cette jurisprudence unanime.

(1) La Charte

[34] Madame Murphy allègue d’abord que la Division générale du TSS aurait commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur ses arguments relatifs à l’article 7 de la Charte. À l’appui de sa position, Madame Murphy maintient qu’il est indiqué sur le site web du TSS que celui-ci a compétence pour appliquer la Charte.

[35] Madame Murphy prétend avoir mentionné au TSS à plusieurs reprises qu’elle ne demandait pas de déclarer la Politique illégale, ni aucun article de la LAE. Selon ses dires, elle demandait simplement au TSS d’interpréter la notion d’inconduite en tenant compte des circonstances, du contexte et du fait que son cas impliquait l’exercice d’un droit protégé par l’article 7 de la Charte, que le simple exercice d’un droit protégé par la Charte dans un cas où c’était la seule solution raisonnable, ne pouvait être un « acte répréhensible » de la nature d’une inconduite justifiant l’exclusion des prestations, et qu’il fallait interpréter la notion d’inconduite de façon à donner un sens aux droits protégés dans la Charte. Elle avance que son argument de Charte serait différent de l’affaire Sullivan FCA, et fondé sur les droits à l’intégrité et à la sécurité protégés à l’article 7 de la Charte. Elle ajoute avoir plaidé qu’elle n’avait simplement pas eu d’autres alternatives que de refuser le vaccin pour préserver sa santé, son intégrité physique et sa sécurité.

[36] Madame Murphy maintient qu’elle demandait au TSS de tenir compte du contexte, de son immunité naturelle que l’employeur n’a pas voulu considérer avant sa mise à pied, du fait que son fils et son père avaient eu de graves effets secondaires suivant la vaccination (mettant leurs vies en danger), et de ses soumissions à l’effet que la vaccination mettait sa santé, son intégrité physique et sa sécurité en péril. Elle précise avoir appuyé cela de plusieurs expertises scientifiques démontrant ses prétentions.

[37] Avec égard, la Cour n’est pas convaincue par les arguments de Madame Murphy.

[38] Il était tout à fait raisonnable pour la Division générale et la Division d’appel du TSS de ne pas se prononcer sur les arguments de Charte de Madame Murphy, car il est bien établi que ce genre d’exercice se situe hors du champ de compétence du TSS. De plus, dans le contexte de la notion d’inconduite, le TSS n’avait pas besoin de statuer sur la validité constitutionnelle de la Politique du gouvernement fédéral afin de décider si Madame Murphy a droit ou non aux prestations d’assurance-emploi prévues par la LAE. Selon le Ministre, ceci est cohérent avec le fait que les tribunaux administratifs sont présumés avoir le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Charte seulement en ce qui concerne les affaires dont ils sont dûment saisis.

[39] La Cour accepte que le TSS a compétence pour appliquer la Charte. Comme la Cour suprême l’a noté dans l’arrêt R c Conway, 2010 CSC 22 [Conway], « il n’y a pas une Charte pour les cours de justice et une autre pour les tribunaux administratifs [...] Cette évidence trouve écho dans la reconnaissance par notre Cour de l’assujettissement des cours de justice et des tribunaux administratifs aux principes qui régissent le pouvoir de réparation conféré par la Charte » (Conway au para 20). Cependant, cette compétence est restreinte. Un tribunal administratif ne peut appliquer la Charte qu’« aux questions soulevées dans le cadre de l’exercice approprié de ses attributions légales » (Conway au para 20). Ainsi faut-il que le tribunal agisse à l’intérieur de son champ d’expertise (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 au para 46).

[40] En l’espèce, Madame Murphy n’est pas en train de contester la validité d’une loi à l’intérieur du champ d’expertise du TSS. Madame Murphy tente plutôt de contester la Politique de son employeur et le comportement de ce dernier, ce qu’elle ne peut pas faire devant le TSS. Incidemment, Madame Murphy est entièrement consciente de ce fait puisqu’elle avait entamé une autre procédure devant cette Cour dans le but de faire déclarer la Politique nulle ab initio (Murphy c Canada (Procureur général), 2023 CF 57 au para 4).

[41] Malgré les efforts louables de Madame Murphy pour tenter de présenter sa demande de contrôle judiciaire sous un angle nouveau, la Cour est d’avis qu’il s’agit en fait d’une contestation indirecte de la Politique, car Madame Murphy se trouve à attaquer le fondement et la raison d’être de cette Politique. Les droits protégés invoqués par Madame Murphy touchent à la légitimité et la constitutionnalité de la Politique, et représentent somme toute un argument fort similaire à ceux avancés dans de nombreuses autres décisions où les demandeurs avaient attaqué le bien-fondé des politiques de vaccination.

[42] Comme dans l’arrêt Lalancette CAF, l’argument principal de Madame Murphy est que la Politique est déraisonnable car contraire de façon générale à l’article 7 de la Charte et aux droits protégés, le tout dans un contexte où Madame Murphy ne s’est pas conformée à la Politique. Or, la Cour est d’avis que l’arrêt Sullivan FCA ferme la porte à un tel argument de Charte. La question a déjà été tranchée par les cours fédérales, et le TSS n’a pas erré dans son traitement des questions de Charte dans le cadre de l’application de la notion d’inconduite sous la LAE. De la même manière, le TSS n’avait pas à tenir compte de la preuve scientifique qui visait à remettre en cause le bien-fondé de la Politique.

[43] Madame Murphy dit qu’elle n’invoquait pas la Charte pour faire déclarer la Politique déraisonnable ou invalide par le TSS, et qu’elle voulait uniquement que le TSS interprète la notion d’inconduite à la lumière des droits à l’intégrité et à la sécurité de sa personne protégés par l’article 7 de la Charte, dans un contexte où elle prétend avoir déposé une preuve étoffée à l’appui de sa position. La Cour n’est pas convaincue par les arguments et les distinctions que Madame Murphy tente de faire. En invoquant ses droits protégés par la Charte, il est indéniable, aux yeux de la Cour, que, sous le couvert d’une demande d’interprétation de la notion d’inconduite, Madame Murphy se trouve en fait à contester le bien-fondé et la raison d’être de la Politique. Or, dans les arrêts Khodykin FCA et Sullivan FCA, la CAF a rappelé en termes clairs et limpides que le TSS n’a pas la compétence pour considérer la constitutionnalité d’une politique de vaccination ou sa conformité avec la Charte (Khodykin FCA au para 8; Sullivan FCA au para 12).

[44] La Cour comprend que Madame Murphy croit fermement que la Politique est une réaction exagérée à la pandémie de COVID-19 et qu’elle a été appliquée injustement à son égard compte tenu de ses antécédents de santé. La Cour note aussi sa profonde conviction que le TSS (tant la Division générale que la Division d’appel) n’a pas tenu compte de ses préoccupations quant à la violation de ses droits garantis et protégés par la Charte et de son contrat d’emploi. Cependant, il s’agit là de questions que le TSS n’est pas légalement autorisé à examiner (Milovac CF au para 27; Cecchetto CF au para 32). Le TSS a un rôle limité à jouer pour décider s’il doit ou non accorder la permission de faire appel d’une décision de la Division générale.

[45] Ainsi, on ne peut qualifier la Décision de la Division d’appel de déraisonnable parce qu’elle n’a pas traité ces questions constitutionnelles puisque le tribunal n’a pas compétence de le faire (Zhelkov FCA au para 5; Boskovic FC au para 30; Cecchetto CF aux para 46–47). La question de savoir si une politique est contraire à la Charte relève d’un autre forum (Boskovic FC au para 57).

[46] La Cour rappelle que le TSS n’est pas le forum approprié pour remettre en question les politiques des employeurs et la validité des licenciements. Il s’agit d’un forum chargé de déterminer le droit aux prestations en matière de sécurité sociale et d’assurance-emploi, et non d’un forum chargé de statuer sur des allégations de licenciement injustifié (Sullivan FCA au para 6). En l’espèce, la Division générale et la Division d’appel du TSS se sont penchées sur la bonne question juridique et y ont répondu. La question était de savoir si Madame Murphy pouvait normalement prévoir que sa conduite nuirait à ses obligations envers son employeur et entraînerait sa suspension ou son congédiement.

[47] De surcroît, la CAF a affirmé récemment qu’il est approprié que la Division d’appel du TSS se réfère à la jurisprudence pertinente et refuse d’examiner certains arguments qui ne relèvent pas de sa compétence (Zhelkov FCA au para 5, citant Cecchetto CF). Ceci inclut notamment les questions relatives à la pertinence d’une politique de vaccination (Zhelkov FCA aux para 1–3).

[48] Le TSS ne possède pas la compétence de conclure que la Politique de l’employeur avait enfreint les droits de Madame Murphy, car une telle conclusion serait bel et bien hors de son champ d’expertise et de l’exercice approprié de ses attributions légales (Conway au para 20). Selon les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2022-256 [Règles], les champs de compétence du TSS sont limités à l’adjudication des appels portant sur ses trois lois habilitantes, soit le Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O-9, et la LAE (Règles au para 1(2)). De surcroît, comme l’enseigne la CAF, les valeurs de la Charte ne peuvent pas être utilisées pour invalider des dispositions législatives que les décideurs administratifs doivent suivre; seules les violations injustifiées des droits et des libertés peuvent entraîner l’annulation d’une loi (Sullivan FCA au para 12). Par conséquent, la Division d’appel a jugé à juste titre que Madame Murphy ne pouvait pas, en vertu de la Charte ou de la jurisprudence des tribunaux, remettre en question le bien-fondé ou la constitutionnalité de la Politique devant le TSS.

[49] Qui plus est, après avoir décliné la compétence de se prononcer sur la Charte, la Division générale a néanmoins pris note que Madame Murphy soutenait avoir le droit de refuser de se faire vacciner aux termes de l’article 7 de la Charte. La Division générale a ensuite souligné dans sa décision que la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Syndicat des métallos, section locale 2008 c Procureur général du Canada, 2022 QCCS 245, a jugé que les dispositions qui imposaient la vaccination aux employés, bien qu’elles portent atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique, ne contrevenaient pas à l’article 7 de la Charte.

[50] En somme, la Division générale ne devait pas se prononcer sur les arguments de Charte et la Division d’appel a raisonnablement conclu que l’argument portant sur la Charte n’avait pas de chance raisonnable de succès (Sullivan FCA au para 12; Zhelkov FCA au para 5).

(2) La notion d’inconduite

[51] Dans un deuxième temps, Madame Murphy allègue que la Division générale du TSS aurait mal apprécié les faits de son dossier quant à l’analyse de son inconduite. Selon Madame Murphy, l’employeur aurait choisi de se passer de ses services alors qu’elle pouvait continuer à remplir toutes ses fonctions depuis son domicile sans avoir besoin de se faire vacciner. Dans cette veine, Madame Murphy estime qu’il y a absence de causalité entre le « soi-disant geste répréhensible », qu’elle dit être le refus de se faire vacciner, et la fin de l’emploi, alors qu’elle pouvait exécuter 100 % de ses fonctions.

[52] Encore une fois, la Cour ne souscrit pas aux arguments de Madame Murphy.

[53] La Décision de la Division d’appel est maintenant appuyée par une jurisprudence abondante et unanime qui confirme le rôle étroit du TSS dans les appels sur les dossiers d’inconduite et qui n’appuie aucunement la lecture du test d’inconduite mise de l’avant par Madame Murphy (voir notamment : Cecchetto FCA; Kuk FCA; Francis FCA; Sullivan FCA; Spears FC; Butu FC; Abdo c Canada (Procureur général), 2023 CF 1764 aux para 19–33 [Abdo CF]; Milovac c Canada (Procureur général), 2023 CF 1120 aux para 22–29 [Milovac CF]; Matti v Canada (Attorney General), 2023 FC 1527 aux para 17–24).

[54] La notion d’inconduite aux fins de la LAE a été définie par une jurisprudence constante de cette Cour et de la CAF. Dans la Décision, la Division d’appel du TSS s’est fiée à cette définition et a raisonnablement conclu que le comportement de Madame Murphy était conforme à celle-ci. Comme le souligne le Procureur général du Canada [PGC] au nom du ministre d’Emploi et Développement social Canada — qui est responsable de la gestion de la LAE —, la Division d’appel a raisonnablement rejeté la demande de permission d’en appeler de Madame Murphy.

[55] La Division d’appel a bien considéré le libellé et les facteurs énoncés à l’article 58 de la LMEDS afin de rejeter la demande. En refusant la permission d’en appeler de Madame Murphy, la Division d’appel a considéré si chacun des arguments avait une chance raisonnable de succès. Dans ses motifs, la Division d’appel, tout comme la Division générale, a clairement traité de la notion d’inconduite. Or, le régime canadien de l’assurance-emploi n’indemnise pas ceux et celles qui se trouvent sans emploi par leur propre faute.

[56] La description et les paramètres de l’inconduite développés au fil des ans par la CAF continuent d’être applicables (Gauvreau CF au para 27, citant Nelson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 222 au para 21 [Nelson CAF]). Il y a inconduite au sens de la LAE lorsque « la conduite du prestataire est délibérée, c’est‑à‑dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié » (Mishibinijima CAF au para 14). En somme, l’affaire Mishibinijima CAF enseigne qu’il y a inconduite dans le cadre d’une demande d’assurance-emploi lorsque : 1) l’inconduite est délibérée; 2) le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur; et 3) il y a une relation causale entre ladite inconduite et la fin d’emploi.

[57] Il suffit ainsi de démontrer une commission intentionnelle d’un acte contraire à ses obligations d’emploi (Sullivan FCA au para 6).

[58] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314 [Lemire CAF], la CAF rappelle qu’un élément de causalité est nécessaire pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement. Ainsi, « il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail » (Lemire CAF au para 14). La CAF clarifie qu’il « ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement » (Lemire CAF au para 15; voir également Khodykin FCA).

[59] La notion d’inconduite sous la LAE a donc une signification particulière : elle inclut toute contravention consciente d’une politique mise en place par un employeur. Elle n’exige pas un degré de blâme ou une faute de l’employé; elle exige simplement un geste répréhensible, soit un geste qui mérite d’être blâmé, repris ou sanctionné. Il est également bien établi que le non-respect délibéré d’une politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la LAE (Canada (Procureur général) c Bellavance, 2005 CAF 87 au para 7 [Bellavance CAF]; Canada (Procureur général) c Gagnon, 2002 CAF 460 aux para 2–5). Contrairement à ce que certains pourraient croire, il n’est pas nécessaire que l’employé ait eu une intention malveillante pour qu’il y ait inconduite (Cecchetto CF au para 37).

[60] L’inconduite est un manquement d’une portée telle que l’employé/e pouvait normalement prévoir qu’il/elle serait susceptible de provoquer son congédiement. Le manquement n’est pas répréhensible dans le sens de malveillant : il est répréhensible dans le sens qu’il peut être blâmé, repris ou condamné, et peut mener à une sanction comme une mise à pied ou un congédiement.

[61] Dans l’arrêt Francis FCA, la CAF a récemment refusé de réviser le test d’inconduite développé par la jurisprudence. Et elle a confirmé du même souffle que le refus volontaire de se conformer à une politique obligatoire de vaccination contre la COVID-19 ayant mené au congédiement d’un employé qui n’a pu obtenir d’exemption pour des raisons religieuses peut constituer une inconduite (Francis FCA au para 6; voir également Palozzi FCA au para 6; Kuk FCA aux paras 8–9; Sullivan FCA aux para 4–7; Lalancette CAF au para 2; Zhelkov FCA au para 5; Nelson CAF au para 21; Bellevance CAF au para 9; Cecchetto CF aux para 32–33). Dans Cecchetto FCA, la CAF a aussi reconfirmé le test d’inconduite que la Cour avait résumé dans Cecchetto CF (Cecchetto FCA au para 10; Cecchetto CF au para 39). La Cour souligne que, dans tous ces dossiers de la CAF, des demandeurs s’étaient vus refuser des prestations d’assurance-emploi après avoir failli de se conformer aux politiques de vaccination sur la COVID-19 de leur employeur.

[62] Dans l’affaire Cecchetto CF, confirmée par Cecchetto FCA, la Cour a réaffirmé que le rôle du TSS est restreint. Ainsi, la Cour y note que le fait que le TSS n’ait pas abordé des questions concernant l’intégrité corporelle, le consentement à des tests médicaux, la sécurité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou des tests antigéniques ne rend pas la décision de la Division d’appel déraisonnable, puisque la loi ne permet pas au tribunal d’aborder ces questions (Cecchetto CF au para 32).

[63] Il ne fait aucun doute que la jurisprudence récente de cette Cour et de la CAF appuie sans réserve l’interprétation d’inconduite retenue par la Division d’appel du TSS dans le dossier de Madame Murphy. Ainsi, cette Cour a récemment réitéré que les arguments selon lesquels la Division générale aurait commis des erreurs de fait ou de droit concernant l’adoption par l’employeur d’une politique de vaccination n’ont aucune chance raisonnable de succès, car le TSS n’a pas le pouvoir de traiter ces questions et que le test de l’inconduite n’est pas axé sur le comportement de l’employeur (Spears FC aux para 26–27). Sur la base des arrêts Nelson CAF et Bellavance CAF, la Cour a aussi observé que le fait de ne pas se faire vacciner lorsqu’un employé est au courant d’une politique de vaccination et choisit délibérément de ne pas la suivre constitue une inconduite (Abdo CF au para 22). La Cour a précisé que, dans une telle circonstance, il est raisonnable pour la Division d’appel de confirmer les conclusions de la Division générale selon lesquelles la décision volontaire et délibérée d’un employé de ne pas se faire vacciner constituait une violation de l’obligation expresse énoncée dans la politique de vaccination et donc, une forme d’inconduite (Abdo CF au para 23).

[64] Ces conclusions ont été récemment reprises par la Cour dans l’affaire Butu FC, qui a à nouveau conclu que la question de savoir si une politique de vaccination était raisonnable ne relève ni de la compétence de la Commission, ni de celle de la Division générale ou de la Division d’appel du TSS (Butu FC au para 89, citant Cecchetto CF au para 32). Comme dans le dossier de Madame Murphy, la demanderesse y soulevait une atteinte à ses droits à la vie privée et autres droits protégés par la Charte. La Cour a une fois encore constaté que la Division générale et la Division d’appel avaient identifié les tests appropriés et raisonnablement appliqué la jurisprudence des cours fédérales pour établir que l’employée avait été suspendue puis licenciée en raison de sa propre inconduite (Butu FC au para 91).

[65] Considérant la jurisprudence unanime de cette Cour et de la CAF, il était éminemment raisonnable pour la Division d’appel du TSS de conclure comme elle l’a fait. En l’espèce, la Division d’appel a déterminé que la preuve prépondérante démontrait que la Politique s’appliquait à Madame Murphy même si elle travaillait à son domicile. La Division d’appel a également conclu que Madame Murphy a refusé de se conformer à la Politique, qu’elle savait qu’elle était susceptible de se faire suspendre en raison de son refus, et que son refus était volontaire, conscient et délibéré. Compte tenu de l’état du droit, la Cour ne voit rien de déraisonnable dans la détermination de la Division d’appel à l’effet que les gestes de Madame Murphy constituaient de l’inconduite.

[66] Madame Murphy soumet par ailleurs que, selon une décision récente de la Division générale du TSS, AL v Canada Employment Insurance Commission, 2022 SST 1428 [AL], le refus de se conformer à l’obligation de vaccination imposée par un employeur ne constitue pas une inconduite au sens de la LAE entraînant l’exclusion de l’employé du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[67] Toutefois, la décision dans AL — maintenant infirmée — se distingue de la présente affaire, comme l’a noté la Cour dans Cecchetto CF. Dans AL, la Division générale a déterminé que l’imposition par l’employeur de l’obligation de se faire vacciner avait modifié les termes de la convention collective qui régissait les conditions essentielles de la relation de travail, et l’employeur n’avait obtenu ni le consentement du syndicat ni celui de l’employé pour cette modification. En outre, dans l'affaire AL, la Division générale a noté que les dispositions de la politique de l’employeur ne prévoyaient pas d’exceptions ni de tests comme alternative, et que la convention collective contenait des dispositions spécifiques concernant la vaccination (en référence au vaccin de la grippe) qui indiquaient clairement que l’employé avait le choix de se faire vacciner ou non (Cecchetto CF au para 42). Selon la Cour, AL n’établit aucune règle générale applicable à d’autres situations factuelles et, qui plus est, elle ne lie pas cette Cour (Cecchetto CF au para 42).

[68] La Cour rappelle que le TSS n’est pas l’endroit pour remettre en question les politiques d’un employeur. Le test de l’inconduite se concentre sur les connaissances et les actions de l’employé/e, et non sur le comportement de l’employeur ou sur le caractère raisonnable de ses politiques de travail.

[69] La CAF a récemment encadré de façon précise le rôle de la Division d’appel du TSS. Dans l’affaire Sullivan FCA, la CAF a établi qu’il était raisonnable pour la Division d’appel de conclure que le test de l’inconduite se concentre sur les connaissances et les actions de l’employé, et non sur le comportement de l’employeur ou le caractère raisonnable de ses politiques de travail, en ajoutant qu’un demandeur pouvait exercer des recours ailleurs s’il considérait que son employeur le traitait de manière inappropriée (Sullivan FCA aux para 4–5). Le juge David Stratas observe également qu’une telle conclusion est étayée par la jurisprudence applicable (Sullivan FCA au para 5). À cette fin, il note au paragraphe 6 que :

[6] [TRADUCTION] Nous ajouterons que la jurisprudence de la Cour est logique. Si les arguments du demandeur étaient retenus, le Tribunal de la sécurité sociale deviendrait un forum pour remettre en question les politiques des employeurs et la validité des licenciements. Selon toute lecture plausible de la législation qui régit le Tribunal, il s’agit d’un forum chargé de déterminer le droit aux prestations en matière de sécurité sociale, et non d’un forum chargé de statuer sur des allégations de licenciement injustifié. Nous notons que le requérant a en fait exercé des recours ailleurs pour licenciement abusif et qu’il a déposé une plainte pour violation des droits des personnes.

[6] We would add that the court jurisprudence makes sense. Were the applicant’s submissions to be upheld, the Social Security Tribunal would become a forum to question employer policies and the validity of employment dismissals. Under any plausible reading of the legislation that governs the Tribunal, it is a forum to determine entitlement to social security benefits, not a forum to adjudicate allegations of wrongful dismissal. We note that the applicant in fact has pursued remedies elsewhere for wrongful dismissal and has made a human rights complaint.

[70] Depuis, les cours fédérales ont rendu de multiples décisions établissant que le TSS n’est pas le forum approprié pour questionner le bien-fondé ou le mérite d’une politique de vaccination (Pallozi FCA au para 6; Kuk FCA au para 7; Hazaparu FC au para 16). Il y a d’autres avenues pour ce faire, telles une action pour congédiement injustifié ou une plainte en matière de droits de la personne.

[71] Dans trois affaires récentes décidées par cette Cour, Spears FC, Hazaparu FC et Butu FC — toutes des situations où, à l’instar de Madame Murphy, les demandeurs contestaient le bien-fondé ou la sagesse d’une politique de vaccination —il est clairement établi que ce ne sont pas des questions que la Division d’appel peut considérer ni des motifs qui pourraient permettre à cette Cour de conclure au caractère déraisonnable de la Décision.

[72] Madame Murphy n’a apporté aucun argument convaincant qui permettrait de distinguer cette jurisprudence des faits du présent dossier.

(3) Les erreurs de fait

[73] Madame Murphy estime par ailleurs que le TSS aurait commis une erreur de fait susceptible de révision en omettant de traiter plusieurs arguments et faits qu’elle a avancés, et notamment que la Politique ne devrait pas s’adresser à elle puisqu’elle pouvait toujours travailler depuis son domicile. Selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS, afin de pouvoir constituer une erreur susceptible de révision, Madame Murphy doit démontrer que la Division générale du TSS a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[74] Comme point de départ, la Cour rappelle que le TSS est présumé avoir considéré toute la preuve (Simpson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 82 au para 10). Cette présomption ne peut être renversée lorsque la preuve est discutée et que le demandeur reproche tout simplement au décideur le poids accordé aux différents éléments de preuve. Ainsi, « la Cour n’envisagera la possibilité d’écarter cette présomption que lorsque la valeur probante des éléments de preuve auxquels l’auteur n’aura pas expressément fait référence est telle que ces éléments de preuve auraient dû être abordés » (Lee Villeneuve c Canada (Procureur général), 2013 CF 498 au para 51, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 FC 53 aux para 14–17).

[75] Il est bien connu qu’un décideur n’a pas à explicitement faire état de chacun des détails et des facettes d’un enjeu en prenant sa décision. Un décideur est présumé avoir pesé et considéré toutes les preuves qui lui ont été présentées à moins que le contraire n’ait été déterminé (Newfoundland Nurses au para 16; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). Néanmoins, il est également acquis que des preuves contradictoires ne doivent pas être négligées. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’éléments clés sur lesquels s’appuie le décideur pour arriver à ses conclusions. Bien que les raisons ne doivent pas être scrutées à la loupe par la Cour, un décideur ne peut pas agir « sans tenir compte des preuves » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) aux para 16–17 [Cepeda-Gutierrez]). Ainsi, une déclaration générale affirmant qu’un décideur a examiné l’ensemble de la preuve ne suffira pas lorsque les éléments de preuve dont il n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion (Cepeda-Gutierrez au para 17). Lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire, la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[76] Comme le constate le PGC, dans le présent dossier, la Division générale et la Division d’appel ont fait un survol des faits pertinents à la définition d’inconduite établie selon la jurisprudence. Elles ont ensuite identifié le bon test juridique et l’ont appliqué aux faits. Ce faisant, elles se sont fondées sur la preuve de Madame Murphy démontrant qu’elle était au courant que son employeur pouvait lui demander éventuellement de retourner travailler sur les lieux du travail. Madame Murphy était d’accord que son employeur pouvait la rappeler à n’importe quel moment pour travailler en personne au bureau, et que son emploi n’était pas un de télétravail permanent. Compte tenu de ces conclusions, la Division générale et la Division d’appel ont raisonnablement conclu que Madame Murphy était au courant que son employeur pouvait exiger un retour sur les lieux du travail. Il ne s’agit donc pas d’une erreur de fait susceptible de révision au sens de l’article 58 de la LMEDS.

[77] Pour qu’une cour de révision annule une décision administrative, elle doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100). Compte tenu des conclusions de la Division d’appel du TSS, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, il n’y a aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour. En ce sens, la décision de la Division générale est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

[78] Avec égards, Madame Murphy offre une interprétation erronée du test établi par la jurisprudence lorsqu’elle s’insurge contre l’absence de lien entre la Politique de vaccination et les exigences fonctionnelles de son emploi. Ce faisant, Madame Murphy dénature la portée de la jurisprudence en limitant les obligations de travail aux strictes fonctions d’un/e employé/e. Il est en effet inexact de dire que le comportement répréhensible au sens de la LAE doit entraver l’exécution des obligations propres au travail de l’employé/e. La jurisprudence réfère plutôt à une entrave à la relation employeur-employé, ce qui déborde largement les seules fonctions accomplies par un/e employé/e. En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si le non-respect d’une politique d’un employeur affecte l’exécution des fonctions. La question est plutôt de déterminer si le non-respect entrave les obligations de l’employé/e face à son employeur.

[79] La Cour s’est déjà prononcée sur l’argument de Madame Murphy selon lequel le TSS avait besoin d’éléments de preuve que la non-vaccination avait une incidence sur ses fonctions particulières. La Cour a clairement conclu que le TSS n’avait pas besoin de le faire (Kuk c Canada (Procureur général), 2023 CF 1134 au para 37 [Kuk CF], conf par Kuk FCA). De même, le tribunal n’avait pas besoin d’analyser le contexte d’emploi ou le lien de causalité parce que le critère de l’inconduite met l’accent sur la connaissance objective qu’a Madame Murphy de la conséquence de ses actes (Sullivan FCA aux para 4–5).

[80] Ainsi, la notion d’inconduite ne se limite pas aux tâches d’un/e employé/e. Elle renvoie plutôt au devoir plus général des employés envers leurs employeurs, à la relation employeur-employé/e au sens large. Aux paragraphes 10 et 11 des motifs, l’arrêt Canada (Procureur général) c Cartier, 2001 CAF 274, la CAF parle d’ailleurs de lien entre l’inconduite et les obligations « [liées] à l’emploi ». L’arrêt Nelson CAF réfère pour sa part aux « condition[s] explicite[s] ou implicite[s] de l’emploi » (Nelson CAF au para 25; voir également Mishibinijima CAF au para 14 et Butu FC au para 83). Comme le dit la CAF dans l’affaire Locke c Canada (Procureur général), 2003 CAF 262 au paragraphe 8, une inconduite est une dérogation à ce point fondamentale que l’employé savait ou aurait dû savoir qu’il risquait de perdre son emploi. Il s’agit d’une situation où l’employé/e savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver ses obligations envers son employeur (Lemire CAF aux para 13–14). C’est dans ce sens qu’on parle de fonctions essentielles à son emploi.

[81] En d’autres mots, la jurisprudence renvoie à l’exécution des « obligations » envers l’employeur au sens large, et non pas à la seule exécution des « fonctions » limitées de l’employé/e, comme tente de le restreindre Madame Murphy. Or, une des obligations qu’ont les employés envers leur employeur est de se conformer aux règles et politiques mises en place par ce dernier. Il est donc tout à fait inexact de prétendre que le TSS avait besoin d’éléments de preuve que la non-vaccination de Madame Murphy avait une incidence sur les fonctions particulières exercées par cette dernière (Kuk CF au para 37).

[82] Contrairement à ce qu’avance Madame Murphy, la question n’est donc pas de savoir s’il y a absence de preuve que la non-vaccination entraînait une conséquence sur son rendement ou sur sa capacité à exercer ses fonctions. Il y a plutôt inconduite lorsqu’un comportement entrave l’exécution des obligations plus générales de l’employé/e face à son employeur. D’ailleurs, la définition objective d’inconduite formulée par la CAF dans l’arrêt Mishibinijima CAF stipule qu’« [...] il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié » (Mishibinijima CAF au para 14; voir aussi Cecchetto FCA aux para 8, 10; Palozzi FCA au para 7; Nelson CAF au para 21).

C. La partialité

[83] Enfin, l’allégation de Madame Murphy selon laquelle le TSS ne serait pas indépendant n’a aucun mérite. Une telle accusation d’impartialité est grave, et Madame Murphy n’a présenté aucune preuve matérielle démontrant que la conduite de la membre de la Division générale du TSS aurait dérogé à la norme.

[84] Madame Murphy allègue qu’il y aurait eu manquement à l’équité procédurale par le TSS puisque la membre de la Division générale qui a entendu son dossier a décliné sa compétence quant à l’application de la Charte. Selon Madame Murphy, la seule raison pour laquelle la Division générale aurait décliné la compétence est qu’elle aurait été induite en erreur par les représentations de Me Grandmaître, qui a plaidé que le TSS n’avait pas compétence pour appliquer la Charte. Madame Murphy allègue que le TSS a confiance en Me Grandmaître, car elle est une officière de justice qui défend les décisions du TSS devant la Cour. Selon Madame Murphy, dans aucun cas, celle qui défend les décisions du TSS devant la Cour ne devrait être aussi celle qui représente la Commission comme partie devant le TSS.

[85] Avec respect, Madame Murphy est en train de confondre le rôle de Me Grandmaître, ce qui est d’autant plus surprenant que Madame Murphy a elle-même été avocate pour le PGC. En tant que représentante du PGC, Me Grandmaître ne défend pas le TSS lui-même, mais plutôt la décision qui a été rendue par celui-ci. En fait, le TSS n’est pas une partie au contrôle judiciaire devant la Cour. Ceci reflète simplement le principe général selon lequel, dans les procédures de contrôle judiciaire devant la Cour, le décideur n’a généralement pas qualité pour défendre sa propre décision (Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 246 au para 17).

[86] En ce qui a trait à l’allégation de partialité, il est bien établi qu’une accusation qu’un décideur administratif est partial est une accusation grave; particulièrement lorsque l’accusation provient d’un officier de justice, comme le souligne la Division d’appel. La Division d’appel souligne également que Madame Murphy n’a présenté aucune preuve matérielle démontrant que la conduite de la membre de la Division générale aurait dérogé à la norme. Ainsi, la CAF a observé au paragraphe 10 de l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [Arthur] :

[u]ne allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier.

[Soulignements ajoutés.]

[87] Comme la Cour l’a indiqué dans Alvarez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 185 aux paragraphes 47–50, le critère qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait aux craintes de partialité est bien établi, et le standard à rencontrer est élevé. Il a notamment été énoncé dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] où la Cour suprême a réitéré que, pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, il faut se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » et si cette personne croirait, selon toute vraisemblance, que le décideur, « consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (Baker au para 46). Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice], la Cour suprême a aussi déclaré que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‐même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet » (Committee for Justice à la p 394). Une crainte raisonnable de partialité ne peut donc reposer « sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur [et doit] être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » (Arthur au para 8).

[88] Ainsi, une allégation de partialité ne peut être soulevée à la légère et doit être démontrée au moyen de preuves concrètes. Ici, la Cour n’en décèle aucune. Certes, la Cour comprend que Madame Murphy puisse être en profond désaccord avec la Décision rendue par le tribunal, mais un désaccord sur l’appréciation de la preuve est insuffisant pour rimer avec une accusation de partialité. Au surplus, des allégations de partialité ne peuvent se fonder sur de simples impressions d’un demandeur ou de son avocat, et doivent plutôt être étayées par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

[89] Une allégation de partialité est grave, et la Cour doit faire preuve de beaucoup de rigueur avant de tirer une conclusion de partialité (Shahein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 987 au para 21). De fait, « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du [décideur], mais celle de l’administration de la justice toute [sic] entière » (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 113). Dans le présent dossier, il n’y a tout simplement aucun indice de partialité dans le comportement ou les remarques du TSS.

IV. Conclusion

[90] Selon le paragraphe 58(2) de la LMEDS, la Division d’appel doit rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Étant donné que la Division générale a observé les principes de justice naturelle, n’a pas rendu une décision entachée d’une erreur de droit et n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, il s’ensuit que la Division d’appel a raisonnablement conclu que l’appel de Madame Murphy n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[91] Il incombait à Madame Murphy de démontrer le caractère déraisonnable de la Décision. Les lacunes ou les insuffisances identifiées par Madame Murphy ne devaient pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la Décision, mais devaient plutôt être suffisamment importantes pour rendre la Décision déraisonnable (Vavilov au para 100). Madame Murphy n’a soulevé aucun élément qui serait de nature à mettre en péril le caractère raisonnable de la Décision en l’espèce.

[92] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aux termes de la norme de la décision raisonnable, les motifs de la Décision devaient démontrer que les conclusions de la Division d’appel du TSS étaient fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur administratif est assujetti, et avaient suivi un processus équitable. C’est le cas en l’espèce. L’analyse faite par la Division d’appel possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. De plus, le processus suivi ne comporte aucune atteinte aux règles de l’équité procédurale. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

[93] Puisque le PGC ne demande pas de dépens, aucuns dépens ne seront accordés.


JUGEMENT au dossier T-96-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-96-23

INTITULÉ :

JOCELYNE MURPHY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec) ET PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AOût 2024

COMPARUTIONS :

Me Jocelyne Murphy

Pour lA demandeRESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Dani Grandmaître

Pour lE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour lE défendeUr

 

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