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Date : 20060106

Dossier : T-751-05

Référence : 2006 CF 15

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

ET

ME NICOLE LAUZON, NOTAIRE

et

167835 CANADA INC.

et

ANANTHA KRISHNAN

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la défenderesse Lauzon en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. (1985), ch. F-7, telle que modifiée, afin d'obtenir la suspension de la présente instance devant notre Cour.

Contexte

[2]                Dans le présent dossier, la défenderesse Lauzon est une notaire en exercice qui a reçu du ministre du Revenu national (le ministre) en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loide l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), une demande péremptoire lui demandant de communiquer, sous peine de poursuites au pénal, des documents que cette dernière considère, après consultation avec la Chambre des notaires du Québec (la Chambre), comme des documents qui sont protégés par le secret professionnel des notaires.

[3]                Les présents motifs et l'ordonnance les accompagnant s'appliqueront mutatis mutandis au dossier T-394-05 où une situation similaire se présente.

[4]                À l'instigation de la Chambre, la défenderesse Lauzon a essentiellement refusé la production des documents et le 20 juin 2005 le ministre s'est adressé à la présente Cour par demande de contrôle judiciaire afin d'obtenir en vertu de l'article 231.7 de la Loi une ordonnance obligeant la défenderesse à lui fournir les documents recherchés. C'est cette demande de contrôle judiciaire que la défenderesse Lauzon désire suspendre.

[5]                Les articles précités de la Loi se lisent comme suit :

231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

231.2. (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

231.7. (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l'accès, l'aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s'il est convaincu de ce qui suit:

a) la personne n'a pas fourni l'accès, l'aide, les renseignements ou les documents bien qu'elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s'agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(2) La demande n'est entendue qu'une fois écoulés cinq jours francs après signification d'un avis de la demande à la personne à l'égard de laquelle l'ordonnance est demandée.

(3) Le juge peut imposer, à l'égard de l'ordonnance, les conditions qu'il estime indiquées.

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à une ordonnance peut être reconnu coupable d'outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l'ayant ainsi reconnu coupable.

(5) L'ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d'appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l'ordonnance. Toutefois, l'appel n'a pas pour effet de suspendre l'exécution de l'ordonnance, sauf ordonnance contraire d'un juge du tribunal saisi de l'appel.

231.7. (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

(2) An application under subsection (1) must not be heard before the end of five clear days from the day the notice of application is served on the person against whom the order is sought.

(3) A judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

(4) If a person fails or refuses to comply with an order, a judge may find the person in contempt of court and the person is subject to the processes and the punishments of the court to which the judge is appointed.

(5) An order by a judge under subsection (1) may be appealed to a court having appellate jurisdiction over decisions of the court to which the judge is appointed. An appeal does not suspend the execution of the order unless it is so ordered by a judge of the court to which the appeal is made.

[6]                Il est à noter que le paragraphe 232(1) de la Loi mentionne cependant une exception à l'obligation imposée par le paragraphe 231.2(1) et par l'article 231.7 de fournir tout renseignement ou de produire des documents sur demande du ministre. Cette exception est le « privilège des communications entre client et avocat » Le paragraphe 232(1) de la Loi se lit comme suit :

232. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« avocat » "lawyer"

« avocat » Dans la province de Québec, un avocat ou notaire et, dans toute autre province, un barrister ou un solicitor.

« fonctionnaire » "officer"

« fonctionnaire » Personne qui exerce les pouvoirs conférés par les articles 231.1 à 231.5.

« gardien » "custodian"

« gardien » Personne à la garde de qui un colis est confié conformément au paragraphe (3).

« juge » "judge"

« juge » Juge d'une cour supérieure compétente de la province où l'affaire prend naissance ou juge de la Cour fédérale.

« privilège des communications entre client et avocat » "solicitor-client privilege"

« privilège des communications entre client et avocat » Droit qu'une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l'application du présent article, un relevé comptable d'un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature.

[Non souligné dans l'original.]   

232. (1) In this section,

"custodian" « gardien »

"custodian" means a person in whose custody a package is placed pursuant to subsection 232(3);

"judge" « juge »

"judge" means a judge of a superior court having jurisdiction in the province where the matter arises or a judge of the Federal Court;

"lawyer" « avocat »

"lawyer" means, in the province of Quebec, an advocate or notary and, in any other province, a barrister or solicitor;

"officer" « fonctionnaire »

"officer" means a person acting under the authority conferred by or under sections 231.1 to 231.5;

"solicitor-client privilege" « privilège des communications entre client et avocat »

"solicitor-client privilege" means the right, if any, that a person has in a superior court in the province where the matter arises to refuse to disclose an oral or documentary communication on the ground that the communication is one passing between the person and the person's lawyer in professional confidence, except that for the purposes of this section an accounting record of a lawyer, including any supporting voucher or cheque, shall be deemed not to be such a communication.

[7]                Par ailleurs, comme plusieurs autres notaires ont également par le passé fait l'objet de demandes similaires du ministre, le 28 avril 2005, la Chambre instituait en Cour supérieure du Québec une requête introductive d'instance par laquelle elle demande à la Cour supérieure de déclarer inapplicables les articles 231.2, 231.7 et 232 de la Loi qui donnent lieu à des saisies ou perquisitions par voie de demandes péremptoires adressées à des notaires au motif qu'elles violent de manière flagrante le secret professionnel et l'indépendance des notaires ainsi que les obligations de discrétion et de loyauté dont ils sont redevables envers leurs clients, le tout en contravention de la Constitutiondu Canada et, notamment, des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[8]                Il est à remarquer qu'outre l'Agence des douanes et du revenu du Canada et le Procureur général du Canada, ont comparu devant la Cour supérieure, dans le cadre du recours de la Chambre, le Procureur général du Québec et le Barreau du Québec.

Analyse

[9]                Dans l'arrêt WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp., [1999] A.C.F. no 862, le juge Gibson, au paragraphe 12 de sa décision, mentionne ce qui suit quant au paragraphe 50(1) de la Loisur les Cours fédérales :

Les critères mentionnés au paragraphe 50(1) de la Loi sur la Courfédérale sont l'introduction d'une instance devant un autre tribunal et l'intérêt de la justice, mais je suis persuadé que ces critères englobent le risque de conclusions contradictoires, les frais excessifs et la répétition des procédures [Voir Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (1977), 77 C.P.R. (3d) 451 (C.F., 1re inst.).] Outre le fait que c'est l'action engagée en Alberta qui a une portée plus large que la présente action, et non l'inverse, je suis persuadé que les propos du juge Forget sont tout à fait applicables à la présente demande.

[10]            Si l'on transpose ces différents critères aux faits de l'espèce il m'appert que tous les faits essentiels et les motifs de droit invoqués dans la présente instance sont inclus dans le recours en Cour supérieure. Ce dernier recours présente un contexte, une portée plus large que celui de la présente instance et l'on ne peut exclure que le règlement de ce recours en Cour supérieure apportera un règlement rapide de la présente instance en notre Cour. De vouloir procéder à la fois en cette Cour et en Cour supérieure entraînerait à mon avis un risque de conclusions contradictoires, des frais excessifs et une répétition en grande partie des procédures.

[11]            Si l'on ajoute à ces critères l'évaluation des préjudices de part et d'autre, l'équilibrage penche également en faveur de la défenderesse pour l'octroi d'une suspension de la présente instance.

[12]            En effet, à son affidavit la défenderesse Lauzon fait valoir l'iniquité de devoir procéder seule dans la présente instance alors qu'en Cour supérieure toutes les institutions pertinentes y sont réunies dont la Chambre qui est véritablement à l'origine du litige présent entre la défenderesse et le ministre. La défenderesse Lauzon fait valoir qu'il serait quelque peu excessif de lui faire supporter le poids de la problématique du conflit entre le secret professionnel et les dispositions législatives en cause alors que le Procureur général du Canada, la Chambre et le Barreau du Québec ont l'autorité et l'expérience requises pour s'attaquer à ce conflit.

[13]            Pour ce qui est du demandeur, soit le ministre, ce dernier allègue essentiellement que les différentes prescriptions applicables à l'égard de ses mesures de recouvrement contre les débiteurs visés ultimement dans le présent dossier et le dossier T-394-05 seraient affectées si la suspension de ces dossiers était ici ordonnée.

[14]            Quant au présent dossier, soit le T-751-05, aucun affidavit particulier ne fut déposé par le ministre pour établir quelque préjudice spécifique à cet égard. Il ressort de plus, de façon générale, que toute prescription ne serait acquise en faveur du débiteur fiscal que vers mars 2014. Il n'y a donc pas pour l'instant danger de perte pour le ministre.

[15]            Quant au dossier T-394-05, bien que le délai d'échéance d'un an pour intenter une action en inopposabilité en vertu de l'article 1635 du Code civil du Québec risque de survenir en avril 2006, ce délai se présentera pour le ministre que le dossier T-394-05 soit suspendu ou non en cette Cour. De plus, les paragraphes 8 et 9 de l'affidavit de M. John Drozd daté du 19 octobre 2005 et soumis par le ministre à l'appui de son dossier en réponse laissent clairement entendre que le ministre a d'ores et déjà toutes les preuves, ou à tout le moins suffisamment de preuves, pour intenter à temps toute action en inopposabilité et ainsi interrompre le délai de prescription applicable. Ces paragraphes 8 et 9 se lisent :

8)             Le 22 avril 2005, j'ai obtenu la preuve que Dow Dot Corporation Limited n'était qu'un prête-nom pour David Nadler;

9)              Ce n'est donc qu'à cette date que j'ai obtenu la preuve que la cession de créance du 24 mai 2000 avait été faite au préjudice des intérêts de l'Agence des douanes et du revenu du Canada à titre de créancière;

[16]            Pour ces motifs, la Cour émettra une ordonnance accueillant la requête de la défenderesse Lauzon et ordonnant la suspension de la présente instance jusqu'à ce que soit rendu un jugement final dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro500-17-025479-059.

[17]            Il n'y aura pas lieu d'accorder de dépens dans le cadre de la présente requête.

[18]            Tel que mentionné précédemment, les présents motifs et l'ordonnance les accompagnant seront applicables, mutatis mutandis, dans le dossier T-394-05 et une copie de la présente ordonnance sera versée à ce dossier.

« Richard Mornea »

Protonotaire

Montréal (Québec)

le 6 janvier 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-751-05

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            ET

                                                            ME NICOLE LAUZON, NOTAIRE

                                                            et

                                                            167835 CANADA INC.

                                                            et

                                                            ANANTHA KRISHNAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                28 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                       6 JANVIER 2006

ONT COMPARU:

ME KIM SHEPPARD

ME LOUIS SÉBASTIEN

POUR LE DEMANDEUR

ME RAYMOND DORAY

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JOHN H. SIMS, C.R.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DEMANDEUR

LAVERY, DE BILLY

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LES DÉFENDEURS

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