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Date : 20240305


Dossier : IMM‑11194‑22

Référence : 2024 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 5 mars 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

GERGO KISS

GERGONE KISS

LILIANA ESZTER KISS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, M. Gergo Kiss, Mme Gergone Kiss et Mme Liliana Eszter Kiss [ensemble, les membres de la famille Kiss], demandent le contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] rendue le 6 octobre 2022 [la décision] par un agent principal [l’agent] au titre du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans la décision, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les membres de la famille Kiss seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de préjudice ou de persécution s’ils étaient renvoyés en Hongrie, leur pays de citoyenneté. La décision faisait suite à des décisions défavorables de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et de la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui avaient toutes deux rejeté la demande d’asile des membres de la famille Kiss parce qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la discrimination qu’ils avaient subie équivalait à de la persécution.

[2] Les membres de la famille Kiss demandent l’annulation de la décision. Ils soutiennent que l’agent a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale lorsqu’il a omis de les convoquer à une entrevue ou à une audience. Ils ajoutent que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas tenu compte de tous les documents de preuve qu’ils ont déposés.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les membres de la famille Kiss n’ont pas démontré qu’il a été portée atteinte à leur droit à l’équité procédurale. De plus, la décision est raisonnable compte tenu de l’insuffisance des éléments de preuve que les membres de la famille Kiss ont présentés à l’agent.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[4] Les membres de la famille Kiss sont des citoyens de la Hongrie qui sont entrés au Canada pour la première fois en novembre 2016. À ce moment‑là, ils sont entrés au Canada sous le nom de famille « Leco ». À leur arrivée, les membres de la famille Kiss ont présenté une demande d’asile fondée sur leur origine ethnique rom. En juillet 2017, la SPR a refusé leurs demandes d’asile sur le fondement de ses conclusions selon lesquelles ils n’étaient pas crédibles, les expériences dont ils avaient fait état ne constituaient pas de la persécution et ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. La SAR a confirmé les conclusions de la SPR en appel, et notre Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[5] Par la suite, en 2019, les membres de la famille Kiss sont rentrés en Hongrie. Incapables d’obtenir l’autorisation de revenir au Canada, ils ont alors changé de nom et obtenu des visas pour les États‑Unis.

[6] En décembre 2021, les membres de la famille Kiss sont revenus au Canada et ont présenté une autre demande d’asile à la frontière, sous leur nouveau nom. Ils ont ensuite fait l’objet de mesures d’expulsion. Cette fois‑ci, ils se sont vu offrir la possibilité de présenter une demande d’ERAR, ce qu’ils n’avaient pas fait en 2019 avant de retourner en Hongrie.

B. La décision relative à l’ERAR

[7] Les membres de la famille Kiss ont invoqué leur identité rom pour fonder leur demande d’ERAR. Ainsi, ils ont souligné les mauvais traitements qu’ils auraient subis à leur retour en Hongrie, en 2019, comme l’impolitesse de la part de diverses autorités, les problèmes à inscrire leur enfant à l’école, la difficulté à recevoir des soins médicaux, la difficulté à obtenir un logement, le chômage et d’autres événements semblables.

[8] L’agent qui a effectué l’ERAR a reconnu qu’il y a encore de la discrimination à l’égard des Roms en Hongrie, mais il a conclu que cela ne signifie pas en soi que les membres de la famille Kiss sont exposés à un risque. De plus, l’agent a relevé le fait que les membres de la famille Kiss n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’ils avaient effectivement vécu des expériences défavorables en Hongrie, y compris des éléments de preuve qui, selon l’agent, auraient normalement dû être accessibles. En effet, l’agent a conclu qu’il ne pouvait accorder le poids maximal à la déclaration commune déposée par les membres de la famille Kiss, puisque cette dernière n’avait pas faite sous serment et n’était pas accompagnée par des éléments de preuve à l’appui.

[9] De plus, l’agent a conclu que les membres de la famille Kiss n’avaient pas fait preuve d’une crainte subjective, puisqu’ils avaient changé de nom afin d’entrer de nouveau au Canada, qu’ils étaient disposés à tromper, qu’ils n’avaient pas respecté les lois du Canada et qu’ils avaient mené une quête du meilleur pays d’asile en choisissant le Canada plutôt que les États‑Unis ou un autre pays.

[10] Enfin, en réponse à l’argument des membres de la famille Kiss selon lequel d’autres demandes d’asile de Roms avaient été admises au Canada, l’agent a souligné que les facteurs pris en considération dans le cadre de l’ERAR sont propres à la situation particulière et doivent être étayés par des éléments de preuve.

[11] Au bout du compte, l’agent a conclu que, même s’ils avaient pu subir de la discrimination en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom, les membres de la famille Kiss n’avaient pas démontré qu’ils avaient subi de la discrimination équivalant à de la persécution. Leur demande d’ERAR a donc été refusée.

C. La norme de contrôle

[12] Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux évaluations effectuées par les agents d’ERAR est celle de la décision raisonnable (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 36; Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 570 au para 11; Rinchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 437 au para 15; Ashkir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 861 aux para 10‑12; Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 aux para 19‑20; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032 au para 15). La norme à appliquer a été confirmée par l’arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], dans lequel la Cour suprême du Canada a institué une présomption selon laquelle la norme de contrôle sur le fond des décisions administratives est celle de la décision raisonnable (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]).

[13] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de juger si la décision est fondée sur une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Mason, au para 64). La cour de révision doit donc établir si la « décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99). Elle doit prendre en compte tant le résultat de la décision que le raisonnement suivi lorsqu’elle évalue si la décision possède ces caractéristiques (Vavilov, aux para 15, 95 et 136).

[14] Un tel examen doit comprendre une évaluation rigoureuse et robuste des décisions administratives. Cependant, dans son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » et doit d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason, aux para 58 et 60; Vavilov, au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13), en s’abstenant « d’apprécier à nouveau la preuve » dont elle disposait (Vavilov, au para 125).

[15] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les lacunes ne doivent pas être simplement superficielles pour qu’une cour de révision infirme une décision administrative. La cour doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » (Vavilov, au para 100).

[16] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, cependant, la Cour d’appel fédérale a déclaré à maintes reprises qu’elles ne requièrent pas l’application des normes de contrôle judiciaire habituelles (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté)), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24‑25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 33‑56 [Chemin de fer Canadien Pacifique]). Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54). Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et sur un manquement aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». La cour de révision doit plutôt décider si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et a donné aux parties concernées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité complète et équitable d’être informées de la preuve à réfuter (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 56). Les cours de révision n’ont pas à faire preuve de déférence à l’égard des décideurs administratifs sur les questions d’équité procédurale.

III. Analyse

A. Le droit à l’équité procédurale des membres de la famille Kiss n’a pas été enfreint

[17] Les membres de la famille Kiss soutiennent d’abord que l’agent a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale lorsqu’il a omis de les convoquer à une entrevue ou à une audience, puisque, selon eux, ils en avaient demandé une et la décision était fondée sur des problèmes de crédibilité.

[18] Je ne suis pas d’accord.

[19] En toute déférence, et comme l’a souligné le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre], les observations des membres de la famille Kiss ne présentent pas une interprétation tout à fait exacte des conclusions de l’agent. En effet, contrairement à ces observations, le doute de l’agent concernait non pas la crédibilité des membres de la famille Kiss, mais bien le caractère suffisant des éléments de preuve qu’ils ont présentés à l’appui de leurs allégations de risque. L’agent a souligné à plusieurs reprises dans la décision que les membres de la famille Kiss n’avaient pas présenté des éléments de preuve adéquats. Il a notamment fait remarquer que seules des observations générales ont été présentées concernant le traitement réservé aux Roms. Les éléments de preuve présentés par les membres de la famille Kiss ne contenaient rien qui soit propre à eux, aucune preuve n’a été présentée concernant les frais médicaux qu’ils disent avoir eu à payer et ils n’ont pas présenté d’éléments de preuve faisant état d’autres cas d’expériences négatives qu’ils auraient vécues outre celle mentionnée dans leur déclaration, qui n’a pas été faite sous serment.

[20] De plus, l’agent a observé qu’aucun élément de preuve n’appuyait les allégations des membres de la famille Kiss voulant que leurs enfants aient reçu des médicaments qui ne fonctionnaient pas, que les autorités locales et les communautés roms aient refusé de les aider, qu’ils aient été expulsés ou qu’ils aient dû payer une amende à la police. Selon l’agent, il s’agissait dans tous les cas d’éléments que tout demandeur d’asile visé par un ERAR devrait être en mesure d’établir. En somme, les conclusions de l’agent étaient non pas que les membres de la famille Kiss n’était pas crédibles, mais plutôt qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve.

[21] Comme notre Cour l’a souligné à de nombreuses reprises, « chaque demandeur d’asile doit établir l’existence d’un risque personnalisé […] Lorsque le demandeur d’asile s’appuie sur des éléments de preuve généraux concernant des personnes dans une situation similaire, il doit montrer que ces éléments de preuve sont pertinents en ce qui le concerne, c’est‑à‑dire que sa situation est suffisamment semblable à celle des personnes dont il est question dans les éléments de preuve. » (Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1452 au para 19, renvoyant à Fodor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 218 au para 38; Sokhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 140 au para 46). En l’espèce, l’agent n’a pas effectué d’évaluation de la crédibilité. L’agent a plutôt conclu que les membres de la famille Kiss ne s’étaient pas acquittés du fardeau de preuve qui leur incombait et n’avaient pas établi le bien‑fondé de leurs affirmations. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale.

[22] Je conviens que la limite entre le caractère insuffisant de la preuve et une conclusion voilée en matière de crédibilité est parfois difficile à tracer et que « [l]a référence aux doutes quant à la bonne foi […] ne doit pas être confondue avec un doute en matière de crédibilité » (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378 au para 22, renvoyant à D’Almeida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 308 au para 65, et Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 au para 14). Tout dépend des faits propres à chaque affaire. Dans ce cas‑ci, le raisonnement et l’évaluation de l’agent sont formulés en fonction de l’insuffisance de la preuve, et, malgré les observations contraires très pertinentes de l’avocat des membres de la famille Kiss, je ne vois pas de passages qui pourraient être qualifiés de conclusions implicites ou voilées en matière de crédibilité. Une lecture attentive de la décision confirme que, aux yeux de l’agent, il s’agissait d’une question d’insuffisance de la preuve, et non de crédibilité. En somme, je ne considère pas les motifs de l’agent comme équivalant à des conclusions voilées quant à la crédibilité ni comme exprimant des soupçons ou du scepticisme à l’égard des déclarations des membres de la famille Kiss.

[23] Dans leurs observations, les membres de la famille Kiss se sont appuyés sur la décision Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 961 [Bozik] de la juge Mactavish pour affirmer que l’agent devait se demander s’il était nécessaire de tenir une audience. Dans la décision Bozik, la juge Mactavish a souligné que « ce que l’agente a qualifié d’éléments de preuve insuffisants était en réalité une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant une question essentielle pour établir le risque que les Bozik courraient en Hongrie […] Avant de tirer une telle conclusion défavorable quant à la crédibilité, l’agente était contrainte d’examiner si une audience était nécessaire, en application des dispositions de l’alinéa 113a) de la [LIPR] » (Bozik, aux para 18‑19, renvoyant à Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275 au para 29).

[24] Cependant, la trame factuelle dans l’affaire Bozik se distingue de l’espèce. Dans la décision Bozik, la juge Mactavish a souligné que l’affidavit présenté par M. Bozik avait été fait sous serment et était étayé par des éléments de preuve documentaire concernant ses allégations. Dans ce cas‑ci, c’est le contraire, puisque l’élément de preuve présenté par les membres de la famille Kiss n’a pas été fait sous serment et n’était pas accompagné d’éléments de preuve personnels.

[25] Encore une fois, les membres de la famille Kiss confondent une conclusion défavorable quant à la crédibilité avec une conclusion d’insuffisance de la preuve. La Cour a précisé la distinction entre ces deux types de conclusions à de nombreuses reprises. À titre d’exemple, dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 au para 41, la Cour a déclaré ce qui suit :

[41] Il ne faut pas confondre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et une conclusion relative à l’insuffisance de preuve probante. Comme que je l’ai indiqué dans Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, au para 35, « [u]ne conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve ». On ne peut présumer, dans les cas où un agent d’immigration conclut que la preuve ne démontre pas le bien‑fondé de la demande, que l’agent n’a pas cru le demandeur (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59, au para 32).

[26] En l’espèce, je suis convaincu que l’agent n’a pas tiré de conclusion voilée quant à la crédibilité; il a simplement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir le bien‑fondé des allégations des membres de la famille Kiss. L’agent n’était donc pas tenu de tenir une audience et le droit à l’équité procédurale des membres de la famille Kiss n’a pas été enfreint.

B. La décision est raisonnable

[27] À titre de second argument, les membres de la famille Kiss soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte de tous les documents à l’appui déposés, ce qui rend la décision déraisonnable. Ils ajoutent que la conclusion de l’agent selon laquelle l’exposé circonstancié de M. Kiss devait recevoir [traduction] « peu de poids » était déraisonnable, puisque, selon eux, l’agent en est arrivé à cette conclusion uniquement parce que le document n’avait pas été fait sous serment. Enfin, ils affirment que l’agent a déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve liés aux décisions favorables rendues dans le cas d’autres Roms au Canada relativement à leurs demandes d’asile.

[28] Ces arguments doivent être rejetés.

[29] Premièrement, l’agent n’a pas négligé de tenir compte de l’ensemble des documents à l’appui, qui, je le précise, étaient peu nombreux. L’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que les membres de la famille Kiss n’avaient pas présenté d’éléments de preuve pour prouver le bien‑fondé de leurs allégations. En effet, comme l’a expliqué le juge LeBlanc dans la décision Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 au para 19 :

[19] De plus, bien que la preuve documentaire sur les conditions générales des Roms en Hongrie soulève des préoccupations concernant les droits de la personne, le simple fait d’être d’origine rom en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays (Csonka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1056, aux paragraphes 67 à 70 [Csonka]; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 22 [Ahmad]. Une demande d’asile valide comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective (Csonka, au paragraphe 3). Il appartient au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui lui est propre (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 17; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28; Ahmad, au paragraphe 22).

[30] Par conséquent, il incombait aux membres de la famille Kiss d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui leur est propre, mais ils ne se sont pas acquitté de ce fardeau. Je suis convaincu qu’il était raisonnable de la part de l’agent de parvenir à la conclusion qu’il a tirée, vu le manque d’éléments de preuve. La Cour a reconnu que, dans certains cas, il pourrait être déraisonnable de s’attendre d’un demandeur d’asile de produire ou de rassembler des documents qui ne sont pas facilement accessibles avant de s’enfuir (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 au para 7), mais ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Les membres de la famille Kiss ne fuyaient pas une persécution immédiate et ceux qui les auraient persécutés ne les empêchaient pas d’obtenir des éléments de preuve. Ils auraient donc pu obtenir des éléments de preuve pertinents par rapport à leurs allégations, mais ils ne l’ont pas fait.

[31] Deuxièmement, il est erroné de dire que l’agent a accordé peu de poids à l’exposé circonstancié de M. Kiss simplement parce que l’exposé n’avait pas été fait sous serment. Les motifs détaillés dans la décision montrent plutôt que l’agent a tiré cette conclusion parce que l’exposé circonstancié n’était [TRADUCTION] « pas accompagné d’éléments de preuve personnels à l’appui pour bon nombre des incidents dont il fait état ». Cette question revient encore une fois au défaut des membres de la famille Kiss de fournir suffisamment d’éléments de preuve. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de parvenir à la conclusion qu’il a tirée, vu le manque d’éléments de preuve.

[32] Troisièmement, les membres de la famille Kiss soutiennent que des décisions favorables ont déjà été rendues dans le cas d’autres personnes d’origine ethnique rom relativement à leurs demandes d’asile et d’ERAR et que le fait que l’agent n’a pas tenu compte de ces affaires rend la décision déraisonnable. Cet argument est dénué de fondement.

[33] Comme l’agent l’a expressément souligné, les décisions relatives à l’ERAR sont fondées sur la preuve de fait présentée pour chaque demande particulière. De plus, comme le souligne à juste titre le ministre, les affaires invoquées par les membres de la famille Kiss présentent d’importantes différences sur le plan de la preuve, des faits et du contexte, par rapport à la présente affaire. Les membres de la famille Kiss eux‑mêmes concèdent que « la jurisprudence de cette Cour a établi dans de très nombreuses décisions que la CISR n’est pas liée par le résultat obtenu dans une autre revendication et ce, même lorsqu’il s’agit d’un parent, puisque la détermination du statut de réfugié se fait cas par cas et qu’il est aussi possible que l’autre décision soit erronée » (Bakary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1111 au para 10 [Bakary]). Les conclusions tirées par le juge Pinard dans la décision Bakary ont été confirmées par notre Cour à de nombreuses reprises (voir par exemple Mansour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 846 au para 30; Basbaydar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 387 au para 51). Il était donc raisonnable de la part de l’agent de ne pas se considérer lié par les affaires invoquées par les membres de la famille Kiss, en raison des importantes divergences touchant les faits et la preuve qui distinguent la présente affaire des autres. La détermination du statut de réfugié se fait cas par cas sur le fondement de la preuve et des faits propres à chaque affaire.

IV. Conclusion

[34] Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je suis convaincu que l’agent d’ERAR a raisonnablement tenu compte de la preuve pour en arriver à la conclusion que les membres de la famille Kiss ne seraient pas exposés à un risque de persécution à leur retour en Hongrie. De même, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, puisqu’aucun problème de crédibilité n’a été soulevé devant l’agent. La Cour n’a aucune raison d’intervenir.

[35] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑11194‑22

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑11194‑22

INTITULÉ :

GERGO KISS ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2024

COMPARUTIONS :

Peter G. Ivanyi

POUR LES DEMANDEURS

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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