Ottawa (Ontario), le 10 février 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire selon le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 « la LIPR » à l'encontre d'une décision de l'agente des visas, refusant la résidence permanente à la demanderesse en raison de l'état de santé (autisme) de sa fille Djéna, son admission au Canada risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé selon le paragraphe 38(1) de la LIPR.
[2] La demanderesse, qui réside présentement à Montréal, s'est vue refuser le 3 mai 2005 la résidence permanente au Canada via l'ambassade du Canada à Paris, la demanderesse étant une ressortissante de la Martinique, un département français.
[3] Préalablement toutefois au prononcé de la décision de l'agente des visas, l'ambassade avait accordé 90 jours à la demanderesse via une lettre d'équité « Fairness Letter » pour lui soumettre de la preuve et des observations à l'encontre de la déclaration médicale de l'officier médical de l'ambassade, le Dr Shaun Gollish, qui émettait un pronostic selon lequel l'admission de Djéna au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif.
[4] En janvier 2005, la demanderesse faisait effectivement parvenir à l'ambassade des documents supplémentaires quant à la condition médicale de sa fille Djéna. Ces documents furent transmis au Dr Gollish qui concluait que les preuves additionnelles fournies par la demanderesse ne permettaient pas de renverser son premier pronostic et la conclusion de fardeau excessif.
[5] C'est après une revue de l'ensemble de la preuve au dossier de la demanderesse et du pronostic du Dr Gollish que l'agente des visas statuait, le 3 mai 2005, quant au rejet de la demande de résidence permanente de la demanderesse.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[6] Les dispositions législatives et réglementaires suivantes sont celles pertinentes aux fins du présent dossier. L'article 42 et le paragraphe 38(1) de la LIPR prévoient ce qui suit :
Inadmissibilité familiale
42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :
a) l'interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l'accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l'accompagne pas;
b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.
Motifs sanitaires
38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l'état de santé de l'étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.
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Inadmissible family member
42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if
(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or
(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.
...
Health grounds
38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition
(a) is likely to be a danger to public health;
(b) is likely to be a danger to public safety; or
(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.
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[7] Les articles 20 et 34 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, « le Règlement » , prévoient ce qui suit :
Évaluation pour motifs sanitaires
20. L'agent chargé du contrôle conclut à l'interdiction de territoire de l'étranger pour motifs sanitaires si, à l'issue d'une évaluation, l'agent chargé de l'application des articles 29 à 34 a conclu que l'état de santé de l'étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d'entraîner un fardeau excessif.
Fardeau excessif
34. Pour décider si l'état de santé de l'étranger risque d'entraîner un fardeau excessif, l'agent tient compte de ce qui suit :
a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l'étranger;
b) toute maladie détectée lors de la visite médicale.
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Assessment of inadmissibility on health grounds
20. An officer shall determine that a foreign national is inadmissible on health grounds if an assessment of their health condition has been made by an officer who is responsible for the application of sections 29 to 34 and the officer concluded that the foreign national's health condition is likely to be a danger to public health or public safety or might reasonably be expected to cause excessive demand.
Excessive demand
34. Before concluding whether a foreign national's health condition might reasonably be expected to cause excessive demand, an officer who is assessing the foreign national's health condition shall consider
(a) any reports made by a health practitioner or medical laboratory with respect to the foreign national; and
(b) any condition identified by the medical examination.
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QUESTIONS EN LITIGE
1. Le rapport du Dr Billon a-t-il été considéré par l'officier médical?
2. La demanderesse avait-elle droit à une attente légitime?
3. L'agente des visas a-t-elle formé sa propre opinion?
4. L'agente des visas a-t-elle erré en droit en déterminant que Djéna constitue un « fardeau excessif » ?
LA NORME DE CONTRÔLE
[8] La question de l'attente légitime a été définie comme le prolongement des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale, Renvoi Relatif au Régime d'Assistance Publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 557. Il a été établi dans S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, que la norme de contrôle ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de déterminer si les principes d'équité procédurale ont été suivis.
[9] Quant à la norme de contrôle applicable pour déterminer si l'agente des visas a erré, l'arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.S. no 58 (QL), a établi que la norme applicable est celle de la décision correcte lorsqu'il s'agit de l'interprétation du sous-alinéa 19(1)a)(ii) (maintenant le paragraphe 38(1)), c'est-à-dire, lorsqu'il s'agit de déterminer si l'état de santé de l'étranger constitue ou risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.
ANALYSE
1. Le rapport du Dr Billon a-t-il été considéré par l'officier médical?
[10] La demanderesse prétend que le certificat médical complémentaire du médecin traitant Djéna, Dr Billon (qu'elle a soumis à titre de preuve supplémentaire suite à la lettre d'équité du 10 novembre 2004 de l'ambassade), n'a pas été considéré.
[11] Selon moi, l'argument de la demanderesse doit être rejeté pour deux motifs. En premier lieu, toutes les conclusions tirées par le Dr Gollish prenaient appui sur l'ensemble de la preuve supplémentaire déposée par la demanderesse, y compris le rapport du Dr Billon. De fait, il y a plutôt convergence entre les conclusions médicales du Dr Billon et du Dr Gollish. En second lieu, le rapport du Dr Gollish n'a ni contredit ni rejeté le rapport du Dr Billon. Celui-ci a plutôt évalué la condition de Djéna en tenant compte de sa condition actuelle « autisme » et non de sa condition passée « épilepsie » laquelle de toute façon n'est pas à la base de la conclusion de fardeau excessif.
2. La demanderesse avait-elle droit à une attente légitime?
[12] La demanderesse prétend que l'agente des visas n'a pas tenu compte de l'attente légitime qu'avait la famille Juliard puisque celle-ci détenait un certificat de sélection du Québec ainsi qu'un certificat d'admissibilité au système scolaire du Québec pour Djéna.
[13] Selon moi, la prétention de la demanderesse n'est pas fondée puisque sa sélection par le Québec ne liait aucunement le gouvernement du Canada; alors que l'Accord Canada-Québec - Relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains le 5 février 1991 stipule ce qui suit :
12. Sous réserve des articles 13 à 20 :
a. Le Québec est seul responsable de la sélection des immigrants à destination de cette province et le Canada est seul responsable de l'admission des immigrants dans cette province.
b. Le Canada doit admettre tout immigrant à destination du Québec qui satisfait aux critères de sélection du Québec, si cet immigrant n'appartient pas à une catégorie inadmissible selon la loi fédérale.
[...]
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12. Subject to sections 13 to 20,
(a) Québec has sole responsibility for the selection of immigrants destined to that province and Canada has sole responsibility for the admission of immigrants to that province.
(b) Canada shall admit any immigrant destined to Québec who meets Québec's selection criteria, if the immigrant is not in an inadmissible class under the law of Canada. [...]
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[14] Or, Djéna a été jugée inadmissible en vertu de l'article 32 de la LIPR il ne saurait être question d'attente légitime.
[15] De plus, au Canada la doctrine de l'attente légitime ne confère aucun droit substantif, tel que visé en l'espèce par la demanderesse, mais fait partie de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle qui peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés: Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, para. 26.
3. L'agente des visas a-t-elle formé sa propre opinion?
[16] En considérant si l'état de santé d'un requérant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, l'agent des visas, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, doit considérer tous les éléments de preuve disponibles : Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1995] A.C.F. no 1127 (1ère inst.)(QL), para. 31.
[17] La demanderesse allègue que dans sa lettre de réponse, l'agente des visas n'a pas formé sa propre opinion, mais s'est contentée de se référer à l'opinion exprimée dans la lettre du Dr Gollish. Or, la demanderesse ne présente aucun motif pour soutenir cette allégation. Selon moi, l'agente des visas, ne voyant aucune erreur dans la déclaration médicale, a basé son opinion sur l'ensemble des éléments au dossier ainsi que la déclaration médicale du Dr Gollish pour conclure que la demanderesse était inadmissible.
4. L'agente des visas a-t-elle erré en droit en déterminant que Djéna constitue un « fardeau excessif » ?
[18] La demanderesse prétend que l'agente des visas a erré en ne tenant pas compte relativement à la question du fardeau excessif, de la situation financière de la famille Juliard qui serait probablement en mesure de défrayer les coûts des services requis par Djéna. En d'autres termes, la famille Juliard contribuera elle-même à réduire les coûts additionnels que devrait autrement assumer la collectivité en éducation et en soins pour sa fille autistique, et ceci, par exemple, par l'aide bénévole qu'apporterait la demanderesse à l'école l'Étincelle, aide qui pourrait fortement être évaluée monétairement et/ou par l'achat d'une police d'assurance privée.
[19] La demanderesse soutient que le but de la législation canadienne en matière d'immigration est de protéger la collectivité contre des coûts « certains » et « excessifs » associés aux besoins de soins de santé et services sociaux de certains nouveaux arrivants handicapés dans des situations spécifiques. En l'absence d'impact économique négatif sur le système des services sociaux, la législation ne prévoit aucune exclusion automatique des enfants autistiques.
[20] Il existait une jurisprudence abondante et contradictoire à savoir si les ressources financières familiales devaient être considérées ou non dans l'évaluation d'une demande d'immigration du même type. Le récent jugement de la Cour suprême du Canada dans Hilewitz, précité, met fin à ce débat.
[21] Hilewitz et de Jong ont présenté en leur nom et au nom de leur famille une demande de résidence permanente, respectivement dans la catégorie des « investisseurs » et dans celle des « travailleurs autonomes » . Les deux se sont vus refuser l'admission au motif que chacun avait un enfant dont la déficience intellectuelle « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux » au Canada sous-alinéa 19(1)a)(ii) (maintenant le paragraphe 38(1)).
[22] La Cour suprême concluait que la situation financière des familles des personnes à charge handicapées est un critère pertinent pour l'appréciation de l'incidence prévue de l'admission de ces personnes sur les services sociaux (Hilewitz, précité, para. 40). Ainsi, les agents des visas ont commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l'incidence possible de la volonté et de la capacité des familles d'apporter leur soutien financier (Hilewitz, précité, para. 70).
[23] La juge Abella, écrivant pour la Cour, remarquait qu'une analyse de l'histoire des dispositions législatives pertinentes indique que le législateur a l'intention de passer d'une politique d'exclusion basée sur des catégories à une politique requérant des évaluations individualisées (Hilewitz, précité, para. 53). Il appartient à l'agent des visas de déterminer s'il existe une « probabilité raisonnable » que l'état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Pour déterminer d'une manière réaliste en quoi consiste le fardeau, il faut tenir compte de la capacité et de la volonté du demandeur d'assumer le coût des services sociaux (Hilewitz, précité, para. 54).
[24] Au moment où ils ont présenté leur demande, les familles Hilewitz et de Jong avaient toutes deux exprimé leur intention d'inscrire leurs enfants à des écoles privées offrant une éducation spécialisée, ce qui rendait peu probable le recours aux services financés par l'État. M. Hilewitz a également exprimé l'intention d'acquérir une entreprise qui procurerait un emploi à son fils, ce qui éliminerait la nécessité de recourir à la formation professionnelle. Dans l'affaire Hilewitz, l'agente des visas elle-même a reconnu qu'il était « très improbable » que la famille Hilewitz ait recours à des services financés par l'État. En l'espèce, contrairement aux affaires précitées, la demanderesse a inscrit sa fille dans une école publique dès son arrivée au Canada. Quant aux services requis dans le futur, contrairement dans les cas Hilewitz et de Jong, jamais la demanderesse n'a invoqué qu'elle entendait faire appel au système d'éducation privé.
[25] Je rejette l'argument de la demanderesse à l'effet que sa fille ne constituerait pas présentement un fardeau excessif au motif que l'école de Djéna est une école publique financée par la municipalité de Montréal à même l'impôt foncier. Même dans l'éventualité où l'école serait exclusivement financée par la municipalité il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une école financée par les fonds publics. La preuve au dossier fournie par les deux affidavits du Dr Gollish permet d'établir que le coût excessif des services requis pour Djéna se situe actuellement autour de 15 000 $. De plus, tenir compte comme le suggère la demanderesse du travail bénévole de celle-ci à l'école, est purement spéculatif puisque rien dans la preuve n'aurait permis au Dr Gollish de quantifier le temps que celle-ci y alloue.
[26] En résumé, l'officier médical a procédé à une évaluation individualisée de la condition de Djéna en déterminant la nature, la gravité et la durée probable de la maladie de celle-ci tout en tenant compte de la disponibilité et du coût des services financés par l'État.
[27] Compte tenu de ce qui précède, je suis satisfaite qu'il a considéré tous les éléments décrits par la Cour suprême comme devant entrer en ligne de compte dans l'évaluation de fardeau excessif.
[28] Quant à l'application de l'arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, à mon avis, cet arrêt n'a pas d'incidence en l'espèce puisqu'il n'est pas ici question de soins de santé à l'égard de Djéna, mais bien principalement de services sociaux requis par cette dernière et fournis par une école d'enseignement publique au Québec. La possibilité de souscrire à une assurance privée pour des soins de santé n'a rien à voir avec l'éducation spécialisée en milieu scolaire.
[29] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3421-05
INTITULÉ : CATHERINE NEWTON-JULIARD
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal, Québec
DATE DE L'AUDIENCE : Le 1 février 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : Le 10 février 2006
COMPARUTIONS:
Me Terence R.J. McNamara
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POUR LE DEMANDEUR |
Me Mario Blanchard
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Malo Dansereau Association d'Avocats - Montréal
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ministère de la justice - Montréal
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POUR LE DÉFENDEUR |