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Date : 20240828


Dossier : IMM-7419-23

Référence : 2024 CF 1342

Ottawa (Ontario), le 28 août 2024

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MARIA YSABEL CALLIRGOS BOLIVAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Mme Maria Isabel Callirgos Bolivar demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration lui ayant refusé la protection à l’issue d’un examen des risques avant renvoi [ERAR]. Bien qu’il soit par moment fort difficile de comprendre les motifs de l’agent d’immigration — son français étant très approximatif ou encore le résultat d’une traduction boiteuse, il semble que l’élément clé soit la protection étatique offerte aux victimes de violence conjugale par les autorités péruviennes.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de la demanderesse sera accordée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[3] La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est celle à savoir si l’agent d’immigration a erré dans son analyse de la protection offerte par les autorités péruviennes aux victimes de violence conjugale. Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique à cette analyse (Bah v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 570, para 11; Benko v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 FC 1032, para 15).

III. Analyse

[4] Bien qu’il se dise sensible à la violence psychologique et physique subie par la demanderesse aux mains de son ex-conjoint, l’agent ERAR conclut qu’elle ne présente aucune preuve que les autorités péruviennes n’auraient pas la volonté ou ne seraient simplement pas en mesure d’assurer sa protection. L’agent ERAR conclut que puisque « l’affaire pénale » est en cours, justice est rendue.

[5] Or, la preuve démontre plutôt que la violence a culminé jusqu’en mars 2022, moment où la demanderesse a été attaquée par son ex-conjoint devant sa mère qui est décédée peu de temps après. C’est cet événement tragique qui a incité la demanderesse à déposer une plainte à la police. Or, bien que cette plainte ait été déposée en mars 2022, ce n’est qu’en juin 2022 qu’elle a été consignée dans un rapport et qu’une dénonciation ait été émise.

[6] Deux semaines après le dépôt de sa plainte, la demanderesse a été convoquée pour une expertise psychologique visant notamment à tester sa crédibilité. Pendant les trois mois qui ont suivi la plainte de la demanderesse, l’auteur de la violence n’a pas été mis en état d’arrestation ni même interrogé par les policiers.

[7] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un motif invoqué par l’agent ERAR, le défendeur plaide que la demanderesse devait épuiser ses recours au Pérou avant de demander la protection du Canada. Le défendeur ajoute que puisque le processus mis en place par les autorités péruviennes, et applicable en cas de violence familiale, a été suivi, cela suffit pour conclure que la protection offerte est suffisante sur le plan opérationnel.

[8] Je ne suis pas d’accord. Je suis d’avis que la Cour, tout comme l’agent ERAR, se doit d’examiner l’efficacité de ce processus. Je suis également d’avis qu’il y a lieu, dans les cas de violence faite aux femmes par leur partenaire intime, d’être particulièrement vigilant dans l’examen de la protection offerte.

[9] La preuve offerte montre que bien que l’état péruvien ait amélioré la protection offerte aux victimes de violence familiale au cours des dernières années, cette protection demeure déficiente. La preuve démontre notamment que les refuges et les programmes venant en aide aux femmes victimes de violence sont sous-financés.

[10] Mais au-delà de l’existence de programmes de support et de refuges, il y a le rôle que doivent jouer les autorités policières et judiciaires. Pour que la protection de ces institutions soit adéquate, il me semble qu’il doit y avoir une intervention rapide auprès de l’agresseur, et non seulement auprès de l’agressée.

[11] À mon avis et compte tenu de la gravité de l’agression physique subie par la demanderesse, un délai de plus de 3 mois avant même que la dénonciation ne soit consignée par écrit n’est pas signe d’efficacité opérationnelle. Demander à la demanderesse de demeurer en attente de protection pour une aussi longue période au cours de laquelle elle continue à recevoir des menaces de mort n’est pas raisonnable. La simple possibilité que la demanderesse puisse éventuellement être protégée par les autorités péruviennes ne suffit pas.

IV. Conclusion

[12] Je suis d’avis que la décision de l’agent ERAR est déraisonnable en ce que son analyse de la protection offerte par l’état péruvien aux victimes de violence entre partenaires intimes est déficiente; il ne suffit pas qu’il y ait une procédure en place, cette procédure doit être efficace —et non parfaite — sur le plan opérationnel. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette cause.

 


JUGEMENT dans IMM-7419-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie et le dossier est retourné à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle détermination par un autre agent d’immigration;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7419-23

 

INTITULÉ :

MARIA YSABEL CALLIRGOS BOLIVAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 août 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 août 2024

 

COMPARUTIONS :

Anne-Cécile Khouri-Raphael

 

Pour la demanderesse

 

Sherry Rafai Far

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anne-Cécile Khouri-Raphael

Montréal, QC

 

Pour la demanderesse

 

Attorney General of Canada

Montréal, QC

 

Pour le défendeur

 

 

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