Date : 20240628
Dossier : IMM-5253-23
Référence : 2024 CF 1016
Ottawa (Ontario), le 28 juin 2024
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
ENTRE :
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DIEGO FERNANDO MURILLO ARBOLEDA, MARIANA TARQUINO RICAURTE et LUZ ADRIANA RICAURTE LOPEZ |
Partie demanderesse |
et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Les demandeurs Diego Fernando Murillo Arboleda, Mariana Tarquino Ricaurte, Luz Adriana Ricaurte Lopez [demandeurs] ont déposé une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 29 mars 2023 [Décision], confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La question déterminante devant la SPR et la SAR était sur la possibilité de refuge intérieur [PRI].
[2] Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs suivants.
II. Question en litige et norme de contrôle
[3] La question principale est celle de savoir s’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter la demande d’asile en raison d’une PRI.
[4] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 25 [Vavilov]). Je suis du même avis que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée en l’espèce.
[5] Pour éviter l’intervention de la Cour en contrôle judiciaire, une décision doit faire preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126).
[6] La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable. Elle doit convaincre la Cour que la décision contestée « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov au para 100; Guerrero Jimenez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 175 au para 11).
III. Droit applicable
[7] La Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (CA), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam] a établi un test à deux volets pour déterminer s’il existe une PRI.
[8] Dans l’arrêt Rasaratnam, ainsi que dans l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589, la Cour d’appel fédérale a formulé deux volets qui permettent de déterminer si un demandeur d’asile peut se prévaloir d’une PRI (Rodriguez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 426 au para 37):
• Il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté (au titre de l’article 96 de la LIPR), ou qu’il ne soit pas exposé à un danger ou à un risque au titre de l’article 97 de la LIPR (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la région où la PRI est envisagée;
• Les conditions qui ont cours dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, qu’il y trouve refuge.
[9] La barre est très haute pour atteindre le seuil du caractère déraisonnable. Un demandeur d’asile a le fardeau de démontrer, à l’aide d’une preuve réelle et concrète, l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité advenant sa relocalisation dans les PRI proposées (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (CA), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 au para 15).
IV. Analyse
[10] Selon les demandeurs, les motifs de la SAR sont intelligibles et insuffisants puisque la SAR n’était pas attentive à la question qui lui était soumise (Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 20 [Alexion]; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 147 aux para 21-22 [Singh]). Les demandeurs soutiennent que la SAR a omis d’évaluer la crainte que le demandeur a identifiée - le risque associé avec son profil de leader social et/ou syndical dans le contexte de l’évaluation du PRI. Également, le demandeur soutient que la SAR a omis de fournir des motifs qui permettent aux parties de comprendre son analyse du paragraphe 97(1) de la LIPR.
[11] La SAR a l’obligation d’entreprendre une évaluation indépendante du dossier qui lui est présenté (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2016] 4 RCF 157; Oyadeyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1159 au para 11). La SAR doit évaluer le processus de la SPR, ainsi que les conclusions clés et déterminantes afin de parvenir à ses propres conclusions.
[12] Le défendeur soutient que la Décision est raisonnable à la lumière d’une lecture des motifs dans son ensemble. Selon le défendeur, l’argument des demandeurs, quant à leur crainte en raison de son profil en tant que leader social et/ou syndical, n’a pas été présenté devant la SAR. Pour cette raison, le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas traiter cet argument.
[13] Par contre, en me référant aux soumissions des demandeurs présentées devant la SAR, je constate que les demandeurs ont en effet contesté la décision de la SPR qui a déterminé que les demandeurs « ne sont pas ciblés […] en raison du profil du demandeur en tant que leader social et/ou syndical »
. Il s’agit donc d’une question qui a bien été portée en appel devant la SAR.
[14] Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en ayant omis de considérer les soumissions quant à la crainte en raison du profil du demandeur comme leader social et/ou syndical, et en ce sens la SAR a omis une question clé dans son analyse de la PRI. Les demandeurs allèguent que cette omission de la SAR a rendu la Décision déraisonnable.
[15] Je suis d’accord avec les demandeurs. En appliquant les principes du contrôle judiciaire, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander si la SAR était effectivement attentive et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov au para 128).
[16] Dans Alexion, la Cour d’appel fédérale a énoncé qu’un tribunal « doit s’assurer qu’une explication valable peut être discernée sur les questions clés – les questions qui détermineront l’issue de l’affaire et les questions de première importance soulevées dans les prétentions des parties »
(Alexion au para 70).
[17] Le profil d’un demandeur et les caractéristiques des agents de persécution sont des facteurs importants dans l’analyse d’une PRI (Montano Alarcon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 395 au para 48). Les motifs de la SAR doivent donc être suffisamment clairs pour comprendre comment ces faits ont été évalués lors de l’analyse d’une PRI.
[18] Dans le cas en l’espèce, quoique les motifs de la SAR démontrent qu’elle a tranché la question des craintes « en raison de ses dénonciations à la police »
et « en raison (de) son défaut d’obtempérer aux demandes »
, la crainte « en raison de son profil »
n’a pas été abordée.
[19] Dans l’arrêt Singh au paragraphe 22, la Cour clarifie que « les questions clés englobent ce qui constitue l’élément essentiel ou substantiel des soumissions d’une partie, ce qui forme en fait le fondement sur lequel un demandeur ancre son recours »
. La SAR doit faire plus que de « se contenter de citer le libellé, de résumer les arguments et de régurgiter les phrases standard »
, tel que souligné par le juge Diner dans Galusic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 223 au paragraphe 42. La jurisprudence le confirme, la SAR doit aller au-delà de simplement réciter ce que la SPR a conclu sur cette question clé, ce qu’elle a fait ici.
[20] Certainement, la Cour convient qu’il n’est pas nécessaire que la SAR produise des longues conclusions dans ses motifs. Or les motifs de la SAR sur un point central du litige doivent permettre aux parties de suffisamment comprendre son raisonnement au sujet des questions clés qui ont été soulevées. Le « caractère raisonnable »
n’est pas synonyme de « motifs abondants »
: une justification simple et concise pourrait parfois faire l’affaire (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17).
[21] En l’espèce, je conclus que la Décision est déraisonnable puisque la SAR a omis d’évaluer le risque de persécution en raison du profil du demandeur principal, un argument clé que les demandeurs ont soumis devant la SAR. Ce risque est pertinent au sein de l’évaluation de la PRI. Par conséquent, la Décision ne rencontre pas les exigences de la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 93, 103, 104).
V. Conclusion
[22] Pour les motifs précités, j’accueille la demande de contrôle judiciaire. En ayant conclu que les motifs de la SAR sur une question clé étaient déterminants, il n’est pas nécessaire que je traite les autres arguments pour accueillir la demande de contrôle judiciaire.
[23] Les parties n’ont pas soulevé de questions à certifier, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.
JUGEMENT dans IMM-5253-23
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
Il n’y a pas de question à certifier.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5253-23 |
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INTITULÉ :
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DIEGO FERNANDO MURILLO ARBOLEDA, ET AL. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 MAI 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS
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LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 28 JUIN 2024 |
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COMPARUTIONS :
Fabiola Ferreyra Coral |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Yael Levy |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ROA Services Juridiques Avocat(e)s Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
|
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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