Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la L.I.P.R) de la décision d'une agente d'examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 27 octobre 2004. Dans cette décision, l'agente d'ERAR a conclu que le demandeur n'était pas exposé à un risque de persécution, de torture, de menaces à sa vie, à des traitements ou des peines cruels et inusités ou à des sanctions s'il devait rentrer au Burkina Faso.
QUESTIONS EN LITIGE
[2] L'agente d'ERAR a-t-elle erré en droit en évaluant la preuve soumise par le demandeur et en rejetant sa demande?
CONCLUSION
[3] Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est négative et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
CONTEXTE FACTUEL
[4] Le demandeur est citoyen du Burkina-Faso. Il est arrivé au Canada en tant que footballeur au sein de l'équipe du Burkina-Faso lors des Jeux de la Francophonie qui ont eu lieu dans la région Ottawa-Hull en 2001.
[5] Le demandeur a présenté une demande d'asile lors de son passage au Canada. La demande était fondée sur ses opinions politiques imputées ou réelles et sur les activités politiques auxquelles il s'est livré. Sa demande a été entendue le 21 octobre 2003 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission) et elle fut rejetée par une décision datée du 10 mars 2004. Le demandeur n'en a pas demandé le contrôle judiciaire.
[6] Le demandeur a ensuite présenté une demande d'ERAR, qui fut rejetée le 27 octobre 2004. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
DÉCISION CONTESTÉE
[7] Au soutien de sa demande d'ERAR, le demandeur a présenté trois éléments de preuve documentaire, soit deux articles de presse et un Rapport sur l'état des droits humains au Burkina Faso préparé par le Mouvement Burkinabe des Droits de l'homme et des Peuples, couvrant la période 1996-2002.
[8] Deux de ces documents portaient une date antérieure à la date de la décision portant sur la demande d'asile du demandeur. Les documents étaient donc disponibles au moment où la demande d'asile a été faite. L'agente d'ERAR n'en a pas tenu compte en tant que nouveaux éléments de preuve, estimant que le demandeur n'avait pas fourni d'explication satisfaisante pour avoir fait défaut de les présenter lors de l'audition de sa demande d'asile. Des trois documents présentés par le demandeur, l'agente ERAR n'a donc tenu compte que d'un article de L'Observateur Paalga, dont la publication est postérieure à la décision rejetant la demande d'asile du demandeur.
[9] Dans cet article, sous le sous-titre « Reviendront ? Reviendront pas? » , le journaliste Cyrille Zoma écrit que les athlètes tels que le demandeur qui ont présenté des demandes d'asile lors de voyages officiels à l'étranger sont considérés comme des déserteurs et des traîtres. Il ajoute qu' « [...] ils aient ou non réussi sur leur terre d'accueil, ces personnes sont condamnées à y rester, car on imagine que l'État ne va pas leur dérouler le tapis rouge s'ils décidaient de regagner le bercail. Ils seront à coup sûr appelés à répondre de leurs actes et ils ne seront sûrement pas félicités pour avoir trahi la mère patrie. On s'empressera de les sanctionner pour l'exemple et pour décourager ceux-là qui pourraient nourrir des desseins identiques. Encore que s'ils échouent ils ne voudront pas affronter les railleries de ceux-là qui sont restés sur place. »
[10] Le demandeur a soutenu dans sa demande d'ERAR que le fait qu'il ait présenté sa demande d'asile alors qu'il représentait officiellement le Burkina Faso en tant que footballeur le place dans une situation particulièrement risquée. L'agente d'ERAR note que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) s'était penchée sur cette question dans les motifs de sa décision rejetant la demande d'asile du demandeur, et que l'article de L'Observateur Paalga était une « opinion piece » ne rapportant pas les intentions réelles du gouvernement vis-à-vis des personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur. Elle note également que bien que l'article mentionne la possibilité de l'imposition de sanctions exemplaires, cette preuve était insuffisante pour la convaincre que le demandeur faisait face à plus qu'une la simple possibilité de persécution, ou qu'il soit probable qu'il soit sujet à la torture, que sa vie soit en danger, ou qu'il soit soumis à des traitements et des peines cruels et inusités.
[11] En plus de l'article de L'Observateur Paalga, l'agente d'ERAR s'est également fondée sur la décision de la Commission, un rapport d'Amnesty International et un rapport du « Department of State » américain. À partir de l'ensemble de la preuve, elle a conclu que cette demande ne rencontrait pas les critères des articles 96 ou 97 de la LIPR.
ANALYSE
[12] La question en litige est une question mixte de droit et de fait, puisqu'il s'agit de décider si l'agente d'ERAR a correctement appliqué, dans l'ensemble, les règles de droit pertinentes aux faits qu'elle avait à considérer. La norme de contrôle applicable à la décision d'une agente d'ERAR qui implique des questions mixtes de droit et de fait est celle de la décision raisonnable simpliciter, lorsque la décision de l'agente ERAR est examinée dans sa totalité (Figurado c. Canada, [2005] A.C.F. no 458, au para 51). Cette norme de contrôle a été appliqué dans plusieurs décisions de la Cour (voir Kandiah v. Canada (Solicitor General), [2005] FC 1057, [2005] F.C.J. no 1307, au para. 6; Nadarajah v. Canada (Solicitor General), 2005 FC 713, [2005] F.C.J. no 895, au para. 13; Kim c. Canada (MCI), [2005] A.C.F. no. 540 (C.F. 1re inst.), au para. 22). Une décision déraisonnable est une décision qui ne peut pas résister à une analyse assez poussée (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, [2003] A.C.S. No. 17, au para. 25; Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. No. 116)).
[13] Dans les circonstances du présent dossier, je ne crois pas que la décision de l'agente d'ERAR est une décision ne pouvant pas résister à une analyse assez poussée.
[14] Dans le cadre d'une demande d'ERAR, le fardeau de la preuve repose sur la personne qui souhaite se voir conférer l'asile en vertu du paragraphe 114(1) de la LIPR (Hailu c. Canada (Solliciteur Général), 2005 CF 229, [2005] A.C.F. No. 268 aux paras. 18 et 22). C'est à cette personne qu'il appartient de faire la démonstration que l'asile devrait lui être accordé.
[15] Le demandeur a déposé deux affidavits auxquels étaient annexés des éléments additionnels de preuve qui ne figuraient pas au dossier qui fut présenté à l'agente d'ERAR. Ces pièces étaient inadmissibles devant l'agente d'ERAR, en vertu du paragraphe 113a) de la LIPR, ce que le demandeur n'a pas contesté. Elles sont tout aussi inadmissibles devant la Cour fédérale dans le cadre d'un contrôle judiciaire. À ce stade, seule la preuve à partir de laquelle la décision dont le contrôle est demandé a été prise doit être considérée, sauf exception (voir Smith c. Canada, 2001 CAF 86, [2001] A.C.F. No. 450 et Grundy c. Canada, 2005 FC 1312, [2005] F.C.J. No. 1593). Ni les demande d'ERAR, ni les demandes de révision judiciaire ne sauraient devenir des auditions de novo de la demande d'asile initiale du demandeur, qui a été refusée. En somme, la seule preuve dont la Cour fédérale dispose pour prendre sa décision est la même que celle qu'avait devant elle l'agente d'ERAR.
[16] En particulier, je note que le demandeur n'a soumis qu'un seul article de journal pour faire la preuve qu'il y a un risque qu'il soit exposé à de la persécution en cas de renvoi vers le Burkina Faso du fait qu'il est un joueur de soccer professionnel. Aucune preuve de l'importance, de l'influence ou du tirage quotidien de ce journal n'a été faite. Quant à l'allégation voulant que l'extrait tiré du journal constitue un appel au meurtre, elle n'est étayée d'aucune façon. Je remarque également que la preuve n'a pas été faite du lien existant entre ses opinions politiques ou son statut de joueur de soccer professionnel d'une part et la répression à laquelle il serait personnellement exposé d'autre part. Finalement, le lien entre l'extrait tiré du journal et la possibilité de persécution par l'État n'a pas été démontré.
[17] Je conclus donc que la conclusion de l'agente ERAR est fondée sur la preuve dont elle disposait et n'est pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de cette Cour. Il n'y a pas de preuve concluante démontrant que le demandeur serait exposé à un risque de persécution, de torture, de menaces à sa vie, à des traitements ou des peines cruels et inusités ou à des sanctions s'il devait rentrer au Burkina Faso, au sens du paragraphe 115(1) de la LIPR. La demande est donc rejetée.
[18] Les parties n'ont pas suggéré de questions à certifier. Aucune ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE :
- La demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.
JUGE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6267-04
INTITULÉ : SA BRAHIMA TRAORÉ c.
LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 5 décembre 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SIMON NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 5 décembre 2005
COMPARUTIONS:
Me Séverin Ndema-Moussa POUR LE DEMANDEUR
Me Alexandre Kaufman POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Séverin Ndema-Moussa
Ndema-Moussa Law Office
Ottawa (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)