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Date : 20240731

Dossier : IMM-9706-22

Référence :2024 CF 1224

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2024

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Demandeur

et

EDSON JONAS TAVARES CARRERA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

A. Aperçu

[1] Le demandeur dans cette affaire est le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le « Demandeur ») qui a déposé une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision favorable de la Section d'appel de l'immigration (« SAI ») de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle Edson Jonas Tavares Carrera (le « Défendeur ») vivait une relation conjugale et pouvait parrainer son épouse au Canada. Le Demandeur soutient que la décision a été rendue en violation de l'équité procédurale et qu'elle était déraisonnable.

[2] Le Demandeur soutient qu'au moment du dépôt de la demande de parrainage, le Défendeur avait omis de divulguer qu'il faisait l'objet d'une accusation criminelle toujours en cours. La SAI a enfreint les principes de l'équité procédurale lorsque le commissaire a empêché le conseil du ministre d'interroger le Défendeur et son épouse à l'audience.

[3] Le Demandeur soutient en outre que la conclusion de la SAI selon laquelle le Défendeur et son épouse avaient une relation de bonne foi était déraisonnable parce que leur communication au sujet de l'accusation criminelle serait pertinente pour évaluer la crédibilité de leur bonne foi. En ne permettant pas au conseil du Demandeur de poser des questions sur ce sujet, la SAI a fondé sa décision sur une preuve incomplète qui a contribué à rompre la chaîne de raisonnement.

B. La Décision

[4] Je rejette la demande de contrôle judiciaire car j'estime que la décision a été prise de manière équitable et qu'elle était raisonnable.

C. Questions en litige et norme de contrôle

[5] La partie demanderesse a soulevé deux questions :

  • a)la SAI a-t-elle manqué à son obligation d'équité procédurale; et

  • b)la décision de la SAI est-elle raisonnable ?

[6] L'examen du caractère raisonnable d’une décision doit être fait avec déférence envers le tribunal administratif et exige une évaluation de la décision afin de déterminer si elle est transparente, intelligible et justifiée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 SCC 65 (CanLII), [2019] 4 SCR 653 [Vavilov], aux paragraphes 12-15 et 95). Le point de départ d'un contrôle du caractère raisonnable sont les motifs de la décision. Conformément au cadre de Vavilov, une décision raisonnable est « celle qui repose sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle sur le plan interne et qui est justifiée au regard des faits et du droit » (Vavilov, au paragraphe 85).

[7] Il incombe à la partie qui conteste la décision de prouver qu'elle est déraisonnable. Les défauts doivent être plus que superficiels pour que la cour de révision annule une décision administrative. La cour doit être convaincue qu'il existe des « lacunes suffisamment graves » (Vavilov, au paragraphe 100).

[8] En ce qui concerne les questions d'équité procédurale, la norme de contrôle n'est pas déférente. Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant l'accent sur la nature des droits substantiels en cause et sur les conséquences pour un individu, si un processus juste et équitable a été suivi » (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR], au paragraphe 54). La juridiction de contrôle doit déterminer si, compte tenu du contexte et des circonstances particulières de l'affaire, la procédure suivie par le décideur administratif a été équitable et a donné aux parties concernées le droit d'être examinées, ainsi qu'une possibilité complète et équitable d'être informées des éléments de preuve à réfuter et de faire entendre leur cause (CPR, paragraphe 56). Les cours de révision ne sont pas tenues de faire preuve de retenue à l'égard des décideurs administratifs sur les questions d'équité procédurale (Vargas Cervantes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 FC 791, au paragraphe 16).

D. Analyse

[9] Le Demandeur a déposé des documents pertinents sur les antécédents criminels du Défendeur. Il s'agit notamment des documents suivants :

  • Une copie d'une dénonciation d'un acte criminel du Service de police de la Ville de Montréal concernant le Défendeur : le document indique que les faits sur lesquels se fondent les accusations ont eu lieu entre janvier 2016 et février 2017. Toutefois, la date à laquelle les accusations ont été communiquées au Défendeur n'est pas claire. Le document a été signé par un juge de paix à Montréal le 29 septembre 2020, et indique « Sommation fixée le : 2020-11-06 ». Il contient également un timbre dateur illisible. Le document ne comporte pas de signature du Défendeur. À première vue, il n'est pas clair si ou quand le contenu de ce formulaire a été communiqué au Défendeur.

  • Une copie de la demande de parrainage, de l’entente de parrainage et de l’engagement. À la question « avez-vous été accusé d'une infraction a une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ? » le Défendeur a répondu « Non ». La demande a été signée le 30 mai 2021 par le Défendeur et le 15 mai 2021 par son conjoint parrainé.

  • Une copie de sentence avec une ordonnance de probation du Service de police de la Ville de Montréal concernant le Défendeur. Le document est daté du 20 juillet 2021 et indique ce qui suit :

(1) La décision de la SAI est-elle inéquitable ?

[10] Le Demandeur soutient qu'en arrêtant les questions du conseil du Demandeur sur la criminalité, la SAI a empêché que la preuve pertinente sur la « bonne foi » de la relation soit pleinement disponible et examinée. Pour étayer son argument, dans le contexte des questions du conseil du Demandeur (Mme Fortin) sur la criminalité, le Demandeur se concentre sur l'échange suivant au cours de l'examen de la SAI :

Commissaire :

OK, alors je vous arrête les deux, je vois que vous vous demandez où est-ce que vous allez par rapport à cette question-là. Effectivement, Madame Fortin, je ne trouve pas que la question est pertinente. Monsieur est résident permanent. Si son statut doit être remis en cause, c’est la Section de l’immigration qui va le faire. Jusqu’à présent, il est résident permanent et je ne peux pas traiter de cette chose-là dans la présente audience. Si vous me dites qu’il y a une pertinence par rapport à la bonne foi de la relation, par rapport au fait de savoir si monsieur et madame sont partenaires conjugals je vous laisse poser la question, mais sinon, je ne la trouve pas pertinente.

Conseil du Ministre :

OK, je vais arrêter.

[11] Je suis d'accord avec la commissaire de la SAI pour dire que la pertinence de la criminalité dans l'évaluation de la relation conjugale n'est pas évidente à première vue. En fait, lors de l'examen judiciaire, j'ai demandé à l'avocate du Demandeur de mettre l'emphase sur sa pertinence dans le contexte d'une demande de parrainage. C'est en réponse à ma question que l'avocate du Demandeur a déclaré qu'elle était pertinente pour évaluer la crédibilité de la relation de bonne foi et pour déterminer si, lorsque les conjoints avaient affirmé qu'ils partageaient tout ce qui concernait leur vie, ils étaient tous deux au courant de la criminalité en question. En partageant ce que le commissaire pensait, elle a en fait donné l'occasion au conseil du ministre d'offrir une explication quant à la pertinence de la ligne de questionnement, tout comme le conseil l'a fait devant moi. Cependant, le conseil du ministre a choisi de s'arrêter. On ne peut donc pas reprocher au commissaire de la SAI de l'avoir injustement privée d'une série de questions pertinentes. J'estime qu'en s'arrêtant, le conseil du ministre a en fait renoncé à la nécessité d'enquêter plus avant sur la question.

[12] Devant moi, l’avocate du Demandeur a fait valoir qu'en ne formulant pas sa pensée sous forme de question, le commissaire de la SAI a en fait intimidé le conseil du ministre et l'a contraint au silence. Je ne suis pas d'accord. Le commissaire de la SAI a expliqué pourquoi elle pensait que la question n'était pas pertinente. Si Madame Fortin (le conseil du ministre devant le SAI) n'était pas d'accord, elle aurait pu expliquer pourquoi, plutôt que d'accepter d'interrompre son argument.

[13] Je rappelle également aux parties qu'en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], il est demandé à chaque section de la CISR de traiter toutes les procédures dont elle est saisie de manière aussi informelle et rapide que le permettent les circonstances de l'équité et de la justice naturelle. Par conséquent, il n'était ni injuste ni déraisonnable pour la commissaire de la SAI de ne pas vouloir perdre de temps avec des questions qu'elle estimait non pertinentes. C'est pourquoi elle a interrompu Mme Fortin et lui a fourni une justification. En fournissant cette justification, la commissaire a tacitement invité Mme Fortin à expliquer pourquoi elle souhaitait poser des questions sur la criminalité, ce qu'elle n'a pas fait. Même si Mme Fortin n'était pas avocate, elle était un agent d'audience qui comparaissait devant la SAI et on s'attendait à ce qu'elle soit en mesure d'articuler la logique de son questionnement.

[14] Je conclus donc que le commissaire de la SAI n'a pas enfreint les principes de l'équité procédurale en intervenant dans l'interrogatoire dans les circonstances de l'espèce.

(2) La SAI a-t-elle pris une décision déraisonnable ?

[15] Le Demandeur a fait valoir que la question de la criminalité du Défendeur était un facteur pertinent pour évaluer la nature « de bonne foi » de la relation, ce que le commissaire avait le devoir de faire. Le Demandeur prétend que les antécédents criminels et l'absence de reconnaissance des parties constituent une preuve contradictoire pertinente que la Commission avait le devoir de traiter. Le fait que la SAI n'ait pas tenu compte de ces éléments a donné lieu à une décision déraisonnable.

[16] J'estime que les motifs de la SAI entrent dans les détails de la relation du couple pour conclure à l'existence d'une bonne foi. Ils décrivent l'historique de la relation, les rapports personnels et sexuels des parties, le maintien de la relation à distance et les raisons de l'absence de contact physique, d'activités sociales et de responsabilités familiales partagées, etc. pour conclure que la relation était authentique et de bonne foi.

[17] J'estime qu'il était raisonnable pour la SAI de ne pas établir un lien automatique entre l'accusation criminelle ou la condamnation et la relation du couple. Le conseil du ministre n'a pas tenté de créer un lien entre la criminalité, la relation de bonne foi ou la crédibilité des parties. Par conséquent, il était raisonnable pour le commissaire de se concentrer sur tous les facteurs pertinents qui sont normalement évalués pour déterminer la bonne foi d'une relation.

[18] Le conseil du ministre avait une occasion raisonnable d'exprimer son opinion selon laquelle la criminalité était pertinente pour la question de la crédibilité de la relation, mais il ne l'a pas fait. En n'articulant pas leur position, il était raisonnable de ne pas voir de contradiction, alors qu'il n'y a pas de lien automatique entre les antécédents criminels et la relation des parties. Par conséquent, la SAI ne peut être accusée d'avoir négligé des preuves contradictoires alors qu'il était raisonnable de ne pas en voir et que le conseil du ministre n'a pas fait valoir son point de vue lors de l’audience. On ne peut reprocher à la commissaire de la SAI de ne pas être en mesure de lire dans les pensées du conseil, en particulier lorsque, comme elle l'a déclaré lors de l'examen, une procédure parallèle devant la SI, puis la SAI, aurait traité de la criminalité. Le recours du Demandeur à la jurisprudence selon laquelle il est erroné d’ignorer les preuves contraires lorsque la crédibilité est en jeu, est donc inapproprié. Toutes ces affaires traitent de questions de crédibilité pertinentes (Gjoka c MCI, 2017 CF 386 ; Sedoh c MCI, 2021 CF 1431 ; MCI c Miltimore, 2012 CF 1018). La SAI a considéré toutes les preuves contraires « pertinentes » qui étaient en rapport avec la relation de bonne foi, y compris la courte période de cohabitation ou une longue absence de contact physique.

[19] Les motifs de la SAI tiennent compte de tous les éléments de preuve pertinents présentés à la Commission et fournissent une chaîne de raisonnement claire et cohérente. La décision est donc raisonnable. On ne peut pas demander à cette Cour d'apprécier à nouveau les éléments de preuve dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

E. Conclusion

[20] La décision de la SAI est raisonnable et équitable pour les raisons qui précèdent. Le contrôle judiciaire est donc rejeté.

[21] Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.


 

JUGEMENT AU DOSSIER IMM-9706-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  • 1)La demande de contrôle judiciaire est rejeté.

  • 2)Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.

blanc

« Negar Azmudeh »

blanc

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9706-22

INTITULÉ :

MCI c. EDSON JONAS TAVARES CARRERA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUILLET 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AZMUDEH

DATE DES MOTIFS :

Le 31 JUILLET 2024

COMPARUTIONS:

Me Zoé Richard

Pour le demandeur

Edson Jonas Tavares Carrera

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice Canada

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

 

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