Date : 20240229
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Dossier : T-732-22
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Référence : 2024 CF 335
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[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 29 février 2024
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En présence de monsieur le juge adjoint Trent Horne |
ENTRE :
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PHARMASCIENCE INC.
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demanderesse /
requérante
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et
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JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC.,
ET BTG INTERNATIONAL LTD.
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défenderesses /
intimées
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ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS
(Ordonnance confidentielle et motifs rendus le 29 février 2024)
I. Contexte
[1] Il s’agit d’une requête préalable à l’instruction déposée dans le cadre d’une action intentée en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement
). Dans les présents motifs, toutes les références aux numéros d’articles renvoient aux articles du Règlement, sauf indication contraire.
[2] Le produit dont il est question en l’espèce est l’abiratérone, un médicament utilisé pour traiter le cancer de la prostate. L’abiratérone, ou plus précisément le produit couvert par le brevet canadien no 2661422 (le brevet 422), a fait l’objet de nombreux litiges.
[3] En novembre 2017, Janssen Inc. et Janssen Oncology, Inc. ont introduit une demande contre Apotex Inc. (Apotex) en vertu de l’ancienne version du Règlement, dans le but de faire interdire l’octroi d’un avis de conformité pour son produit à base d’abiratérone 250 mg. Janssen a obtenu gain de cause (Janssen Inc. c Apotex Inc., 2019 CF 1355; conf par Apotex Inc. c Janssen Inc., 2021 CAF 45).
[4] Le 10 janvier 2019, Janssen Inc., Janssen Oncology, Inc., et BTG International Ltd (collectivement, Janssen) ont intenté une action contre Apotex en vertu de l’article 6 concernant ses comprimés d’abiratérone de 250 mg et de 500 mg (dossier de la Cour T-84-19).
[5] Le 25 janvier 2019, Janssen a intenté une action en vertu de l’article 6 contre Pharmascience Inc. (PMS) concernant son produit d’abiratérone de 250 mg (dossier du tribunal T-182-19). Le 22 novembre 2019, Janssen a intenté une deuxième action contre PMS en vertu de l’article 6 (T-1893-19) concernant son produit d’abiratérone de 500 mg.
[6] Le 14 juin 2019, Janssen a intenté une autre action en vertu de l’article 6 concernant l’abiratérone, cette fois contre Dr Reddy’s Laboratories Ltd et Dr Reddy’s Laboratories, Inc. (Dr Reddy’s) (dossier de la Cour T-978-19).
[7] Les instances menées contre Apotex, PMS et Dr Reddy’s ont été instruites conjointement. Les actions ont été rejetées collectivement au motif que le brevet était invalide (Janssen Inc v Apotex Inc, 2021 CF 7); la décision a été confirmée en appel (Janssen Inc v Apotex Inc., 2022 CAF 184).
[8] Dans ses actions intentées contre Apotex, PMS et Dr Reddy’s en vertu de l’article 6, Janssen n’a pas renoncé au sursis de 24 mois prévu à l’article 7.
[9] Apotex, Dr Reddy’s et PMS ont chacune intenté une action à l’encontre de Janssen en vertu de l’article 8.
[10] L’action contre Apotex intentée en vertu de l’article 8 (T-607-21) s’est conclue avec un jugement sur consentement le 11 avril 2023. L’action contre Dr Reddy’s intentée en vertu de l’article 8 (T-1168-21) s’est conclue avec un jugement sur consentement le 28 avril 2023.
[11] Janssen a également conclu des accords avec d’autres fabricants de médicaments génériques concernant leurs produits à base d’abiratérone.
[12] De façon très générale, la « perte subie »
par PMS sera évaluée dans le contexte d’un « monde hypothétique »
où PMS aurait reçu un avis de conformité (AC) et commencé à vendre son produit d’abiratérone à une date antérieure, puisque cette activité ne serait pas interdite par l’application du Règlement.
[13] L’évaluation de cette perte nécessite que la Cour :
détermine la durée de la période de responsabilité (la période pertinente);
détermine la taille générale du marché de l’abiratérone au cours de la période pertinente (le marché de l’abiratérone);
détermine la part du marché de l’abiratérone que Janssen se serait appropriée et la part que des fabricants de médicaments génériques auraient occupée au cours de la période pertinente (le marché des médicaments génériques);
détermine la part du marché des médicaments génériques que PMS aurait occupée (les volumes que PMS a perdus);
quantifie les dommages que PMS aurait subis en ce qui concerne les volumes perdus (le montant net de la perte de profits de PMS).
(Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2012 CF 553, au para 11).
II. La requête
[14] PMS a divisé les questions contestées en catégories et sous-catégories, qu’elle a désignées par des lettres. Les questions à trancher ont pour leur part été identifiées à l’aide de numéros d’éléments. Dans la présente ordonnance, j’utiliserai les mêmes catégories et les mêmes descriptions d’éléments que celles qui sont utilisées dans les documents de la requête.
[15] Dans les documents du dossier de requête en réponse déposé par Janssen, cette dernière confirme qu’elle fournirait des réponses aux éléments 49-53, 55-57, 60-63, 69-73, 76-83, 85, 89, 95-96, et 98-99 (catégorie BTG K). Dans une correspondance adressée à la Cour le 18 janvier 2024, PMS affirme vouloir supprimer les éléments 13-14, 16, 18, 31 et 47 de la communication préalable BTG. Il n’est donc pas nécessaire de rendre une ordonnance pour ces éléments.
[16] Une réponse a été obtenue pour certains éléments au cours de l’audience et les motifs des conclusions ont été fournis. D’autres catégories d’éléments ont été prises en délibéré. Les présents motifs exposent la résolution des éléments pris en délibéré, d’une catégorie pour laquelle une conclusion a été rendue lors de l’audience, et des catégories de questions qui n’ont pas été abordées lors de l’audience.
A. Ententes de règlement
[17] Les catégories B, BTG A, BTG B et BTG C exigent la production des ententes de règlement que PMS croit avoir été conclues entre Janssen et Apotex, et Janssen et Dr Reddy’s, dans le but de régler leurs différends relevant de l’article 8, de même que la production des documents et informations connexes.
[18] Pour cette partie de la requête, Apotex et Dr Reddy’s ont été informées des mesures demandées et leurs avocats ont assisté à l’audience. Pour l’ensemble de la requête, la grande majorité des documents ont été désignés comme confidentiels conformément aux termes d’une ordonnance de protection. Le 12 décembre 2023, j’ai émis une directive indiquant que les documents confidentiels pouvaient être déposés sous scellés. En dehors des moments où la présence des avocats d’Apotex et de Dr Reddy’s était requise, l’audience s’est déroulée à huis clos. Il n’y a eu aucun problème lors de l’audience, mais il convient de répéter que tous les documents déposés au titre de la requête conservent leur caractère confidentiel. Tous les documents déposés sous scellés demeurent sous scellés et ne feront pas partie du dossier public. À l’exception de la participation des avocats d’Apotex et de Dr Reddy’s, aucune des observations faites au cours de l’instruction de la requête ne fera partie du dossier public.
[19] L’une des questions importantes de cette catégorie est celle de savoir si le privilège relatif aux règlements s’applique aux documents et aux informations demandés et, dans l’affirmative, si Janssen a renoncé à ce privilège. Le montant payé par Janssen dans le cadre d’une entente de règlement présente un intérêt particulier pour PMS.
[20] « Le privilège relatif aux règlements vise à favoriser les règlements amiables. Ce privilège entoure d’un voile protecteur les démarches prises par les parties pour résoudre leurs différends en assurant l’irrecevabilité des communications échangées lors de ces négociations »
(Sable Offshore Energy Inc. c Ameron International Corp., 2013 CSC 37 (Sable), au para 2).
[21] Il est depuis longtemps reconnu comme un intérêt stratégique digne d’être encouragé que les parties tentent de résoudre leurs différends privés sans avoir recours aux procédures, ou, si une action a été engagée, qu’elles soient encouragées à parvenir à un compromis sans avoir recours au procès (Sidney N. Lederman, Michelle K. Fuerst et Hamish C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 6e éd (Toronto, LexisNexis, 2022), à la p 105, au para 14.367). Le privilège relatif aux règlements est un outil efficace d’amélioration propre à réduire les délais, les dépenses et le stress « obstinément endémiques »
(Sable, au para 1) dans la conduite des litiges.
[22] Le privilège relatif aux règlements s’applique de manière générale aux négociations en vue d’un règlement. Le privilège protège les négociations en vue d’un règlement, qu’un règlement intervienne ou non; dans l’affirmative, il protège également la somme négociée (Sable, aux para 17-18).
[23] Les conditions qui doivent être réunies pour que le privilège relatif aux règlements soit reconnu sont les suivantes :
1)un litige a été engagé ou envisagé par les parties;
2)la communication a été faite avec l’intention qu’elle ne soit pas divulguée si les négociations en vue d’un règlement échouaient;
3)l’objectif de la communication était de parvenir à un règlement.
(Nova Scotia (Attorney General) v Nova Scotia Teachers Union, 2020 NSCA 17, au para 49).
[24] Il y a des exceptions. Pour bénéficier de ces exceptions, la partie qui demande la divulgation « doit établir que, tout compte fait, [traduction] “un intérêt public opposé l’emporte sur l’intérêt public à favoriser le règlement amiable”
. On a retenu parmi ces intérêts opposés les allégations de déclaration inexacte, la fraude ou l’abus d’influence [...] et la prévention de la surindemnisation du demandeur »
(Sable, au para 19; citations omises).
[25] Bien que Janssen n’ait pas admis l’existence d’un accord avec Apotex ou Dr Reddy’s, les jugements qui sont accessibles au public rejettent les actions intentées en vertu de l’article 8 sur consentement des parties. Je n’ai aucune difficulté à croire que des sociétés pharmaceutiques avisées aient pu entretenir une certaine forme de discussion et parvenir à un accord avant de proposer un jugement sur consentement à la Cour. On peut raisonnablement supposer que ces parties ont consigné par écrit les termes de tout accord auquel elles sont parvenues.
[26] En supposant qu’il existe un accord quelconque entre Janssen et Apotex, et Janssen et Dr Reddy’s, il va de soi que ces accords, de même que les négociations qui les ont précédés, sont protégés par le privilège relatif aux règlements. Les parties avaient présenté des demandes devant la Cour, et une solution mutuellement acceptable a été trouvée avant qu’une décision soit rendue. Janssen, Apotex et Dr Reddy’s se sont opposés à tous les efforts déployés par PMS pour obtenir la confirmation de l’existence de tout accord, ou la divulgation des conditions de ce dernier, démontrant ainsi son intention de ne pas communiquer les informations demandées. L’objectif de la communication était visiblement de parvenir à un règlement. Il s’agit précisément du type de communications que le privilège relatif aux règlements est censé protéger.
[27] Je ne peux pas conclure que l’une des exceptions décrites dans l’arrêt Sable s’applique aux situations où un demandeur tente de savoir, au titre de l’article 8, ce que d’autres demandeurs constitués parties à un litige engagé en vertu de l’article 8 pour le même médicament ont obtenu. Il n’y a aucune allégation de déclaration inexacte, de fraude ou d’abus d’influence en l’espèce. En outre, il n’y a pas d’intérêt public opposé qui puisse l’emporter sur l’intérêt public à favoriser un règlement amiable. Il n’est pas rare que plusieurs fabricants de génériques déposent des demandes simultanées au titre de l’article 8; le fait de refuser systématiquement le privilège s’appliquant aux négociations en vue de règlements a pour effet de décourager la conclusion de l’une ou l’autre de ces négociations.
[28] Une affaire relevant de l’article 8 nécessite la conception d’un monde hypothétique et du calcul d’une perte dans des circonstances qui ne se sont pas réellement produites. Un certain nombre de variables peuvent être présentées, notamment en ce qui concerne les autres produits génériques (s’il y en a) qui seraient offerts sur le marché hypothétique envisagé. En l’espèce, le monde hypothétique envisagé se situe aux alentours de 2019. En supposant qu’Apotex et Dr Reddy’s soient parvenues à un accord avec Janssen peu de temps avant que les jugements sur consentement soient rendus, cela s’est produit quatre ans plus tard.
[29] Les affaires relevant de l’article 8 sont différentes des affaires comme celle de Sable. Dans l’affaire Sable, il était question d’une peinture déficiente. Si la responsabilité était reconnue, le demandeur avait droit à certains dommages-intérêts. Dans les affaires relevant de l’article 8, les dommages-intérêts ne découlent pas de ce qui s’est produit dans le monde réel, mais de ce qui se serait produit selon divers scénarios hypothétiques. Compte tenu de ces distinctions, l’intérêt public à favoriser le règlement amiable l’emporte sur les autres intérêts.
[30] Les parties et moi-même n’avons pas connaissance d’une décision où, dans une affaire relevant de l’article 8, une partie défenderesse aurait été tenue de divulguer les ententes de règlement qu’elle aurait conclues avec d’autres fabricants de produits génériques lors d’autres procédures relevant de l’article 8 et portant sur le même médicament. Je ne suis pas convaincu que ma décision devrait être la première, et je conclus que le privilège relatif aux règlements s’applique à tout accord conclu entre Janssen et Apotex et Janssen et Dr Reddy’s dans le but de résoudre ces litiges relatifs à l’abiratérone et engagés en vertu de l’article 8, ainsi qu’aux négociations ayant mené à tout accord de cette nature.
[31] PMS affirme que Janssen a renoncé à tout privilège lié à ces communications. « Le fardeau d’établir la renonciation à un privilège repose sur la partie qui fait valoir cette renonciation »
(Rakuten Kobo Inc. c Canada (Commissaire de la concurrence), 2017 CF 382 (Rakuten), au para 56).
[32] Une expression qui revient assez souvent dans le contexte du privilège et de la renonciation est [traduction] « l’équité et la cohérence »
.
[33] Cette expression semble trouver son origine dans l’arrêt S. & K. Processors Ltd. v Campbell Ave. Herring Producers Ltd., 1983 CanLII 407 (S & K Processors) rendue par la juge McLachlin de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada. Dans cette décision, celle-ci a déclaré, au paragraphe 6 :
[TRADUCTION]
La renonciation au privilège est normalement établie lorsqu’il est démontré que le détenteur du privilège : 1) connaît l’existence du privilège et 2) manifeste volontairement son intention d’y renoncer. Cependant, on peut aussi conclure à la renonciation en l’absence de l’intention de renoncer, dans les cas où l’équité et la cohérence l’exigent. Ainsi, la renonciation au privilège à l’égard d’une partie d’une communication sera considérée comme une renonciation applicable à l’ensemble de cette communication. De même, le plaideur qui invoque des conseils juridiques dans son action ou sa défense ne peut plus se prévaloir du privilège qui s’appliquerait sans cela à ces conseils.
[34] Pour les privilèges génériques comme le privilège relatif aux règlements, l’équité et la cohérence sont prises en compte pour déterminer si l’on a renoncé au privilège, et non pas pour établir son existence.
[35] L’analyse à cet égard commence par l’importance accordée à la création et au maintien des privilèges génériques. L’importance et l’intérêt stratégique du privilège relatif aux règlements ont été abordés ci-dessus.
[36] En règle générale, la renonciation au privilège peut être expresse, lorsqu’une partie divulgue volontairement tout ou partie d’une communication privilégiée, ou implicite, lorsque la partie – toujours volontairement – s’appuie sur la communication privilégiée comme élément de sa demande ou de sa défense, ou lorsqu’elle met en cause un avis juridique qu’elle a reçu (Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), [2004] ACF no 1431 (QL)). C’est ici que les notions d’équité et de cohérence entrent en jeu. Lorsqu’une renonciation partielle a été établie, que ce soit par divulgation expresse ou implicite, les intérêts de l’équité et de la cohérence peuvent exiger que le privilège soit levé dans son intégralité (K.F. Evans Ltd. c Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1996] ACF no 30, aux para 23-24; voir également la décision non rapportée de la juge Tabib, responsable de la gestion de l’instance dans l’affaire Teva Canada Limited c Pfizer Canada, datée du 21 décembre 2017, dossier de Cour T-1194-12 (« Amlodipine »), par laquelle elle a conclu que, quelle que soit la pertinence d’une communication, une partie ne peut être privée de son droit de revendiquer le privilège, à moins qu’elle n’ait agi d’une manière qui ne soit pas compatible avec ce droit).
[37] En d’autres termes, la Cour ne peut pas obliger une partie à renoncer au privilège relatif sur la base de considérations individuelles. Pour que PMS obtienne gain de cause sur la question de la renonciation, elle doit démontrer que Janssen a pris des mesures de renonciation ou a agi d’une manière incompatible avec ses droits relatifs au privilège.
[38] Le juge O’Reilly a été saisi de la question de la production des ententes de règlement dans l’affaire Pharmascience Inc. c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 1176. Dans cette affaire, en appel d’une ordonnance d’un juge adjoint, PMS cherchait à obtenir une ordonnance obligeant Pfizer à produire des copies non expurgées d’ententes de règlement intervenues entre Pfizer et Teva. Les expurgations des deux accords qui faisaient l’objet du litige concernaient des renseignements financiers, c’est-à-dire les montants pour lesquels les parties ont accepté de régler l’affaire. Le juge O’Reilly a estimé que « la question du privilège relatif aux règlements répond[ait] complètement aux arguments de Pharmascience »
(au para 5) et a rejeté l’appel.
[39] PMS fait valoir que les actes de procédure en l’espèce devraient conduire à un résultat différent. Je ne suis pas d’accord. En l’espèce, Janssen plaide, au paragraphe 15 de sa défense, pour que certains facteurs soient pris en compte lors de l’évaluation d’une éventuelle indemnisation de PMS. Le premier de ces facteurs est le suivant :
[traduction]
a. Si PMS avait reçu un AC avant le 8 janvier 2021, plusieurs autres fabricants de produits pharmaceutiques génériques seraient également entrés sur le marché canadien avant PMS, ou à peu de choses près au même moment que PMS.
[40] Dans l’affaire portée devant le juge O’Reilly, le deuxième mémoire en défense modifié expliquait :
[TRADUCTION]
19. Si Pharmascience avait reçu un AC pour un produit à base de prégabaline avant le 15 février 2013, certains ou tous les autres fabricants de produits pharmaceutiques génériques auraient également reçu des AC pour la vente de versions génériques de la prégabaline avant les dates auxquelles ils ont effectivement reçu ces AC.
[41] Je ne relève pas de différence notable dans ces plaidoiries, ni de différence qui m’obligerait à parvenir à une conclusion différente de celle du juge O’Reilly.
[42] La Cour a été saisie d’une question similaire dans l’affaire Amlodipine, qui traitait de la question de la renonciation à la page 3 :
[TRADUCTION]
Pfizer, à l’alinéa 92a) et aux sous-alinéas 92c)ii) à iv) de son deuxième mémoire en défense modifié se contente d’alléguer que GenMed, sa propre marque générique, serait entrée sur le marché en même temps que Teva et qu’une fois qu’un fabricant de génériques aurait commencé à vendre des comprimés de bésylate d’amlodipine, Pfizer aurait immédiatement consenti à l’arrivée d’autres produits génériques sur le marché, aurait abandonné toutes les demandes d’interdiction existantes et aurait renoncé à en entamer de nouvelles concernant le bésylate d’amlodipine, tout en commençant à fournir à certains fabricants de génériques particuliers des produits à base de bésylate d’amlodipine pour la revente.
Ces allégations font référence à des actions que Pfizer aurait entreprises en réponse ou en réaction à une circonstance factuelle donnée : l’entrée d’un premier produit générique sur le marché du bésylate d’amlodipine. Elles ne font pas référence aux conseils juridiques que Pfizer aurait pu demander ou recevoir pour justifier, encourager ou soutenir ces actions; elles ne s’appuient pas non plus sur de tels conseils. Il est tout à fait probable que Pfizer, comme on peut s’attendre à ce que de nombreuses sociétés avisées le fassent, ait demandé des conseils juridiques avant ou lors de la mise en œuvre de ces stratégies. Toutefois, je suis convaincu qu’en invoquant l’adoption hypothétique de certaines stratégies, Pfizer ne s’est pas appuyée sur les conseils juridiques qu’elle a reçus relativement à ces stratégies et qu’elle n’a pas remis en cause ces conseils. Une partie qui affirme qu’elle aurait pris certaines mesures, même si ces mesures comprennent l’initiation ou l’abandon d’une procédure judiciaire, ne peut être considérée comme ayant renoncé au caractère secret des conseils liés à l’adoption ou à l’examen de ces mesures, à moins qu’elle n’indique également son intention de s’appuyer sur les conseils juridiques reçus pour justifier la prise de ces mesures.
[43] Je ne suis donc pas convaincu que l’alinéa 15a. de la défense de Janssen se traduit par une renonciation expresse ou implicite à tout privilège concernant toute discussion sur le règlement et tout accord entre Apotex et Dr Reddy’s, en particulier le montant négocié dans le cadre de tout règlement.
[44] Lors de la communication des pièces, PMS a demandé à Janssen de lui faire part de ses connaissances, de ses informations et de ses convictions concernant |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. En réponse à un engagement, Janssen a indiqué que, dans le cadre de ces faits hypothétiques, Janssen estime que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.
[45] PMS affirme qu’elle devrait être en mesure d’explorer ce qui s’est vraiment passé dans le monde réel avec Apotex et Dr Reddy’s afin de pouvoir évaluer et contester ce que Janssen affirme qu’il se serait passé avec ces sociétés dans le monde hypothétique envisagé, notamment à la lumière de l’observation de la Cour selon laquelle le comportement dans le monde réel est très important au regard de ce qui se serait passé dans la situation hypothétique (Apotex Inc. c AstraZeneca Canada Inc., 2018 CF 181, au para 66).
[46] Je ne suis pas convaincu que les réponses de Janssen aux engagements constituent une renonciation expresse. Janssen n’invoque ni le fait que, dans la réalité, elle a conclu un accord avec Apotex et Dr Reddy’s, ni les termes d’un pareil accord comme moyen de défense contre la demande de PMS. Elle affirme plutôt que certains accords auraient été conclus dans le monde hypothétique envisagé.
[47] Je ne suis pas non plus convaincu que Janssen ait renoncé au privilège implicitement. En répondant à une question de l’interrogatoire préalable sur ce qui se serait hypothétiquement passé en 2019, selon elle, Janssen n’a pas mentionné, n’a pas invoqué et n’a pas fait référence à une entente de règlement qui aurait pu être conclue en 2023. La source d’information de PMS sur un éventuel règlement des actions engagées au titre de l’article 8 et concernant Apotex et Dr Reddy’s semble être le dossier de la Cour, et non les documents et informations fournis par Janssen lors du processus de communication préalable. Je ne relève donc pas de renonciation partielle de la part de Janssen, en particulier là où il n’y a eu aucune divulgation de certains renseignements, ce qui aurait ouvert la porte à la production d’autres renseignements, selon les principes d’équité et de cohérence. Cela est conforme au paragraphe 61 de l’arrêt Rakuten, dans lequel le juge en chef de la Cour suprême a déclaré qu’en cas de divulgation partielle, il faut prouver que sans les renseignements supplémentaires pour lesquels il n’y a pas eu renonciation au privilège, les renseignements divulgués sont d’une manière quelconque trompeurs.
[48] PMS s’appuie sur l’arrêt Ministry of Correctional Services v McKinnon, 2010 ONSC 3896 (au para 4), pour faire valoir le principe selon lequel il existe une exception au privilège relatif aux règlements lorsque les documents de ce règlement sont nécessaires au bon déroulement d’une procédure. Ce qui est nécessaire au bon déroulement de la procédure peut être pertinent pour déterminer si le privilège existe et si les exceptions au privilège énoncées dans l’arrêt Sable sont présentes. Cependant, je n’accepte pas de pouvoir, lorsque l’existence du privilège relatif aux règlements a été confirmée et qu’il n’y a pas de renonciation partielle, invoquer l’intérêt de la justice comme justification pour présumer d’une renonciation.
[49] Il est facile de comprendre pourquoi PMS souhaite obtenir ces informations et pourquoi elle s’est efforcée, en l’espèce et lors d’autres procédures, de connaître les détails des ententes de règlement conclues par ses concurrents. Toutefois, les ententes conclues entre Janssen et Apotex et Dr Reddy’s, de même que les négociations qui les ont précédés, sont protégés par le privilège relatif aux règlements. Janssen n’a pas renoncé à ce privilège, ni en tout ni en partie, ni expressément ni implicitement.
[50] Les questions précises de cette catégorie se rapportent aux attentes de Janssen dans le cadre du litige, notamment sur la question de savoir si Janssen a été surprise du résultat. J’ai du mal à envisager comment Janssen pourrait répondre à ces questions sans se rapporter aux conseils qu’elle a reçus de ses avocats. Ces questions ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
B. Ententes de coopération
[51] PMS croit qu’Apotex et Dr. Reddy’s assistent Janssen en l’espèce. PMS assure que la volonté et la capacité de Dr Reddy’s et d’Apotex d’entrer sur le marché de l’abiratérone, comme l’affirme Janssen, constituent un élément central en l’espèce et que l’existence d’ententes de coopération entre Janssen et Dr Reddy’s et Apotex est un élément pertinent pour estimer quel poids accorder aux preuves concernant leurs actions dans le monde hypothétique envisagé.
[52] Les questions contestées des catégories G et BTG D visent à déterminer si les ententes de règlement conclues au titre de l’article 8 comprennent une obligation de coopérer avec Janssen, s’il existe une entente de coopération distincte, si une compensation doit être versée en échange de la coopération, et si la coopération inclut la présentation d’un témoignage au cours de l’instruction. Les demandes de production de documents s’étendent à toute entente et communication connexe.
[53] L’analyse que j’ai faite ci-dessus du privilège relatif aux règlements s’applique également à la présente section. Dans la mesure où cette catégorie de questions porte sur le contenu des ententes de règlement conclues au titre de l’article 8, ou sur les négociations qui les ont précédées, ces ententes et communications sont protégées par le privilège relatif aux règlements.
[54] Pour étayer son argument selon lequel, en principe, les ententes de coopération doivent être divulguées, PMS s’appuie sur les affaires Bilfinger Berger (Canada) Inc. v Greater Vancouver Water District, 2014 BCSC 1560 (Bilfinger), Seaspan International Ltd. c Ewa (Navire), 2004 CF 124 (Seaspan), BC Children’s Hospital v Air Products Canada Ltd, 2003 BCCA 177 (BC Children), Mendlowitz & Associates Inc v Chiang, 2014 ONSC 2651 (Mendlowitz), et Middelkamp v Fraser Valley Real Estate Board (1992), 45 CPR (3d) 213 (Middlecamp). Chacune de ces décisions peut être distinguée en fonction des faits, notamment dans la mesure où aucune d’entre elles ne traite d’une quelconque entente de coopération avec un tiers.
[55] La décision Bilfinger concernait un accord entre les codéfendeurs (au para 1); la décision Seaspan concernait des ententes de règlement (qui n’existaient apparemment pas) entre les demandeurs (au para 18); la décision BC Children concernait des ententes de règlement conclues avec d’anciens défendeurs (au para 1); dans l’affaire Mendlowitz, le privilège relatif aux règlements lié à un paragraphe d’un courriel a cédé la place à un intérêt public opposé (risque d’induire le tribunal en erreur) (au para 92); enfin, la décision Middlecamp fait référence au principe selon lequel les parties adverses ont le droit d’être informées de tout accord conclu au sujet de la preuve. Je ne partage pas l’avis de PMS selon lequel, en règle générale, les ententes de coopération conclues avec des tiers doivent être divulguées.
[56] Je n’ai pas connaissance d’un cas où une Cour a élargi le principe selon lequel une entente conclue entre les parties et portant sur des dispositions en matière de preuve s’étend aux accords relatifs à la preuve conclus entre une partie et un témoin, et a ensuite exigé la production des accords et des documents connexes. La distinction entre une partie et un témoin est essentielle.
[57] Je suis d’accord avec les arguments de Janssen qui dit que, dans les litiges impliquant plusieurs parties, si un demandeur conclut un accord avec l’un des défendeurs, cela constitue un changement manifeste du rapport d’opposition attendu et une iniquité flagrante pourrait résulter d’un défaut de divulgation. De même, si deux défendeurs ayant déposé des demandes entre défendeurs concluent une entente de règlement, il s’agira d’un changement inattendu (même s’ils sont tous deux opposés au demandeur), car ils étaient auparavant opposés l’un à l’autre, du moins en ce qui concerne les demandes entre défendeurs.
[58] S’il existe des ententes de coopération entre Janssen et Apotex et Dr Reddy’s (et je ne me prononce pas sur l’existence de telles ententes), les termes de ces ententes ne changeraient pas les relations apparemment existantes entre les parties au litige, lesquelles seraient autrement présumées à partir des plaidoiries (voir Aviaco International Leasing Inc v Boeing Canada Inc., 2000 CanLII 22777 (ONSC), au para 23). Il n’y a pas eu de changement dans l’apparence d’opposition en l’espèce, ni de réalignement des intérêts entre les parties en l’espèce.
[59] Je ne suis pas convaincu qu’il y ait un risque que la Cour soit induite en erreur si les ententes de coopération entre Janssen et Apotex et Dr Reddy’s ne sont pas divulguées, notamment si PMS a la possibilité lors du contre-interrogatoire de poser des questions sur les circonstances qui ont conduit au témoignage, y compris pour savoir si le témoignage était volontaire ou réellement contraint par une citation à comparaître Les questions de cette catégorie ont été refusées à juste titre et ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
C. Renonciation
[60] La catégorie A est décrite comme l’évaluation des litiges liés à l’abiratérone et inclut des questions portant sur la renonciation.
[61] On a demandé à Janssen qui, dans le monde hypothétique envisagé, aurait pris la décision de conclure (ou non) une entente avec Dr Reddy’s à un certain moment et selon un certain scénario. Pour Janssen Inc., Janssen a répondu à la suite d’un engagement en déclarant qu’une décision aurait été prise par une personne avant une date spécifique, et par une autre personne après cette date [traduction] « à la lumière des conseils de Diane Yee et de Jen Reda »
. Toutes deux sont avocates. PMS fait valoir que la question de la communication préalable ne portait pas sur les conseils reçus et que ces informations ont donc été [traduction] « volontairement injectées »
par Janssen. PMS estime qu’il s’agit là d’un exemple classique de recours au conseil juridique pour étayer une défense. Puisque Janssen n’a pas conclu d’accord avec Dr Reddy’s dans le monde réel, PMS soutient que, par déduction nécessaire, Diane Yee ou Jen Reda auraient donné des conseils différents à Janssen pour l’aider à prendre une décision différente quant à savoir s’il fallait conclure une entente, à quel moment et à quelles conditions, selon qu’il se soit agi du monde réel ou du monde hypothétique. PMS soutient donc qu’elle devrait avoir la possibilité de connaître ce conseil.
[62] Le secret professionnel de l’avocat est « incontestablement essentiel au bon fonctionnement du système de justice et constitue l’une des pierres d’assise de l’accès à la justice.
[...] Sans garantie de confidentialité, on ne saurait être assuré qu’une personne se confiera avec honnêteté et franchise à son avocat, ce qui nuirait à la qualité des conseils juridiques. Il est donc dans l’intérêt public de protéger le secret professionnel de l’avocat. C’est pourquoi “[il] est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles”[...] »
(Alberta (Information and Privacy Commissioner) c University of Calgary, 2016 CSC 53, au para 34; citations omises). Le privilège relatif au litige vise à faciliter le processus du procès contradictoire. Il « fait naître une présomption d’inadmissibilité pour une catégorie de communications, soit celles dont l’objet principal est la préparation d’un litige
. [...] à moins que l’on soit dans un cas visé par une des exceptions au privilège relatif au litige, tout document satisfaisant aux conditions de son application sera couvert par une immunité de divulgation »
(Lizotte c Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52 (Lizotte), aux para 36-37).
[63] À quelques exceptions près, PMS ne conteste pas le caractère confidentiel des informations qu’elle cherche à obtenir, mais affirme que Janssen a renoncé au privilège. Je ne suis pas convaincu que Janssen ait renoncé au privilège, que ce soit expressément ou implicitement.
[64] Comme l’a constaté la juge adjointe Tabib dans l’affaire Amlodipine (aux p 3-4), en tant que société avisée, on peut s’attendre à ce que Janssen Inc. demande des conseils juridiques avant ou lors de la mise en œuvre de ses stratégies Janssen ne s’est pas appuyée sur les conseils juridiques qui lui ont été donnés dans le monde réel pour sa défense. Janssen a indiqué quelles personnes auraient participé au processus décisionnel dans le monde hypothétique envisagé, mais ne s’est pas appuyée sur des conseils juridiques pour justifier ce qui, selon elle, se serait passé dans ce monde hypothétique. Cette situation est très différente de celle de l’affaire The Corporation of City of Kawartha Lakes v Gendron, 2018 ONSC 3498 (au para 64), dans laquelle une personne ayant souscrit un affidavit a volontairement fourni des preuves détaillées de communications professionnelles et confidentielles relatives à des discussions en cours en vue d’un règlement, au caractère raisonnable d’une conduite et à une stratégie de règlement. L’auteur de l’affidavit a également fait référence à des conseils juridiques reçus de la part de conseillers externes.
[65] Une référence purement narrative à la prestation de conseils juridiques ne constitue pas une renonciation (PCP Capital Partners LLP & Anor v Barclays Bank Plc, [2020] EWHC 1393 (Comm), au para 49). En l’occurrence, je ne suis pas convaincu que Janssen s’appuie sur ce que ses avocats lui ont dit pour justifier des actions, des stratégies ou des comportements.
[66] Comme je l’ai mentionné lors de l’audience, même si je suppose que toutes les questions de cette catégorie sont pertinentes, la nature des informations demandées (probabilité de succès, probabilité de succès en cas de litige, évaluation de ce qui peut arriver dans certains cas relevant de l’article 8, probabilité de règlements) est l’issue de litiges, ce qui comprend des analyses et des conseils juridiques. Je ne suis pas convaincu que la divulgation des noms de deux avocates dans la réponse à la question 2824 donnée suite à un engagement constitue une renonciation. Janssen a révélé les noms des personnes impliquées dans le processus décisionnel, mais ne s’appuie pas sur ce que ces personnes ont dit. Le monde réel et le monde hypothétique sont intrinsèquement différents. Le fait que des avocats aient pu contribuer aux négociations dans le monde hypothétique envisagé ne signifie pas qu’il y ait eu renonciation au privilège.
[67] Comme je l’ai indiqué lors de l’audience, les questions de cette catégorie ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
D. Historique des litiges aux États-Unis
[68] La catégorie F constitue une série de questions découlant de communiqués de presse américains, de documents déposés auprès de la Securities and Exchange Commission des États-Unis et de décisions rendues par des tribunaux américains. PMS a l’intention de faire valoir que Janssen s’est battue [traduction] « bec et ongles »
pour préserver son monopole américain pour l’abiratérone, et que la stratégie commerciale et contentieuse de Janssen aux États-Unis correspond à son comportement réel au Canada et est incompatible avec le récit que Janssen présentera par rapport au monde hypothétique.
[69] Les questions de la catégorie D (historique des litiges concernant Janssen) ont fait l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde au cours de l’audience, mais ces questions concernaient les activités de Janssen au Canada. La pertinence des activités engagées aux États-Unis est plus limitée, notamment parce que la législation dite « Hatch-Waxman »
diffère du Règlement de façon importante. Notamment, il n’y a apparemment pas d’équivalent aux dommages-intérêts prévus par l’article 8 dans la législation américaine.
[70] Dans la mesure où les questions de PMS demandent la production de communiqués de presse relatifs à l’abiratérone, il est raisonnable d’obtenir des copies de Janssen pour s’assurer qu’il n’y a pas le moindre doute quant à l’intégralité du document. Une telle demande n’est pas contraignante. L’élément 155 fera l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. Janssen a déjà admis que la pièce 391 produite par PMS est une copie conforme; ainsi, l’élément 162 ne fera pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. De même, Janssen a admis que les pièces 420 et 424 produites PMS sont des copies conformes; ainsi, les éléments 148 et 169 ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde
[71] Certaines des questions de cette catégorie visent à confirmer certains événements survenus dans le cadre de litiges aux États-Unis, tels que l’issue des procédures judiciaires, l’introduction d’appels ou la demande d’injonctions. La pièce 390 produite par PMS est une décision du United States Patent Trial and Appeal Board datée du 17 janvier 2018; il a été admis lors de l’interrogatoire préalable qu’il s’agissait d’une copie de cette décision. La pièce 424 produite par PMS est une décision de la United States Court of Appeals for the Federal Circuit; PMS a confirmé qu’il s’agissait d’une copie conforme. Dans la mesure où une cour ou un tribunal a communiqué ses conclusions dans une décision qui a été publiée, ce document parle de lui-même. Dans le cas où les questions visent à confirmer qu’une étape du litige a été franchie (ou n’a pas été franchie), bien que n’étant pas apparente dans une décision ou un dossier de Cour, des questions circonscrites à cet égard peuvent s’avérer appropriées. Les éléments 153, 170 et 171, qui concernent des copies de décisions judiciaires, ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. Les éléments 164-166 visent à confirmer que Janssen a demandé une injonction après qu’une décision ait été rendue en première instance. L’élément 167 vise à confirmer l’issue d’une procédure devant la Supreme Court of the United States. Bien que j’aie des réserves quant à la pertinence de poser ce type de questions, les réponses se limiteraient à « oui »
ou « non »
, et je ne vois dans le dossier aucune décision publiée ou tout autre document similaire qui rendrait la réponse évidente. Les éléments 164, 165, 166 et 167 feront l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
[72] Certaines des questions posées par PMS visent à obtenir la confirmation que certaines déclarations contenues dans les communiqués de presse sont exactes, par exemple celle indiquant que Johnson & Johnson conteste une décision et continuera de défendre le brevet. Ce type de questions va au-delà de ce que Janssen a fait ou n’a pas fait pour protéger ses droits de brevet aux États-Unis. Les questions de la catégorie A relatives aux attentes et aux convictions de Janssen quant à la validité des brevets n’ont pas fait l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. Je ne suis pas convaincu que la croyance de Janssen quant à la validité de ses droits de brevet aux États-Unis soit un sujet de question approprié. Les éléments 154, 156, 157, 158, 159, 163 ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. J’ai du mal à bien comprendre l’élément 161. À la question 1593, il semble y avoir une certaine confusion par rapport au document dont il est question en référence, et il y a une indication disant que la question sera réexaminée le lendemain. Cet élément ne fera pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
[73] PMS souhaite présenter un argument selon lequel Janssen est un plaideur combatif dans le monde réel, tant au Canada qu’aux États-Unis. J’hésite quant au poids qui pourrait être accordé à ce que Janssen a pu faire à l’étranger, mais les questions des éléments 168, 147, 149, 176, 177 et 178 sont des questions factuelles circonscrites qui pourraient étayer cet argument et faire l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. En fin de compte, c’est au juge de première instance qu’il appartient de décider si ces preuves sont admissibles et quel poids il convient de leur accorder (le cas échéant).
[74] La sous-catégorie F3 comprend des questions portant sur la date à laquelle les négociations en vue d’un règlement avec Apotex ont commencé aux États-Unis, la date à laquelle elles se sont terminées, la question de savoir si les discussions menées aux États-Unis incluaient des discussions en vue d’un règlement au Canada et si Janssen était convaincue de la validité de son brevet canadien. J’estime qu’aucune des questions de cette sous-catégorie n’est appropriée. En répons à l’élément 189 de l’engagement, Janssen a déjà informé PMS du lancement de certaines négociations en vue d’un règlement au Canada. Des discussions transfrontalières en vue d’un règlement pourraient avoir lieu, mais je ne suis pas convaincu qu’en répondant à une question concernant la date du début des discussions en vue d’un règlement au Canada, PMS ait ouvert la porte à des discussions en vue d’un règlement dans d’autres territoires. J’ai du mal à comprendre comment Janssen pourrait répondre à des questions concernant ses convictions sur la validité du brevet 422 sans révéler des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège relatif au litige. Les éléments 150, 151, 152, 103 et 104 ne feront pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
E. Contrats de licence
[75] Les catégories R et BTG E font référence à un contrat de licence conclu entre BTG International Ltd (« BTG »
) et Cougar Biotechnology, aujourd’hui Janssen Oncology, Inc., concernant l’abiratérone. SPM souhaite connaître les taux de redevance prévus dans le contrat, considérant que plus les taux de redevance sont élevés, plus la motivation de BTG à poursuivre le litige sans conclure d’entente de règlement doit être grande. Janssen fait valoir qu’il s’agit d’informations non pertinentes et que PMS n’a établi aucun élément factuel sur lequel fonder ces questions.
[76] Je suis convaincu que la production du contrat de licence ne serait pas contraignante et que le document peut être pertinent. Les éléments 5, 6, 37 et 38 feront l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. La demande concernant l’enregistrement des paiements de redevances par année et par pays a une trop grande portée et est trop contraignante. L’élément 7 ne fera pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde. Janssen s’est engagée à répondre à l’élément 35. En ce qui concerne l’élément 17, je suis d’accord avec Janssen qui, dans ses observations, fait remarquer qu’une réponse à l’élément 3 a été donnée suite à un engagement; il n’est pas aisé de savoir quelles sont les informations supplémentaires que demande PMS, et cet élément ne fera pas l’objet d’une ordonnance exigeant qu’on y réponde.
III. Résolution des questions non débattues
[77] Ce sont 17 catégories de la requête de PMS qui n’ont pas été abordées lors de l’audience. PMS m’a demandé de statuer sur les questions restantes après l’audience, à partir des documents écrits. Janssen a fait la même demande pour sa propre requête. Je ne peux pas conclure que les parties espéraient véritablement que les questions n’ayant pas été abordées lors de l’audience soient reportées et examinées plus tard par écrit; par ailleurs, je ne suis pas disposé à le faire. Aucune ordonnance ne sera rendue sur les questions qui n’ont pas été abordées lors de l’audience, tant dans la présente requête que dans la requête Janssen.
[78] Les discussions relatives à la programmation des requêtes visant à obtenir des réponses ont commencé vers novembre 2023. Le 14 novembre 2023, PMS a écrit à la Cour et a proposé un calendrier menant à une audience d’un jour et demi pour l’instruction des requêtes.
[79] Une conférence de gestion de l’instance s’est tenue le 15 novembre 2023. Les parties y ont été informées que la durée de chacune des deux requêtes serait fixée à un jour. Le même jour, j’ai émis une directive fixant au 22 janvier 2024 la date de l’audience pour les requêtes visant à obtenir des réponses, et précisant que l’instruction des requêtes de PMS et Janssen ne dépasserait pas une journée. Le fait de limiter l’instruction des requêtes visant à obtenir des réponses à une seule journée est conforme à la pratique de la Cour pour les procédures engagées en vertu du Règlement. Dans certains cas, il est arrivé que des juges adjoints prévoient plus d’une journée pour l’instruction de requêtes préalables, mais cela se produit généralement lorsqu’il y a des actions en cours qui impliquent des fabricants de produits génériques représentés individuellement, et que les interrogatoires préalables se déroulent en parallèle. Ce n’est pas en l’espèce. Même si d’autres juges responsables de la gestion d’instances ont accordé plus d’une journée pour les requêtes visant à obtenir des réponses, ce pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé en l’espèce.
[80] Lors de la conférence de gestion de l’instance, il n’y a pas eu de demande concernant la disjonction réelle des requêtes, la résolution de certaines questions lors de l’audience ou des questions restantes par écrit. Il a toujours été question d’une requête orale, et uniquement d’une requête orale.
[81] Limiter la durée des requêtes préalables à une journée est également conforme à l’article 8 des Lignes directrices sur la gestion des instances pour les procédures complexes et les procédures visées par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), dont la dernière modification remonte au 18 octobre 2023 (les Lignes directrices). Celles-ci limitent l’audition des requêtes pour faire trancher les objections à une heure par jour d’interrogatoire préalable du représentant de chaque partie..
[82] Avant le dépôt des requêtes, chaque partie savait qu’elle disposerait d’une demi-journée d’audience pour présenter sa requête respective.
[83] La requête de PMS incluait sur 360 questions contestées réparties en une trentaine de catégories et sous-catégories. En plus des 12 volumes (3 899 pages) de documents justificatifs, PMS a déposé plus de 50 pages d’observations écrites, distinctes du tableau des questions en litige. Lorsque les réponses de Janssen ont été ajoutées au tableau des questions contestées, la longueur du document a été portée à 257 pages. Pour une requête devant être entendue en une demi-journée. Dans ses observations, Janssen a indiqué qu’elle répondrait à environ 60 questions, ce qui en laisserait environ 300 à trancher.
[84] La requête de Janssen était également volumineuse, comptant environ 175 questions divisées en 15 catégories et sous-catégories. Le tableau des questions contestées, ainsi que les observations en réponse, comptait 230 pages.
[85] Les questions portant sur les requêtes préalables à l’instruction sont généralement tranchées sur le moment. Les questions contestées prises en délibéré constituent l’exception, et non la norme. En outre, les questions sont prises en délibéré après les plaidoiries. Il n’existe pas de pratique établie selon laquelle les questions qui n’ont pas fait l’objet d’une argumentation seront jugées plus tard, uniquement à partir des observations écrites. Il aurait dû être évident pour PMS et Janssen, au moment où elles se sont échangé leurs réponses, qu’il serait extrêmement difficile, voire impossible, de répondre à toutes les questions contestées dans le délai imparti.
[86] La directive concernant la programmation de ces requêtes exigeait que les parties écrivent à la Cour à une date fixe et indiquent quelles questions avaient été réglées. Cette étape est délibérément incluse dans les directives de planification afin d’inciter les parties à parvenir à un compromis, à réduire le nombre de questions en litige et à utiliser le plus efficacement possible le temps précieux de la Cour. Les parties ont écrit à la Cour le 18 janvier 2024, conformément à la directive, PMS indiquant qu’elle laisserait tomber six éléments, et Janssen indiquant qu’elle laisserait également tomber six éléments, un compromis qui n’avait pas de véritable répercussion sur le temps nécessaire pour répondre aux questions restantes.
[87] L’audience a commencé tôt, à 9 h. Dès le départ, il a été mentionné que la journée serait divisée en deux parties égales.
[88] PMS a commencé la présentation de ses observations en parlant d’affaires relevant de l’article 8 en général, puis de l’entente de règlement, de l’entente de coopération et de la question de la renonciation mentionnée ci-dessus. La plaidoirie sur ces catégories a duré environ deux heures et demie. Les parties à une requête préalable à l’instruction peuvent, bien entendu, répartir leur temps comme bon leur semble et classer les catégories selon l’ordre de priorité qui leur convient. L’ordre selon lequel les catégories et les questions seront abordées, de même que le temps qu’il sera nécessaire de consacrer aux catégories, relève de la requérante, et non de la Cour.
[89] Plus de trois heures après le début de la présentation de la requête de PMS, j’ai évoqué le problème des questions qui ne seraient pas abordées lors de l’audience et j’ai ajouté que je ne m’attendais pas à ce qu’elles soient tranchées par écrit. PMS a fait valoir qu’elle n’avait pas connaissance d’une telle règle, qu’il n’existait aucune ligne directrice à cet effet et a demandé à ce que toutes les questions qui n’avaient pas été débattues lors de l’audience soient déterminées à partir des documents écrits. Janssen s’est contentée de se prononcer par écrit sur le reste de la requête de PMS, sous réserve que sa requête soit traitée de la même manière. Je réserve ma décision sur ce point et je confirme que l’issue sera la même pour la requête PMS et pour celle de Janssen.
[90] L’avocat de PMS a également fait valoir que les parties intimées ont utilisé une part disproportionnée du temps consacré à sa requête. Je ne puis être d’accord. Bien que je n’aie pas utilisé de chronomètre pour les requêtes, les observations données en réponse aux deux requêtes n’ont pas, dans l’ensemble, dépassé le temps utilisé par la partie requérante. Je n’ai pas observé qu’une partie prenait davantage son temps au détriment d’une l’autre. Dans la mesure du possible, j’ai essayé d’accélérer la présentation des observations afin de maximiser le nombre de questions qui pouvaient être traitées.
[91] Il ne s’agit pas d’un cas où quelques questions isolées pourraient être traitées à partir d’observations écrites après l’audience, même si j’étais disposé à le faire. Plus du quart des questions de la SPM n’avaient pas été abordées à l’expiration du délai imparti.
[92] Permettre aux parties de diviser leurs requêtes de façon à obtenir une décision orale et une décision écrite serait incompatible avec les directives de planification qui limitent à une seule journée le temps consacré par la Cour aux requêtes. En réalité, cela constituerait une contestation indirecte de ces directives. Cela serait également incompatible avec le souhait exprimé par la Cour, notamment dans les Lignes directrices, de rendre plus efficace la procédure d’interrogatoire préalable (y compris les requêtes pour faire trancher les objections).
[93] Si les parties sont obligées de plaider les requêtes préalables à l’instruction dans les délais impartis, mais qu’elles peuvent ensuite obtenir une décision par écrit sur toutes les autres questions contestées, le délai prescrit ne sert plus à rien. Autoriser cette pratique dissuaderait les parties de faire des compromis sur les questions faisant l’objet d’une requête, en particulier lorsque les requêtes des deux parties sont entendues le même jour. Si les délais prévus pour l’audience sont envisagés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des limites, les deux parties sont incitées à coopérer. S’il n’y a aucun délai pratique, il n’y a peu de motivation.
[94] Il n’y a pas si longtemps, la conduite des interrogatoires préalables et l’instruction des requêtes connexes relevaient largement des parties. Les interrogatoires préalables exploraient les limites les plus extrêmes de la pertinence, et les requêtes préalables à l’instruction pouvaient s’étirer sur plusieurs jours. Les parties, les avocats et la Cour se sont tous plaints du manque d’efficacité, tant en termes de temps qu’en termes d’argent. Heureusement pour toutes les personnes concernées, cette époque est révolue depuis longtemps.
[95] D’une manière générale, la Cour suprême a reconnu la nécessité d’entamer virage culturel en ce qui concerne le litige civil, virage qui implique la simplification des procédures préalables au procès (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au para 2). Plus précisément, la jurisprudence de la Cour fédérale rejette les interrogatoires préalables sous forme d’« autopsie »
(AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 1301, au para 19). L’un des objectifs généraux des Lignes directrices est d’optimiser l’efficacité de la procédure d’interrogatoire préalable. Ajouter aux longues requêtes orales des requêtes écrites plus longues encore serait contraire à tous ces objectifs.
[96] Le fait de renvoyer par écrit des séries entières de questions contestées à trancher est injuste pour les parties. Dans le cas d’une requête écrite, chacun sait qu’on doit inclure toutes les questions que l’on souhaite aborder dans les observations écrites; c’est tout ce dont la Cour disposera. En outre, la partie requérante à une requête écrite dispose du droit de déposer des prétentions écrites en réponse (art 369(3) des Règles des Cours fédérales). Le renvoi d’une partie substantielle d’une requête orale vers une requête écrite prive les parties de la possibilité de mettre l’accent sur certaines observations et de présenter des arguments en réponse.
[97] Ajouter à l’audience orale d’une requête préalable à l’instruction un processus de décision écrit constitue un manque d’efficacité. Lors de l’audience orale d’une requête préalable à l’instruction, les parties changent régulièrement leur position en fonction des décisions rendues. Souvent, une décision rendue à propos d’une question peut conduire à la résolution d’autres questions. Parfois, il est possible de répondre à certaines questions de manière légèrement différente à la satisfaction mutuelle des parties, et d’ainsi parvenir à un accord. Rien de tout cela ne peut se produire lorsqu’on traite une requête écrite. Si la partie requérante sait qu’il n’y a effectivement aucune limite de temps, elle n’a aucune raison de limiter la taille de sa requête en premier lieu, ou de faire preuve de diligence durant l’audience. Cela encouragerait une approche « fourre-tout »
dans le traitement des requêtes préalables à l’instruction; il s’agit justement d’une chose que l’élaboration des Lignes directrices avait pour but de prévenir.
[98] Confier des dizaines de questions à l’officier de justice saisi de l’affaire pour qu’il les tranche et rende une décision par écrit à l’issue d’une audience limitée dans le temps est une pratique déloyale à l’égard de la Cour, en plus d’affecter la capacité de celle-ci à contrôler ses propres activités. Si un délai est fixé pour une requête préalable à l’instruction, sauf indication contraire explicite, cela ne peut être interprété comme laissant aux parties le loisir d’user de façon illimitée des ressources de temps de la justice pour l’examen des questions que les parties n’ont pas eu le temps d’aborder lors de l’audience. En outre, la Cour ne peut pas poser de questions qui peuvent découler d’un premier examen des documents; elle ne peut pas demander d’éclaircissements. Il serait beaucoup plus long de statuer sur une requête préalable à l’instruction par écrit que lors d’une audience. C’est particulièrement le cas lorsque les tableaux des questions contestées s’étendent sur des centaines de pages. Même si les parties avaient fait une telle demande en novembre 2023, je n’aurais jamais accepté de statuer par écrit sur tout ou partie de cette requête.
[99] Les ressources des tribunaux sont souvent, et à juste titre, qualifiées de rares. La Cour a beaucoup de travail. Tous les plaideurs s’attendent à ce que leurs affaires soient jugées en temps utile. Les parties à cette procédure ont certes droit à leur journée devant la Cour, mais elles n’ont pas le droit de profiter de journées qui devraient servir à d’autres. En l’occurrence, PMS n’a traité que la moitié de ses catégories de questions lors de la plaidoirie, et ne pouvait pas s’attendre à obtenir plusieurs jours d’audience pour sa requête préalable à l’instruction, alors que tous les autres n’ont droit qu’à une demi-journée.
[100] D’autres parties, notamment dans le cadre de procédures en vertu du Règlement, se sont vu imposer des délais pour leurs requêtes préalables à l’instruction et n’ont pas obtenu que leurs questions non résolues soient ultérieurement tranchées par écrit. Ces parties ont dû faire des choix relativement aux questions qu’elles tenaient à voir résoudre, à ce qu’elles voulaient privilégier et, lorsqu’il le fallait, ce qu’elles voulaient abandonner. Le fait de trancher une grande partie de ces requêtes en se basant uniquement sur les documents écrits serait injuste pour les autres personnes qui ont été tenues de respecter des contraintes de temps et qui s’y sont appliquées.
[101] Pour toutes les raisons susmentionnées, aucune ordonnance ne sera rendue en ce qui concerne les questions qui n’ont pas été abordées lors de l’audience.
[102] Parmi les questions pour lesquelles aucune ordonnance ne sera rendue, il y a celles qui visent à établir si un engagement a été respecté ou non. La requête de Janssen comprenait aussi des engagements contestés. La Cour ne devrait pas être appelée à trancher si les engagements ont été respectés. Comme je l’ai indiqué dans l’affaire Triteq Lock & Security, LLC v Minus Forty Technologies Corp, 2023 CF 819, un engagement est une garantie ou une promesse de faire quelque chose. Si une partie promet volontairement de faire quelque chose, cette promesse doit être honorée dans son intégralité et dans les délais impartis. Le fait qu’il n’ait pas été statué sur les engagements contestés ne dispense pas les parties de fournir des réponses complètes et détaillées selon les engagements qu’elles ont pris.
IV. Dépens
[103] Les parties ont convenu que les dépens de la requête devaient être adjugés suivant l’issue de la cause. Une ordonnance sera rendue en ce sens.
V. Post-scriptum
[104] Une version confidentielle de cette ordonnance et de ses motifs a été envoyée aux parties le 19 février 2024 afin qu’elles puissent présenter leurs observations sur le caviardage proposé. Les parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le caviardage proposé, et chacune d’elles a déposé une correspondance le 26 février 2024.
[105] Le principe de la publicité des débats judiciaires est jalousement gardé. Une personne qui demande à un tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que : la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important; l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs. Ces principes s’appliquent aux caviardages (Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 (Succession Sherman), au para 38).
[106] Les deux parties soutiennent que le paragraphe 44 devrait être caviardé; le caviardage proposé par PMS couvre davantage de texte que celui proposé par Janssen.
[107] À sa correspondance du 26 février 2024, Janssen a joint une version de l’ordonnance et des motifs, avec le caviardage qu’elle propose en surbrillance. Aucune observation n’a été faite sur les raisons précises pour lesquelles le caviardage proposé remplit les conditions énoncées dans l’arrêt Succession Sherman, ou plus généralement sur les raisons pour lesquelles les avantages découlant du caviardage de ces informations l’emportent sur ses inconvénients. En revanche, les observations de PMS décrivent en détail le préjudice qui pourrait résulter de la publication de l’information. Je suis convaincu que le caviardage proposé par PMS est raisonnable et que ses avantages l’emportent sur ses inconvénients.
[108] Janssen demande à ce que l’identité des avocats mentionnés au paragraphe 61 soit caviardée. PMS n’est pas d’accord. La raison pour laquelle la divulgation des noms de ces personnes aurait des conséquences négatives pour Janssen n’est pas évidente; aucune observation n’a été faite à cet égard. Je note également que Mme Yee est mentionnée dans une ordonnance relative à la requête de PMS visant à substituer un intervenant relativement à l’interrogatoire préalable, et qu’aucune demande n’a été faite pour que son nom soit caviardé dans cette ordonnance. Le paragraphe 61 ne sera pas modifié.
ORDONNANCE dans le dossier T-732-22
LA COUR ORDONNE :
En ce qui concerne l’interrogatoire préalable de Janssen Inc. et Janssen Oncology, Inc. :
les défenderesses devront répondre
aux éléments 106-107 (catégorie C);
aux éléments 181-204, 209-217, 222-228, 233-258, question 1749 (catégorie D);
aux éléments 205-208, 218-221, 229-232 et 259-263 (catégorie E2);
aux éléments 147, 149, 155, 164-168 et 176-178 (catégorie F);
aux éléments 82 à 84 (catégorie H);
aux éléments 37 et 38 (catégorie R).
les défenderesses ne sont pas tenues de répondre
aux éléments 92, 355 et 135-143 (catégorie A);
aux éléments 1-3, 357, 7, 14-15, 356, et 26-27 (catégorie B);
aux éléments 47, 58-61, 63-68 et 70-75 (catégories E1 et E3);
aux éléments 103-104, 148, 150-154, 156-159, 161-163 et 169-171 (catégorie F);
aux éléments 4-6, 8-13, 17-25, 28, 32-34, 127 et 133 (catégorie G);
aux éléments 85-86 (catégorie H).
En ce qui concerne l’interrogatoire préalable de BTG International Ltd :
la défenderesse devra répondre
aux éléments 5-6 (catégorie BTG E);
la défenderesse n’est pas tenue de répondre
aux éléments 102-109 (catégorie BTG A);
aux éléments 25, 36, 74-75 et 86-88 (catégorie BTG B);
aux éléments 117-118 et 121-122 (catégorie BTG C);
aux éléments 119-120 et 123-129 (catégorie BTG D);
aux éléments 7 et 17 (catégorie BTG E).
Les dépens suivront l’issue de la cause.
vierge
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« Trent Horne » |
vierge
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Juge adjoint |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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T-732-22 |
INTITULÉ :
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PHARMASCIENCE INC. c. JANSSEN INC. ET AUTRES |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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tenue par vidéoconférence
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 22 janvier 2024
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ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS : |
Le juge adjoint Horne.
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DATE DES MOTIFS :
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29 février 2024
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COMPARUTIONS :
Marcus Klee Aleem Abdulla Émilie-Anne Fleury Alyssa Gaffen |
Pour la demanderesse |
Stephanie Anderson
Heather Lindsay
Kelly Zhang
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Pour les défenderesses JANSSEN INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD |
David Yi William Chalmers Fiona Sarazin |
Pour la défenderesse JANSSEN ONCOLOGY INC. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
AITKEN KLEE LLP
Barristers et Solicitors
Ottawa (Ontario) |
Pour la demanderesse |
BELMORE NEIDRAUER LLP
Barristers et Solicitors
Toronto (Ontario) |
Pour les défenderesses JANSSEN INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD |
Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Avocats Toronto (Ontario) |
Pour la défenderesse JANSSEN ONCOLOGY INC. |