Date : 20240624
Dossier : IMM-7022-23
Référence : 2024 CF 974
Ottawa (Ontario), le 24 juin 2024
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
ENTRE :
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VITAL TWIZEYUMUKIZA, CHANTAL NTUKABABARE MARIE, HUGO TWIZEYUMUKIZA et ARMAND TWIZEYUMUKIZA |
demandeurs |
et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Les demandeurs sont Vital Twizeyumukiza, Chantal Ntukababare Marie [demanderesse associée], ainsi que leurs deux fils, Hugo Twizeyumukiza et Armand Twizeyumukiza [collectivement, les demandeurs].
[2] Les demandeurs déposent une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], le 11 mai 2023 [Décision]. La SAR a déterminé que les demandeurs n’ont pas pu se décharger de leur fardeau afin de prouver leurs identités. Les demandeurs soutiennent que la Décision de la SAR était entachée d’erreurs, puisque la SAR n’a pas admis la nouvelle preuve qui a été introduite pour combler l’assistance inefficace de leur ancien conseil.
[3] Malheureusement, les arguments qui ont été présentés par les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la Décision de la SAR était déraisonnable, et pour les motifs qui suivent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.
II. Faits
[4] En août 2018, à leur arrivée au Canada, les demandeurs s’étaient présentés à une entrevue menée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [Entrevue]. Suite à l’Entrevue, l’agent a conclu que les demandeurs ne pouvaient pas confirmer leurs identités.
[5] Le 22 février 2022, alors qu’ils étaient représentés par leur ancien conseil, les demandeurs ont comparu à une audience virtuelle devant la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SPR s’était d’abord prononcée sur l’identité des demandeurs aux fins de recevoir les témoignages. L’ancien conseil a confirmé que les documents qui se trouvaient devant la SPR formaient le dossier au complet. À l’audience de la SPR, les demandeurs ont répondu aux questions sur la crédibilité et l’authenticité de leurs documents, notamment les cartes d’identité, les passeports, l’attestation de mariage et les extraits de naissance. La SPR a également entendu les témoignages apportés par les demandeurs sur les incohérences qui se trouvaient au dossier, incluant celles reliées aux signatures, aux empreintes digitales et aux dates inscrites sur les documents d’identité.
[6] Le 8 mars 2022, la SPR a rendu sa décision après avoir mené une analyse de la preuve et les témoignages des demandeurs. La SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas pu se décharger de leur fardeau de preuve pour établir leurs identités.
III. Décision formant l’objet du litige
[7] Le 11 mai 2023, la SAR a rendu les motifs de sa Décision confirmant que les demandeurs ne se conformaient pas aux exigences prévues par l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], et les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-256 [Règles].
[8] Les demandeurs ont effectué un changement d’avocat [nouvelle avocate] à l’effet de déposer leur dossier d’appel devant la SAR. La nouvelle avocate avait inclus de nouveaux éléments en preuve qui n’étaient pas au dossier devant la SPR. Parmi les arguments qui ont été présentés à la SAR, la nouvelle avocate a allégué une faute découlant de l’assistance inefficace de l’ancien conseil.
[9] Les demandeurs allèguent que l’ancien conseil a négligé d’informer les demandeurs de leur obligation de fournir des documents d’identité à la SPR, en particulier l’acte de naissance de la demanderesse associée et la déclaration sous serment émise par la sœur de la demanderesse associée. La nouvelle avocate a plaidé que la nouvelle preuve était recevable puisque les éléments présentés se conformaient aux exigences pour l’admissibilité en preuve prévue par le paragraphe 110(4) de la LIPR.
[10] Les demandeurs ont également plaidé que dans l’éventualité où la SAR remet en doute la crédibilité de l’acte de naissance, la SAR avait une obligation de tenir une audience pour permettre à la sœur de la demanderesse associée d’apporter un témoignage, en s’appuyant sur le paragraphe 110(6) de la LIPR, la disposition relative à la tenue d’audience devant la SAR.
[11] En fin de compte, la nouvelle preuve présentée par la nouvelle avocate était jugée inadmissible puisque la SAR a déterminé que les éléments n’étaient pas conformes au paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR a exercé son pouvoir discrétionnaire pour décliner la demande d’audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR. Finalement, la SAR a considéré la preuve qui était au dossier insuffisante pour reconnaître que la conduite de l’ancien conseil était incompétente.
IV. Question en litige
[12] La question en litige est de savoir si la Décision de la SAR est déraisonnable.
A. Dispositions législatives pertinentes
[13] Les dispositions pertinentes de la LIPR pour déterminer l’admissibilité de la nouvelle preuve et l’accord d’une audience par la SAR se trouvent aux paragraphes 110(3), 110(4), 110(5) et 110(6) de la LIPR, et sont reproduites ci-dessous:
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[14] La disposition pertinente que la SAR doit tenir compte, pour déterminer si un demandeur d’asile a établi son identité se trouve à l’article 106 de la LIPR, et est reproduite ci-dessous :
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[15] Finalement, la règle pertinente qui impose le fardeau au demandeur d’asile de transmettre les documents acceptables se trouve à la règle 11 des Règles:
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B. Norme de contrôle
[16] Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, vu qu’ils allèguent que la Décision de la SAR a porté atteinte à leur droit d’équité procédurale et à leur droit de justice naturelle. Pour les motifs ci-dessous, je ne traite pas des questions en litige sous l’optique d’une question d’équité procédurale.
[17] Il s’agit donc d’une révision appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 aux para 10, 25 [Vavilov]). Pour éviter l’intervention judiciaire, une décision doit faire preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).
[18] Premièrement, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’une révision de l’interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR attire la norme de la décision raisonnable. En respectant l’intention du législateur, la Cour respectera le pouvoir discrétionnaire qui a été attribué à la SPR et la SAR d’interpréter sa propre loi constitutive (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230, Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385).
[19] Deuxièmement, l’autorité actuelle de la jurisprudence reconnaît que la norme du caractère raisonnable s’applique lorsque la Cour révise une décision portant sur l’assistance inefficace d’un conseil, ou l’incompétence d’un avocat (Macias Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 736 aux para 16-17; Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 au para 24; Tapia Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 889 au para 21; R c GDB, 2000 CSC 22 au para 27).
V. Analyse
[20] Les demandeurs présentent essentiellement trois arguments devant la Cour.
[21] Premièrement, les demandeurs allèguent que la SAR a erré dans son application des règles pour déterminer l’admissibilité de la nouvelle preuve en vertu de l’article 110(4) de la LIPR, surtout en ce qui concerne l’autorisation de circulation. Les demandeurs allèguent ensuite que la SAR a erré dans son application du test reconnu par la jurisprudence pour reconnaitre l’assistance inefficace de l’ancien conseil. Finalement, les demandeurs allèguent que la SAR a erré en rejetant la demande d’une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR, dans le cas où la SAR remettait en doute la nouvelle preuve présentée afin de permettre à la sœur de la demanderesse d’apporter un témoignage corroborant l’authenticité de l’acte de naissance qui était présenté pour la première fois devant la SAR
[22] Selon le défendeur, la SAR n’a pas rendu une décision déraisonnable puisqu’elle a effectué une appréciation factuelle, en se basant sur l’ensemble des éléments de preuve qui étaient devant le tribunal, pour conclure que les demandeurs n’ont pas pu se décharger de leur fardeau d’établir leurs identités en vertu de l’article 106 de la LIPR.
A. Appréciation de la preuve par la SAR
[23] À l’audience, les demandeurs expliquent que l’autorisation spéciale de circulation est un laissez-passer entre les pays limitrophes du Burundi. Les demandeurs plaident qu’il était déraisonnable pour la SAR d’avoir jugé que ce document n’était pas crédible malgré la faute de la SPR de ne pas avoir trouvé de données biométriques dans l’autorisation spéciale de circulation, alors qu’il y en avait. Les demandeurs disent ne pas comprendre comment la SAR avait exclu l’autorisation circulaire, puisque la SAR semblait avoir reconnu l’erreur de la SPR.
[24] Pourtant, les motifs de la SAR sont clairs. Je suis d’accord avec les demandeurs que la SAR a reconnu l’erreur de la SPR. Or, je remarque aussi que la SAR a fait une évaluation indépendante pour conclure que le document d’autorisation de circulation n’était pas un élément qui pouvait être considéré en isolation, et que « ce document n’est pas suffisant, à lui seul, pour établir »
la citoyenneté burundaise. En fin compte, je remarque aussi que la SAR a évalué cet élément de preuve par elle-même et a accordé un « certain poids »
à l’autorisation circulaire.
[25] Pour satisfaire à la norme raisonnable, les motifs rédigés par un décideur administratif doivent matérialiser le fil conducteur qui permet à la Cour de comprendre les liens sur lesquelles le décideur administratif s’était reposé pour arriver à sa conclusion. La Cour ne doit jamais être en position de deviner comment le décideur est arrivé à son résultat. Sur cette base, je conclus que la SAR a rendu des motifs clairs permettant à la Cour de comprendre que la preuve d’autorisation de circulation n’était pas le seul élément qui entrait en jeu dans l’évaluation de la preuve qui a mené au résultat que les demandeurs n’ont pas pu établir leurs identités en vertu de l’article 106 de la LIPR (Vavilov au para 84). La Cour n’interviendra pas dans ce contexte, puisqu’une telle intervention exigerait que la Cour réévalue la preuve, ce que je ne peux faire.
B. Allégations contre l’ancien conseil
[26] Les demandeurs reprochent l’ancien conseil d’avoir négligé la soumission des documents devant la SPR, aboutissant à un dossier qui manquait d’éléments de preuve (c’est-à-dire l’acte de naissance et la déclaration sous serment émise par la sœur de la demanderesse associée). Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré dans l’application du test jurisprudentiel pour reconnaître l’assistance inefficace de l’ancien conseil. Les demandeurs allèguent que la SAR aurait dû tenir en compte que l’assistance inefficace était la source de la preuve inadéquate qui formait le dossier devant la SPR.
[27] En contrôle judiciaire devant la Cour, les demandeurs plaident principalement que la SAR n’a pas appliqué le volet du déni à la justice en analysant le sujet de l’assistance inefficace de l’ancien conseil. Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Discua c Canada (Citioyenneté et Immigration), 2023 CF 137 [Discua]. Les demandeurs font valoir que le manquement de l’ancien conseil porte sur l’élément de leur identité, qu’il aurait dû reconnaître comme étant primordiale.
[28] La Cour dans Discua résume les principes portant sur l’identité d’un demandeur d’asile comme « un élément primordial de toute demande d’asile »
et il est essentiel pour toute personne de prouver son identité. Sans cette preuve, il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur. Le défaut de prouver l’identité entraînera le rejet de la demande d’asile (Discua au para 58, les autres citations jurisprudentielles sont omises).
[29] Selon le défendeur, l’absence des éléments de preuve ne peut être une faute entièrement attribuable à l’ancien conseil. Le défendeur soutient, comme la SAR a conclu, qu’une « simple lecture (du) FDA permettait de comprendre (une) telle obligation (des demandeurs) d’obtenir et de transmettre, sans délai, toutes (les) pièces d’identité »
, et que les demandeurs avaient eu la possibilité, au moment de l’audience devant la SPR, d’expliquer la preuve quant à l’identité. Dans Discua au paragraphe 30, la Cour a énoncé le cadre applicable pour l’analyse d’une allégation sur l’incompétence d’un ancien avocat.
[30] Lorsque je me fie sur les motifs de la SAR, il est clair que la SAR a pris en compte les arguments des demandeurs sur l’assistance inefficace de leur ancien conseil, et que la SAR a compris le test qui s’applique aux allégations au sujet d’une incompétence de l’ancien conseil. Je suis d’avis que la SAR a identifié le volet déterminatif du test à l’issue qui exigeait de déterminer si les demandeurs ont pu démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat aurait été différent, n’eût été l’incompétence de leur ancien conseil (Discua au para 76).
[31] Le test requis par la jurisprudence est un test cumulatif, ce qui veut dire que les demandeurs ont le fardeau de prouver tous les éléments du test afin que la Cour puisse reconnaître une incompétence. Comme les demandeurs n’ont pas pu prouver un volet du test requis, on ne peut donc pas conclure que l’incompétence de l’ancien conseil a mené à un déni à la justice (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11; Discua au para 30). La SAR a conclu que même en acceptant l’allégation sur l’assistance inefficace de l’ancien conseil, le fait de fournir les documents n’aurait pas nécessairement aboutit à la demanderesse associée d’établir son identité en vertu de l’article 106 de la LIPR. La SAR n’était pas satisfaite que cette omission ait eu un impact sur la décision finale.
[32] En arrivant à sa conclusion sur l’identité, la SAR a considéré que la preuve au dossier devant la SPR se contredisait à plusieurs endroits. Ceci comprenait l’information fournie par les demandeurs durant l’Entrevue et leur témoignage. La preuve orale que les demandeurs ont présentée avait confirmé que certains documents devant la SPR avaient été obtenus de façon frauduleuse ou irrégulière. La SPR et la SAR avaient aussi considéré d’autres documents qui souffraient de lacunes, et conséquemment minaient la crédibilité sur l’ensemble de la preuve soumise par les demandeurs. Les demandeurs avaient aussi confirmé que les signatures digitales sur les documents ne leur appartenaient pas, et que la signature sur la carte d’identité de la demanderesse associée ne correspondait pas à celle qui se trouvait dans son Fondement de demande d’asile [FDA].
[33] Les motifs de la SAR étayaient clairement sa conclusion et je ne peux conclure que la Décision de SAR était déraisonnable à cet égard.
C. Connaissance spécialisée
[34] Les demandeurs allèguent que la SAR a erré en écartant la preuve sur la base d’une connaissance spécialisée, en vertu de la règle 24 des Règles. Selon les demandeurs, pour écarter une preuve présentée pour la toute première fois, dont une nouvelle preuve, la SAR devrait reconnaitre le droit des demandeurs à une audience, ou au moins un préavis, afin que la sœur de la demanderesse associée puisse corroborer l’identité de la demanderesse associée.
[35] Les demandeurs dirigent la Cour vers le paragraphe 27 de Décision de la SAR. À cet endroit, la SAR a expliqué les raisons pour lesquelles le document n’était « pas crédible ou digne de foi »
. Sur cette base, les demandeurs prétendent que la SAR s’était fiée sur sa connaissance spécialisée. En revanche, le défendeur soutient que la SAR ne s’était pas fiée sur la connaissance spécialisée, mais plutôt sur le fait que la preuve ne portait pas sur des faits survenus après le rejet des demandes d’asiles.
[36] Le rôle de la Cour en révision judiciaire est de lire les motifs de la SAR dans son ensemble afin de déterminer si le raisonnement aboutissant à la décision n’était pas déraisonnable (Vavilov au para 85). La SAR a exclu l’acte de naissance en se basant à la fois sur le fait que le document n’était pas crédible ou digne de foi, mais aussi sur le fait que le document était normalement accessible avant l’audience de la SPR et qu’il s’agissait d’une preuve sur des évènements qui sont survenus après la date que la SPR avait rendu sa décision. L’accessibilité de l’acte de naissance, et le fait que la preuve décrivait un évènement qui a eu lieu avant la décision de la SPR ne sont pas des faits contestés.
[37] La SAR a pris en considération les arguments des demandeurs au sujet de l’incompétence de leur ancien conseil sur qui le blâme a été placé pour la preuve manquante. La SAR a également considéré les autres formulaires soumis par les demandeurs, et le fait que la demanderesse associée avait confirmé qu’elle savait lire le français et comprenait le contenu du formulaire.
[38] La SAR a conclu que, même si l’ancien conseil n’avait pas informé les demandeurs de leur obligation de fournir ce document pour établir l’identité de la demanderesse associée, le formulaire du FDA donnait la possibilité aux demandeurs de comprendre leur obligation de fournir des documents corroborant leurs identités. Pour les raisons précitées, je ne retiens pas les arguments des demandeurs qui me demandent de réévaluer la preuve, et de remplacer ma propre conclusion pour celle de la SAR.
D. Audience devant la SAR
[39] Je suis sympathique à la position des demandeurs qui ont demandé une audience devant la SAR. Néanmoins, en contrôle judiciaire, je dois considérer le raisonnement et les motifs rendus par la SAR pour déterminer si son application du paragraphe 110(6) de la LIPR pour la tenue d’audience en appel était déraisonnable.
[40] Les paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR décrivent que la tenue d’audience lorsque la SAR admet une nouvelle preuve reste une question discrétionnaire. Par conséquent, on peut dire que la SAR jouit de la liberté d’exercer son pouvoir discrétionnaire, lequel lui est confié légalement par la LIPR, de décider de ne pas tenir une audience à la suite d’une soumission d’une nouvelle preuve. Dans le cas actuel, vu que la SAR n’a pas admis de nouvelle preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, et considérant les faits en l’espèce, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAR de décider qu’une audience, en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR, n’était pas appropriée dans les circonstances.
E. Aucune question d’équité procédurale
[41] Les demandeurs plaident devant la Cour que l’assistance inefficace de leur ancien conseil devant la SPR a eu pour effet d’avoir été privée de leur droit de soumettre leur dossier au complet devant SPR et la SAR. Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en n’ayant pas reconnu le déni de justice en raison de l’assistance inefficace de leur ancien conseil.
[42] À l’audience devant la Cour, les demandeurs clarifient qu’ils ne contestent pas exclusivement les motifs de la Décision rendue par la SAR, mais qu’ils contestent également la manière dont la procédure a eu lieu brimant leurs droits à l’équité procédurale. En d’autres termes, les demandeurs soutiennent que la SAR avait soulevé de nouvelles questions en matière de crédibilité, et qu’elle avait commis un manquement d’équité procédurale en cernant des arguments et raisonnements supplémentaires concernant les pièces d’identité (citant l’affaire Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 au para 21 [Kwakwa]).
[43] Dans l’affaire Kwakwa, la Cour a confirmé que la SAR doit donner l’occasion aux demandeurs de répondre aux préoccupations qui sont soulevées pour la première fois en appel dans le contexte d’un doute sur la crédibilité des pièces d’identité. Or, le cas en l’espèce se distingue de l’arrêt Kwakwa.
[44] Dans le cas en l’espèce, la SAR n’était pas allée au-delà des conclusions de la SPR ou n’avait pas étayé des conclusions d’invraisemblances défavorables aux demandeurs. Je détermine alors que la procédure qui a découlé devant la SAR n’a pas eu pour effet de porter atteinte aux droits d’équité procédurale des demandeurs.
[45] Le défendeur soutient que la Décision de la SAR a répondu aux questions qui ont été devant la SPR et la SAR, et que les demandeurs ont été au courant que la crédibilité des pièces d’identité était en jeu depuis le début. D’ailleurs la SAR a réitéré que la SPR avait pris en compte la preuve au dossier et les témoignages qui ont eu lieu à l’audience, pour arriver à sa décision. Selon le défendeur, il ne s’agit donc pas d’une « nouvelle question »
accordant le droit à un préavis ou une audience.
[46] Je retiens l’argument du défendeur. Malgré que j’ai considéré le raisonnement tel que présenté par les arguments des demandeurs, incluant celui au sujet de l’analyse par la SAR qui ne semblerait pas avoir tenu compte de l’erreur de la SPR de ne pas avoir trouvé de données biométriques dans « l’autorisation spéciale de circulation du Burundi »
, alors qu’il y en avait, je considère que les faits en l’espèce n’attirent pas une application de la norme de la décision correcte.
[47] Il est évident que la SAR explique pourquoi l’erreur de la SPR au sujet de ce document ne peut être analysée indépendamment des autres documents d’identité que les demandeurs avaient présentés devant la SPR. La SAR reconnaît que la SPR avait quand même reconnu un certain poids au document, mais que le document seul n’était pas suffisant afin d’établir l’identité du demandeur comme citoyen burundais et qu’il n’aurait pas le même poids par rapport à une carte nationale d’identité ou à un passeport. La SAR a conclu que l’erreur n’était pas suffisante pour mettre de côté la conclusion de la SPR. L’analyse de la SAR répond aux allégations mises d’avant par les demandeurs en appel. Je ne peux conclure qu’il s’agit d’une nouvelle question ou qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale.
VI. Conclusion
[48] En conclusion, la Décision de la SAR, et ses motifs, possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable et permettent à la Cour de comprendre le raisonnement adopté par la SAR aboutissant à sa décision. Je conclus que la Décision de la SAR était justifiée, au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 99). Pour les raisons précitées, je ne suis pas convaincue que l’intervention de la Cour s’impose puisque les demandeurs n’ont pas démontré que la Décision était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[49] Les parties n’ont pas soulevé une question à certifier, et je suis d’avis que les faits de ce dossier n’en soulèvent aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-7022-23
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-7022-23 |
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INTITULÉ :
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VITAL TWIZEYUMUKIZA, ET AL. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO) |
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 28 MAI 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS
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LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS :
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LE 24 JUIN 2024 |
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COMPARUTIONS :
Me Anabella Kananiye |
Pour les demandeurs
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Me Sarah Rajguru |
Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kananiye Law Office
Avocat(e)s
Ottawa (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
Pour le défendeur
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