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Date : 20240819

Dossier : T-1757-24

Citation : 2024 CF 1283

Ottawa (Ontario), le 19 août 2024

En présence de Monsieur le juge adjoint Benoit M. Duchesne

ENTRE :

JULIE COUTURE

demanderesse

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] La défenderesse demande par voie de requête écrite en vertu de la Règle 369 des Règles des cours fédérales (les « Règles ») que la Cour rejette l’avis de demande de la demanderesse pour les motifs que :

  • a)l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;

  • b)l’avis de demande ne contient aucune allégation qui explique le contenu des décisions devant être révisées ni de motif pour soutenir qu’elles sont déraisonnables; et,

  • c)la demanderesse demande à la Cour de procéder au réexamen de sa demande au vu de nouveaux éléments dans le dossier qui n’étaient pas devant le décideur administratif lors du deuxième examen et qui sont postérieurs à la décision visée par l’avis de demande.

[2] Bien qu’elle ait été signifiée avec la présente requête le 26 juillet 2024 tel qu’il appert de l’attestation de signification qui apparait au dossier de la Cour, la demanderesse n’a ni signifié ni déposé un dossier de réponse à la présente requête, ni formulé de demande prorogation de délai pour ce faire. La requête sera donc tranchée sans des représentations de la demanderesse.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête de la défenderesse est accueillie, l’avis de demande est radié sans autorisation pour sa modification, et la demande de la demanderesse est rejetée.

I. LE DROIT APPLICABLE DEMANDES DE RADIATION D’AVIS DE DEMANDE

[4] Le Juge Pentney résume bien le droit applicable aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire aux paragraphes 52 à 54 de Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie c. Premières Nations de Listuguj Mi’gmaq, 2023 CF 1206 (CanLII) comme suit :

[52] L’arrêt de principe portant sur le critère relatif aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour est JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan], dans lequel la Cour d’appel fédérale a décrit l’approche à suivre de la façon suivante :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959.

[48] Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée — de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience — fait obstacle à cet objectif.

[53] Lorsqu’elle examine un avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour « doit faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (JP Morgan, au para 50, renvois omis). (Voir aussi Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux para 33‑34; Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 au para 33.)

[54] Les affidavits ne sont généralement pas admissibles à l’appui de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, essentiellement parce que le vice dans l’avis de demande doit être fondamental et manifeste. « Un vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste » (JP Morgan, au para 52.) Les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire sont tenus pour avérés à condition qu’ils puissent être prouvés devant un tribunal (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 12 au para 20). Puisque le demandeur est tenu de présenter l’ensemble de ses motifs dans son avis de demande, il n’a pas besoin de déposer d’affidavit pour compléter sa version des faits. Constitue une exception relative à l’interdiction de présenter un affidavit le fait que chaque partie peut déposer un affidavit comprenant des renseignements contextuels, lequel est mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande (JP Morgan, au para 54).

[5] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 (« Wenham ») confirme par ailleurs à son paragraphe 33 que le test applicable, sans égard aux mots utilisés pour le décrire, exige qu’il soit manifeste et évident que l’avis de demande soit voué à l’échec.

[6] Au paragraphe 36 de l’arrêt Wenham, la Cour d’appel fédérale nous rappelle qu’une demande de contrôle judiciaire peut être vouée à l’échec à l’une ou l’autre des trois étapes de la demande:

[36] Une demande peut être vouée à l'échec à l'une ou l'autre de ces trois étapes :

I. Objections préliminaires. Une demande qui n'est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée dès le départ : JP Morgan, au paragraphe 68; Highwood Congregation of Jehovah's Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605. Les demandes qui ne sont pas présentées en temps opportun peuvent être prescrites en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Les contrôles judiciaires qui portent sur des questions qui ne sont pas justiciables peuvent également être interdits : Première nation des Hupacasath c. Ministre des Affaires étrangères, 2015 CAF 4. Parmi les autres interdictions possibles, mentionnons la chose jugée, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et l'abus de procédure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77), l'existence d'un autre recours à un autre tribunal (caractère prématuré) (C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; JP Morgan, aux paragraphes 81 à 90), et le caractère théorique (Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342).

II. Le bien-fondé de l'examen. Les décisions administratives peuvent comporter des erreurs de fond, des erreurs de procédure ou les deux. Les erreurs de fond sont évaluées conformément à l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; les erreurs de procédure sont évaluées en grande partie selon Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817. Dans certaines circonstances, la demande est vouée à l'échec dès le départ. Par exemple, une demande fondée sur des vices de procédure qui ont fait l'objet d'une renonciation n'a aucune chance d'être accueillie : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.F. 488, 2009 CAF 116.

III. La réparation. Dans certains cas, la réparation demandée n'est pas disponible en droit (JP Morgan, aux paragraphes 92 à 94), et la demande peut donc être annulée en tout ou en partie pour cette raison.

[7] La présente requête en est une qui soulève une objection à la troisième étape au sens de l’arrêt Wenham et aussi en matière de procédure de base dans le sens que des faits matériaux nécessaires à la viabilité de l’instance n’ont pas été plaidés.

II. L’AVIS DE DEMANDE

[8] La demanderesse recherche la révision judiciaire d’une décision de l’agence du revenu du Canada (« l’ARC ») concernant son deuxième examen du dossier de la demanderesse par rapport à son admissibilité à la prestation canadienne pour la relance économique (la PCRE). La décision en question n’est pas autrement décrite ou datée dans l’avis de demande.

[9] La demanderesse n’identifie pas et ne plaide pas comment ou pour quels motifs l’ARC aurait erré dans sa décision. Bref, elle ne remet pas la ou les décisions de l’ARC en question et, bien qu’elle demande la révision judiciaire, sa demande ne demande pas à la Cour de réviser la ou les décisions administratives qui ont été prises par l’ARC à son égard.

[10] Plutôt la demanderesse affirme avoir trouvé des nouveaux éléments de preuve par rapport à ses dépenses reliées à son travail (et aux amortissements comptables reliées) qu’elle n’avait pas soumis à l’ARC pour sa considération dans le cadre de sa demande d’admissibilité à la PCRE. Elle demande alors à la Cour de rouvrir son dossier afin de soumettre ces nouveaux éléments de preuve.


 

III. L’ARGUMENT

[11] La défenderesse plaide que l’avis de demande n’énonce aucun fait ni motif qui tendent à démontrer que la décision de l’ARC est déraisonnable puisqu’elle ne fournit aucune information substantielle sur le contenu de la décision devant être révisée.

[12] La défenderesse plaide également que la demanderesse a fait défaut de présenter un énoncé de la réparation demandée ou un énoncé complet et concis des motifs qu’elle invoque au soutien de sa demande, et ce contraire à la Règle 301(d) et (e) des Règles. En ce faisant, cette dernière tombe en deçà des exigences de la procédure écrite. Le défaut de formuler adéquatement les allégations qui, si elles sont avérées pourraient amener le tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de contrôle judiciaire porte un coup fatal à une demande de contrôle judiciaire (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada), 2013 CAF 250 , aux paras 38 à 46; Soprema Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 732 (CanLII) aux para 37 à 39, confirmé par 2022 CAF 103 (CanLII)); Blair c. Canada (Procureur général), 2022 CF 957 (CanLII), au para 10).

[13] La Cour est d’accord avec la défenderesse. L’avis de demande ne contient pas les éléments essentiels ou minimales pour espérer avoir une chance de succès sur la demande.

[14] La défenderesse plaide également que le cœur de la demande est une demande de réouverture de dossier auprès de l’ARC en raison de la découverte de documents et d’informations qui n’étaient pas devant l’ARC au moment de sa décision. Bien que la jurisprudence accepte que des nouveaux éléments de preuve puisse être admis au dossier en révision judiciaire, l’inclusion de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur administratif au moment de sa décision n’est permis qu’à titre d’exception pour aider la Cour de révision à comprendre les questions en litige, les vices de procédure ou manquements à l’équité procédurale, ou l’absence totale de preuve qui pourrait justifier la décision sous révision. La jurisprudence ne permet pas l’introduction de documents tardivement découverts qui auraient pu avoir un incidence sur le fond mais qui n’ont pas été soumis au décideur administratif. (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (CanLII), aux paras 19 et 20).

[15] La Cour est d’accord avec la défenderesse. Le remède de la réouverture de son dossier devant l’ARC tel que recherché par la demanderesse dans son avis de demande n’est pas un remède qui peut lui être accordé en cette instance à la lumière des allégations contenues dans l’avis de demande.

[16] Ayant lu l’avis de demande de la demanderesse de façon large et libérale pour bien saisir et apprécier la nature du remède recherché et des faits plaidés, je conclus que la demande de contrôle judiciaire formulée par la demanderesse est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie pour les motifs ci-dessus.

[17] Comme l’objet même de la demande est irrégulière et ne peut pas être accordée par la Cour en révision judiciaire, il n’y a pas lieu d’accorder l’autorisation à la demanderesse pour modifier son avis de demande.

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête de la défenderesse est accueillie.

  2. L’avis de demande de la demanderesse est radiée en son entièreté sans autorisation pour sa modification.

  3. La demande de la demanderesse est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles.

  4. La demanderesse doit payer à la défenderesse ses dépens de cette requête qui sont fixés à 250 00 $, tout inclus.

 

« Benoit M. Duchesne »

 

Juge adjoint

 


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCAT(E)S INSCRIT(E)S AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1757-24

 

ÉNONCÉ DE LA CAUSE :

JULIE COUTURE c AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

ENDROIT DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

19 AOÛT 2024 (PAR ÉCRIT)

 

MOTIFS ET JUGEMENT:

JUGE ADJOINT BENOIT M. DUCHESNE

 

DATE:

19 AOÛT 2024

PRÉSENT(E)S :

xxxxxxxxxxxx

pour la partie demanderesse

 

xxxxxxxxxx

pour la partie défenderesse

 

AVOCAT(E)S INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Julie Courture

Ascot Corner, Québec

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Arianne Gauthier

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

pour la partie défenderesse

 

 

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