Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240709


Dossier : T-1437-22

Référence : 2024 CF 1074

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2024

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

SHANNON BRASS

demandeur

et

CLINTON KEY ET

LA PREMIÈRE NATION DE KEY

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une affaire quelque peu inhabituelle. La Cour a rendu une décision dans le cadre d’une demande déposée par Shannon Brass visant à faire annuler l’élection de Clinton Key relative au poste de chef de la Première Nation de Key [PNK] (Brass c Première Nation de Key, 2024 CF 304). La question des dépens n’ayant pas été réglée entre les parties, la décision de la Cour du 26 février 2024 prévoyait que [traduction] « [d]ans le cas où aucune recommandation conjointe ne serait formulée, des observations écrites ne dépassant pas sept pages par partie représentée dans la présente procédure devront être présentées au plus tard trois semaines à compter de la date de la présente décision ». Les parties avaient donc jusqu’au 18 mars 2024 pour déposer leurs observations.

[2] Des observations ont été faites au nom de Mme Brass et de M. Key. Des observations ont également été présentées au nom de la PNK par l’avocat du cabinet Alberta Counsel qui a comparu tout au long de la procédure. Cependant, Me Deanne Kasokeo, du cabinet Kasokeo Law, a déposé un avis de changement d’avocat daté du 13 mars 2024 visant à remplacer Alberta Counsel en tant que cabinet d’avocats représentant la PNK. À la suite du changement d’avocat, Me Kasokeo a demandé que les observations présentées au nom de la Première Nation soient rejetées. Elle devait signifier et déposer d’autres observations au plus tard le 19 mars 2024.

[3] Le cabinet Alberta Counsel a contesté avec véhémence la validité du changement d’avocat, ayant été désigné par la PNK pour agir en son nom par une résolution du conseil de bande dûment adoptée le 1er septembre 2022. La résolution confirmant le recours aux services du cabinet Alberta Counsel a été adoptée par le chef et le conseil; aucune résolution du chef et du conseil n’ayant été adoptée pour remplacer celle du 1er septembre 2022, le cabinet Alberta Counsel prétend être demeuré le seul cabinet d’avocats inscrit au dossier.

[4] Pour sa part, Me Kasokeo s’appuyait sur des résolutions adoptées par un soi-disant [traduction] « quorum du conseil » prétendant agir en tant que représentante de la PNK. Confrontée à la question de savoir qui peut représenter à juste titre la PNK sur la question des dépens et à l’échange continu de correspondance entre les parties avec copies au greffe de la Cour à Edmonton, la Cour a convoqué une conférence de gestion de l’instance le vendredi 22 mars.

[5] Lors de la conférence de gestion de l’instance, il a été décidé que les requêtes appropriées seraient préparées et déposées par les deux principaux protagonistes, le cabinet Kasokeo Law et le cabinet Alberta Counsel. Le 27 mars, la Cour a émis une directive qui présentait la procédure à suivre et un calendrier permettant aux parties de soumettre des éléments de preuve et des observations. Je reproduis le paragraphe 22 qui donne l’étendue de la question qui se présente à la Cour :

[traduction]
Par conséquent, il est demandé au cabinet d’avocats qui représente actuellement la Première Nation de Key, Alberta Counsel, de présenter ses observations en premier. Ces observations doivent porter au moins sur la structure de gouvernance de la Première Nation de Key, sur la résolution en vertu de laquelle le cabinet Alberta Counsel prétend s’appuyer, y compris les instruments législatifs (lois ou règlements) qui autorisent l’adoption de résolutions, et sur les textes invoqués qui appuient la position défendue. Cela ne doit pas être interprété comme une limitation de la portée des observations qu’une partie peut choisir d’offrir. La même approche devrait être suivie par le cabinet Kasokeo Law puisqu’il prétend agir en fonction de résolutions adoptées par un certain nombre de conseillers, mais pas par le chef et le conseil.

[6] Malgré des délais relativement courts, il a fallu plus de temps que prévu pour que les dossiers et les observations soient signifiés et déposés; divers documents ont finalement été soumis par les deux cabinets, ainsi que par les avocats de Shannon Brass et de Clinton Key. Le dossier soumis par le cabinet Kasokeo Law compte 647 pages, tandis que celui du cabinet Alberta Counsel en compte 397.

[7] À mon avis, la thèse avancée par le cabinet Alberta Counsel doit prévaloir sur celle du cabinet Kasokeo Law. Les résolutions adoptées par quatre conseillers ne supplantent pas la résolution dûment adoptée qui a désigné Alberta Counsel en tant que cabinet d’avocats représentant la PNK dans le cadre du litige porté devant la Cour. Mes motifs suivent.

I. La question en litige

[8] La seule question de fond soumise à la Cour concerne la procédure qui a conduit la Cour à conclure que M. Shannon Brass n’a pas prouvé son allégation dans sa contestation de l’élection du chef Clinton Key (art 31 et 35 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN ou la Loi]). Les élections sont régies par la Loi pour les Premières Nations qui ont choisi d’y participer. Les parties s’accordent pour dire que la PNK a choisi d’y participer.

[9] Dans le cadre de sa procédure, la Cour est appelée à déterminer qui devrait conclure la représentation de la PNK, étant donné que nous avons maintenant atteint le stade qui consiste à déterminer les dépens à accorder. La question en litige est, en termes simples, de savoir qui devrait avoir le droit de représenter la PNK. Il s’agit de savoir si le cabinet d’avocats qui a représenté la Première Nation tout au long de la procédure est valablement remplacé par un autre cabinet d’avocats choisi par ce qu’on appelle le [traduction] « quorum du conseil ». Le quorum du conseil prétend avoir adopté des résolutions du conseil de bande [RCB] dont l’effet est de désigner Kasokeo Law comme nouveau cabinet d’avocats représentant la PNK. Si le [traduction] « quorum du conseil » n’a pas le pouvoir légal d’adopter des résolutions au nom de la PNK, le cabinet Kasokeo Law ne peut être valablement retenu et le cabinet Alberta Counsel continuera à représenter les intérêts de la PNK jusqu’à la fin de la procédure en cours.

[10] La Cour doit également se demander si elle peut traiter la question qui lui est soumise. La Cour fédérale peut ne pas être dépositaire d’une compétence inhérente, mais elle a compétence plénière de gérer et de réglementer ses propres instances (Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, et une multitude d’autres décisions rendues dans le cadre d’un appel, notamment Lee c Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228 aux para 7-8; Coote c Canada (Commission des droits de la personne), 2021 CAF 150 au para 16; Hutton c Sayat, 2023 CAF 22 au para 7 [Hutton]). La question est de savoir si la Cour peut gérer et réglementer sa propre instance lorsqu’un avis de changement d’avocat est présenté en vertu de l’article 124 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) et est contesté de manière sérieuse par l’avocat qui a agi jusqu’à présent au nom d’une partie (Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626 aux para 35-38; Société Radio-Canada c Manitoba, 2021 CSC 33 au para 16).

II. La thèse des parties

[11] Le cabinet Kasokeo Law, au nom de quatre conseillers, plaide en faveur de la validité des résolutions qu’ils ont adoptées. Ils doivent établir que ces résolutions ont été valablement adoptées.

[12] Il est certes possible pour un justiciable de changer d’avocat même en cours de procédure. Mais si un changement doit être effectué, il doit l’être conformément à la loi. S’il existe des règles et des règlements qui régissent la manière dont les résolutions d’entités doivent être adoptées, ils doivent être suivis. Le juge Rothstein l’a exprimé de manière claire et élégante dans la décision Nation crie de Long Lake c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 1995 ACF no 1020 [Nation crie de Long Lake] :

31 À l’occasion, ces conflits peuvent devenir des conflits personnels entre des individus ou des groupes d’individus appartenant à des conseils. Toutefois, les conseils doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit, peu importe que ce soit une loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent. Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de Bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

[Caractères gras ajoutés]

A. Le cabinet Alberta Counsel

[13] Je commence par la thèse avancée par le cabinet Alberta Counsel. Le témoignage d’un autre conseiller, Solomon Reece, a été présenté à l’appui de la thèse selon laquelle les résolutions adoptées par quatre conseillers étaient nulles et non avenues dans la mesure où elles avaient pour but de décider de tout ce qui doit être adopté par le « chef et le conseil ». De plus, à moins qu’un règlement interne n’ait été établi par le conseil, c’est le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens (CRC, c. 950) [le Règlement] qui s’applique. L’article 31 du Règlement permet l’adoption d’un règlement interne dans la mesure où il n’est pas en contradiction au Règlement. Les parties s’entendent pour dire que la PNK n’a jamais adopté de tels règlements.

[14] Il est donc soutenu que la résolution qui s’applique est celle qui a été adoptée le 1er septembre 2022 dans le but de retenir les services d’Alberta Counsel, en tant que cabinet d’avocats inscrit au dossier, pour représenter les intérêts de la PNK dans le litige mettant en cause Shannon Brass, concernant l’élection contestée de Clinton Key quant au poste de chef. La résolution dispose en partie ce qui suit :

[traduction]
Lors de la réunion dûment convoquée et par décision unanime comme l’indiquent les signatures ci-dessous du chef et du conseil de la Première Nation de Key :

ATTENDU QUE des appels en matière d’élection à l’encontre de l’élection qui a été tenue par la Première Nation de Key ont été introduits devant la Cour fédérale en vertu de la Loi sur les élections au sein de premières nations (les appels en matière d’élection); et

ATTENDU QUE le chef Clinton Key doit engager son propre conseiller juridique indépendant;

ATTENDU QUE le conseil de la Première Nation de Key n’a pas pu se mettre d’accord sur la représentation juridique et a consulté indépendamment plusieurs cabinets d’avocats;

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU que le conseil de bande de la Première Nation de Key désigne par la présente le cabinet Alberta Counsel comme cabinet d’avocats attitré dans les appels interjetés par Mme Brass, T-1437-22, et par M. Papaquash, T‑1446-22 (les appels en matière d’élection);

[…]

La résolution porte la signature de quatre conseillers, ainsi que celle d’un proposant et du chef.

[15] Tel qu’il est indiqué dans la résolution, il y avait un conflit entre les factions au sein du chef et du conseil pour savoir qui devait agir en tant qu’avocats dans l’affaire concernant Mme Brass. En effet, le juge chargé de la gestion de l’instance a rendu une ordonnance le 12 août 2022, indiquant que si la question de la représentation n’était pas résolue au plus tard le 19 août, les deux avocats concernés devaient soumettre des requêtes pour qu’une audience ait lieu. Il est clair que la résolution désignant le cabinet Alberta Counsel devait résoudre le différend.

[16] En outre, il ne fait aucun doute que la résolution du 1er septembre a été adoptée lors d’une réunion convoquée en bonne et due forme, à laquelle le chef et les conseillers étaient présents et ont voté. Selon M. Reece, le vote a été unanime. Cela semble être le cas au vu de la résolution elle-même. Il n’y a pas d’argument valable concernant la validité de la résolution désignant le cabinet Alberta Counsel. La question est plutôt de savoir si les résolutions visant à mettre fin au mandat du cabinet d'avocats qui a comparu devant la Cour dans l’affaire concernant Mme Brass au nom de la PNK, Me Ed Picard, doivent être remplacées par Me Deanne Kasokeo. Il s’agit des résolutions portant les numéros 286 et 287, toutes deux datées du 6 mars 2024. Elles sont rédigées en partie en ces termes :

[traduction]

Résolution 286

Lors d’une réunion dûment convoquée du chef et du conseil de la Première Nation de Key :

ATTENDU QUE : le chef de la Première Nation de Key a retenu les services juridiques de Me Ed Picard pour ses propres affaires juridiques;

ET ATTENDU QUE : Le conseil de la Première Nation de Key a pris la décision de mettre fin aux services juridiques de Me Ed Picard pour le conseil de la Première Nation de Key;

QU’IL SOIT DONC DÛMENT RÉSOLU QUE : La Première Nation de Key mette fin aux services juridiques de Me Ed Picard à compter d’aujourd’hui.

Résolution 287

Lors d’une réunion dûment convoquée du chef et du conseil de la Première Nation de Key :

ATTENDU QUE : La Première Nation de Key a retenu les services juridiques de Me Deanne Kasokeo, membre du Barreau de la Saskatchewan, pour aider le conseil sur les questions juridiques générales concernant la Nation;

ET ATTENDU QUE : Me Deanne Kasokeo accepte de fournir des services à la Nation selon les instructions fournies par le chef et le conseil de la Première Nation de Key, à compter de maintenant;

QU’IL SOIT DONC DÛMENT RÉSOLU QUE :

Les services de Me Deanne Kasokeo ont été retenus pour fournir des services juridiques généraux à la Première Nation de Key et ces services cesseront dès qu’une résolution du conseil de bande le déclarera.

Les résolutions sont proposées et appuyées par deux des quatre conseillers présents : David D. Coté, Sidney Keshane, Kimberly Keshane et Fernie O’Soup. Il n’y a pas de signature du chef Clinton Key ni du conseiller Solomon Reece. Ce sont les deux autres élus. À première vue, les résolutions sont censées avoir été adoptées par les quatre conseillers, agissant au nom de la PNK. La question qui se pose en l’espèce est de savoir quel pouvoir leur a permis d’agir de la sorte.

[17] M. Reece a témoigné que depuis l’élection du 12 juin 2022, il n’y a pas eu de réunions ordinaires du chef et du conseil; toutes les réunions ont été des réunions extraordinaires. De plus, les quatre conseillers qui prétendent remplacer Me Picard, du cabinet Alberta Counsel, prétendent également maintenir les fonctions du chef [traduction] « en suspens » par l’intermédiaire d’une résolution adoptée le 2 août 2023. Ces quatre conseillers, qui s’appellent collectivement « quorum du conseil », auraient, selon M. Reece, tenu des réunions depuis le 2 août 2023, sans en avertir le chef Key et le conseiller Reece. Ni l’un ni l’autre n’a assisté à ces réunions. En ce qui concerne plus particulièrement la réunion du 6 mars 2024, le paragraphe 28 de l’affidavit de Solomon Reece est rédigé en ces termes :

[traduction]

28. Je crois comprendre que, le 6 mars 2024, le « quorum du conseil » a de nouveau convoqué et tenu sa propre réunion sans m’en avertir ou en avertir le chef Key et sans que nous soyons présents. Je crois également comprendre que, lors de cette réunion, le « quorum du conseil » a prétendument adopté trois RCB, notamment :

a. une RCB visant à mettre fin aux services juridiques de Me Ed Picard (et non de Me Jonathon Wescott ou du cabinet Alberta Counsel). Une copie de cette RCB datée du 6 mars 2024 est jointe en tant que pièce « G » à mon affidavit;

b. une RCB censée retenir les services juridiques de Me Deanne Kasokeo en tant qu’avocate générale de la PNK. Une copie de cette RCB datée du 6 mars 2024 est jointe en tant que pièce « H » à mon affidavit.

[18] M. Reece a également témoigné au sujet de la police d’assurance en vertu de laquelle la PNK est indemnisée si elle fait l’objet d’un litige. Selon la police, l’assureur a le droit d’approuver l’avocat représentant la PNK et est subrogé dans les droits de la PNK à recouvrer ses frais après avoir défendu avec succès l’élection contestée. Le témoignage de l’expert principal de Cameron and Associates (affidavit et contre-interrogatoire à l’égard de cet affidavit) ne laisse aucun doute sur le fait que le cabinet Kasokeo Law n’a pas été approuvé par l’assureur.

[19] La thèse adoptée par le cabinet Alberta Counsel est que la résolution adoptée le 1er septembre 2022 par les conseillers et le chef, désignant le cabinet Alberta Counsel, est le seul instrument valide. Les résolutions adoptées par toute autre entité ne sont pas des résolutions du chef et du conseil.

[20] Le conseil se compose du chef et des conseillers élus (Loi sur les élections au sein de premières nations, art 7). Le cabinet Alberta Counsel soutient que même si le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens indique que le quorum pour les délibérations du conseil est une majorité de l’ensemble du conseil (dans le cas de la PNK, 4/6), cela ne peut être confondu avec le « quorum du conseil ». Le quorum d’une réunion du conseil dûment convoquée n’est pas un sous-groupe qui se proclame « quorum du conseil ». Le cabinet Alberta Counsel invoque la décision Balfour c Nation des Cris de Norway House, 2006 CF 213, [2006] 4 RCF 404 [Balfour], dans lequel le juge en chef Blais, alors de notre Cour, a déclaré ce qui suit :

5 Le « quorum du conseil » est un sous‑groupe des membres du conseil de bande qui fonctionne séparément du reste de celui‑ci. Il ne suit pas les règles énoncées dans les lignes directrices pour la tenue des réunions régulières du conseil et il n’y a pas lieu de confondre ce sous‑groupe de conseillers avec ce qui constitue le quorum des conseillers de la bande à une réunion convoquée du conseil qui est assujettie aux lignes directrices et à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens.

[21] De plus, les résolutions adoptées par le quorum du conseil ne répondent pas, selon le cabinet Alberta Counsel, aux exigences du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens. Elles sont donc invalides et sans effet.

[22] La PNK n’a adopté aucun règlement interne en vertu de l’article 31 du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens. Il s’ensuit, selon le cabinet Alberta Counsel, qu’à moins qu’il n’existe des règles ou des coutumes traditionnelles qui seraient acceptées par un large consensus au sein d’une Première Nation, les affaires menées au nom de la PNK doivent être menées en respectant, notamment, le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, ainsi que, bien sûr, la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, et la LEPN.

[23] En ce qui concerne les résolutions du 6 mars 2024, le cabinet Alberta Counsel souligne que le conseil exerce ses pouvoirs lors de réunions dûment convoquées. Cette exigence découle du paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens :

Exercice des pouvoirs conférés à une bande ou un conseil

Exercise of powers conferred on band or council

2 (3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

2 (3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

Étant donné qu’il n’y a pas eu de réunions ordinaires dûment convoquées du chef et du conseil, seules des réunions extraordinaires ont été convoquées. Celles-ci ont été tenues dans la mesure où elles étaient nécessaires pour mener à bien les affaires de la PNK. Ces réunions sont tenues en vertu du paragraphe 3(1) du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens. Ce Règlement prévoit les règles applicables.

[24] L’article 4 du Règlement précise qu’une réunion peut être convoquée par le chef ou le surintendant (tel qu’il est défini à l’article 2 du Règlement), et qu’une réunion doit (la version anglaise utilise l’expression « shall summon ») être convoquée par le chef ou le surintendant « s’il en est requis par la majorité des membres du conseil ». De plus, c’est le chef qui est censé présider la réunion; le surintendant peut le faire, mais avec « le consentement de la majorité des conseillers présents à l’assemblée » (art 8). Le cabinet Alberta Counsel fait valoir qu’il est impossible que la réunion du 6 mars 2024, au cours de laquelle les « résolutions » 286 et 287 ont été adoptées par le quorum du conseil, ait respecté les exigences du Règlement.

[25] Les exigences des articles 10, 12 et 13 du Règlement sont également essentielles pour que les résolutions soient valablement adoptées :

10 Le président doit faire régner l’ordre et décider de toute question de procédure.

10 The presiding officer shall maintain order and decide all questions of procedure.

[…]

12 Toute motion doit être présentée ou lue par son auteur; une fois qu’elle a été proposée et appuyée en bonne et due forme et soumise à l’assemblée par le président, elle devient sujette à débat.

12 Each resolution shall be presented or read by the mover, and when duly moved and seconded and placed before the meeting by the presiding officer, shall be open for consideration.

13 Lorsqu’une motion a été soumise à l’assemblée par le président, le Conseil est censé en avoir été saisi, mais elle peut être retirée avec le consentement de la majorité des membres du conseil présents.

13 After a resolution has been placed before the meeting by the presiding officer it shall be deemed to be in the possession of the council, but it may be withdrawn by consent of the majority of the council members present.

[26] Le cabinet Alberta Counsel soutient également que les résolutions du 6 mars 2024 comportaient des irrégularités parce qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un avis. Il s’agit là d’un point essentiel. L’équité procédurale n’exige rien de moins. Le conseiller Reece, qui a témoigné en ce sens, n’a pas reçu d’avis. Cette affirmation a été contestée par le conseiller O’Soup, qui a d’abord affirmé que le chef Key et le conseiller Reece avaient été convoqués à chaque réunion. Cependant, lors du contre-interrogatoire, il a été incapable d’étayer son affirmation. En fait, il a également affirmé que le conseiller Reece avait été avisé de la tenue des réunions parce qu’il savait que les réunions ordinaires avaient lieu les premier et troisième mardis de chaque mois (contre-interrogatoire de Fernie O’Soup, p 29, ligne 17, à la p 31, ligne 2). Le problème, souligne le cabinet Alberta Counsel, est que la réunion du 6 mars 2024 a eu lieu un mercredi. La suggestion supplémentaire de M. O’Soup, selon laquelle il appartient au conseiller de déterminer quand une réunion doit avoir lieu, est inappropriée. Le cabinet Alberta Counsel renvoie au paragraphe 41 de la décision Laboucan c Nation crie de Little Red River n° 447, 2010 CF 722, 372 FTR 262, où la juge Gauthier, qui siégeait alors à notre Cour, a conclu qu’« [i]l est déloyal de vouloir même prétendre que les conseillers (dont M. Laboucan) devaient s’informer de la date et de l’endroit des réunions du conseil, comme n’importe quel membre du public ». Le fait qu’il n’ait pas été démontré que M. Reece (et le chef Key d’ailleurs) avait été avisé suffirait pour que les résolutions 286 et 287 soient déclarées invalides parce que la réunion n’avait pas été dûment convoquée.

[27] Pour faire bonne mesure, il est avancé que le fait de ne pas avoir été dûment convoquée rend la réunion contraire au principe d’équité procédurale, qui inclut bien sûr la justice naturelle. Il est avancé que ces exigences font effectivement partie des pratiques coutumières des Premières Nations. Le fait de ne pas participer à une réunion parce qu’il n’a pas reçu d’avis empêche un conseiller de jouir du droit le plus fondamental d’être entendu : audi alteram partem.

[28] Par conséquent, les « résolutions » qui portent les numéros 286 et 287 sont l’expression du point de vue adopté par le soi-disant « quorum du conseil ». Le cabinet Alberta Counsel soutient que [traduction] « ces résolutions n’ont aucune force ni aucun effet juridique en elles-mêmes et ne sont pas exécutoires [...] » (mémoire des faits et du droit, au para 72).

[29] Enfin, le cabinet Alberta Counsel cherche à tirer un argument de la police d’assurance qui donne à l’assureur le pouvoir d’approuver le cabinet d’avocats qui représentera la PNK dans ce recours en subrogation. La preuve est claire : avant le 6 mars 2024, le « quorum du conseil » n’a pas consulté l’assureur pour obtenir son consentement au changement d’avocat dans l’affaire concernant Mme Brass; l’assureur n’a jamais approuvé le changement, même a posteriori; l’assureur souhaite poursuivre le recouvrement des dépens dans l’affaire concernant Mme Brass en tant que recours en subrogation conformément aux dispositions de sa police d’assurance; Alberta Counsel continue d’être le cabinet d’avocats approuvé.

[30] Il est soutenu que la PNK ne peut pas engager un nouvel avocat dans le cadre de la partie de la procédure devant la Cour relative aux dépens.

B. Le cabinet Kasokeo Law

[31] Le cabinet Kasokeo Law estime que le changement d’avocat en vertu de l’article 124 est une prérogative exclusive de la PNK. Le « quorum du conseil » est le représentant autorisé de la PNK. Les résolutions ont été dûment adoptées. Quant à la police d’assurance, elle n’est tout simplement pas pertinente, car [traduction] « une compagnie d’assurance ne devrait pas dicter à une Nation autodéterminée de faire appel à un avocat avec lequel le lien de confiance a été rompu » (mémoire des faits et du droit, au para 2).

[32] Le témoignage de Fernie O’Soup, l’un des quatre conseillers qui ont adopté les résolutions 286 et 287, est invoqué pour établir que la réunion du 6 mars 2024 a été dûment convoquée. Bien qu’il n’ait jamais été produit devant la Cour, l’ouvrage intitulé « First Nation's Administration Law » (droit administratif des Premières Nations) a été invoqué pour suggérer que les réunions ordinaires se tiennent tous les premier et troisième mardis de chaque mois. Je note que non seulement le document n’a-t-il pas été produit, mais que l’on ignore de quel type de réunions il s’agit. De plus, le 6 mars 2024 était un mercredi, comme l’a souligné le cabinet Alberta Counsel. Néanmoins, M. O’Soup affirme que le calendrier des réunions était connu de tous les représentants élus de la PNK.

[33] Le mémoire affirme, sans proposer de source, que le quorum du conseil a pris l’initiative de suspendre le chef Key en août 2023, de sorte que, [traduction] « depuis lors, le quorum du conseil a pris les décisions lors de réunions dûment convoquées, mais toujours en avisant le chef et le conseiller Solomon [sic] » (au para 9). Rien dans ce dossier ne permet d’expliquer sur quelle base quatre conseillers peuvent déclarer qu’ils agissent désormais au nom de la PNK. Aucune indication n’est donnée non plus sur ce qui constitue une réunion dûment convoquée. En fait, le quorum du conseil semble avoir fait fi du Règlement puisqu’il déclare que [traduction] « l’ancien règlement d’AINC (qui fait référence au Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens) [...] n’est plus suivi ». Cette affirmation n’est étayée par aucune source et aucun renvoi n’est fait aux éléments de preuve présentés à la Cour sous forme d’affidavits ou au cours du contre-interrogatoire.

[34] M. O’Soup a déclaré que deux fonctionnaires de Services aux Autochtones Canada avaient indiqué que le ministère souhaitait rester à l’écart des questions de gouvernance interne. Il a également affirmé que les deux fonctionnaires avaient déclaré qu’un quorum du conseil pouvait convoquer une réunion. Solomon Reece a témoigné qu’il était présent à cette réunion et que rien de tel n’avait été dit. La lettre du directeur général régional pour la Saskatchewan de Services aux Autochtones Canada [SAC] du 15 avril 2024, présentée comme pièce 4 lors du contre-interrogatoire de M. O’Soup à l’égard de son affidavit, n’indiquait certainement pas une position quelconque à adopter par SAC. Il a écrit en partie :

[traduction]

Conformément à la résolution de la Première Nation de Key d’être ajoutée à l’annexe des Premières Nations qui tiennent leurs élections en vertu de la Loi sur les élections au sein de premières nations (LEPN), un arrêté ministériel a été pris le 16 mars 2016, dont une copie est jointe à titre de référence. Conformément à la résolution de la Première Nation de Key et à l’arrêté ministériel mettant en œuvre cette résolution, les élections de la Première Nation de Key depuis cette date sont régies par la LEPN. À ce titre, je confirme que le Canada ne prend pas position à l’égard du différend sur la gouvernance de la Première Nation. Cela dit, le Canada doit suivre et respecter toutes les lois, tous les règlements et toutes les décisions des tribunaux canadiens. De plus, le Canada est lié par les conclusions et les décisions de la Cour fédérale concernant la gouvernance de la Première Nation et les exigences nécessaires pour autoriser des décisions au nom de la Première Nation, et il s’est engagé à les respecter.

Le mémoire ne renvoie aucunement à cette lettre, y compris au fait que le gouvernement [traduction] « doit suivre et respecter toutes les lois, tous les règlements et toutes les décisions des tribunaux canadiens ».

[35] En fait, tout l’argument semble reposer sur le postulat selon lequel le « quorum du conseil » est le représentant autorisé de la PNK. Si cet énoncé est vrai, alors, selon l’argument, il peut changer de conseil conformément à l’article 124 des Règles. Mais l’affirmation selon laquelle le quorum du conseil peut se transformer en conseil tel qu’il est défini dans la LEPN n’est étayée par aucune preuve ou source dans le dossier présenté à la Cour.

[36] Les résolutions 286 et 287 sont les plus récentes. Elles auraient été adoptées lors d’une réunion dûment convoquée; mais, comme nous l’avons souligné précédemment, le mémoire ne définit pas, ni même ne décrit, ce qui constitue une réunion dûment constituée : quelles sont les règles invoquées pour déclarer qu’une réunion est dûment constituée? Le mémoire est muet.

[37] Le mémoire affirme également que le chef a été informé de la tenue de la réunion du 6 mars 2024. Cela n’est pas très clair à la suite du contre-interrogatoire de M. O’Soup (transcription, à la p 47, lignes 10 à 19). M. O’Soup a refusé de préciser, malgré une demande d’engagement faite lors du contre-interrogatoire à l’égard de son affidavit, si l’avis avait été communiqué compte tenu du manque de certitude et de précision de la part de M. O’Soup. Il en va de même pour l’avis communiqué au conseiller Reece (transcription, à la p 48, lignes 10 à 16). Comme nous l’avons vu précédemment, M. Reece a été catégorique sur le fait qu’il n’avait pas été invité à ladite réunion. Il n’a pas été ébranlé lors du contre-interrogatoire.

[38] Dans le même ordre d’idées, le mémoire déclare au paragraphe 26 qu’une résolution doit être signée par un quorum formé du chef et du conseil. C’est la vérité. Mais la question est plutôt de savoir si le quorum du conseil peut légitimement prétendre se composer du chef et du conseil.

[39] Enfin, le mémoire conteste le fait que la police d’assurance soit présentée devant la Cour. Quoi qu’il en soit, aux dires du cabinet Kasokeo Law, ce fait n’est pas pertinent. Une Première Nation peut choisir de changer d’avocat quand cela lui convient.

C. La réponse

[40] Le mémoire du cabinet Kasokeo Law a suscité une réponse du cabinet Alberta Counsel. Ce dernier s’oppose à de nombreuses affirmations contenues dans le mémoire :

  • aucun texte législatif en matière de gestion financière n’a été présenté comme preuve (comme nous l’avons déjà indiqué, il ne peut pas être utilisé selon le cabinet Alberta Counsel);

  • le moyen tiré de l’abus de pouvoir et d’obligations fiduciaires de la part du chef Key pour justifier sa suspension du conseil n’est non seulement pas pertinent, mais il n’y a aucune preuve à cet égard;

  • il n’existe aucune preuve de l’existence de règlements ou de coutumes traditionnelles de la PNK qui remplaceraient les règlements;

  • l’affirmation selon laquelle la résolution du 1er septembre 2022, dans laquelle les services du cabinet Alberta Counsel ont été retenus, ne portait pas le numéro supposément requis (le cabinet Kasokeo Law a indiqué que l’absence de numéro rendait la résolution invalide) ne tient pas compte du fait qu’une copie numérotée a en fait été envoyée par courrier électronique au cabinet Kasokeo Law le 9 mai. En outre, les affirmations du cabinet Kasokeo Law concernant la validité d’une résolution sans numéro n’ont pas été étayées par des éléments de preuve ou des textes invoqués.

[41] L’allégation selon laquelle la Cour doit accepter le changement d’avocat est critiquée. La Cour n’a aucune obligation d’accepter la validité d’un tel changement. Tout d’abord, il était de l’obligation professionnelle du cabinet Kasokeo Law de s’assurer avec diligence que le client a le pouvoir de chercher à représenter la Première Nation. En fait, le pouvoir du quorum du conseil pour représenter la PNK est contesté parce qu’il serait inexistant. Il appartenait aux conseillers d’établir leur droit de parler au nom du conseil. La suggestion, ou l’argument, selon lequel le fait que le cabinet Alberta Counsel n’ait pas cherché à déposer son propre avis de changement d’avocat n’est pas pertinent. Il s’agit simplement d’un [traduction] « scénario peu pratique dans lequel les cabinets Alberta Counsel et Kasokeo Law seraient tenus de déposer de multiples avis de changement d’avocat ad nauseum [sic] » (mémoire en réponse, au para 14).

[42] La réponse reprend dans une certaine mesure les questions abordées dans le premier mémoire du cabinet Alberta Counsel. La réponse conteste l’affirmation selon laquelle les résolutions 286 et 287 du 6 mars 2024 sont valides. La réunion n’a pas été dûment convoquée parce qu’aucun avis n’a été communiqué au chef et au conseil et que le quorum du conseil n’est tout simplement pas le quorum formé du chef et du conseil.

[43] Les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation selon laquelle un avis a été communiqué au chef Key et au conseiller Reece. La réponse cherche à être plus précise. Lors du contre-interrogatoire, M. O’Soup n’était pas certain de la date à laquelle l’avis avait été communiqué et il a indiqué que M. Reece [traduction] « connaissait déjà » le calendrier des réunions ordinaires qui sont censées avoir lieu les premier et troisième mardis de chaque mois. De toute évidence, selon le cabinet Alberta Counsel, cette affirmation est manifestement erronée puisque la réunion du 6 mars 2024 s’est tenue un mercredi. S’appuyant sur l’arrêt Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536 [Gamblin], une décision du juge Mandamin, la Cour a déclaré dans cette affaire qu’« [u]ne décision du conseil ne peut être valablement prise lorsque tous les conseillers n’en ont pas été dûment avisés ». Les résolutions 286 et 287 prétendument adoptées par le conseil sont invalides pour cette seule raison.

[44] Ce n’est pas parce que quatre conseillers constituent un quorum que ce quorum devient l’organe directeur. En fait, le cabinet Kasokeo Law n’a fourni aucune source pour étayer cette thèse audacieuse.

[45] En outre, rien ne prouve qu’il existe des règles ou des coutumes traditionnelles qui génèrent un large consensus au sein de la PNK pour indiquer que les exigences procédurales du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens sont remplacées, ou qui soutiendraient l’idée qu’un quorum du conseil pourrait se substituer à l’organe directeur de la PNK.

[46] Enfin, en réponse on soutient que la police d’assurance, dont est saisie à juste titre la Cour, [traduction] « pourrait être déterminante en fin de compte » (au para 23). La réponse reproche au cabinet Kasokeo Law de ne pas expliquer pourquoi la police d’assurance n’est pas pertinente, alors que ni la réponse ni les observations initiales du cabinet Alberta Counsel, n’expliquent pourquoi elle est pertinente au point d’être déterminante.

D. Shannon Brass et Clinton Key

[47] La Cour a donné à Shannon Brass et à Clinton Key, les deux principaux protagonistes, la possibilité de s’exprimer. Tous deux l’ont fait.

[48] Shannon Brass déclare, par l’intermédiaire de son avocat, que la Cour devrait accepter à première vue l’avis de changement d’avocat. Si la Cour « regarde au-delà » de cet avis, l’avocat indique que les principes suivants s’appliquent :

[traduction]

Dans les Premières Nations, l’autorisation appropriée est généralement exercée par l’adoption d’une résolution du conseil de bande. Notamment, les résolutions du conseil de bande sont valables tant qu’elles réunissent le quorum requis et sont adoptées lors d’une réunion dûment convoquée, avec avis au chef et au conseil. Toutefois, le chef ou les conseillers ne peuvent pas écarter les avis et prétendre qu’ils n’ont pas reçu d’avis, et le fait de ne pas assister à une réunion, malgré l’avis, pourrait être interprété comme une renonciation.

(Observations de S. Brass, au para 10)

[49] Shannon Brass reproche également au cabinet Alberta Counsel de ne pas avoir déposé son propre avis de changement d’avocat, ce qui permet de conclure que le cabinet Alberta Counsel savait qu’il n’avait pas l’autorité nécessaire pour le faire. Enfin, la contestation d’une résolution selon laquelle les services d’un avocat sont retenus devrait se faire devant une cour supérieure provinciale, car il s’agit d’une question de droit privé. Il en va de même pour un recours en subrogation régi par un contrat d’assurance.

[50] Sans surprise, Clinton Key soutient la position avancée par le cabinet Alberta Counsel. Les arguments sont formulés en termes de la préservation de l’intégrité du système juridique et du processus de la Cour.

[51] La Cour fédérale est investie d’une compétence plénière pour réglementer ses propres instances (Hutton). Clinton Key indique que la Cour peut prendre en considération le Code de conduite professionnelle d’un barreau dans le contexte du retrait d’un avocat d’un dossier. À la lecture des observations, il semble que l’avocat de Clinton Key cherche à blâmer le cabinet Kasokeo Law pour ce qui suit :

  • l’avocat successeur doit s’assurer que l’ancien avocat a été révoqué par le client;

  • en l’espèce, cela peut signifier qu’il faut révoquer l’avocat du dossier lors d’une réunion dûment convoquée pour laquelle un avis approprié a été communiqué; l’absence de preuve à cet égard est notable et décisive. La Cour devrait accepter le témoignage du conseiller Reece selon lequel l’avis n’a pas été communiqué;

  • le retrait de l’avocat doit avoir lieu à un moment approprié;

  • l’avocat doit agir tel que devrait le faire un avocat compétent. En fait, Clinton Key se plaint que le nouvel avocat s’est présenté dans cette affaire à la dernière minute, avec des observations quant aux dépens qui n’étaient pas adéquates. Le cabinet Alberta Counsel devrait être autorisé à représenter la PNK sur la question des dépens.

III. Analyse

[52] Compte tenu de l’atmosphère extrêmement acrimonieuse qui entoure la gouvernance de la PNK, j’ai choisi de présenter, peut-être plus complètement qu’il ne serait nécessaire, les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties en l’espèce. Il s’agit d’une question simple : qui doit représenter les intérêts de la PNK sur la question des dépens à adjuger en tant que partie ayant gain de cause dans la défense de l’élection contestée de M. Clinton Key en tant que chef de la PNK? Un groupe de conseillers a présenté des résolutions adoptées, selon eux, au nom de la PNK, pour remplacer le cabinet d’avocats inscrit au dossier en l’espèce par un autre cabinet d’avocats.

[53] Le cabinet d’avocats inscrit au dossier, Alberta Counsel, soutient que les résolutions ne peuvent être valides, car elles n’ont pas été adoptées conformément aux règles applicables. En effet, le groupe de quatre conseillers, qui s’appellent eux-mêmes le « quorum du conseil », n’a pas qualité pour adopter une résolution au nom de la PNK. Telle est la question et le cabinet Kasokeo Law a dû convaincre la Cour de l’existence d’une telle autorité.

[54] Comme on l’a constaté à maintes reprises, la Cour fédérale a compétence plénière pour réglementer ses propres instances. C’est précisément ce qu’on lui demande de faire en l’espèce. Quelqu’un peut-il déposer un avis de changement d’avocat, conformément aux Règles des Cours fédérales dans une procédure en cours, et ainsi expulser l’avocat inscrit au dossier qui a agi en fonction d’une résolution apparemment valide adoptée à l’unanimité par les représentants élus, agissant en tant que chef et conseil? Je n’ai besoin de me référer qu’à une seule source, la récente décision du juge en chef de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hutton, pour affirmer que notre Cour a cette compétence :

[7] Outre les pouvoirs qui leur sont conférés par le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour et la Cour fédérale sont également investies du plein pouvoir de réglementer leurs instances et de contrôler l’intégrité de leurs propres processus. De fait, comme l’ont déclaré à maintes reprises la Cour suprême du Canada et la présente Cour, les Cours fédérales doivent être investies des pouvoirs nécessaires pour gérer leurs propres instances, au même titre que les cours supérieures des provinces : voir, par exemple, Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, 1998 CanLII 818 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 626, aux para. 35 et 36; R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, au para. 19; Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, au para. 33 (note de bas de page 1); Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, [2017] A.C.F. no 1131 (QL), aux paras. 7 à 9; Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, [2021] A.C.F. no 50 (QL), au para. 20 (Dugré); Coote c. Canada (Commission des droits de la personne), 2021 CAF 150, au para. 16; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, au para. 3. Cela comprend le pouvoir de suspendre une instance lorsqu’il est nécessaire de le faire pour statuer sur des conduites litigieuses problématiques : ViiV Healthcare Company c. Gilead Sciences Canada, Inc., 2021 CAF 122, au para. 24; Dugré, au para. 38; Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, 229 A.C.W.S. (3d) 935, au para. 4 (Coote).

Je ne vois pas d’exigence plus pressante pour l’exercice de la compétence plénière que de devoir décider qui peut comparaître devant la Cour lorsque la contestation porte sur les Règles de la Cour et la comparution d’un avocat devant notre Cour.

[55] La Cour devrait se prononcer sommairement sur certains arguments avancés par les parties. Tout d’abord, l’argument selon lequel il aurait dû y avoir une compétition entre le cabinet Kasokeo Law et le cabinet Alberta Counsel pour savoir qui aurait eu le dernier avis de changement d’avocat afin de l’emporter. Cet argument n’est pas fondé. Le cabinet Alberta Counsel a contesté dès que possible l’avis de changement d’avocat comme n’ayant aucun fondement en l’espèce. Il est difficile d’être plus clair sur le fait que sa thèse ne présentait aucune ambiguïté. Rien d’autre n’était nécessaire.

[56] M. Clinton Key a indiqué que la Cour devrait tenir compte d’une manière ou d’une autre des obligations professionnelles des avocats à l’égard de leurs clients et des tribunaux. Il affirme que les codes de conduite professionnelle [traduction] « établissent des normes d’ordre public que la Cour devrait prendre en considération » (Observations et mémoires, au para 10). M. Key ne s’étend pas sur ce qui devrait être fait par la Cour et sur l’effet que cela pourrait avoir, d’un point de vue juridique, sur la question étroite que la Cour doit trancher. Je refuse respectueusement d’examiner plus avant cette question qui relève avant tout de la compétence d’autres entités. En l’espèce, nous avons un cabinet d’avocats qui représente les intérêts de personnes qui prétendent avoir le droit d’adopter une résolution, dont le but est de changer d’avocat dans une affaire devant la Cour fédérale. Ce litige est plaidé et c’est la seule question dont est saisie la Cour qui nécessite une réponse.

[57] Le cabinet Alberta Counsel soutient que la police d’assurance en vertu de laquelle l’assureur peut accepter un cabinet d’avocats qui défend les intérêts de l’assuré et qui est subrogé dans les droits de l’assuré peut être déterminante en dernier ressort. Le cabinet Alberta Counsel n’a jamais expliqué comment. Le contrat d’assurance semble être conclu uniquement entre la PNK et l’assureur. Si la PNK ne respectait pas les conditions de son contrat, il s’agirait d’une affaire entre ces deux parties et des recours peuvent être entrepris. Mais cela n’a rien à voir avec la question de savoir qui devrait représenter la PNK dans la présente procédure. Si le changement d’avocat est correctement effectué, ce qui est la seule question soumise à la Cour, le respect ou non de l’accord d’assurance devient une question entre l’assureur et l’assuré.

[58] Cela nous amène au cœur du problème. La PNK a choisi de régir ses élections par la LEPN. La Loi sur les Indiens définit le « conseil de la bande » en fonction du régime électoral qui s’applique à la Première Nation :

conseil de la bande

council of the band means

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

(a) in the case of a band to which section 74 applies, the council established pursuant to that section,

b) s’agissant d’une bande dont le nom figure à l’annexe de la Loi sur les élections au sein de premières nations, le conseil élu ou en place conformément à cette loi;

(b) in the case of a band that is named in the schedule to the First Nations Elections Act, the council elected or in office in accordance with that Act,

c) s’agissant d’une bande dont le nom a été radié de l’annexe de la Loi sur les élections au sein de premières nations conformément à l’article 42 de cette loi, le conseil élu ou en place conformément au code électoral communautaire visé à cet article;

(c) in the case of a band whose name has been removed from the schedule to the First Nations Elections Act in accordance with section 42 of that Act, the council elected or in office in accordance with the community election code referred to in that section, or

d) s’agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci. (council of the band)

(d) in the case of any other band, the council chosen according to the custom of the band, or, if there is no council, the chief of the band chosen according to the custom of the band; (conseil de la bande)

[59] Selon la LEPN, le conseil se compose du chef et des conseillers élus; l’article 7 dispose ce qui suit :

Composition

Composition

7 (1) Le conseil d’une première nation participante se compose d’un chef, ainsi que d’au moins deux et d’au plus douze conseillers, à raison d’un conseiller pour cent membres de la première nation.

7 (1) The council of a participating First Nation is to consist of one chief and, for every 100 members of that First Nation, one councillor, but the number of councillors is not to be less than two or more than 12.

Réduction du nombre de postes de conseiller

Reduction — number of councillors

(2) Malgré le paragraphe (1), le conseil peut, par résolution, réduire le nombre de postes de conseiller sans toutefois aller en deçà de deux; la réduction s’applique à compter de l’élection suivante qui n’est pas une élection partielle.

(2) Despite subsection (1), the council may, by resolution, reduce the number of councillor positions but to not less than two. The reduction is applicable as of the next election that is not a by-election.

La loi est claire : le conseil se compose à la fois des conseillers, et pas seulement de certains d’entre eux, et du chef. Comme on peut le constater, le conseil, c’est-à-dire le chef et les conseillers élus, fonctionne en grande partie en se fondant sur des résolutions (voir aussi, entre autres, Knibb Developments Ltd c Première Nation des Siksika, 2021 CF 1214 au para 10).

[60] La loi est également claire en ce qui concerne l’élection (article 23 : le plus grand nombre de voix) et les cas où le poste devient vacant :

Mandat

Term of office

28 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l’article 29, le mandat du chef et des conseillers d’une première nation participante commence à la fin de celui du chef et des conseillers qu’ils remplacent et dure quatre ans.

28 (1) Subject to subsection (2) and section 29, the chief and councillors of a participating First Nation hold office for four years commencing at the expiry of the term of office of the chief and councillors that they replace.

Vacance

Term of office ceases

(2) Le poste de chef ou de conseiller d’une première nation participante devient vacant dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(2) A chief or councillor of a participating First Nation ceases to hold office if

a) le titulaire est déclaré coupable d’un acte criminel et a été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de trente jours consécutifs;

(a) they are convicted of an indictable offence and sentenced to a term of imprisonment of more than 30 consecutive days;

b) il est condamné pour une infraction à la présente loi;

(b) they are convicted of an offence under this Act;

c) il meurt ou démissionne;

(c) they die or resign from office;

d) un tribunal invalide son élection en vertu du paragraphe 35(1);

(d) a court sets aside their election under subsection 35(1); or

e) il est révoqué de son poste au moyen d’une pétition présentée en conformité avec les règlements.

(e) they are removed from office by means of a petition in accordance with the regulations.

En ce qui concerne l’alinéa 28(2)e), la LEPN précise que les règlements visés doivent être pris par le gouverneur en conseil :

41 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements régissant les élections et, notamment, des règlements concernant :

41 The Governor in Council may make regulations with respect to elections, including regulations respecting

[…]

g) la révocation du chef ou d’un conseiller d’une première nation participante au moyen d’une pétition à cet effet et, notamment :

(g) the removal from office of a chief or councillor of a participating First Nation by means of a petition, including

(i) le pourcentage nécessaire d’électeurs de cette première nation qui doivent signer la pétition,

(i) the percentage of electors of that First Nation who must sign that petition, and

(ii) la période au cours de laquelle la pétition doit être présentée;

(ii) the period during which that petition is to be filed;

Comme on peut le constater, la LEPN est prescriptive et fournit le cadre dans lequel les élections doivent se dérouler dans les Premières Nations participantes. Elle prévoit également la révocation des représentants élus, y compris par l’application des articles 31 et 35 pour contester les élections dans les trente jours suivant la date à laquelle les résultats de l’élection contestée sont annoncés. En l’espèce, il n’existe aucune preuve, dans le présent dossier, que l’un ou l’autre de ces élus ait été révoqué de son poste. La question est donc de savoir sur quel fondement le quorum du conseil peut légitimement agir au nom de la PNK.

[61] Par souci de commodité, je reproduis à nouveau la description de ce qu’est un « quorum du conseil » dans la décision Balfour :

[5] Le « quorum du conseil » est un sous‑groupe des membres du conseil de bande qui fonctionne séparément du reste de celui‑ci. Il ne suit pas les règles énoncées dans les lignes directrices pour la tenue des réunions régulières du conseil et il n’y a pas lieu de confondre ce sous‑groupe de conseillers avec ce qui constitue le quorum des conseillers de la bande à une réunion convoquée du conseil qui est assujettie aux lignes directrices et à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens.

Cette description correspond parfaitement aux éléments de preuve présentés en l’espèce. C’est clairement ce que sont les quatre conseillers de la PNK lorsqu’ils se qualifient de « quorum du conseil ». Il s’agit d’un sous-groupe et aucune autorité juridique ne découle de la simple création ponctuelle de ce groupe. J’ajoute qu’aucun élément de preuve ni aucun argument n’a été présenté qui donnerait au « quorum du conseil » le pouvoir de supplanter le conseil tel qu’il est défini dans la LEPN.

[62] Mais il y a plus. L’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens dispose qu’« un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée ». Il s’agit là de l’exigence la plus fondamentale. Quel que soit le pouvoir exercé par le conseil, c’est-à-dire le chef et les conseillers élus conformément à l’article 7 de la LEPN, une réunion dûment convoquée est nécessaire.

[63] En l’espèce, la résolution du 1er septembre 2022 désignant le cabinet Alberta Counsel pour les besoins du présent litige n’a pas été sérieusement contestée. Le cabinet Kasokeo Law a indiqué dans son mémoire des faits et du droit, plus qu’il n’a été démontré, que ladite résolution ne portait pas de numéro. C’est plus une question de forme que de fond. Quoi qu’il en soit, le cabinet Alberta Counsel a informé la Cour dans sa réponse, au vu de l’argument selon lequel la résolution n’était pas numérotée, que la résolution portait en fait un numéro (109). Par conséquent, même cet argument, bien que très faible au départ, ne résiste pas à l’examen le plus élémentaire : la résolution 109 a été valablement adoptée par le chef et le conseil. Ce n’est pas le cas des résolutions 286 et 287. Les éléments de preuve présentés à la Cour ne satisfont pas à l’exigence de base selon laquelle les résolutions doivent être adoptées par le conseil tel qu’il est défini dans la LEPN et que le chef et les cinq conseillers ont été avisés de leur participation à la réunion. Tout porte à croire qu’un groupe de conseillers, se présentant comme le « quorum du conseil », s’est arrogé le droit de suspendre le chef de ses fonctions en tant que chef élu et a ensuite décidé que le cabinet d’avocats dûment désigné par le conseil devait être démis de ses fonctions.

[64] À mon avis, les éléments de preuve présentés à la Cour nous amènent à une seule conclusion : l’avis n’a pas été correctement communiqué à un conseiller et au chef. Il serait surprenant que le chef Key ait reçu un avis en bonne et due forme en mars 2024, après avoir été suspendu le 2 août 2023 : [traduction] « Les fonctions de Clinton Key en tant que chef de la Première Nation de Key sont par la présente suspendues avec salaire [...] ». Je note que la résolution (pièce E de l’affidavit de Solomon Reece), qui ne porte pas de numéro, prévoit que la possibilité [traduction] « d’expliquer pourquoi cela ne devrait pas se produire » devait être donnée le 31 août 2023. Nous ne savons pas s’il y a eu un suivi.

[65] De manière encore plus décisive, le conseiller Reece a déclaré qu’il n’avait pas reçu d’avis de la réunion du 6 mars. Lorsque le conseiller O’Soup a tenté de faire valoir que l’avis avait été communiqué, il n’a pas pu prouver que c’était le cas; il a ensuite déclaré au cours de son contre-interrogatoire que, de toute façon, le conseiller Reece aurait su que les réunions du conseil avaient lieu les premier et troisième mardis de chaque mois (le 6 mars 2024 était un mercredi); enfin, il a choisi de ne pas présenter d’autres éléments de preuve quant à l’avis communiqué après avoir été invité à le faire au cours de son contre-interrogatoire à l’égard de son affidavit. Le poids de la preuve soutient le témoignage de Solomon Reece selon lequel aucun avis n’a été communiqué.

[66] Après avoir examiné très attentivement les éléments de preuve, la Cour ne peut trouver aucun élément permettant d’affirmer que les résolutions 286 et 287 ont été adoptées lors d’une réunion du conseil dûment convoquée. Une réunion du quorum du conseil n’est pas une réunion du conseil au sens de la LEPN et il n’a pas été prouvé que les personnes tenues d’y assister avaient reçu un avis de convocation.

[67] Avec tout le respect que je dois au demandeur, les sources invoquées pour les arguments suivants ne sont d’aucune aide pour les quatre conseillers : (1) les résolutions ont été adoptées lors d’une réunion dûment convoquée (Bellegarde c Première Nation Carry the Kettle, 2024 CF 699 au para 68 [Bellegarde]); (2) avec avis au chef et au conseil (Gamblin, au para 78), et (3) signées par un quorum du chef et du conseil (Bellegarde, au para 5; Première Nation de Key c Lavallée, 2021 CAF 123 au para 45).

[68] Tout d’abord, le paragraphe 68 de la décision Bellegarde est libellé comme suit :

[traduction]

[68] À mon avis, le même raisonnement s’applique à la PNCTK. Lorsque le conseil de la PNCTK a adopté les RCB pour révoquer les requérants, il a agi en tant que conseil reconnu en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens pour représenter et gouverner la Nation et gérer la PNCTK pour le bien-être de ses membres. De plus, comme l’a déclaré le juge McDonald, l’assemblée extraordinaire en l’espèce a été « dûment convoquée au sens du paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens », ce qui constitue une preuve supplémentaire que le conseil de la PNCTK agissait en tant que « conseil de la bande » reconnu en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et qu’il était donc censé exercer des pouvoirs de gouvernance provenant peut-être de la coutume, mais aussi d’une « source » concomitante prévue par la Loi. En effet, l’assemblée extraordinaire – et le processus suivi par la PNCTK – visait à révoquer des représentants élus reconnus par la Loi, pour les remplacer ensuite par d’autres représentants élus reconnus par la Loi, à la suite d’une élection partielle. Les répercussions des RCB étaient donc liées à l’application de la Loi. En outre, les RCB visant à révoquer des conseillers élus sont intrinsèquement une question de gouvernance.

La déclaration générale n’a aucun rapport avec la question à trancher en l’espèce.

[69] Le renvoi au paragraphe 78 de la décision Gamblin non seulement n’étaye pas la thèse pour laquelle il est fait, mais va même à l’encontre de celle-ci. Pour mieux comprendre la conclusion du juge Mandamin lorsqu’il dit au paragraphe 78 qu’il est d’accord avec l’affirmation du juge Blais dans une décision que j’ai déjà mentionnée deux fois pour affirmer qu’un quorum de conseil n’est pas un conseil, il faut lire le paragraphe 77 :

[77] Dans le jugement Balfour, le juge Blais (tel était alors son titre) a vertement critiqué le processus décisionnel utilisé par le même conseil de la NCNH relativement à d’autres décisions. Le juge Blais a déclaré ce qui suit :

3. L’existence du sous‑groupe de conseillers de la bande devrait‑elle être autorisée?

45 Le demandeur conteste la création d’un sous‑groupe et soutient que, lorsque des décisions sont prises par le plus petit groupe de conseillers, les règles concernant le quorum, les avis, la consignation des décisions et la préparation des comptes rendus ne sont pas respectées.

[…]

49 [...] j’estime qu’il est permis qu’un sous‑groupe de membres d’un conseil de bande se rencontrent en dehors du contexte formel des réunions dudit conseil pour discuter de questions concernant la bande. Cependant, il importe d’établir une distinction entre ce type de réunions et celles qui ont été tenues en l’espèce. En effet, il n’est pas permis que le sous‑groupe de conseillers de la bande prenne des décisions en secret et fasse subséquemment ratifier ces décisions à des réunions ultérieures du conseil sans tenir compte des Lignes directrices de celui‑ci ou des dispositions de la Loi sur les Indiens.

[Non souligné dans l’original.]

Je suis d’accord avec le juge Blais. Une décision du conseil ne peut être valablement prise lorsque tous les conseillers n’en ont pas été dûment avisés. Toutefois, une telle décision peut par la suite être ratifiée lors d’une assemblée du conseil lorsqu’un avis est donné, qu’une possibilité de participer est offerte à tous les membres du conseil et que la question n’a pas déjà été tranchée de façon définitive.

Un sous-groupe peut certainement se réunir, rien ne l’empêche. Mais ils ne parlent pas au nom du conseil. En l’espèce, il n’existe aucune preuve crédible que le conseil, c’est-à-dire le chef et les conseillers élus, se soit réuni valablement.

[70] Je ne vois pas en quoi le paragraphe 45 de la décision Première Nation de Key c Lavallée, que je reproduis en l’espèce, peut être d’une quelconque utilité dans la présente instance :

[45] La décision d’un conseil de bande de retenir les services d’un cabinet d’avocats devient la décision de l’ensemble de la bande et lie la bande. On peut aisément comparer la relation à celle d’un conseil municipal approuvant une recommandation de passation de marchés de services juridiques au nom d’une municipalité. Cependant, dans les circonstances de la présente affaire, la question qui est au cœur de la demande est celle de savoir si la décision du conseil de retenir les services de SWL était accompagnée de l’avis requis adressé à la collectivité, du quorum requis et d’autres obligations procédurales, comme le prescrit la Loi sur les Indiens.

Le renvoi au paragraphe 5 de la décision Bellegarde me laisse également perplexe :

[traduction]

[5] Pour les motifs suivants, les demandes sont accueillies. Les résolutions du conseil de bande [RCB] de la PNCTK qui révoquent les requérants de leurs postes de membres élus du conseil de la PNCTK, sont invalides. Le conseil n’avait pas le quorum ni la majorité qualifiée requis par la Cega-Kin Nakoda Oyate Custom Election Act [Election Act] (loi sur les élections coutumières de Cega-Kin Nakoda Oyate [loi électorale]) de la PNCTK pour adopter les RCB et révoquer les requérants de leurs fonctions électives. En outre, le tribunal qui doit être constitué en vertu de l’alinéa 12(7)i) de la loi électorale afin de recommander à un conseil de révoquer un représentant élu n’a pas été correctement constitué.

Il est difficile de voir la pertinence du paragraphe 5, d’autant plus que cette communauté avait choisi de mettre en œuvre sa propre procédure d’élection en adoptant la Cega-Kin Nakoda Oyate Custom Election Act. Quoi qu’il en soit, la résolution a été jugée invalide.

[71] Le cabinet Alberta Counsel a fait valoir que le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens s’appliquait. En effet, dans sa réponse, il affirme que [traduction] « Me Kasokeo n’a pas réussi à prouver l’existence de règlements de la PNK ou de coutumes traditionnelles de la PNK qui auraient préséance sur les procédures de gouvernance énoncées dans le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, CRC c 950 » (au para 6). Cela suppose, bien sûr, que le Règlement s’applique lorsque le conseil a été élu en fonction de la LEPN.

[72] Sans décider si le Règlement s’applique en droit, ou même si l’on peut considérer qu’il fournit une forme d’orientation générale, il n’est pas nécessaire de rechercher un soutien supplémentaire pour établir les irrégularités du processus suivi en l’espèce. Le Règlement traite de questions telles les suivantes : (1) qui peut convoquer des réunions extraordinaires du conseil, (2) la présence requise des membres, (3) ce qui constitue un quorum, (4) qui préside les réunions, (5) qui décide des questions de procédure et de l’ordre des travaux, et (6) comment les résolutions sont proposées et traitées. Le cabinet Alberta Counsel soutient que le Règlement n’a manifestement pas été respecté en l’espèce. C’est peut-être le cas. Cependant, le cabinet Alberta Counsel n’a pas réussi à démontrer en quoi le Règlement, étant donné qu’il semble que le conseil auquel le Règlement s’applique s’entend « du conseil d’une bande élu conformément à l’article 74 de la Loi sur les Indiens » (Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, art 2), peut être utile. La question est laissée en suspens.

[73] Comme il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que ce qui a déjà été abordé directement, je refuse de commenter l’application du Règlement à la présente procédure.

IV. Conclusion

[74] La Cour conclut que, en l’absence d’éléments de preuve convaincants, le chef Clinton Key et le conseiller Solomon Reece ont reçu un avis suffisant, les résolutions portant les numéros 286 et 287 ne peuvent pas être des résolutions adoptées par le conseil de la Première Nation de Key. La preuve présentée à la Cour est que le soi-disant « quorum du conseil » a cherché à fonctionner comme un sous-groupe du conseil de la Première Nation, fonctionnant indépendamment du conseil légalement constitué, composé du chef et des conseillers élus. Un tel sous-groupe peut exister, mais il ne peut se substituer au conseil.

[75] Les sages paroles du juge Rothstein, déjà citées plus haut au paragraphe 11, continuent de résonner près de trente ans plus tard et encore plus en l’espèce. Dans l’affaire Première Nation de Long Lake, il a écrit :

31 À l’occasion, ces conflits peuvent devenir des conflits personnels entre des individus ou des groupes d’individus appartenant à des conseils. Toutefois, les conseils doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit, peu importe que ce soit une loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent. Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de Bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

[76] En conséquence, la Cour examinera les observations sur les dépens présentées par le cabinet Alberta Counsel au nom de la PNK, ainsi que celles présentées au nom de Shannon Brass et de Clinton Key. Une ordonnance concernant les dépens suivra.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1437-22

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

Le cabinet d’avocats représentant la Première Nation de Key inscrit au dossier demeure le cabinet Alberta Counsel. Les observations sur les dépens ont déjà été déposées au nom de Shannon Brass, de Clinton Key et de la Première Nation de Key. À moins que la Cour n’entende un avis contraire de la part des présentes parties avant le 15 juillet 2024, la question des dépens sera tranchée en fonction des observations écrites dûment signifiées avant le 18 mars 2024.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1437-22

 

INTITULÉ :

SHANNON BRASS c CLINTON KEY ET LA PREMIÈRE NATION DE KEY

 

OBSERVATIONS ÉCRITES EXAMINÉES À OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2024

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Orlagh O’Kelly

 

Pour le demandeur

 

Brian Anslow

 

Pour le défendeur,

CLINTON KEY

 

Ed Picard

Nicholas Blanchette

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA PREMIÈRE NATION DE KEY

Deanne Kasokeo

POUR LES CONSEILLERS

F. O’SOUP, D.D. COTÉ,

K. KESHANE ET S. KESHANE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O’Kelly Law

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Willis Law

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur,

CLINTON KEY

 

Le cabinet Alberta Counsel

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA PREMIÈRE NATION DE KEY

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.