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Date : 20240821


Dossier : IMM-2604-23

Référence : 2024 CF 1298

Montréal (Québec), le 21 août 2024

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SUNITA SHARMA

ROHIT SHARMA

BHUPINDER SHARMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], au motif que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] puisqu’il existe une possibilité de refuge intérieur [PRI] pour les demandeurs dans les villes de Chandigarh et Delhi.

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR n’est pas raisonnable, et ils demandent que la Cour accueille leur demande et annule la décision.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs ne seraient pas à risque advenant leur retour en Inde dans l’une des villes proposées. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

II. Demande de remise de l’audience

[4] La veille de l’audience en personne prévue le lundi 19 août 2024 à 13 h, le procureur des demandeurs a formulé une demande de remise par voie de lettre pour les motifs suivants:

La présente vise à informer la Cour que nous sommes hors du Canada depuis le début du mois de juillet. Notre retour était prévu pour le 09 août. Malheureusement, pour des raisons de santé, nous sommes alité [sic] depuis une dizaine de jours. Cela ne nous a pas permis de retourner au Canada. Nous constatons ce jour que les instructions données à nos assistants d’en informer la Cour n’ont pas été exécutées. Nous venons par la présente informer la Cour de notre incapacité absolue à tenir l’audience du 19 août 2024, car toujours à l’extérieur du Canada pour des raisons de santé. Pour ce faire, nous demandons un ajournement de l’audience. Si notre état de santé ne s’améliore pas dans les prochains jours, et pour éviter un engorgement du rôle de la Cour, nous prendrons des mesures diligentes de substitution qui s’imposent.

[5] Puisque la lettre a été transmise un dimanche, la demande de remise n’a été portée à mon attention et à celle du procureur du défendeur que quelques heures avant le début de l’audience. Le défendeur s’est opposé à cette demande étant donné la tardiveté de celle-ci.

[6] La demande de remise a été refusée sur le champ étant donné que le procureur des demandeurs connaissait sa condition depuis plusieurs jours et aurait dû être en mesure de se faire remplacer ou de présenter une demande formelle bien avant le 18 août en soirée. C'était à lui d'en assumer la responsabilité, qu'il ne saurait imputer à ses « assistants ».

[7] Néanmoins, afin d’accommoder le procureur des demandeurs, une directive a été expédiée aux parties précisant que l’audience aurait lieu par vidéoconférence plutôt qu’en personne à l’heure prévue et qu’elle se poursuivrait sur le fondement des observations écrites des demandeurs en cas d’absence ou d’empêchement de leur procureur. Ce dernier ne s’est toutefois pas prévalu de l’opportunité qui lui était donnée.

III. Contexte

[8] Les demandeurs, Sunita Sharma [demanderesse principale], Rohit Sharma [demandeur mineur] et Bhupinder Sharma [demandeur associé], sont des citoyens de l’Inde qui résidaient dans l’État du Pendjab.

[9] La demanderesse principale et son frère, le demandeur associé, allèguent être persécutés par l’ex-mari de cette dernière. En 2014, la demanderesse principale et son ex-mari se sont divorcés après la naissance de leur fils, le demandeur mineur. À la suite du divorce, la demanderesse principale et le demandeur associé ont commencé à vivre ensemble, ce qui aurait mené l’ex-mari à les harceler et à les menacer. En novembre 2017, la demanderesse principale a été kidnappée par des hommes inconnus et amenée dans un lieu caché, où elle a été violée. Selon la demanderesse principale, son ex-mari aurait commandité ce viol collectif. Lorsqu’elle a tenté de dénoncer l’agression à la police, aucune enquête n’a été menée puisqu’elle ne pouvait pas identifier ses agresseurs.

[10] Quant au demandeur associé, il craint également pour sa vie aux mains de la police. En juillet 2017, le demandeur associé a été arrêté et détenu pendant deux jours par la police qui l’accusait à tort d’être en possession de drogues et d’armes. Il a été libéré après le paiement d’un pot-de-vin. Après sa détention, il a dû recevoir des soins médicaux. Le demandeur associé soupçonnait son ex-beau-frère d’être lié à son arrestation parce que celui-ci aurait demandé le retour de son épouse. Après cet évènement, il aurait quitté l’Inde pour le Canada.

[11] En janvier 2018, la demanderesse principale et son fils auraient quitté l’Inde pour le Canada. Cinq mois plus tard, les demandeurs ont déposé leur demande d’asile.

[12] Le 2 septembre 2022, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils disposaient d’une PRI en Inde dans les villes de Chandigarh et Delhi. Les demandeurs ont porté cette décision en appel.

[13] Le 10 février 2023, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Pour en venir à cette conclusion, la SAR a procédé à une analyse indépendante des éléments de preuve et a appliqué le test bien connu de Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 à la page 711, pour déterminer si une PRI était viable pour les demandeurs. Conformément aux enseignements de la jurisprudence, l’analyse de l’existence d’une PRI est composée de deux volets commutatifs : le demandeur d’asile bénéficie d’une PRI (i) lorsqu’il y a absence de risque sérieux de persécution dans une autre partie du pays; et (ii) lorsqu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur de trouver refuge à cet endroit. Sur la base de son analyse, la SAR a conclu, tout comme la SPR, que les demandeurs bénéficient d’une PRI viable à Dehli ou Chandigarh.

[14] Les demandeurs ne soulèvent aucun argument concernant le deuxième volet du test. La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR quant au premier volet est raisonnable.

IV. Analyse

[15] La norme de contrôle judiciaire applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 53 [Vavilov]; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 7, 39-44 [Mason]).

[16] La charge de la preuve incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, par exemple que cette décision souffre de lacunes suffisamment graves à un point tel qu’on ne peut pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

[17] La SAR a conclu que le premier volet du critère de l’existence d’une PRI était rempli parce que les demandeurs n’avaient pas prouvé, selon la prépondérance de probabilités, qu'une fois installés dans les villes de Dehli ou Chandigarh, ils seraient exposés à un risque sérieux de persécution ou à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[18] Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a soigneusement examiné et analysé la décision de la SPR, l’ensemble de la preuve ainsi que l’enregistrement de l’audition devant la SPR et les soumissions présentées en appel par les demandeurs.

[19] De plus, et contrairement à ce que les demandeurs allèguent dans leur mémoire, la SAR a aussi pris en considération les Directives no 4 « Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR », comme elle l’indique explicitement.

[20] Aux fins de l’analyse du premier volet du test, la SAR a examiné si chacun des agents de persécution, à savoir l’ex-mari de la demanderesse principale et les autorités policières du Pendjab, aurait la motivation à chercher et retrouver les demandeurs une fois installés à Dehli ou Chandigarh.

[21] Concernant l’ex-mari de la demanderesse principale, la SAR a trouvé que la preuve au dossier ne démontre pas qu’il aurait la motivation ou la volonté de retrouver la demanderesse principale ni de récupérer la garde de son fils, soit pour rétablir une relation conjugale avec la demanderesse principale, soit pour harceler et persécuter les demandeurs conjointement.

[22] En effet, la SAR a constaté que la preuve montre que depuis leur divorce en 2014, la demanderesse principale et son ex-mari n’auraient eu aucun contact. De plus, la SAR a considéré que l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle son ex-mari aurait été celui qui aurait commandité son viol était fondée sur des conjectures et ne repose sur aucun fait concret.

[23] Par rapport aux allégations du demandeur associé concernant le harcèlement de l’ex-mari envers lui, la SAR a trouvé que la preuve ne démontre pas que l’ex-mari aurait été impliqué dans son arrestation. Au contraire, la SAR a considéré que les allégations du demandeur associé à cet effet étaient peu crédibles.

[24] Compte tenu de ce qui précède, la SAR a conclu que l’ex-mari de la demanderesse n’avait aucune motivation à pourchasser les demandeurs dans les villes proposées pour leur PRI. J’estime qu’il était loisible pour la SAR de conclure comme elle l’a fait.

[25] Concernant les forces policières du Pendjab, la SAR a déterminé que la preuve est insuffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles auraient un intérêt envers le demandeur associé. Je ne constate aucune erreur dans les conclusions tirées par la SAR à cet égard. La SAR a considéré que même si ces faits allégués étaient vrais, la preuve au dossier ne démontre pas que le demandeur associé était une personne d’intérêt pour la police du Pendjab, et encore moins pour les corps policiers d’autres États. En fait, après que le demandeur associé aurait quitté l’Inde, aucune mesure n’a été prise par la police pour le retrouver.

[26] Les demandeurs soulèvent de nouveaux arguments qui sont soulevés pour la première fois en contrôle judiciaire. Cependant, on ne peut contester le caractère raisonnable d’une décision de la SAR en se fondant sur une question qui n’a pas été portée devant elle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c RK), 2016 CAF 272 au para 6). Je les passerai donc sous silence.

V. Conclusion

[27] Je suis convaincu que la décision de la SAR est transparente, intelligible et justifiée par les faits et par le droit applicable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[28] Finalement, le défendeur a demandé dans ses observations écrites que la désignation du défendeur, « Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté », dans l’intitulé de la cause soit remplacée par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Puisque les demandeurs ne se sont pas opposés à cette modification, la Cour ordonne que l’intitulé soit modifié en conséquence, avec effet immédiat.

[29] Je conviens de plus avec le défendeur que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2604-23

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est modifié avec effet immédiat pour refléter « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

« Roger Lafreniere »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2604-23

INTITULÉ :

SUNITA SHARMA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 août 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 21 août 2024

COMPARUTIONS :

Me Nadine Saadé

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aboubakar Ouedraogo

Avocat

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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