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Date : 20240826


Dossier : T-1866-23

Référence : 2024 CF 1324

Ottawa (Ontario), le 26 août 2024

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MARIO LUSSIER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Mario Lussier, qui s’identifie comme autochtone, présente une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le Conseiller spécial de la Commissaire du Service correctionnel du Canada. Cette décision est relative au grief final déposé par M. Lussier face à la décision de l’Établissement Archambault, où est détenu le demandeur, qui lui refusait sa demande de cessation d’affiliation à un groupe menaçant la sécurité [GMS]. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

I. Faits

[2] Le demandeur a été identifié comme « associé » d’un GMS, les Hells Angels, par les autorités du pénitencier où il résidait en septembre 2008. Cette affiliation a été considérée comme active jusqu’en avril 2021. Elle a alors été modifiée pour passer d’une affiliation active à inactive. Elle a été maintenue comme telle le 10 janvier 2023 par la décision de la Directrice de l’Établissement Archambault qui refusait alors la recommandation faite par l’agent du renseignement de sécurité le 28 novembre 2022 de déclarer cette affiliation comme ayant cessé.

[3] M. Lussier purge une peine d’incarcération d’une durée indéterminée pour une condamnation pour meurtre au premier degré. Le Code criminel, LRC 1985, c C-46, prévoit qu’une libération conditionnelle ne peut venir qu’après l’accomplissement d’au moins vingt-cinq ans de la peine (art 231 et 745 du Code criminel). M. Lussier, selon son dossier, aurait été un membre des « Rowdy Crew », un club école des Hells Angels, avant son incarcération. Son casier judiciaire, selon la décision de la Directrice de l’Établissement Archambault, contiendrait également des condamnations pour possession de drogues d’usage restreint ainsi que de possession de substance à des fins de trafic.

[4] L’agent du renseignement de sécurité, qui est chargé de faire une recommandation sur la possible cessation d’affiliation à un GMS, note qu’alors qu’il était incarcéré à l’établissement de Drummond, il avait été déterminé en avril 2021 que malgré la présence au pénitencier de membres des Hells Angels et de détenus gravitant autour de GMS, le statut de M. Lussier avait été modifié pour passer au statut d’inactif. Arrivé à l’unité à sécurité minimum d’Archambault en décembre 2021, rien n’est apparu relativement à des liens qu’aurait entretenus le détenu avec des personnes reliées à un groupe criminalisé. Des consultations auprès de partenaires extérieurs révélaient par ailleurs que M. Lussier était considéré comme proche des motards criminalisés sans pour autant offrir aucune information contemporaine. Cela faisait conclure à l’agent du renseignement de sécurité :

En l’absence d’observation directe, de renseignement policier et de la présence d’éléments permettant de relier Mario LUSSIER à un GMS, nous ne disposons, à l’heure actuelle, aucun [sic] motif pouvant justifier le maintien du statut à « Inactif ». Nous révisons celui-ci à « Cessation ».

Cette recommandation venait le 28 novembre 2022.

[5] La recommandation n’a pas été suivie par la Directive de l’Établissement Archambault. Dans sa décision rendue le 16 janvier 2023, elle a plutôt conclu qu’il fallait maintenir le niveau d’activité à « inactif ». M. Lussier est dit comme ayant fait des efforts pour maintenir ses distances avec le GMS. D’autre part, le délit était très grave et il avait été commis au profit d’une organisation criminelle. Il serait donc préférable de maintenir le statut inactif.

[6] Cette conclusion est justifiée du fait de la pandémie COVID-19 qui a sévi, et du type d’environnement et d’entourage dans un établissement à sécurité minimum où il est difficile d’évaluer les « fréquentations à l’intérieur des murs en comparaison à la réalité d’un contexte de libération ». M. Lussier était un membre des Rowdy Crew au moment de l’infraction pour laquelle il continue d’être incarcéré. Le club Rowdy Crew était en « club supporteur des Hells Angels » jusqu’à son démantèlement lors d’une opération policière en 2001. Une affiliation à un GMS a été maintenue durant une longue période, jusqu’à ce que récemment le niveau soit réduit à celui de « inactif ». La consultation des partenaires extérieurs ne permet pas non plus d’entériner un changement de statut à ce stade. De plus, la Directrice précise avoir pris en considération les Antécédents Sociaux Autochtones de M. Lussier qu’elle dit être pertinents « notamment la transmission intergénérationnelle d’habitudes de consommation et l’utilisation de la violence, ce qui aurait pu contribuer à influencer la trajectoire criminelle de M. Lussier ». La Directrice de conclure :

Considérant la gravité du délit commis au profit d’une organisation criminelle, le statut d’incarcération du sujet et le contexte d’un établissement à sécurité minimum, et vu l’absence d’observations ou d’éléments permettant de statuer que le sujet participe actuellement aux activités d’un GMS, nous évaluons que la situation actuelle correspond à la définition d’une affiliation « inactive » telle qu’elle est libellée dans la DC 568-3 : Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité, c’est-à-dire un « acteur clé, membre ou associé qui ne participe pas actuellement aux activités d’un groupe menaçant la sécurité. ».

La Directrice aura noté que de nouvelles informations significatives pourraient justifier une révision.

II. La décision sous étude

[7] La seule décision qui soit devant la Cour est la décision sur grief final. La recommandation de l’agent du renseignement de sécurité et la décision de la Directrice de l’établissement où M. Lussier est incarcéré font partie du contexte menant à la décision dont contrôle judiciaire peut être demandé. Cette décision vient le 3 août 2023.

[8] Le décideur administratif, le Conseiller spécial de la Commissaire, établit d’entrée de jeu qu’il s’agit de la contestation de la décision de refuser une demande de cessation d’affiliation à un groupe menaçant la sécurité. Le Conseiller spécial établit ensuite la teneur du grief. Selon M. Lussier, la décision ne rencontre aucun des critères apparaissant à un formulaire intitulé « Évaluation d’une affiliation à un groupe menaçant la sécurité ». De façon plus précise, il est dit que M. Lussier allègue que la décision de la Directrice est déraisonnable étant donné les justifications fournies, à savoir la pandémie et l’impossibilité d’évaluer les fréquentations en milieu carcéral.

[9] Le décideur administratif rappelle dans sa décision qui compte trois pages que c’est la Directive du Commissaire DC 568-3 (Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité) qui trouve appréciation. Celle-ci est en place afin de gérer les risques que pose l’adhésion ou l’association à des organisations criminelles. Cela contribue à maintenir la sécurité dans les établissements pénitentiaires.

[10] M. Lussier s’est vu être reconnu officiellement comme associé « actif » avec les Hells Angels depuis septembre 2008. Des décisions de maintenir le degré d’affiliation à « actif » ont été prises en octobre 2018 et avril 2020. La modification au niveau « inactif » a eu lieu en avril 2021.

[11] Le décideur administratif passe ensuite en revue la recommandation de l’agent du renseignement de sécurité et la décision de la Directrice de l’Établissement Archambault. Le résumé des deux instruments est à mon sens fidèle et il n’est pas utile pour nos fins d’y revenir. C’est la décision elle-même du Conseiller spécial que nous intéresse au premier chef.

[12] Or, le décideur administratif se trouve d’accord avec la Directrice. Il note que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCML], reconnaît que le critère prépondérant pour le Service correctionnel est la protection de la société (art 3.1 : « La protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel »). De plus, le Service veille dans la mesure du possible à ce que les renseignements utilisés concernant les détenus soient à jour, exacts et complets (para 24(1) de la LSCML).

[13] Une justification suffisante de la décision de la Directrice avait été donnée. Le « rationnel présenté et documenté » au dossier du détenu explique le tout : la pandémie, les consultations auprès des partenaires externes et la difficulté d’observer et d’évaluer les fréquentations en milieu carcéral dans le contexte de la pandémie sont notées. Le décideur déclare :

Alors que les restrictions liées à la pandémie ont été assouplies et les activités ont repris, et vu l’écoulement de temps depuis votre demande de cessation d’affiliation avec le GMS Hells Angels et la décision, il importe de noter que vous pouvez présenter, en vertu du bulletin de politique provisoire n°689 relativement à la DC 568-3, une demande de cessation d’affiliation à nouveau, si vous jugez que ces circonstances constituent de nouvelles informations significatives.

Essentiellement, les observations pouvant permettre d’avoir un portrait différent ont fait défaut en raison des circonstances, ce qui empêche d’accorder la cessation d’affiliation demandée vu le mandat du Service correctionnel. Avec la levée des restrictions dues à la période de temps depuis la demande de confirmation de la cessation d’affiliation, le détenu pourrait faire une nouvelle demande de cessation si de nouvelles informations significatives sont disponibles.

III. Les arguments des parties

A. Le demandeur

[14] Le demandeur soutient que la décision rendue n’est pas raisonnable. Selon lui, tant la Directrice de l’Établissement Archambault que le décideur administratif ont commis une erreur en ne référant pas à ce qu’il qualifie de « critères » pour évaluer la demande de cessation d’affiliation en vertu de la Directive du Commissaire DC 568-3. Ainsi, il prétend que les motifs invoqués ne font pas partie des critères reconnus.

[15] De plus, dit le demandeur, ce serait au décideur administratif de vérifier la présence d’un « comportement observé qui, par sa nature ou par association, donne des motifs raisonnables et probables de croire que le délinquant est affilié à un GMS ». Ces mots sont tirés d’une formule intitulée « Évaluation d’une affiliation à un groupe menaçant la sécurité » (CSC/SCC 1184-02). Il s’agit du dernier « critère » d’un total de neuf. Le demandeur a insisté sur ce « critère » tout au long de son argumentation. De fait, cette formule où neuf éléments sont pertinents a été utilisée par l’agent du renseignement de sécurité pour consigner sa recommandation et par la Directrice de l’Établissement pour documenter sa décision.

[16] Il est soumis que les motifs invoqués ne sauraient justifier le refus. Ainsi, le demandeur produit un affidavit bien après la décision contestée (la décision porte la date du 3 août 2023, alors que l’affidavit est assermenté le 17 octobre 2023) où il déclare avoir été en quarantaine à quatre ou cinq reprises (pour des périodes de 5 à 10 jours) à la suite de visites familiales. Autrement, le demandeur dit à cet effet avoir « vécu en population générale ouverte » (affidavit, au para 8). Il déclare qu’il n’y aurait pas eu « de fermeture de population ou de confinement général » (affidavit, au para 9) causé par la COVID-19. Il déclare ne plus avoir de contact, de quelque manière, avec des personnes liées de près ou de loin à un GMS depuis janvier 2020.

[17] Dans son mémoire, le demandeur argue que la pandémie n’a eu aucune impact sur le « critère » selon lequel le « comportement observé qui, de par sa nature ou par association, donne des motifs raisonnables et probables de croire que le délinquant est affilié à un GMS » (mémoire des faits et du droit, au para 27 et 25).

[18] Dans la même veine, ce même « critère » ne saurait être satisfait par la raison donnée du refus qu’aucune surveillance en contexte de libération n’a pu être menée. Cela ne serait pas prévu à ce « critère ». Le demandeur ajoute que cette condition ne peut être raisonnable parce que le décideur administratif aurait considéré que « une cessation à un GMS ne pourrait se faire que pendant une libération en collectivité afin de réellement évaluer les fréquentations » (mémoire des faits et du droit, au para 29). Je me permets d’ajouter dès maintenant que la difficulté d’observer le délinquant uniquement en milieu carcéral, sans avoir d’observations à l’extérieur du contexte carcéral, n’a été évoquée que par la Directrice d’Archambault. Et encore, dans une tournure de phrase particulière où la Directive ne fait qu’établir une comparaison par la métaphore. La décision du décideur administratif est plus circonspecte et, de fait, ne parle pas d’une « comparaison à la réalité d’un contexte de libération » comme l’a fait la Directrice. Les deux paragraphes du décideur administratif se lisent ainsi :

L’examen au palier national a permis de déterminer que la directrice de l’Établissement Archambault a justifié sa décision de rejeter votre demande de cessation d’affiliation avec le GMS Hells Angels sur le rationnel présenté et documenté à votre dossier ; les renseignements reçus de la part de partenaires externes ; ainsi que le contexte de la pandémie, et que vous avez reçu une justification suffisante relativement à cette décision. Conséquemment, les procédures d’équités procédurales liées au processus d’évaluation de l’affiliation à un GMS ont été complétées en conformité aux dispositions de la DC 568-3.

Nonobstant ce qui précède, il est reconnu que la décision de la directrice de maintenir votre affiliation comme associé « inactif » au GMS Hells Angels fut basée, en partie, sur le fait qu’il était difficile d’observer et d’évaluer vos fréquentations vu le contexte pandémique des dernières années.

[Reproduit tel que rédigé.]

La comparaison entre les fréquentations en milieu carcéral face à la réalité d’un contexte de libération, dont se plaint le demandeur, n’est pas présente à la décision sous étude.

B. Le défendeur

[19] Le défendeur rappelle que la Directrice de l’Établissement Archambault a considéré différents facteurs dans sa prise de décision : la gravité du crime commis au profit d’une organisation criminelle, le fait qu’il est incarcéré et que des observations ou autres éléments contemporains ne sont pas disponibles pour permettre une modification de statut. La Directrice a conclu que la définition même de membre inactif convient parfaitement au demandeur : « un acteur clé, membre ou associé qui ne participe pas actuellement aux activités d’un groupe menaçant la sécurité ».

[20] On a aussi insisté quant à la décision sous étude qu’emphase avait été mise sur les consultations menées à l’extérieur du Service correctionnel; elles indiquaient que le demandeur est considéré comme étant un proche des motards criminalisés, bien qu’aucune information contemporaine ne soit disponible. Ces consultations, jumelées au contexte de la pandémie et à l’absence d’observations contemporaines, justifient de maintenir le statut de membre « inactif ».

[21] Le défendeur argumente que la décision sous étude est raisonnable. D’ailleurs, aucune preuve n’a été présentée ni auprès de l’Établissement Archambault, ni devant le décideur administratif. Or, au lieu de démontrer qu’il n’avait pas de contacts avec des GMS, le demandeur prétend maintenant que le fardeau de la preuve reposait sur les épaules du Service correctionnel. Le demandeur n’a rien soumis, observation ou renseignement significatif, permettant de modifier son statut d’affiliation. À cet égard, le défendeur note que l’article 27 de la Directive du Commissaire DC 568-3 requiert spécifiquement que « [pour] toute nouvelle prise en considération, le délinquant doit soumettre de nouveaux renseignements significatifs ». Il n’y en avait aucun. En l’absence d’éléments de preuve additionnels pouvant démontrer qu’il n’est plus associé au GMS et qui auraient été présentés au décideur administratif, le décideur pouvait décider comme il l’a fait.

[22] Étant donné la réduction des contacts en période de pandémie, il n’était pas déraisonnable d’exercer de la prudence puisque les observations au sujet de M. Lussier ne permettaient pas de conclure autrement qu’il était un membre inactif au moment de la prise de décision à son égard.

IV. Analyse

[23] Il n’est pas inutile de situer le cadre juridique qui doit présider en l’espèce.

[24] Le but du système correctionnel est exposé à l’article 3 de la LSCML :

3 Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3 The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

On retient que le Service correctionnel doit assurer l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance qui sont sécuritaires et humaines. Mais le Parlement a précisé à l’article 3.1 de la LSCML que « La protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel ».

[25] L’article 98 de la LSCML permet que les règles pour la gestion du Service correctionnel, les principes de fonctionnement qui guident l’exécution du mandat décrit à l’article 3 de la LSCML et « toute autre mesure d’application de cette partie et des règlements » (« generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations ») fassent l’objet de directives du Commissaire. C’est le cas de la Directive du Commissaire DC 568-3 – Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité; il s’agit de la Directive dont il est question dans la présente affaire.

[26] On peut lire dans Canada (Procureur général) c Mercier, 2010 CAF 167, [2012] 1 RCF 72, que la Cour d’appel fédérale considérait une directive du Commissaire comme requérant le dépôt d’un avis de question constitutionnelle pour en contester la constitutionalité puisque celle-ci constituait un texte d’application (« régulation ») au sens de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales; j’en reproduis le paragraphe 1 :

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’une cour martiale ou d’un officier tenant une audience sommaire au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57 (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a court martial and an officer conducting a summary hearing, as defined in subsection 2(1) of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

La Directive du Commissaire est donc un texte d’application de la LSCML.

[27] Les décisions prises en fonction de la Directive DC 568-3 ne sont pas sans conséquence. Ainsi, dans Canada (Procureur général) c Coscia, 2005 CAF 132, [2006] 1 RCF 430, la Cour d’appel fédérale acceptait qu’elle était, comme le prescrit l’article 19 de la Directive, un facteur à considérer dans l’examen d’une demande de libération conditionnelle :

[26] Est également pertinente en l'espèce la Directive du commissaire numéro 568-3 (la Directive), qui énonce une procédure particulière lorsqu'il s'agit d'identifier un détenu comme membre d'une « organisation criminelle », telle que définie, et attache des conséquences négatives à cette désignation. L'alinéa qui suit est particulièrement pertinent :

19. L'appartenance ou l'association à une organisation criminelle doit être considérée comme un facteur de risque important lors de la prise de décision concernant un délinquant.

19. Membership and association with a criminal organization shall be considered a significant risk factor when making any decision related to the offender.

[28] On peut donc comprendre que le demandeur ait un intérêt à ce que son affiliation soit révisée à la baisse. Un examen de la Directive s’impose.

[29] La Directive du Commissaire DC 568-23 articule l’objectif qu’elle se fixe :

Établit un cadre pour l’identification et la gestion des groupes menaçant la sécurité et des délinquants qui leur sont affiliés

Reconnaître que l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité constitue un risque important, pose une menace grave à la sécurité des opérations du Service correctionnel du Canada et compromet la protection de la société

Empêcher les délinquants qui sont affiliés à des groupes menaçant la sécurité d’exercer de l’influence et du pouvoir, et prévenir les actes et les situations qui rehaussent leur image et augmentent leur prestige

Appuyer et favoriser la cessation de l’affiliation des délinquants à des groupes menaçant la sécurité

[Souligné dans l’original]

[30] La Directive prévoit le rôle que jouent différents fonctionnaires. Elle établit le cadre dans lequel l’évaluation de l’affiliation à un GMS se fait. On y retrouve la description de différentes personnes qui seront dites comme étant affiliées. Elles sont :

Acteur clé : membre de gang entièrement engagé qui joue un important rôle de leadership dans un groupe menaçant la sécurité donné et qui exerce une influence sur les membres et/ou les associés de ce groupe.

Membre : délinquant directement et/ou officiellement impliqué dans les activités d’un groupe menaçant la sécurité qui fait la promotion, concourt à la réalisation ou aide à la commission d’actes criminels pour le groupe.

Associé : délinquant qui est impliqué dans les activités d’un group menaçant la sécurité, mais qui n’est pas considéré comme étant un membre du groupe.

Ces personnes peuvent être actives ou inactives. Un détenu peut aussi avoir cessé son affiliation. Ces notions sont ainsi définies :

Actif : acteur clé, membre ou associé qui participe actuellement aux activités d’un groupe menaçant la sécurité.

Inactif : acteur clé, membre ou associé qui ne participe pas actuellement aux activités d’un groupe menaçant la sécurité.

Cessation : délinquant qui a officiellement rompu son engagement auprès d’un groupe menaçant la sécurité en particulier.

Enfin, la Directive définit bien sûr en quoi consiste le groupe auquel un détenu ne devrait pas être affilié :

Groupe menaçant la sécurité (GMS) : groupe, gang, organisation ou association de détenus/délinquants, structuré ou non structuré, comptant trois membres ou plus. La plupart des groupes menaçant la sécurité présents en milieu correctionnel entrent dans une des catégories de base suivantes : gangs de rue, gangs de prison, bandes de motards criminalisées, crime organisé traditionnel, gangs autochtones, groupes militant pour la suprématie blanche, groupes subversifs, organisations terroristes et groupes haineux.

Dans le cas de M. Lussier, il est passé d’associé actif à associé inactif.

[31] Le formulaire CSC/SCC 1184-02 est l’instrument de travail utilisé par l’administration pénitentiaire quant à l’évaluation de l’affiliation à un GMS. L’article 15 de la Directive prévoit que l’agent du renseignement de sécurité remplit les parties applicables du formulaire « pour chaque nouvelle admission, avant le transfèrement ou la mise en liberté d’un délinquant, lorsque de nouveaux renseignements sont reçus ou à la demande du délinquant ». Ici, M. Lussier a vu son affiliation être réduite. Selon la définition du terme, cela vient dire que l’évaluation reconnaissait qu’il ne participe pas actuellement aux activités d’un GMS. Mais, selon le décideur administratif, l’information disponible ne permet pas de conclure qu’il a officiellement rompu son engagement auprès du GMS.

[32] M. Lussier s’est prévalu de l’article 27 de la Directive qui lui permet de donner un avis de cessation de son affiliation. En vertu de l’article 23, l’agent du renseignement de sécurité a examiné l’avis. Mais c’est à la Directrice de l’établissement de décider. L’article 27 de la Directive précise :

27. Si le directeur de l’établissement/du district rejette l’avis du délinquant faisant état de son intention de cesser son affiliation à un groupe menaçant la sécurité, il n'est pas nécessaire d'examiner tout avis ultérieur de cessation plus d'une fois tous les douze mois, à moins que l’agent du renseignement de sécurité n’appuie l’avis. Pour toute nouvelle prise en considération, le délinquant doit soumettre de nouveaux renseignements significatifs.

[33] Les parties sont d’accord, et la Cour en convient, que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Amos c Canada (Procureur général), 2022 CF 1319; Scarcella c Procureur général du Canada et autre, 2009 CF 1272; (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], au para 17; Fontaine c Canada (Procureur général), 2021 CF 309 [Fontaine], au para 20; Fontaine c Canada (Procureur général), 2021 CAF 242, au para 5). Cela a évidemment des conséquences importantes sur le rôle qui peut être joué par la cour de révision.

[34] D’abord, la cour de révision applique le principe de la retenue judiciaire en témoignant du respect envers le rôle distinct du tribunal administratif (Vavilov, aux para 13-14). Ensuite, la cour de révision ne pose pas en juge du mérite de la décision administrative prise. La Cour recherchera plutôt si cette décision a les apanages de la décision raisonnable. Les caractéristiques de celle-ci sont la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée face aux contraintes factuelles et juridiques s’appliquant au cas (Vavilov, au para 99). Lorsque la décision administrative est intrinsèquement cohérente et rationnelle, la cour de révision fait preuve de déférence (Vavilov, au para 85). Si la décision est indéfendable sous certains rapports en fonction des contraintes factuelles et juridiques, la cour de révision interviendra. Mais encore faut-il que le demandeur, qui a le fardeau de démontrer qu’une décision est déraisonnable, établisse des lacunes graves (Vavilov, au para 100) qui font en sorte qu’on ne puisse être satisfait que les exigences de la justification, de la transparence et d’intelligibilité ont été remplies.

[35] Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau. Il eut fallu démontrer une lacune grave dans la décision qui porterait atteinte aux exigences de justification, transparence et intelligibilité. Or, le demandeur présente essentiellement deux arguments. D’abord, ce serait aux autorités du Service correctionnel de faire la preuve que les circonstances du délinquant n’ont pas changé au point où il devrait pouvoir bénéficier de la cessation d’affiliation, pouvant ainsi passer du statut d’inactif à celui de « délinquant qui a officiellement rompu son engagement auprès » d’un GMS.

[36] Le demandeur n’a soumis aucune autorité, ou même une analyse de la Directive, qui puisse soutenir un tel argument. De fait, la Directive, qui constitue le cadre du régime, donne des signaux contraires. Ainsi, l’article 23 de la Directive met le fardeau sur le détenu de donner « un avis écrit […] indiquant qu’il a l’intention de cesser son affiliation ». Cela enclenche alors le mécanisme d’examen de la demande, qui fera en sorte que l’agent du renseignement de sécurité rencontre le délinquant, réunira les renseignements pertinents et remplira le formulaire CSC/SCC 1184-02. Il serait pour le moins surprenant que ce soit aux autorités de faire quelque démonstration que ce soit alors que le délinquant est celui qui fait la demande et prétend donc que la situation a changé. Notre droit reconnaît plutôt que c’est à qui fait une demande d’en démontrer le bien-fondé. Qui allègue avoir « officiellement » cessé son affiliation à un GMS emporte le fardeau de présenter des éléments de preuve à cet égard. Par exemple, dans Fontaine, celui-ci avait soumis des éléments en ce sens. Le dossier ne révèle rien de tel en notre espèce. Au mieux, le demandeur produit un affidavit après que la décision ait été prise. Comme on le sait, cette preuve ex post facto n’est pas admissible, sauf quant à certaines exceptions reconnues en jurisprudence qui ne trouvent pas d’application ici (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 11; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263). De toute manière, les nouvelles assertions du demandeur sur affidavit révélaient très peu.

[37] Le décideur administratif ne peut rendre une décision arbitraire quant à un affiliation, active ou inactive, ou quant à la cessation d’un engagement. Sa décision doit être raisonnable. Mais cela ne transforme pas l’exercice en un fardeau sur les épaules du décideur administratif. D’ailleurs, l’article 27 de la Directive donne une indication claire que de nouveaux renseignements significatifs sont requis pour qui voudrait faire changer son statut d’actif à inactif ou à celui de reconnaissance que l’engagement a été rompu.

[38] Le second argument est que le décideur administratif n’a pas fondé sa décision sur aucun des « critères » à évaluer. J’ai cherché au sein de la Directive du Commissaire où se trouvent ces « critères ». Je ne les ai pas trouvés. Ce à quoi le demandeur semble référer est plutôt le formulaire CSC/SCC 1184-02, intitulé « Évaluation d’une affiliation à un groupe menaçant la sécurité ». Comme dit plus tôt, il s’agit de l’instrument utilisé par l’agent du renseignement de sécurité et la Directrice de l’Établissement Archambault.

[39] Ce formulaire déclare ce qui suit :

À leur face même, ces « critères » visent à établir les sources d’information qui peuvent être utilisées, ou encore les circonstances où pourrait être inféré que le délinquant constitue un associé, membre ou acteur clé d’un GMS. Un seul de ces critères aura suffi à identifier M. Lussier comme associé, membre ou acteur clé.

[40] À l’examen de ces critères, il est douteux qu’ils soient utiles à la détermination du niveau d’activité ou d’implication au sein d’un établissement. Il s’agit plutôt de facteurs qui permettent d’identifier le détenu auprès d’un GMS de par ses tatouages, sa participation à une activité d’organisation criminelle ou une arrestation durant la perpétration d’une infraction criminelle avec des personnes qui se qualifieraient en fonction des définitions de « acteur clé », « membre » ou « associé ». A-t-il été identifié comme tel par une source fiable, un organisme d’application de la loi? Existe-il de la preuve écrite ou électronique concrète? Est-ce que le comportement observé donne des motifs raisonnables de croire à une affiliation?

[41] Le dossier devant la Cour ne donne pas le ou les critères qui ont fait en sorte que M. Lussier a été identifié comme étant associé aux Hells Angels outre qu’il a été impliqué dans un meurtre au profit de ceux-ci. Mais il n’est nullement contesté qu’il était associé initialement et que c’est son niveau d’activité qui aura changé au cours des dernières années. Il a continué d’être considéré comme actif durant son incarcération jusqu’à ce que l’évaluation ne soit amendée à « inactif » le 23 avril 2021. M. Lussier bénéficiait d’un transfert dans une institution à sécurité minimale le 8 décembre de la même année. Il présentait son avis de cessation d’affiliation moins d’un an après son arrivée à Archambault (25 octobre 2022). L’examen de sa demande était terminé le 28 novembre 2022.

[42] La décision de la Directrice, entérinée par le décideur administratif sur grief, constate simplement que la période de temps pour observer le détenu dans son milieu de vie en institution à sécurité minimale, en période de pandémie, ne suffit pas à conclure que M. Lussier a officiellement rompu son engagement auprès du GMS. Qu’il suffise de rappeler que cette association avec ce GMS avait duré pendant plusieurs années, et après que des tentatives de changer d’actif à inactif aient été infructueuses. Les partenaires externes continuaient de considérer le demandeur comme proche des motards criminalisés, quoique n’ayant pas non plus d’information contemporaine à cet égard. Au stade où la décision a été prise, le décideur administratif était satisfait que M. Lussier continuait d’être un associé d’un GMS aux termes des définitions qui trouvent application. Comme la Directrice d’Archambault, et surtout le décideur administratif, le disent, plus d’observations sont nécessaires.

[43] Un commentaire me semble nécessaire sur la prétention du demandeur que la Directrice et le Conseiller spécial ont requis des observations sur M. Lussier alors qu’il serait en liberté pour conclure à une cessation d’engagement. La Cour n’a rien noté de tel à la décision sous étude. Il n’y a eu qu’une allusion de la part de la Directrice à la difficulté rencontrée pour obtenir une évaluation des fréquentations en contexte pandémique et en tenant compte de l’environnement et de l’entourage en établissement à sécurité minimum « en comparaison à la réalité d’un contexte de libération ». Cela ne saurait impliquer que des observations en contexte de libération sont impératives pour l’obtention d’une cessation d’engagement auprès d’un GMS ou pour une diminution du niveau d’activité à « inactif ». Au pis-aller, la comparaison est utilisée pour faire image, une métaphore, montrant en cela la difficulté posée par la pandémie dans un établissement à sécurité minimum. À tout événement, cette comparaison n’a pas été utilisée dans la seule décision qui soit devant la Cour.

[44] Vu les faits de cette affaire, je ne puis voir en quoi la décision sur grief pourrait être déraisonnable. Il eut fallu démontrer selon la balance des probabilités qu’elle n’est pas justifiée, transparente et intelligible, qui sont les caractéristiques d’une décision raisonnable, et que la justification n’est pas conforme aux contraintes factuelles et juridiques. Aucune lacune grave au point qu’on puisse dire que cela ne satisfait pas les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité n’a été identifiée. Au final, il n’était pas déraisonnable de requérir plus de temps eu égard à la gravité du crime commis, de l’affiliation du demandeur avec un GMS durant une longue période et du peu d’observations utiles à Archambault.

V. Conclusions

[45] Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[46] Les conséquences associées au niveau d’affiliation ne sont pas de minimis aux termes mêmes de la Directive :

8. Le niveau d’affiliation d’un délinquant à un groupe menaçant la sécurité (membre/associé/acteur clé) constituera un facteur de risque important dans la prise de toute décision le concernant. L’équipe de gestion de cas tiendra compte du niveau actuel d’activité du délinquant au sein du groupe (actif ou inactif) dans l’évaluation du risque qu’il pose et la formulation de recommandations le concernant.

On peut penser que des observations plus soutenues ont été faites depuis les décisions de la Directrice et du Conseiller spécial du Commissaire. D’ailleurs, la LSCML fait une obligation au Service correctionnel d’utiliser des renseignements à jour, exacts et complets.

[47] La décision sur grief reconnaît que les motifs du refus sont fonction du manque d’information, et que cette lacune pourrait ne plus être présente, permettant ainsi un nouvel avis de cessation.

[48] Le demandeur n’a pas demandé de dépens au cas où il réussirait dans sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur requérait ses dépens. Lorsque questionné à cet égard, l’avocate a dit ne pas avoir d’instructions pour abandonner sa demande que des dépens soient ordonnés au cas où le défendeur l’emporterait. Dans cette éventualité, le demandeur suggérait que les dépens octroyés soient limités à une somme de 500 $.

[49] À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas où aucuns dépens ne devaient être octroyés. Mais même une somme de 500 $ sera trop élevée dans les circonstances. La Cour impose donc des dépens, qui incluent les déboursés et les taxes, à une somme de 250 $.

 


JUGEMENT au dossier T-1866-23

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens à être payés au défendeur sont fixés à une somme de 250 $, cette somme incluant les déboursés et taxes.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1866-23

 

INTITULÉ :

MARIO LUSSIER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUin 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 août 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Alexandra Paquette

Pour le demandeur

Me Maude Normand

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Surprenant Magloé Paquette Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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