Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20231115


Dossier : T-1632-19

Référence : 2023 CF 1513

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

GARY FORD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une requête du demandeur, M. Gary Ford, visant à faire trancher les objections du défendeur quant à la communication de certains documents et informations demandés en vertu de la Règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (« la Requête »). La Requête s’inscrit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de laquelle le demandeur conteste une décision (« la Décision ») de l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») datée du 5 septembre 2019. La Décision refuse, au terme d’un deuxième examen, la demande d’allègement du demandeur pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2002 en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 (5e supp) (« la Loi »).

II. Contexte

[2] L’historique de la demande de contrôle judiciaire du demandeur est exposé dans mon Ordonnance datée du 20 juillet 2022 (aux para 4-23). Cette Ordonnance a accueilli l’appel du demandeur à l’encontre d’une ordonnance rendue par une protonotaire de la Cour accordant la requête du défendeur en radiation de la demande de contrôle judiciaire.

[3] En bref, et afin de rappeler les informations pertinentes dans cette Ordonnance, en 2006, n’ayant pas reçu des documents à l’appui des pertes locatives réclamées (« les pièces justificatives »), l’ARC a émis de nouvelles cotisations à l’encontre du demandeur pour les années d’imposition 2000-2002. Le demandeur ne s’est pas opposé aux nouvelles cotisations.

[4] Le 22 novembre 2010, le demandeur a soumis une demande d’allègement (« la Demande d’allègement antérieure ») à l’ARC en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi, sollicitant l’établissement de nouvelles cotisations pour les années 2000-2002. L’ARC a rejeté la demande au premier palier (le 28 juin 2011) et au deuxième palier (le 20 août 2014). Le 29 décembre 2014, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la deuxième décision de l’ARC. Le 10 septembre 2015, la Cour a rejeté la demande puisque le demandeur n’avait pas présenté les pièces justificatives requises pour étayer ses demandes et ne s’était pas conformé aux nombreuses demandes de documents de l’ARC (Ford c Canada (Procureur général), 2015 CF 1057). La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de ce jugement (Ford c Canada (Procureur général), 2016 CAF 128). Me Ian Demers représentait le défendeur dans le cadre de la première demande de contrôle judiciaire.

[5] Le demandeur a ensuite sollicité la représentation de nouveaux avocats, qui ont soumis une demande d’accès à l’information. Parmi les documents reçus en réponse, les avocats ont retrouvé des pièces relatives aux dépenses locatives réclamées par le demandeur pour les années 2000-2002, qui avaient été déposées auprès du Programme des divulgations volontaires (« le PDV ») de l’ARC en novembre et décembre 2004. Dans sa lettre indiquant que le dossier de divulgation était accepté, le PDV a renvoyé au demandeur les pièces justificatives soumises.

[6] Le 4 décembre 2017, le demandeur a déposé une demande d’allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi (« la Deuxième demande d’allègement »), demandant à la Ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'annuler les pénalités et les intérêts imposés pour les années 2000-2002. Mme Stevens était l’agente assignée au premier examen de la Deuxième demande d’allègement et Mme Groleau était l’agente assignée au deuxième examen de la Deuxième demande d’allègement.

[7] L’ARC a rejeté la Deuxième demande d’allègement du demandeur au premier palier le 23 février 2018. Le 5 septembre 2019, Mme Cossette, chef d’équipe de l’ARC, a rejeté la demande du demandeur de réexamen au deuxième palier. Il s’agit de la Décision maintenant contestée.


 

[8] Dans son Avis de demande de contrôle judiciaire de la Décision, en plus d’envoyer une copie au greffe, le demandeur exigeait que le défendeur lui fasse parvenir le contenu intégral du dossier de la Deuxième demande d’allègement. Sans limiter le caractère général de sa demande de documentation, le demandeur énumérait une liste de documents, de type de documents ou d’informations requis.

[9] Le dossier certifié du tribunal (le « DCT ») a été communiqué aux représentants du demandeur et au greffe le 12 octobre 2022, conformément à la Règle 318(1). Le DCT contient les documents qui correspondent aux points 1 - 4, 5a) et 5b) de l’Avis de demande de contrôle judiciaire. Le 19 octobre 2022, des documents additionnels, « Documents programme de divulgation volontaire consultés dans le cadre du globus GB1800 4112 8577 », ont été transmis au greffe afin de les ajouter au DCT.

[10] Le 14 octobre 2022, le défendeur a transmis au demandeur une copie de sa lettre d’opposition en vertu de la Règle 318(2). Le défendeur s’oppose à la transmission des documents demandés aux points 5c) à g) de l’Avis de demande pour divers motifs : la pertinence des documents, le secret professionnel et le privilège du litige, et l’existence même de certains documents.

[11] Le défendeur explique les motifs de son opposition à la transmission de ces documents :

Point

Description de(s) document(s) demandé(s)

Motif soulevé par le défendeur dans la lettre d’opposition

5c)

Toutes les communications entre Mme Caroll Stevens, Mme Janie Groleau et un autre employé ou représentant de l’ARC dans le cadre du traitement de la seconde demande d’allègement du demandeur

Le défendeur s’oppose parce qu’il n’a pas retrouvé la ou les communications demandées aux points 5c) et 5d). Le défendeur n’a aucune preuve de leur existence.

5d)

Toutes les communications entre d’autres employés ou représentants de l’ARC dans le cadre du traitement de la seconde demande d’allègement du demandeur

5e)

Tous les documents transmis par les employés ou représentants de 1'ARC à Me Ian Demers ou à un autre représentant de Justice Canada qui faisaient état des documents que le demandeur ou 1'un de ses représentants avait fournis à 1'ARC depuis 2000

Le défendeur s’oppose à la transmission de tout document qui n’a pas été analysé par la déléguée du Ministre pour une question de pertinence et pour des raisons de secret professionnel et de privilège du litige.

5f)

L’identité et la fonction des employés ou représentants de 1'ARC qui ont fourni les documents dont il est question à 1’item 5(e)

Le défendeur s’oppose à la transmission de tout document qui n’a pas été analysé par la déléguée du Ministre pour une question de pertinence.

5g)

L'identité et la fonction des employés ou représentants de 1’ARC qui ont donné les instructions à Me Ian Demers ou à un autre représentant de Justice Canada dans le cadre des procédures de contrôle judiciaire engagées par le demandeur suite au refus de sa première demande d'allègement

Le défendeur s’oppose à la transmission de tout document qui n’a pas été analysé par la déléguée du Ministre pour une question de pertinence et pour des raisons de secret professionnel et de privilège du litige.

[12] Dans la Requête, le demandeur répond à l’opposition du défendeur. Il demande à la Cour d’ordonner au défendeur (1) de compléter le DCT en y ajoutant les documents non remis; et (2) de produire, sous scellés, au dossier de la Cour et aux fins d’examen, tous les documents à l’égard desquels le défendeur soulève le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel.

III. Dispositions législatives

[13] La Règle 317 prévoit « un mécanisme permettant à une partie de demander la transmission de documents ou d’éléments matériels pour étayer sa demande de contrôle judiciaire » et la Règle 318 « énonce la procédure à suivre pour s’y opposer » (GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2021 CF 624 au para 21 (GCT Canada)). La Règle 317 vise les documents (1) en la possession du décideur, et (2) qui sont pertinents à la demande devant la Cour. Les passages pertinents des Règles 317 et 318 sont les suivants :

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material from tribunal

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

[…]

Opposition de l’office fédéral

Objection by tribunal

318 (2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

318 (2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

Directives de la Cour

Directions as to procedure

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

Ordonnance

Order

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

IV. Questions en litige

[14] La question déterminante pour la Cour est celle de savoir si les documents et les informations demandés aux points 5c) à 5g) sont des documents ou des éléments matériels pertinents en la possession de l’office fédéral au sens de la Règle 317.

V. Analyse : Les documents demandés aux points 5c) à 5g) sont-ils des documents pertinents en la possession de l’office fédéral visés par la Règle 317?

(1) Les documents visés aux points 5c) et 5d)

[15] Les documents demandés par le demandeur aux points 5c) et 5d) sont les communications entre les employés et représentants de l’ARC lors du traitement de sa Deuxième demande d’allègement, notamment les communications impliquant Mme Stevens (l’agente assignée au premier examen) et Mme Groleau (l’agente assignée au deuxième examen).

[16] Le demandeur soutient qu’il ne peut s’en remettre aux affirmations du défendeur quant à l’inexistence des communications visées aux points 5c) et 5d).

Il est impensable d’en arriver à la conclusion que le premier palier et le second palier d’un processus décisionnel menant à la décision contestée dans le présent contrôle judiciaire n’aient eu aucune communication.

[17] L’argument du demandeur n’est pas convaincant. Mme Stevens a rendu un rapport qui a mené à la décision de Mme Martel au premier palier. Dans sa décision, Mme Martel a indiqué que, si le demandeur voulait contester la décision, il pouvait demander un second examen indépendant au deuxième palier. Le demandeur a déposé sa demande au deuxième palier et Mme Groleau a rendu la recommandation qui a mené à la décision soumise au contrôle : la décision de Mme Cossette.

[18] L’onglet 5 du DCT contient les communications de Mme Stevens et de Mme Groleau. À l’appui de son opposition à la Requête, le défendeur a déposé un affidavit de Mme Marsolais, une agente des allègements pour les contribuables à l’ARC. Mme Marsolais affirme qu’elle a fait une recherche exhaustive dans les registres de l’ARC et qu’elle a envoyé tous les documents pertinents à la demande de contrôle judiciaire du demandeur en octobre 2022. Elle répond à la demande du demandeur aux points 5c) et 5d), expliquant qu’elle a contacté Mme Groleau en septembre 2022 afin de lui demander toutes les communications mentionnées. Mme Groleau a confirmé que tous les documents et correspondances en lien avec la demande figurent déjà au DCT.

[19] Le demandeur est convaincu que les deux catégories de documents (points 5c) et 5d)) existent, mais ni le DCT ni son dossier de requête ne contiennent aucune indication de leur existence. La décideuse au premier palier indique que l’examen au deuxième palier est un examen indépendant. Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel l’impartialité de l’examen au deuxième palier est un principe important. La Circulaire d’information de l’ARC stipule que le deuxième examen d’une demande d’allègement est un examen indépendant de la première décision mené par des fonctionnaires qui n’ont pas pris part au premier palier (Dispositions d’allègement pour les contribuables, IC07-1R1 (le 18 août 2017) au para 104). Il n’est alors pas « impensable », jusqu’à preuve du contraire, que l’agente assignée à l’examen au deuxième palier (Mme Groleau) ne contacte pas l’agente qui a effectué l’examen au premier palier (Mme Stevens) (et inversement). En outre, l’ARC a entrepris une recherche afin de trouver les documents demandés et Mme Marsolais affirme que le DCT contient tous les documents décrits aux points 5c) et 5d).

[20] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que les documents demandés aux points 5c) et 5d) de son Avis de demande de contrôle judiciaire existent et « sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande » (la Règle 317(1)).

(2) Les documents et informations visés aux points 5e), 5f) et 5g)

[21] Le demandeur demande au point 5e) les documents envoyés par un représentant de l’ARC à Me Demers ou à un autre représentant du Ministère de la justice « qui faisaient état des documents que le demandeur ou l’un de ses représentants avaient fournis à l’ARC depuis 2000 ». Le demandeur demande aussi l’identité et la fonction (1) des représentants de l’ARC qui ont envoyé ces documents (au point 5f)), et (2) de ceux qui ont donné des instructions à Me Demers ou à un autre représentant du Ministère de la justice au cours des procédures de la première demande de contrôle judiciaire (au point 5g)).

[22] La Règle 317 consacre le principe selon lequel le contrôle judiciaire est fondé sur l’examen du dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 (Access Copyright)) et « donne le droit à une partie de recevoir tous les éléments dont disposait le décideur lorsqu'il a rendu sa décision » (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2019 CAF 257 au para 12). Les principes généraux régissant la portée de l’obligation de communication qu’impose la Règle 317 au décideur sont bien établis. Mon collègue, le juge Pentney, a récemment résumé les quatre exigences essentielles de la Règle (GCT Canada au para 23, citant un nombre d’arrêts récents de la Cour d’appel fédérale (renvois omis)) :

[23] Si une partie s’oppose à la transmission d’un document selon la Règle 318, la Cour doit veiller à concilier, autant que possible, les trois objectifs suivants : (1) l’examen valable de la décision administrative qui fait l’objet d’un contrôle, auquel la cour de révision ne pourra se livrer sans être satisfaite que le dossier dont elle dispose est suffisant pour procéder à cet examen; (2) l’équité procédurale; et (3) la protection de tout intérêt légitime à l’égard de la confidentialité tout en garantissant la plus grande publicité possible des procédures judiciaires. (Girouard c Conseil canadien de la magistrature, 2019 CAF 252 au para 18).

[24] Les documents et informations demandés aux points 5e), 5f) et 5g) ne faisaient pas partie du dossier devant Mme Cossette (la décideuse). Il incombe ainsi au demandeur de présenter des éléments de preuve qui justifient sa demande (Access Information Agency c Canada (Procureur Général), 2007 CAF 224 au para 21 (Access Information Agency); GCT Canada au para 29). En l’espèce, le demandeur invoque l’exception susmentionnée qui s’applique lorsque la divulgation supplémentaire est nécessaire afin de déceler des manquements à l’équité procédurale.

[25] Le demandeur reconnait que la Décision sous contrôle est la décision rendue par Mme Cossette le 5 septembre 2019 abordant sa Deuxième demande d’allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Cependant, en demandant les documents et informations énumérés aux points 5e), 5f) et 5g), le demandeur cherche à établir un vice d’équité au cours de sa Demande d’allègement antérieure en vertu d’un article distinct de la Loi (le paragraphe 152(4.2)) et de sa demande de contrôle judiciaire distincte déposée le 29 décembre 2014. Il explique que la question de la connaissance par l’ARC et les représentants du Ministère de la justice du fait qu’il avait transmis les pièces justificatives au PDV en 2004 est pertinente pour le présent contrôle judiciaire.

[26] Dans son Avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur allègue simplement que la Décision « démontre un manque flagrant de considération chez l’ARC pour l’équité et le droit ». Au cours de sa plaidoirie, le demandeur a précisé que Mme Groleau et Mme Cossette ont violé son droit à l’équité procédurale lors de leurs examens et leur traitement de sa Deuxième demande d’allègement. Il déclare que les deux représentantes de l’ARC ont erré en omettant d’entreprendre des recherches pour déterminer la connaissance qu’avaient les représentants de l’ARC et du Ministère de la justice en 2014-2016 de la réception des pièces justificatives par le PDV vers la fin de 2004. Le demandeur soutient que le juge du fond de la présente demande de contrôle judiciaire a besoin de connaître les démarches entreprises par Mme Cossette en ce qui concerne la conduite passée de l’ARC. Selon le demandeur, la décideuse dans un programme d’allègement fondé sur un principe de traitement équitable ne peut pas regarder ailleurs quand l’ARC fait des représentations qui ne correspondent pas aux faits.

[27] Je ne suis pas d’accord et je rejette les arguments du demandeur. Son argument principal selon lequel un deuxième manquement à l’équité procédurale a été commis au cours de l’examen de sa Deuxième demande d’allègement n’est pas convaincant.

[28] La Règle 317 n’a pas pour objectif de faciliter la divulgation des documents et des informations entre les mains d’un décideur (Canada (Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 CAF 153 au para 10). Même si une partie allègue un vice de procédure, cela ne lui permettra pas « de se livrer à une recherche à l’aveuglette dans l'espoir de trouver des documents permettant d’établir le bien-fondé de la demande » (Humane Society of Canada Foundation c Canada (Ministre du Revenu national), 2018 CAF 66 au para 8 (Humane Society of Canada); Maax Bath Inc. c Almag Aluminum Inc., 2009 CAF 204 au para 15).

[29] Le demandeur affirme dans son dossier de requête que les documents demandés aux points 5c) à 5g) « permettent de soulever des vices de procédure » car ils font état de « la connaissance qu’avaient les représentants de la défenderesse » de la documentation transmise par le demandeur. Toutefois, il ne présente aucun élément de preuve pour étayer ses allégations quant à l’existence de vices de procédure dans l’examen au deuxième palier de sa Deuxième demande d’allègement. Il se fie entièrement à son avis selon lequel Mme Groleau et Mme Cossette auraient dû mener une enquête additionnelle sur les actes de l’ARC et de ses représentants en 2014-2016. La jurisprudence est constante : il incombe à la partie qui exige une divulgation plus complète de présenter des éléments de preuve qui justifient sa demande (Access Information Agency au para 21).

[30] Le DCT nous montre que Mme Groleau a préparé un rapport détaillé dans lequel elle a décrit la longue histoire du dossier de M. Ford pour les années d’imposition 2000-2002. Elle a abordé les arguments du représentant de M. Ford à l’appui de sa Deuxième demande d’allègement, incluant son insistance sur le fait que l’ARC et ses représentants ont induit les Cours fédérales en erreur en prétendant que le demandeur n’a jamais déposé les pièces justificatives concernant ses pertes locatives. Mme Groleau a également noté les commentaires de l’avocat du demandeur à ce sujet. Elle a informé l’avocat que l’examen de la Deuxième demande d’allègement se limitait aux arriérés d’intérêt et ne s’étendait pas aux circonstances ou à la conduite des personnes impliquées dans la Demande d’allègement antérieure.

[31] À son tour, Mme Cossette a pris en compte les notes et la recommandation de Mme Groleau. Elle a aussi consulté les documents du PDV. Mme Cossette était bien consciente de la préoccupation du demandeur concernant la conduite reprochée à l’ARC et aux représentants du Ministère de la justice.

[32] Qui plus est, l’ARC et Mme Cossette ont reconnu que le PDV avait reçu les pièces justificatives en 2004. Mme Cossette traite la question des pièces justificatives et de leur pertinence dans le cadre de la Deuxième demande d’allègement dans la Décision :

[Traduction] Dans l’arrêt de la Cour fédérale daté du 10 septembre 2015, on mentionne que la Section de la vérification s’est adressée à vous à maintes reprises, de même qu’à la personne vous représentant, afin que vous lui fournissiez les documents justificatifs demandés. Or, elle n’a obtenu aucune réponse. Même si les documents ont été transmis précédemment au Programme des divulgations volontaires, on vous les a renvoyés. La Section de la vérification avait besoin de ces documents, de même que d’autres documents justificatifs, pour approuver les modifications demandées à vos déclarations de revenus. Vous avez été de nouveau prié de nous fournir ces documents afin de pouvoir traiter votre première et votre deuxième demande d’allègement, mais, encore une fois, nous n’avons obtenu aucune réponse de votre part ni de celle de la personne vous représentant. Étant donné que vous n’avez pas fourni les documents demandés par l’Agence pour étayer vos demandes, les modifications en question sont refusées. [Mon soulignement]

[33] L’exception invoquée par le demandeur repose sur la nécessité d’assurer un contrôle judiciaire valable, de sorte que « lorsqu’un motif de contrôle défendable ne peut être établi qu'à partir d'éléments de preuve qui ne figurent pas au dossier du décideur administratif, la preuve est recevable » (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 98 (Tsleil-Waututh)). Le manquement à l’équité allégué par le demandeur est spécifique : la portée trop étroite des examens du dossier de l’ARC entrepris par Mme Groleau et Mme Cossette. Malgré cet extrait de la Décision, le demandeur n’explique pas pourquoi il croit que la divulgation de documents qui font état de la connaissance par les représentants de l’ARC de la documentation transmise en 2004 est pertinente et nécessaire afin d’assurer un contrôle judiciaire valable.

[34] Je constate aussi que la demande de documents au point 5e) ne contient aucune précision. Le demandeur demande tous les documents qui font mention de la documentation qu’il a fournie à l’ARC depuis presque 20 ans. La demande ne permet pas d’identifier des documents particuliers relatifs à sa demande. N’étant pas assez spécifique et trop générale, la demande impose un fardeau déraisonnable à l’ARC.

[35] En dernier lieu, les informations demandées aux points 5f) et 5g), soit l’identité et la fonction de certains représentants de l’ARC et du Ministère de la justice, ne sont ni des documents ni des matériaux prévus par la Règle 317. Ces demandes sont, à leur face, une recherche à l’aveuglette et un usage détourné de la Règle. La Règle 317 ne peut pas servir à des fins exploratoires.

[36] En résumé, je conclus que le demandeur cherche à utiliser la Règle 317 pour servir la même fonction que la communication de la preuve dans une action (Tsleil-Waututh au para 115). Une simple allégation de vice procédural ne justifie pas une ordonnance de production qui autoriserait le demandeur à obtenir des renseignements à l’aveuglette dans le but d’essayer de trouver des éléments qui appuieraient cette allégation (Humane Society au para 12). En plus, le demandeur n’a pas déposé de preuve justifiant sa demande. Je ne suis pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel il s’agit d’un des cas exceptionnels où il faut divulguer des documents qui n’ont pas été consultés par le décideur afin de déceler des vices de procédure. La portée des recherches entreprises par Mme Groleau et Mme Cossette ressort clairement du DCT. Le juge du fond de cette demande de contrôle judiciaire dispose déjà des éléments de preuve nécessaires afin de considérer l’argument du demandeur contestant la suffisance des recherches de Mme Cossette.

VI. Conclusion

[37] Pour tous les motifs susmentionnés, je rejette la Requête.

[38] Le demandeur conteste aussi l’argument du défendeur selon lequel les documents visés aux points 5e) et 5g) sont protégés par le secret professionnel et par le privilège du litige. Il n’est pas nécessaire que je traite cette deuxième question compte tenu de mes conclusions que les documents demandés aux points 5e) à 5g) ne sont pas pertinents pour cette demande de contrôle judiciaire et que le demandeur n’a pas démontré que les documents visés aux points 5c) et 5d) existent.

[39] Avec le consentement des parties, l’intitulé de la présente cause est modifié pour désigner correctement le défendeur, à savoir le Procureur général du Canada.

[40] Le défendeur n’a pas demandé ses dépens et aucun n’est adjugé.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1632-19

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête du demandeurvisant à faire trancher les objections du défendeur quant à la communication de certains documents et informations demandés en vertu de la Règle 317 est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié afin d’indiquer que le Procureur général du Canada est le défendeur.

  3. Le tout sans frais.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1632-19

 

INTITULÉ :

GARY FORD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 avril 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Yacine Agnaou

Me Jeffrey Jabbour

 

Pour le demandeur

 

Louis Sébastien

Annie Laflamme

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dupuis Paquin

Avocats & conseillers d’affaires Inc.

Laval (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.