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Date : 20240729


Dossier : IMM-8861-22

Référence : 2024 CF 1204

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

AMINA NYANGE

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Amina Nyange [demanderesse principale] et Aisha Nyange [demanderesse associée] [ensemble les « demanderesses »] sont citoyennes du Burundi, et sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] du 22 août 2022. La SAR a confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile des demanderesses [Décision]. La SAR et la SPR ont conclu que les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision sur la question déterminante au sujet de la crédibilité des demanderesses n’était pas déraisonnable.

II. Faits et Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[3] En août 2019, les demanderesses sont arrivées au Canada, et elles ont déposé leurs formulaires de Fondement de la demande d’asile [FDA] alléguant une crainte de persécution reliée à la disparition de leur père. Selon les demanderesses, les autorités n’ont rien fait suite à une plainte déposée en octobre 2015 au sujet de la disparition de leur père qu’elles avaient une crainte de persécution liée à des événements qui ont eu lieu après le dépôt de cette plainte.

[4] D’après les FDA, land e 11 mai 2016, la demanderesse associée a été enlevée par des milices imbonerakures. En mars 2017, la demanderesse principale se retrouvait au Burundi afin de poursuivre ses études, mais l’Université du Burundi a refusé son admission qu’elle dit aussi être en raison de cette affaire. Les demanderesses ont quitté le Burundi avec l’aide de leur oncle, le 16 juillet 2019.

[5] La SPR tient une audience virtuelle le 29 mars 2022, et rend sa décision le 4 avril 2022 rejetant la demande d’asile.

[6] En appel devant la SAR, les demanderesses ont allégué que la SPR a commis plusieurs erreurs dans leur analyse de la crédibilité et lorsqu’elle a rejeté les explications qui ont été faites sous serment concernant les contradictions au dossier. En particulier, les demanderesses ont souligné que la SPR a erré lorsqu’elle n’a pas tenu compte du profil de la demanderesse associée qui n’avait que 16 ans au moment des événements et que l’événement s’était déroulé rapidement. Les demanderesses allèguent aussi que la SPR a choisi des éléments de l’affidavit de leur oncle étant défavorables à la position des demanderesses.

[7] Le 22 août 2022, la SAR rejette l’appel de la décision de la SPR. La SAR conclut que les demanderesses n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger. La SAR identifie que la question portant sur la crédibilité est déterminante.

[8] LA SAR a résumé la décision de la SPR rejetant leur demande d’asile en raison que plusieurs contradictions aient entaché la crédibilité des demanderesses. Ces contradictions portaient sur des faits que les demanderesses ont identifiés dans leurs demandes d’asile, incluant des événements et incidents clés dans leurs récits.

[9] La SAR a noté que les arguments au dossier d’appel ne répondaient pas aux exigences de l’alinéa 3(1)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257. La SAR a souligné que les arguments qui ont été mis d’avant n’étaient des observations complètes ni détaillées puisqu’elles n’adressent pas des erreurs commises par la SPR appuyées par des références, et que ces observations manquaient de précisions. Par exemple, les demanderesses ont fait l’argument que la SPR a commis des erreurs sans clarifier quelle preuve la SPR avait ignorée. Quoique cela suffirait de rejeter les arguments, toutefois par souci d’équité, la SAR a considéré les arguments qui paraissaient les plus clairs et ceux qui semblaient se dégager implicitement du mémoire.

[10] La SAR a conclu, tout comme la SPR, que les demanderesses n’ont pas établi une crainte bien fondée ou un risque prospectif en raison de leur crédibilité. La SAR a confirmé que ces contradictions se retrouvaient au sein de plusieurs sources : le FDA, le témoignage des demanderesses à l’audience, l’affidavit de l’oncle et une lettre de la mère des demanderesses.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Selon les demanderesses, la question qui se pose est celle de savoir si l’analyse de la SAR au sujet de la crédibilité était-elle raisonnable.

[12] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte d’une révision des motifs de la Décision de la SAR (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 53 [Vavilov]). Je suis d’accord qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[13] La Cour en contrôle judiciaire doit considérer si une décision a fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126).

[14] La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

[15] À l’audience, l’avocat des demanderesses a confirmé qu’il se fiait sur les arguments dans le mémoire et ceux qui se trouvaient dans le cahier d’autorités déposés au dossier de la Cour. En lisant le mémoire, je constate que les demanderesses contestent toutes les conclusions de la SAR ainsi que son appréciation de la preuve au dossier.

[16] D’après le mémoire et les arrêts qui se trouvent dans leur cahier d’autorités, je présume aussi que les demanderesses font également l’argument que la SAR a commis une erreur en se fondant sur des incohérences, mais en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve et en tirant des conclusions déraisonnables au vu de l’ensemble de la demande d’asile (citant Mahamoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1232 au para 33).

[17] De plus, les demanderesses mettent d’avant que même s’il y a eu une absence de crédibilité, cela n’empêche pas qu’une personne soit admise si d’autres preuves satisfont à la fois à la composante subjective et à la composante objective du critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié (citant Manickan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1525 au para 3 et Gutierrez c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 4 au para 33).

[18] Je ne peux souscrire aux arguments des demanderesses.

[19] Les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas « à l’abri d’un contrôle judiciaire » et doivent être énoncées clairement et justifiées à la lumière des éléments de preuve. Suivant le cadre d’analyse de la norme de la décision raisonnable, les décideurs ont une latitude considérable pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, à l’égard desquelles il convient de ne pas intervenir à la légère (Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6 [Azenabor]).

[20] Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle. Les décisions quant à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Malik c Canada (Citoyenneté et immigration), 2022 CF 1097 au para 10, citant Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29, Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35, Azenabor au para 6).

[21] La SAR n’a accordé aucune valeur probante quant à l’affidavit de l’oncle et la lettre de la mère des demanderesses. La SAR a conclu que la fiabilité des déclarations faites par l’oncle était fortement diminuée par les contradictions relevées avec le témoignage des demanderesses. De plus, l’oncle affirme des faits dont il n'a pas de connaissance personnelle. La SAR a aussi évalué la lettre de la mère et a considéré les contradictions dans cette lettre dans l’ensemble de la preuve. Ses motifs expliquaient pourquoi la SAR n’a accordé aucune valeur probante aux deux documents.

[22] De plus, concernant le témoignage des demanderesses, quoiqu’elles soulignent que les événements en question se sont déroulés quand la demanderesse associée avait 16 ans, la preuve devant la SAR confirmait que son FDA a été complété 13 jours avant l’audience devant la SPR. Il était raisonnable pour la SAR de considérer que les documents déposés en preuve, qui étaient des éléments contemporains par rapport à la demande d’asile, contenaient des contradictions importantes.

[23] L’évaluation de la preuve incombe à une tâche du décideur administratif, et la Cour doit respecter le principe de déférence envers une telle décision. Il était loisible à la SAR de rejeter une preuve si elle est marquée par des incohérences, ou si elle est incompatible avec les probabilités touchant l’ensemble de l’affaire (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 26).

[24] En lisant la Décision dans son ensemble, je constate que la SAR a considéré les déficiences relevées par la preuve soumise. La SAR n’a pas entrepris une analyse sélective de la preuve et n’a pas mis l’emphase sur des contradictions anodines. La SAR avait conclu qu’il y avait eu des contradictions importantes qui ont entaché la crédibilité quant au cœur de la demande d’asile. Je ne décèle aucune erreur de sa part en arrivant à cette conclusion.

[25] Finalement, quant aux risques en tant que femmes au Burundi, la SAR a relevé que les demanderesses ne contestaient pas les conclusions de la SPR selon lesquelles elles n'ont jamais fait face à ce genre de problèmes dans le passé. De plus, la preuve documentaire ne dit pas que toutes les femmes burundaises retournant au Burundi font face à une possibilité sérieuse de persécution.

[26] Compte tenu de ces circonstances, il était loisible pour la SAR de conclure que les demanderesses n’ont pas identifié une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur statut de femme.

[27] Je suis consciente que les demanderesses sont en désaccord avec l’évaluation de la preuve par la SAR. Par contre, elles demandent essentiellement à la Cour d’apprécier de nouveau cette preuve, ce que je ne peux pas faire en contrôle judiciaire (Vavilov au para 125).

V. Conclusion

[28] Pour les motifs décrits ci-dessus, je conclus que les motifs de la Décision sont intrinsèquement cohérents et justifiés et tenaient compte des contraintes factuelles et juridiques. Par conséquent, la Cour n’interviendrait pas (Vavilov au para 91). Donc, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[29] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier. Je suis d’accord que dans les circonstances, il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans IMM-8861-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8861-22

INTITULÉ :

AMINA NYANGE, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUILLET 2024

COMPARUTIONS :

Martin Lotard Bayingwalag

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Suzon Létourneau

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin Lotard Bayingwalag

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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