Date : 20230829
Dossier : T-374-21
Référence : 2023 CF 1164
Ottawa (Ontario), le 29 août 2023
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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VIDÉOTRON LTÉE |
GROUPE TVA INC. TVA PRODUCTIONS II INC. |
Demanderesses Défenderesses reconventionnelles |
et
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TECHNOLOGIES KONEK INC. |
COOPÉRATIVE DE CÂBLODISTRIBUTION HILL VALLEY |
LIBÉO INC. |
LOUIS MICHAUD |
JOÉ BUSSIÈRE |
JEAN-FRANÇOIS ROUSSEAU |
Défendeurs Demandeurs reconventionnels |
ORDONNANCE ET MOTIFS
(RÉEXAMEN DU JUGEMENT)
[1] Les demanderesses ont poursuivi les défendeurs pour violation de leur droit d’auteur. Elles reprochent aux défendeurs d’avoir retransmis sans leur consentement des émissions de télévision dans des chambres d’hôtel. Le procès a eu lieu en février 2023.
[2] Le 26 mai 2023, par un jugement portant la référence neutre 2023 CF 741, j’ai accueilli l’action en partie. Entre autres mesures de réparation, j’ai condamné les défendeurs à payer une somme de 553 000 $ aux demanderesses à titre de dommages-intérêts préétablis, en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42. Cette somme comprend un montant de 545 000 $, calculé comme étant le produit d’un montant de 500 $ et du nombre d’émissions des stations TVA Sports que les défendeurs ont illégalement retransmises.
[3] Les demanderesses présentent maintenant une requête visant à faire hausser le montant de la condamnation à 598 500 $. La preuve qu’elles ont produit au procès ne portait que sur le nombre d’émissions illégalement diffusées jusqu’au 31 janvier 2023. Or, elles avaient indiqué que ce calcul serait « à parfaire à la date du jugement ». Elles estiment donc que j’ai omis de statuer sur une partie de leur réclamation, c’est-à-dire celle qui vise la diffusion illégale d’émissions entre le 1er février 2023 et la date du jugement. Selon la preuve fournie au soutien de la requête, les défendeurs auraient illégalement diffusé 91 émissions durant cette période.
[4] Les demanderesses fondent leur requête sur la règle 397(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui se lit ainsi :
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[5] Les demanderesses reconnaissent que cette disposition ne vise que le cas où une erreur a été commise par la Cour. Elle ne permet pas le réexamen d’une décision au motif que les parties ont fait défaut de présenter une preuve ou de soulever un argument en temps utile : 1344746 Ontario Inc c Canada (Revenu national), 2008 CAF 314 au paragraphe 9; Khroud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1157 aux paragraphes 11 et 12; Campbell River Harbour Authority c Acor (Navire), 2010 CF 844 aux paragraphes 16 et 17.
[6] Pour apprécier les allégations des demanderesses, il faut garder à l’esprit les rôles respectifs des parties et du juge dans un système de procédure civile de type contradictoire. C’est aux parties et non au juge qu’il revient de définir les questions en litige et les mesures de réparation recherchées et de présenter la preuve qui étaye leurs demandes. Il s’ensuit que lorsqu’une partie fait défaut de présenter une preuve ou d’exposer les motifs juridiques à l’appui d’une mesure de réparation, elle ne peut ensuite soutenir que l’absence d’une telle mesure, voire le silence du jugement à cet égard, constitue un oubli ou une omission.
[7] En l’espèce, les demanderesses se fondent sur une unique mention, au paragraphe 74 de leurs observations écrites, selon laquelle le montant des dommages-intérêts réclamés était « à parfaire à la date du jugement ». Je constate par ailleurs que cette précision ne se retrouve pas dans les conclusions recherchées, au paragraphe 120 du même document.
[8] L’expression « à parfaire » est fréquemment utilisée dans les actes de procédure afin d’indiquer que l’étendue du préjudice subi par le demandeur n’est pas connue avec précision au moment de l’introduction de l’instance. Voir, à titre d’exemple, Édifices St-Georges inc c Ville de Québec, 2021 QCCA 198 au paragraphe 13. Le demandeur se réserve ainsi le droit de présenter une preuve plus complète lors du procès et d’augmenter le montant des dommages-intérêts réclamés. La « perfection » de la demande a donc lieu lors du procès et non après.
[9] Par conséquent, la Cour ne pouvait raisonnablement interpréter l’emploi isolé de l’expression « à parfaire » comme les demanderesses le font maintenant, c’est-à-dire que la Cour aurait dû, immédiatement avant de rendre jugement, « demand[er] aux Demanderesses de fournir un calcul à jour ou autrement réserv[er] jugement sur cet aspect » (paragraphe 19 des observations).
[10] Cela est d’autant plus vrai qu’il ne s’agissait pas simplement de présenter un « calcul à jour », mais bien une preuve additionnelle. En effet, dans son affidavit au soutien de la présente requête, M. Picard affirme que la fréquence de diffusion des émissions en cause était variable. Autrement dit, le nombre d’émissions diffusées à partir du 1er février 2023 ne pouvait se déduire par extrapolation mathématique de la preuve présentée au procès. Il était donc nécessaire de présenter une preuve additionnelle à ce sujet.
[11] Les demanderesses ne pouvaient s’attendre à ce que la Cour prenne l’initiative de les inviter à compléter leur preuve avant de rendre jugement. Une telle façon de procéder cadrerait mal avec les rôles respectifs du juge et des parties dans l’instance civile. Si les demanderesses désiraient que la Cour les avise avant de rendre jugement, elles auraient dû présenter une demande explicite en ce sens, ce qu’elles n’ont pas fait. Une mention isolée du fait que le montant réclamé est « à parfaire » est bien insuffisante pour exprimer l’attente exceptionnelle des demanderesses à l’égard de la Cour. Par ailleurs, rien dans l’administration de la preuve lors du procès ne laissait supposer que les demanderesses avaient l’intention de présenter une preuve additionnelle. Plus particulièrement, lors du témoignage de M. Picard, il n’y a eu aucune indication que la preuve était incomplète et qu’une preuve additionnelle serait présentée après le procès.
[12] Par conséquent, s’il y a eu omission, ce sont les demanderesses et non la Cour qui doivent en assumer la responsabilité. Les conditions d’ouverture à une requête selon la règle 397(1)b) ne sont donc pas réunies. La requête sera donc rejetée.
[13] Normalement, j’adjugerais les dépens aux défendeurs. Cependant, puisque je rejette une autre requête présentée par les défendeurs, je n’adjugerai pas de dépens.
ORDONNANCE dans le dossier T-374-21
LA COUR ORDONNE que :
1. La requête des demanderesses pour réexamen du jugement est rejetée.
2. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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T-374-21 |
INTITULÉ :
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VIDÉOTRON LTÉE, GROUPE TVA INC., TVA PRODUCTIONS II INC. c TECHNOLOGIES KONEK INC., COOPÉRATIVE DE CÂBLODISTRIBUTION HILL VALLEY, LIBÉO INC., LOUIS MICHAUD, JOÉ BUSSIÈRE, JEAN-FRANÇOIS ROUSSEAU |
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REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 3, 369 ET 399 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
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ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE GRAMMOND |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 29 août 2023 |
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COMPARUTIONS :
Jean-Sébastien Dupont François Guay Étienne Lacroix-Couillard Lambert Beaulac |
Pour les demanderesses |
Joshua Spicer
William Audet
Abdulkadir Abkey
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Pour les défendeurs |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar s.e.n.c.r.l., s.r.l. Montréal (Québec) |
Pour les demanderesses |
Bereskin & Parr LLP
Toronto (Ontario)
Abkey Avocats inc. Québec (Québec) |
Pour les défendeurs |