Dossier : IMM-9367-22
Référence : 2024 CF 200
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 février 2024
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE : |
HAI WANG |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). Dans cette décision, la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande.
II. Contexte
[3] M. Hai Wang (le demandeur) est un citoyen chinois âgé de 24 ans.
[4] Le demandeur allègue qu’il est un chrétien pentecôtiste. En août 2016, alors qu’il avait 17 ans, il s’est converti au christianisme après le suicide de son ami.
[5] Le demandeur ainsi que deux adeptes ont distribué des dépliants pour le compte de leur église. Le demandeur affirme qu’ils ont tous été appréhendés, interrogés, agressés et accusés par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) de la Chine d’avoir participé à des activités religieuses illégales.
[6] Le demandeur a quitté la Chine, prétendument par l’entremise d’un passeur, et est entré au Canada en juin 2017. Il affirme qu’il s’est joint à une église locale à Scarborough, en Ontario, et qu’il s’est fait baptiser en décembre 2017.
[7] Le demandeur a demandé l’asile au Canada au début de 2018. Il a déposé en preuve une décision relative à une peine administrative ainsi qu’un reçu d’amende.
[8] La SPR a tiré plusieurs conclusions, dont celles-ci :
La décision relative à la peine administrative et le reçu d’amende n’étaient pas authentiques;
Le demandeur n’était pas recherché par le BSP;
Le demandeur n’aurait pas été en mesure de quitter la Chine comme il l’a décrit;
Le demandeur n’était pas un véritable adepte du christianisme pentecôtiste;
Le demandeur serait en mesure de pratiquer le christianisme s’il retournait en Chine.
[9] La décision de la SPR a été confirmée en appel devant la SAR. Toutefois, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour a renvoyé l’affaire à la SAR pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
[10] La SAR a rendu sa deuxième décision en septembre 2022. C’est la deuxième décision de la SAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Décision faisant l’objet du contrôle
A. Admissibilité des nouveaux éléments de preuve
[11] Le demandeur a présenté les documents suivants à titre de nouveaux éléments de preuve devant le deuxième tribunal de la SAR, lesquels étaient tous postérieurs à l’audience devant la SPR :
Une lettre du révérend du demandeur au Canada (la lettre du révérend), dans laquelle il atteste la participation du demandeur à des activités religieuses depuis des années, commente la situation des chrétiens en Chine et demande à la SAR de faire droit à la demande du demandeur;
Une lettre de la mère du demandeur, dans laquelle elle indique que le BSP s’est rendu à leur domicile en Chine et lui a remis une citation à comparaître visant le demandeur, et qu’elle s’est entretenue avec un autre adepte (que la SAR a désigné
« XXS »
) de l’église du demandeur en Chine au sujet de sa détention (la lettre de la mère);Une citation à comparaître du BSP visant le demandeur (la citation du BSP);
Un certificat de mise en liberté visant XXS, montrant que ce dernier a été détenu pendant plusieurs semaines à la fin de l’année 2021 (le certificat de mise en liberté).
[12] La SAR n’a admis aucun de ces documents, hormis une partie de la lettre du révérend dans laquelle celui-ci atteste que le demandeur a participé aux activités de son église au Canada. Elle a conclu que le reste de la lettre renfermait des opinions et des plaidoyers en faveur du demandeur, et non des éléments de preuve.
[13] En ce qui concerne la citation du BSP, la SAR a comparé ce document à un spécimen de citation à comparaître du BSP contenu dans le cartable national de documentation sur la Chine. Elle a fait remarquer que le libellé du spécimen était différent de celui de la citation du BSP visant le demandeur. Elle a conclu que la citation à comparaître du BSP n’était pas crédible.
[14] En ce qui concerne le certificat de mise en liberté, la SAR a examiné le libellé du document, qui précisait : 1) que XXS avait été détenu [traduction] « pour interrogatoire et enquête en raison de son absence de remords et parce qu’il [avait] de nouveau participé à des activités religieuses illégales »
; 2) que XXS avait été libéré au motif que l’affaire était « close »
.
[15] La SAR a examiné le certificat de mise en liberté au regard des articles 9, 27 et 40 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique de la Chine. Elle a conclu qu’il n’était pas conforme à ces dispositions et qu’il n’était pas crédible.
[16] La SAR a refusé d’admettre la lettre de la mère en preuve, au motif qu’elle portait principalement sur la citation à comparaître du BSP et le certificat de mise en liberté.
B. Tenue d’une audience
[17] La SAR n’a pas tenu d’audience afin d’apprécier la crédibilité, en dépit de ses conclusions relatives aux nouveaux éléments de preuve. Elle était d’avis que les nouveaux éléments de preuve admis ne soulevaient aucune question de crédibilité. La SAR semble avoir jugé que les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées à l’étape de l’évaluation de l’admissibilité ne déclenchaient pas l’obligation de tenir une audience.
C. Erreurs dans les conclusions de la SPR
[18] La SAR était d’accord avec le demandeur pour dire que la décision de la SPR renfermait des erreurs. Elle a fait remarquer que certaines des conclusions de la SPR étaient incohérentes et qu’un certain nombre d’entre elles étaient fondées sur des hypothèses et des conjectures personnelles, et non sur la preuve dont le tribunal était saisi. Cela étant dit, la SAR a conclu que les erreurs de la SPR n’étaient pas déterminantes et que la SPR était arrivée au bon résultat malgré tout.
1) Authenticité de la décision relative à la peine administrative et du reçu d’amende
[19] La SAR a conclu que la SPR s’était fondée sur des hypothèses et des conjectures personnelles lorsqu’elle avait conclu que la décision relative à la peine administrative et le reçu d’amende n’étaient pas authentiques.
[20] La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la décision relative à la peine administrative et du reçu d’amende. Elle a comparé la décision relative à la peine administrative à un spécimen contenu dans le CND sur la Chine et a fait remarquer que le libellé comportait des incohérences. Elle a également fait remarquer que, selon les dispositions applicables de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique, la « surveillance »
ne fait pas partie des peines pouvant être infligées, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision relative à la peine administrative. La SAR a donc conclu que la décision relative à la peine administrative n’était pas authentique. Pour des motifs semblables, elle a conclu que le reçu d’amende n’était pas authentique non plus.
[21] Par conséquent, la SAR a également tiré une inférence défavorable en ce qui concerne la crédibilité générale du demandeur.
2) Authenticité des croyances religieuses du demandeur
[22] La SAR a conclu que la SPR s’était fondée sur des hypothèses et des conjectures personnelles lorsqu’elle avait évalué l’authenticité des convictions religieuses du demandeur. Après avoir évalué la question de façon indépendante, la SAR a conclu que la foi chrétienne pentecôtiste du demandeur n’était pas authentique.
[23] Cette conclusion de la SAR était fondée sur les conclusions suivantes : 1) le demandeur manquait de crédibilité en général, parce que la décision relative à la peine administrative et le reçu d’amende avaient été jugés non authentiques; 2) les réponses fournies par le demandeur à la SPR étaient « vague[s] »
, et le demandeur « ne répondait pas aux questions posées »
.
[24] La SAR a cité les extraits suivants de la transcription de l’audience devant la SPR :
[traduction]
SPR : Pourquoi la prière pour les malades et les cadeaux sont-ils encouragés?
Appelant : Oui, en priant lorsqu’on est malade, on reçoit une bénédiction et on est en sécurité.
SPR : Que signifie l’eau dans le baptême?
Appelant : L’eau sert à nous laver de notre péché originel.
SPR : Quelle est l’importance de la Bible pour les chrétiens pentecôtistes?
Appelant : Nous croyons à l’Esprit saint.
[…]
Conseil : Considérez-vous votre foi religieuse comme étant importante pour vous?
Appelant : Oui.
Conseil : Pourquoi?
Appelant : Alors, le sentiment d’être chrétien, lorsqu’on prie ou qu’on lit la Bible, est très réconfortant et permet de se détendre.
Conseil : Pourquoi? Ce genre d’environnement dans l’église?
Appelant : Oui.
Conseil : Et lorsque vous n’êtes pas à l’église?
Appelant : Après le décès de mon ami, j’ai fait une dépression très grave.
Conseil : Savez-vous pourquoi votre foi vous aide?
Appelant : Oui, je le sais.
Conseil : Pourquoi?
Appelant : Parce que l’Esprit saint me rendra visite.
Conseil : Qu’entendez-vous par là?
Appelant : C’est quelque chose que je ne peux pas exprimer par les mots. Je me sens à l’aise et libéré.
Conseil : Trouvez-vous que votre foi a changé votre vie, c’est-à-dire dans la façon dont vous interagissez avec les autres?
Appelant : Oui.
Conseil : Comment?
Appelant : Avant de devenir chrétien, je souffrais de dépression et d’anxiété. Mais après être devenu chrétien, après avoir fréquenté régulièrement l’église, j’ai cessé de ressentir tous ces sentiments de dépression.
Conseil : Autre chose?
Appelant : Alors, après être devenu chrétien, je vivrai sans inquiétude.
[25] La SAR a pris en compte la lettre du révérend attestant de la participation régulière du demandeur à son église au Canada depuis 2018. Elle a aussi tenu compte d’un certificat de baptême qui avait été présenté à la SPR. Cependant, elle a conclu que ces documents ne suffisaient pas à « établir de façon crédible [l’identité du demandeur] à titre de chrétien pentecôtiste authentique au Canada »
, puisque les réponses qu’il avait fournies à l’audience étaient « très élémentaire[s] »
et « vague[s] »
, et qu’il n’était pas crédible de façon générale.
[26] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a : 1) refusé d’admettre le certificat de mise en liberté; 2) refusé d’admettre la citation à comparaître du BSP; 3) refusé d’admettre la lettre de la mère; 4) conclu que la décision relative à la peine administrative n’était pas authentique; 5) conclu que le reçu d’amende n’était pas authentique; 6) évalué de façon déraisonnable l’authenticité des croyances du demandeur.
IV. Questions en litige
[27] Était-il déraisonnable de la part de la SAR de conclure que certaines parties des nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles, que la décision relative à la peine administrative et le reçu d’amende n’étaient pas authentiques, ou que les croyances du demandeur n’étaient pas authentiques?
V. Analyse
[28] La norme de contrôle applicable aux conclusions de fond de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25).
A. Le certificat de mise en liberté
[29] Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SAR selon laquelle le certificat de mise en liberté manquait de crédibilité est déraisonnable. Il fait remarquer que la SAR a renvoyé aux articles 9, 27 et 40 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique, qui, selon elle, prévoyaient ce qui suit :
Les peines administratives qui peuvent être infligées comprennent les avertissements, les amendes et la détention, mais pas les enquêtes et les interrogatoires;
Les peines qui peuvent être infligées pour l’infraction de perturbation de l’
« ordre social »
au nom de la religion comprennent la détention et/ou une amende maximale de 1 000 yuans;Les peines administratives ne peuvent être infligées qu’une fois que l’organisme administratif a établi les faits clairement, faute de quoi l’organisme ne peut imposer de peine administrative.
[30] Le demandeur affirme que, dans les faits, les dispositions sur lesquelles la SAR s’est fondée n’énoncent pas ce qui précède. Le défendeur réplique que la SAR s’est bien fondée sur les bonnes dispositions, mais qu’elle a simplement cité une version désuète de la loi dans ses motifs.
[31] Il n’est pas nécessaire que je me penche sur le contenu de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique ou sur la question de savoir si la SAR a cité les bonnes dispositions. À mon avis, même si l’on présume que la SAR a bien résumé les dispositions de cette loi, la décision de rejeter le certificat de mise en liberté reste déraisonnable. Le certificat de mise en liberté ne dit pas que XXS a été détenu en guise de peine, mais plutôt [traduction] « pour interrogatoire et enquête »
. Cela correspond bien au cadre juridique résumé par la SAR. Cette dernière a elle-même résumé le fond de l’une des dispositions de la manière suivante :
Je souligne que l’article 40 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique précise que les peines administratives ne peuvent être infligées qu’une fois que l’organisme administratif a établi les faits […]
[Non souligné dans l’original.]
[32] Il était donc contradictoire de la part de la SAR de remettre en question le certificat de mise en liberté parce qu’il parlait [traduction] « [d’]interrogatoire et [d’]enquête »
:
[…] L’article 9 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique établit les peines pouvant être infligées, y compris les avertissements, les amendes et la détention; cependant, il n’est pas mentionné que les enquêtes et les interrogatoires sont des sanctions possibles. […]
[Non souligné dans l’original.]
[33] D’une part, la SAR affirme que le certificat de mise en liberté n’est pas crédible, parce que selon la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique, on s’attendrait à ce qu’un organisme administratif établisse les faits, c’est-à-dire qu’il mène une enquête. D’autre part, elle affirme également que le certificat de mise en liberté n’est pas crédible, parce qu’il mentionne une enquête et un interrogatoire, qui ne font pas partie des peines pouvant être infligées en vertu de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique. Ce raisonnement est inintelligible et déraisonnable.
[34] La SAR n’a fourni aucune autre raison pour expliquer son refus d’admettre en preuve le certificat de mise en liberté. Sa décision de refuser cet élément est déraisonnable.
B. La citation à comparaître du BSP
[35] Le demandeur soutient en outre qu’il était déraisonnable pour la SAR d’évaluer la crédibilité de la citation du BSP en le comparant à un spécimen. Il affirme que cela revient à présumer que toutes les citations à comparaître en Chine sont identiques. Le défendeur répond qu’il était loisible à la SAR de procéder à une telle évaluation des éléments de preuve dont elle disposait. Il cite le paragraphe 34 de la décision Mao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 542, où la Cour a conclu ce qui suit :
[34] Il existe une abondante jurisprudence établissant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] a le droit de comparer des documents à des échantillons de documents gouvernementaux pour en déterminer l’authenticité. Dans la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 262, au paragraphe 8, le juge Rennie a conclu que la Commission pouvait raisonnablement « s’attendre à ce que la sommation visant le demandeur ressemble à l’un des trois spécimens fournis » lorsque la Commission avait accès à des échantillons de documents chinois semblables. Dans sa décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 187, au paragraphe 10, le juge Zinn a approuvé la conclusion de la SAR selon laquelle une assignation chinoise n’était pas authentique parce qu’elle ne comportait pas certains éléments censés y figurer. Dans la décision Zhuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 790, aux paragraphes. [sic] 6 à 9, la juge Mactavish a conclu que des anomalies dans les documents, combinées à la prévalence bien connue de documents frauduleux en Chine, faisaient en sorte qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’un document chinois n’était pas authentique.
[36] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est loisible à la SAR d’évaluer les éléments de preuve en se référant à des spécimens contenus dans le cartable national de documentation. Cela dit, les inférences qu’elle tire de cette comparaison doivent également être raisonnables.
[37] En l’espèce, la citation du BSP contenait les mêmes éléments que dans le spécimen, y compris : 1) le nom de l’autorité de délivrance; 2) un titre identifiant le document comme étant une citation; 3) une déclaration obligeant la personne visée à comparaître; 4) le fondement juridique sur lequel reposait la citation; 5) des renseignements sur l’arrivée et le départ; 6) une ligne de signature; 7) une déclaration selon laquelle des copies du document seraient produites et remises à la personne visée.
[38] Le seul élément qui manquait dans la citation du BSP par rapport au spécimen était un avertissement selon lequel le fait de se soustraire à la citation pourrait avoir des répercussions. Cependant, comme le demandeur l’a fait remarquer dans ses observations orales, la preuve contenait d’autres spécimens de citations qui ne comportaient pas un tel avertissement.
[39] Compte tenu du niveau de concordance entre la citation du BSP et les spécimens contenus dans la preuve, la conclusion de la SAR selon laquelle la citation du BSP n’était pas crédible est déraisonnable.
[40] Il est possible de comprendre que les commentaires de la SAR se rapportent au fait que la citation du BSP et le spécimen comportent des libellés différents pour chacun des éléments mentionnés plus haut. Toutefois, la comparaison de la SAR reposait sur des traductions en anglais, faites par deux traducteurs différents. Même si on examinait les conclusions de la SAR en tenant compte de ce fait, elles seraient déraisonnables.
C. La lettre de la mère
[41] La seule raison pour laquelle la lettre de la mère n’a pas été admise est qu’elle « décrit des événements liés à la citation à comparaître et au certificat »
. Étant donné les conclusions que je tire plus haut, cette explication est déraisonnable.
D. La décision relative à la peine administrative
[42] Comme c’était le cas pour la citation du BSP, la SAR a conclu que la décision relative à la peine administrative n’était pas authentique après l’avoir comparée à un spécimen contenu dans le cartable national de documentation. Encore une fois, il était loisible à la SAR d’évaluer l’authenticité d’un document en fonction d’un spécimen. Toutefois, les conclusions que la SAR tire de cette comparaison doivent être raisonnables.
[43] En l’espèce, la décision relative à la peine administrative comprenait la plupart des éléments contenus dans le spécimen, mais pas tous. Elle comprenait notamment : 1) le nom de l’émetteur; 2) le nom du délinquant; 3) les faits et les éléments de preuve concernant l’infraction; 4) le type et la portée de la sanction; 5) les modes d’exécution; 6) de l’information sur la façon d’interjeter appel; 7) une déclaration selon laquelle des copies seraient remises à la personne visée. Les seuls éléments manquants étaient l’infraction et la disposition de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique prévoyant cette infraction, ainsi que le montant de l’amende.
[44] La SAR a relevé plusieurs problèmes dans le texte même de la décision relative à la peine administrative. Tout d’abord, elle a fait remarquer que le nom du demandeur était mal orthographié dans le corps de la décision relative à la peine administrative. Elle a également fait remarquer que la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique était mal nommée. Enfin, elle a mentionné que la « surveillance »
faisait partie des peines infligées au demandeur, mais qu’il ne s’agissait pas d’une des peines prévues dans les dispositions pertinentes de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique.
[45] Comme c’était le cas pour la citation du BSP, la SAR a procédé à une analyse excessivement minutieuse. Elle n’a pas tenu compte de la cohérence des éléments de la décision relative à la peine administrative ni du fait que ces documents varient souvent et que leur forme et leur contenu ne sont pas assujettis à une norme « absolue »
. Elle a également écarté le fait que le nom du demandeur était bien orthographié dans le haut du document.
[46] Les observations excessivement minutieuses de la SAR concernant la décision relative à la peine administrative étaient déraisonnables, ce qui a mené à la conclusion déraisonnable de la SAR selon laquelle la décision relative à la peine administrative était inauthentique et inadmissible.
E. Le reçu d’amende
[47] Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle le reçu d’amende n’était pas authentique est également déraisonnable. Il affirme que, dans sa conclusion, la SAR a mentionné l’amende maximale prévue par les dispositions applicables de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique, laquelle était inférieure au montant indiqué sur le reçu d’amende.
[48] Le demandeur allègue que l’amende excessive est attribuable au fait que les autorités locales ont outrepassé leurs pouvoirs en raison de leur animosité envers les chrétiens. Le défendeur fait remarquer que la conclusion de la SAR est également fondée sur d’autres incohérences dans le document lui-même, dont les principales sont les suivantes :
il n’indiquait pas qu’un paiement avait été effectué;
il ne précisait pas que le demandeur était la personne visée par la sanction;
il ne contenait pas la signature de la personne visée par la sanction;
il était estampillé, mais le sceau n’était pas celui d’un organisme d’application de la loi.
[49] Il n’est pas nécessaire que j’évalue si les autorités locales chinoises ont outrepassé leurs pouvoirs conférés par la loi pour persécuter ou harceler des chrétiens, car il ressort clairement de l’examen de la SAR que celle-ci a mal interprété le contenu du document. La SAR a mentionné que le reçu d’amende n’indiquait pas qu’un paiement avait réellement été effectué; cependant, le document s’intitule [traduction] « reçu »
. On y retrouve des mots comme [traduction] « payé par »
et « amende »
, et une somme d’argent y est mentionnée. La SAR a également conclu que le demandeur n’était pas visé par l’amende et que le motif de l’amende n’était pas indiqué clairement dans le document. Toutefois, le document indique que le paiement a été [traduction] « fait par : Wang, Haï »
, pour avoir « participé à des activités illégales d’une église clandestine »
. Enfin, le document indique que le sceau est celui du [traduction] « Bureau de la sécurité publique de XiaMen »
, qui n’est pas une autorité publique générique.
[50] Bien qu’il soit vrai que le montant payé par le demandeur dépasse le montant maximal prévu par la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique, l’analyse globale de la SAR montre qu’elle s’est méprise sur la preuve. Les conclusions de la SAR n’étaient tout simplement pas fondées sur le document dont celle-ci disposait. Ces conclusions sont déraisonnables.
F. La croyance authentique du demandeur
[51] Le demandeur soutient que l’évaluation par la SAR de l’authenticité de sa pratique religieuse était déraisonnable. Il attire l’attention sur la conclusion de la SAR selon laquelle il était « vague »
et « ne répondait pas »
aux questions, et ses connaissances religieuses étaient insuffisantes. Le défendeur réplique que la Cour doit faire preuve de déférence envers la SAR.
[52] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la conclusion de la SAR est déraisonnable. Premièrement, aucun élément de preuve ne démontre que le demandeur « ne répondait pas »
ou qu’il était « vague »
. Chacune des questions citées par la SAR a été suivie d’une réponse. Lorsque le demandeur a eu de la difficulté à trouver les bons mots, il a déclaré sans ambages : [traduction] « [c]’est quelque chose que je ne peux pas exprimer par les mots »
. Deuxièmement, la SAR a admis en partie la lettre du révérend après avoir conclu qu’elle était suffisamment crédible. Pourtant, dans son analyse, elle n’a accordé aucun poids à la lettre du révérend et a conclu que le demandeur n’était généralement pas crédible. Ces conclusions sont contradictoires. Fait important, la lettre du révérend confirmait que le demandeur fréquente son église régulièrement depuis 2017, qu’il assiste à des cours bibliques et qu’il s’est fait baptiser. Troisièmement, malgré le fait que le demandeur a expliqué des concepts communs de la foi chrétienne, comme l’importance de la prière, le baptême, le péché originel et le Saint-Esprit, la SAR a conclu que ses connaissances religieuses étaient insuffisantes. Pourtant, elle n’a relevé aucun concept que le demandeur aurait dû connaître ou aurait dû nommer lors de son audience.
[53] La conclusion de la SAR concernant l’authenticité des croyances religieuses du demandeur n’est pas raisonnablement fondée sur la preuve.
VI. Conclusion
[54] La SAR a refusé d’admettre la majeure partie des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Elle a conclu que le reçu d’amende n’était pas authentique. Elle a également conclu que les croyances religieuses du demandeur n’étaient pas authentiques. Ces conclusions sont déraisonnables. Étant donné que ces conclusions étaient déterminantes quant à la demande d’asile du demandeur, la décision elle-même est aussi déraisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-9367-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande est accueillie et la décision est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael D. Manson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-9367-22 |
INTITULÉ :
|
HAI WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 11 JANVIER 2024
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE MANSON
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 7 FÉVRIER 2024
|
COMPARUTIONS :
Michael Korman |
POUR LE DEMANDEUR |
Nicole Rahaman |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Korman & Korman LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |