Date : 20240209
Dossier : T‑1664‑19
Référence : 2024 CF 225
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Montréal (Québec), le 9 février 2024
En présence de monsieur le juge Gascon
RECOURS COLLECTIF – ENVISAGÉ
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ENTRE :
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IRENE BRECKON et GREGORY SILLS
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demandeurs
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et
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CERMAQ CANADA LTD., CERMAQ GROUP AS, CERMAQ NORWAY AS, CERMAQ US LLC, GRIEG SEAFOOD ASA, GRIEG SEAFOOD B.C. LTD., LERØY SEAFOOD GROUP ASA, LERØY SEAFOOD USA, INC., MARINE HARVEST ATLANTIC CANADA INC., MOWI ASA, MOWI CANADA WEST INC., MOWI DUCKTRAP, LLC, MOWI USA, LLC, NOVA SEA AS, OCEAN QUALITY AS, OCEAN QUALITY NORTH AMERICA INCORPORATED, OCEAN QUALITY PREMIUM BRANDS, INC., OCEAN QUALITY USA INC. et SALMAR ASA
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défenderesses
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Les demandeurs, M. Gregory Sills et Mme Irene Breckon [les demandeurs], ont déposé deux requêtes distinctes en vertu des articles 334.29 et 334.4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. La première vise à obtenir l’approbation judiciaire du règlement d’un recours collectif [l’accord de règlement], tandis que la seconde demande à la Cour d’approuver le paiement de trois dépenses connexes : i) les frais juridiques et les débours demandés par les avocats du groupe, Koskie Minsky LLP, Sotos LLP et Siskinds LLP [les honoraires des avocats du groupe], ii) la commission d’un bailleur de fonds [la commission] aux termes d’un accord de financement de litige [l’AFL] et iii) des honoraires destinés à chacun des deux représentants demandeurs [les honoraires des demandeurs].
[2] L’accord de règlement, dont une copie est jointe à la présente ordonnance en tant qu’annexe « A », a été signé le 22 septembre 2023 entre les demandeurs et les défenderesses Cermaq Canada Ltd., Cermaq Group AS, Cermaq Norway AS, Cermaq US LLC, Grieg Seafood ASA, Grieg Seafood BC Ltd., Grieg Seafood Sales North America Incorporated (autrefois connue sous le nom d’Ocean Quality North America Inc.), Grieg Seafood Sales Premium Brands, Inc. (autrefois connue sous le nom d’Ocean Quality Premium Brands Inc.), et Grieg Seafood Sales USA Inc. (autrefois connue sous le nom d’Ocean Quality USA Inc.), Lerøy Seafood AS, Lerøy Seafood USA Inc., Marine Harvest Atlantic Canada Inc., Mowi ASA, Mowi Canada West Inc., Mowi Ducktrap, LLC, Mowi USA, LLC, Nova Sea AS, SalMar ASA et Sjór AS (autrefois connue sous le nom d’Ocean Quality AS) [collectivement, les défenderesses]. Le règlement proposé a été conclu dans le contexte d’un recours collectif [le recours collectif] intenté par les demandeurs en lien avec un prétendu complot ourdi entre les défenderesses dans le but de fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix du saumon atlantique d’élevage, en contravention de la partie VI de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 [la Loi sur la concurrence].
[3] Pour les motifs qui suivent, j’approuverai l’accord de règlement, j’approuverai en partie les honoraires des avocats du groupe qui ont été proposés et je refuserai d’approuver l’AFL et les honoraires des demandeurs.
II. Contexte
A. Le contexte procédural
[4] Le recours collectif a été engagé par la voie d’une déclaration déposée le 11 octobre 2019, dans le dossier de la Cour no T‑1664‑19 [la déclaration des demandeurs]. Une seconde déclaration a été déposée le 3 janvier 2020, dans le dossier no T‑8‑20. Les deux ont été par la suite réunies le 26 avril 2021, par ordonnance de notre Cour, dans le dossier no T‑1664‑19.
[5] La déclaration des demandeurs découle d’allégations de fixation des prix au sein du marché du saumon atlantique d’élevage. Les demandeurs allèguent essentiellement que les défenderesses ont comploté pour faire augmenter le cours au comptant du saumon atlantique d’élevage à Oslo (Norvège) dans le but de faire augmenter les prix en Amérique du Nord et ailleurs. Ils soutiennent que le complot illicite des défenderesses constitue une infraction visée par la partie VI de la Loi sur la concurrence, notamment les articles 45 et 46, et ils sollicitent des dommages‑intérêts conformément au paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence.
[6] Dans la déclaration réunie des demandeurs, le groupe est défini en ces termes : [TRADUCTION] « [t]outes les personnes au Canada qui ont acheté [du saumon atlantique d’élevage et des produits contenant ou dérivés du saumon atlantique d’élevage achetés ou vendus au Canada] entre le 10 avril 2013 et le [20 février 2019] »
[le groupe]. Le groupe inclut donc des acheteurs à la fois directs et indirects de saumon atlantique d’élevage.
[7] Le recours collectif a été lancé à la suite d’une enquête menée par la Commission européenne sur les prix du saumon atlantique d’élevage. En février 2019, celle‑ci a annoncé dans un communiqué de presse qu’elle avait procédé à des inspections non annoncées dans les locaux de plusieurs entreprises de saumon, non nommées, à la suite de préoccupations selon lesquelles les entreprises inspectées avaient peut‑être violé les règles en matière de concurrence de l’Union européenne [l’UE] qui interdisent les cartels et les pratiques commerciales restrictives. Quelques mois plus tard, en novembre 2019, l’Antitrust Division du Département de la justice des États‑Unis [le Département de la justice des États‑Unis] a ouvert sa propre enquête criminelle sur des allégations de collusion entre les défenderesses. Les défenderesses Mowi ASA, SalMar ASA, Lerøy Seafood Group ASA et Grieg Seafood ASA ont déposé chacune des avis auprès de l’Oslo Børs — la Bourse d’Oslo — révélant qu’elles ou leurs filiales avaient reçu, ou avaient été informées qu’elles recevraient, des assignations à comparaître du Département de la justice des États‑Unis.
[8] Outre le présent recours collectif, un recours collectif parallèle a été engagé en Colombie‑Britannique et au Québec, relativement au même prétendu complot. Les avocats chargés des trois recours collectifs canadiens travaillent en coordination, et le recours collectif dont il est question en l’espèce constitue l’« action principale »
. Ces instances parallèles sont Chin v Cermaq Canada Ltd et al (Cour suprême de la Colombie‑Britannique, Vancouver, numéro du greffe 211995) [l’action engagée en C.‑B.] et Langis et al c Grieg Seafood ASA et al (Cour Supérieure du Québec, District de Québec no 200‑06‑000245‑202) [l’action engagée au Québec].
[9] Des actions collectives semblables ont aussi été engagées aux États‑Unis dans les affaires suivantes : In Re : Farm‑Raised Salmon and Salmon Products Antitrust Litigation (Cour de District des États‑Unis, District Sud, Division de Miami (Floride), dossier no 19‑21551‑CV‑Altonaga) [l’action relative aux acheteurs directs des États‑Unis] et Wood Mountain Fish LLC et al v Mowi et al. (Cour de District des États‑Unis, District Sud, Division de Fort Lauderdale (Floride), dossier no 19‑22128‑CIV‑Smith/Louis) [l’action relative aux acheteurs indirects des États‑Unis].
[10] L’action relative aux acheteurs directs des États‑Unis a été réglée en mai 2022 au prix de 85 millions de dollars US et elle a été approuvée par les tribunaux des États‑Unis en septembre 2022. L’action relative aux acheteurs indirects des États‑Unis a elle aussi été réglée quelques mois plus tard, en décembre 2022, au prix de 33 millions de dollars US, et elle a été approuvée par les tribunaux des États‑Unis à la fin de février 2023.
[11] Le 6 octobre 2023, notre Cour a rendu une ordonnance autorisant le recours collectif pour règlement seulement [l’ordonnance du 6 octobre]. L’ordonnance du 6 octobre a approuvé de plus l’avis d’autorisation et d’audience d’approbation du règlement [l’avis] de même que le plan de diffusion de l’avis [le plan de diffusion de l’avis] aux membres du groupe [les membres du groupe].
[12] Les requêtes en approbation de l’accord de règlement et en approbation de paiements connexes ont été entendues conjointement par la Cour le 20 novembre 2023.
B. Survol de l’accord de règlement
[13] Les parties ont conclu l’accord de règlement le 22 septembre 2023, sous réserve de l’approbation de notre Cour. Les conseillers juridiques des demandeurs, Koskie Minsky LLP, Sotos LLP et Siskinds LLP [collectivement, les avocats du groupe], ont conclu que l’accord de règlement est juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres du groupe.
[14] Les modalités importantes de l’accord de règlement comprennent ce qui suit :
Le règlement est évalué à 5 250 000 $ [le montant du règlement], qui seront versés dans un fonds de règlement [le fonds de règlement]. Les avocats du groupe ont établi un protocole pour la distribution du fonds de règlement, après déduction des dépenses d’administration, des honoraires des avocats du groupe, des débours et des montants à payer au bailleur de fonds aux termes de l’AFL [les frais de financement].
L’accord de règlement définit le groupe pour les besoins du règlement [le groupe visé par le règlement] en ces termes : [TRADUCTION]
« toutes les personnes au Canada qui ont acheté du saumon atlantique d’élevage et des produits contenant ou dérivés du saumon atlantique d’élevage achetés ou vendus au Canada entre le 10 avril 2013 et la date de la présente ordonnance, à l’exception des personnes exclues et de celles qui s’en excluront »
[les membres du groupe visés par le règlement]. Cette définition du groupe visé par le règlement est quasi identique à la définition du groupe qui figure dans la déclaration des demandeurs.Le fonds de règlement sera réparti entre les membres du groupe visé par le règlement qui y ont droit et qui ont acheté pour au moins 1 million de dollars de saumon atlantique d’élevage entre le 10 avril 2013 (le début de la période visée par le groupe) et le 28 février 2019 (la date des descentes faites par la Commission européenne dans les locaux des défenderesses) [les membres admissibles du groupe visé par le règlement].
Pour tenir compte des réclamations des clients et d’autre nature qui n’atteindront pas le seuil de 1 million de dollars, le protocole de distribution propose un paiement de type aussi‑près d’un montant de 250 000 $ à Banques alimentaires Canada [le paiement de type aussi‑près]. Pour la partie destinée au Québec, le paiement de type aussi‑près sera réduit de toute somme à payer au Fonds d’aide aux actions collectives [le Fonds d’aide], conformément à l’article 42 de la Loi sur le fonds d’aide aux actions collectives, RLRQ, c F‑3.2.0.1.1, et calculé selon l’article 1. (2°) du Règlement sur le pourcentage prélevé par le Fonds d’aide aux actions collectives, RSQ, c F‑3.2.0.1.1, r 2. Pour le calcul du montant à payer au Fonds d’aide, une part de 23 % du paiement de type aussi‑près sera théoriquement attribuée au Québec.
Les avantages directs du règlement seront distribués aux membres admissibles du groupe visé par le règlement au pro rata (c.‑à‑d., proportionnellement), en fonction de la quantité des achats de saumon faits par ces membres par rapport à la quantité totale de tous leurs achats. Le montant des achats de saumon faits par les membres admissibles du groupe visé par le règlement sera déterminé en fin de compte par les avocats du groupe, sans droit d’appel ou de révision, à partir des renseignements relatifs aux achats qu’auront fournis les membres admissibles du groupe visé par le règlement, ou, si elles sont disponibles, des données de vente fournies par les défenderesses, conformément aux modalités de l’accord de règlement.
L’accord de règlement est une entente multipartite et il réglerait le litige dans son intégralité. Cela inclut l’abandon de l’action de la C.‑B. et de l’action du Québec.
[15] Pour ce qui est des honoraires des avocats du groupe, l’article 11.1 de l’accord de règlement prévoit que les avocats du groupe peuvent solliciter l’approbation de la Cour pour le paiement de leurs honoraires en même temps qu’ils sollicitent l’approbation de l’accord de règlement. En juin 2020, les avocats du groupe avaient conclu avec les demandeurs une convention d’honoraires, laquelle prévoit le versement d’honoraires conditionnels n’excédant pas 33 % du montant total recouvré par le groupe, plus tout montant adjugé par la Cour au titre des dépens, ainsi que les débours et les taxes applicables [le mandat de représentation].
[16] Les avocats du groupe ont établi un protocole en vue de la distribution des fonds de règlement « nets »
qui resteront dans le fonds de règlement après déduction des dépenses d’administration, des honoraires des avocats du groupe, des débours et des frais de financement.
[17] Les avocats du groupe estiment que, sous réserve de l’approbation de notre Cour, après déduction de la somme de 1 483 125 $ au titre des honoraires des avocats du groupe, somme représentant 25 % du fonds de règlement plus les taxes applicables, de la somme de 144 231,64 $ (taxes incluses) au titre des débours, de la somme de 1 000 $ au titre des honoraires des demandeurs et de la somme de 1 250 000 $ au titre des frais de financement, il restera à distribuer une somme d’environ 2 362 643 $. Une fois que le paiement de type aussi‑près d’un montant de 250 000 $ aura été versé à Banques alimentaires Canada, il restera 2 112 643 $ dans le fonds de règlement, et cette somme sera distribuée aux prorata aux membres admissibles du groupe visés par le règlement.
[18] Par ailleurs, Banques alimentaires Canada a proposé de partager au prorata les fonds de type aussi‑près avec ses associations provinciales en vue de l’achat de nourriture destinée aux banques alimentaires de leurs collectivités. Advenant que les fonds de règlement nets ne soient pas entièrement déboursés, à cause de chèques non encaissés, d’intérêts résiduels ou d’autres raisons, un don supplémentaire sera fait à Banques alimentaires Canada si le montant est inférieur à 20 000 $. Si le montant résiduel est supérieur à cette somme, des directives supplémentaires seront demandées à la Cour.
[19] En ce qui concerne les honoraires des demandeurs, l’accord de règlement prévoit que les avocats du groupe peuvent demander à la Cour d’approuver le versement d’honoraires de 500 $ à chacun des demandeurs, soit M. Sills et Mme Breckon, ce qui représente un montant total de 1 000 $.
[20] J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que, à l’article 3.1, l’accord de règlement prévoit que [TRADUCTION] « [l]e montant du règlement représente le plein montant à payer aux termes du présent accord de règlement et il inclura la totalité des sommes exigibles, y compris sans restriction, les honoraires des avocats du groupe, les débours des avocats du groupe, les honoraires destinés aux demandeurs, toutes les sommes distribuées au groupe visé par le règlement, les dons de type
aussi‑près, ainsi que les dépenses d’administration »
, et il ne contient donc aucune mention directe des frais de financement ou de l’AFL.
[21] Les défenderesses ne s’opposent pas aux modalités de l’accord de règlement qui concernent les honoraires des avocats du groupe ni à la demande d’honoraires destinés aux demandeurs. Elles ont également convenu de payer les honoraires des avocats du groupe, les honoraires des demandeurs, de même que les taxes applicables que la Cour approuvera. Comme il a été mentionné plus tôt, toutes ces sommes seront déduites du montant du règlement.
C. Les avis aux membres du groupe
[22] Le 18 octobre 2023, conformément au plan de diffusion de l’avis et à l’ordonnance du 6 octobre, les avocats du groupe ont commencé à diffuser les avis par les médias sociaux (Facebook et Instagram). En date du 16 novembre 2023 (la veille de la fin de la campagne sociomédiatique de deux mois), le nombre d’impressions reçues des avis sociomédiatiques s’élevait à 2 827 272.
[23] De plus, conformément au plan de diffusion de l’avis et à l’ordonnance du 6 octobre, les avocats du groupe ont envoyé l’avis par courriel aux clients‑acheteurs directs des défenderesses en se fiant à la liste d’adresses que ces dernières avaient fournie aux avocats du groupe. La plupart des défenderesses ont fourni une liste d’adresses courriel, mais une ne l’a pas fait. Pour cette dernière, les avocats du groupe ont envoyé par la poste des copies de l’avis à tous ses clients. Par la suite, les avocats du groupe ont reçu des adresses courriel pour les clients de cette défenderesse. Des courriels ont ensuite été envoyés. Un certain nombre d’entre eux (des « rebonds ») ont été renvoyés. Les avocats du groupe ont fait des recherches pour essayer de trouver pour ces clients des points de contact mis à jour, à défaut de quoi ils ont fait un suivi auprès des avocats de la défense. Ceux‑ci ont fait savoir que certains clients étaient peut‑être d’anciens clients, vu la période visée par le recours collectif. Cela implique que certains ne sont peut‑être plus en affaires. En fin de compte, il n’y a eu que quatre clients dont le message courriel a « rebondi » et qu’il a été impossible de contacter au moyen d’adresses de courriel de réserve. Pour ces clients, des lettres auxquelles l’avis était joint ont été envoyées par la poste le 25 octobre 2023.
[24] De plus, conformément au plan de diffusion de l’avis et à l’ordonnance du 6 octobre, les avocats du groupe ont envoyé l’avis par la poste aux 1 067 entreprises nommées dans la liste d’envoi de Data Axle. Les avocats du groupe ont également envoyé l’avis par courriel à leurs listes d’envoi respectives de personnes qui s’étaient inscrites auprès d’eux pour recevoir des mises à jour sur l’état d’avancement du litige, de même qu’aux associations industrielles suivantes, en demandant qu’elles le diffusent à leurs membres : la Fédération canadienne des épiciers indépendants, Food, Health and Consumer Products of Canada, Restaurants Canada, et Fabricants de produits alimentaires du Canada.
[25] Enfin, le communiqué de presse rédigé conjointement et accepté par les parties a été diffusé à des organes médiatiques et des publications en le publiant sur le service Canadian Newswire le 30 octobre 2023.
III. Analyse
[26] Les requêtes visent à faire approuver par la Cour l’accord de règlement, les honoraires des avocats du groupe, l’AFL et les honoraires des demandeurs. Chacune de ces requêtes sera examinée successivement. Pour procéder à son évaluation, la Cour doit tout d’abord déterminer s’il y a lieu d’approuver l’accord de règlement. Dans l’affirmative, il lui faut alors décider s’il convient d’approuver les honoraires des avocats du groupe, l’AFL et les honoraires des demandeurs.
A. L’accord de règlement
(1) Le critère applicable à l’approbation du règlement d’un recours collectif
[27] L’article 334.29 des Règles prévoit que le règlement d’un recours collectif doit être approuvé par la Cour. Le critère juridique à appliquer consiste à savoir si le règlement proposé est « juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres du Groupe »
(Lin c Airbnb, Inc, 2021 CF 1260 au para 21 [Lin]; Bernlohr c Former Employees of Aveos Fleet Performance Inc, 2021 CF 113 au para 12 [Bernlohr]; Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 588 au para 48 [Wenham]; McLean c Canada, 2019 CF 1075 aux para 64–65 [McLean]).
[28] Les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre de l’analyse ont été réitérés par la Cour à plusieurs reprises (Moushoom c Canada (Procureur général), 2023 CF 1739 au para 83 [Moushoom]; Lin, au para 22; Bernlohr, au para 13; Wenham, au para 50; McLean, aux para 64‑66; Condon c Canada, 2018 CF 522 au para 19 [Condon]), et ces facteurs sont semblables à ceux qu’appliquent les tribunaux du Canada tout entier. Ils sont non exhaustifs, et leur poids varie en fonction des circonstances et de la matrice factuelle de chaque instance. En voici un résumé :
les modalités du règlement;
la possibilité de recouvrement ou de succès;
les manifestations de soutien, et le nombre et la nature des objections;
le degré et la nature des communications entre les avocats du groupe et les membres de ce dernier;
la quantité et la nature des activités préalables au procès, dont le travail d’enquête, l’évaluation des éléments de preuve et les interrogatoires préalables;
les dépenses futures et la durée probable du litige;
la présence d’une négociation sans lien de dépendance entre les parties et l’absence de collusion lors des négociations;
les recommandations et l’expérience des avocats du groupe;
toute autre circonstance ou tout autre facteur pertinents.
[29] Une proposition de règlement doit être examinée globalement et dans son contexte. Les règlements obligent les deux parties à faire des compromis et ils sont rarement parfaits, mais ils doivent néanmoins se situer dans une « fourchette […] d’issues jugées raisonnables »
(Lin, au para 23; Bernlohr, au para 14; McLean, au para 76; Condon, au para 18). Le caractère raisonnable donne ouverture à un éventail de solutions possibles et il s’agit d’une norme objective qui peut varier en fonction de l’objet du litige et de la nature des dommages causés pour lesquels le règlement indemnisera les membres du groupe. Cependant, il n’est pas nécessaire que chaque disposition d’une entente de règlement proposée soit raisonnable, et il n’est pas loisible à la Cour de réécrire les modalités importantes d’une entente proposée (Wenham, au para 51). La fonction qu’exerce la Cour lorsqu’elle examine un projet de règlement de recours collectif est de ne pas rouvrir ce dernier et d’entamer des négociations avec les parties dans l’espoir d’améliorer les modalités de l’accord (Condon, au para 44). En fin de compte, le règlement proposé est une proposition « à prendre ou à laisser »
(Moushoom, au para 57; McLean c Canada (Procureur général), 2023 CF 1093 au para 37; Lin, au para 23).
[30] En prescrivant que les règlements d’un recours collectif et le paiement des honoraires des avocats du groupe sont assujettis à l’approbation de la Cour (c’est‑à‑dire les articles 334.29 et 334.4 des Règles), les Règles imposent à cette dernière la lourde responsabilité de veiller à ce que l’on ne sacrifie pas les intérêts des membres du groupe à ceux des avocats, qui ont habituellement pris un risque considérable et qui ont beaucoup à gagner non seulement en éliminant ce risque, mais en tirant une rétribution considérable de leur entente en matière d’honoraires conditionnels (Lin, au para 24, citant Shah v LG Chem, Ltd, 2021 ONSC 396 au para 40 [Shah]). Les incitatifs et les intérêts des avocats du groupe ne concordent peut‑être pas toujours avec l’intérêt supérieur des membres du groupe. Il incombe donc à la Cour d’examiner en détail à la fois le projet d’accord de règlement et les honoraires des avocats du groupe qui sont proposés, car ces deux aspects sont en général étroitement liés (Lin, au para 24). J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que la Cour assume une responsabilité semblable à l’égard des ententes de financement de litige que concluent les demandeurs en lien avec un recours collectif envisagé (Ingarra et al c Dye & Durham Limited et al, 2024 CF 152 au para 23 [Ingarra]; Difederico c Amazon.com Inc, 2021 CF 311 au para 29 [Difederico]).
[31] Cela est particulièrement important lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le montant net qui restera dans le fonds de règlement pour les membres admissibles du groupe visé par le règlement est nettement inférieur au montant du règlement après déduction des honoraires des avocats du groupe et d’autres dépenses, telles que les frais de financement.
(2) L’application à la présente affaire
(a) Les conditions du règlement
[32] Selon les conditions de l’accord de règlement, la question à trancher consiste à savoir si le projet d’accord de règlement, considéré dans son contexte global, procure des avantages significatifs aux membres du groupe, comparativement à ce qu’un litige sur le fond aurait pu avoir comme résultat (Lin, au para 25).
[33] Les conditions principales de l’accord de règlement, d’après les parties, s’articulent autour d’un montant de règlement d’une valeur de 5 250 000 $, une somme qui inclut le paiement des éléments suivants : l’indemnisation des membres admissibles du groupe visé par le règlement, le paiement de type aussi‑près de 250 000 $, les honoraires et les débours des avocats du groupe, les frais de financement, les dépenses d’administration et les honoraires des demandeurs. De plus, la clause de libération de l’accord de règlement [la clause de libération] prévoit que les défenderesses seront réputées être libérées définitivement de toute réclamation liée à la présente action ou de toute réclamation liée de quelque façon aux réclamations libérées, et que cette libération demeurera en vigueur indépendamment de la découverte ou de l’existence de faits et d’éléments de preuve supplémentaires ou différents. La clause de libération vise tous les membres du groupe, et non seulement les membres admissibles du groupe visé par le règlement.
[34] Comme les parties en ont parlé à l’audience tenue de la Cour, les conditions de l’accord de règlement soulèvent trois questions importantes. Premièrement, la portée et l’étendue de la clause de libération, qui exige que tous les membres du groupe renoncent à leurs droits – malgré les avantages restreints qui découlent du règlement – et qui protège les défenderesses contre toute réclamation future, peu importe que des éléments de preuve ou des renseignements nouveaux puissent être découverts. Deuxièmement, le fait que l’accord de règlement, considéré dans son contexte global, procure des avantages minimaux aux membres du groupe dans leur ensemble – surtout les acheteurs indirects – comparativement à ce qu’un litige sur le fond aurait pu avoir comme résultat. Troisièmement, le fait de considérer que le paiement de type aussi‑près constitue un avantage pour les membres du groupe autres que les membres admissibles du groupe visé par le règlement.
(i) La clause de libération
[35] Aux termes de la clause de libération, les défenderesses obtiendront une libération totale et définitive en lien avec l’objet du recours collectif, à savoir des allégations de fixation de prix entre les défenderesses qui ont eu pour résultat que les acheteurs de saumon atlantique d’élevage ont censément payé des prix supraconcurrentiels.
[36] La clause de libération suscite quelques préoccupations, et ce, pour bien des raisons. Premièrement, si l’on se fie au libellé de cette clause, il est interdit d’engager toute action future [TRADUCTION] « liée de quelque façon aux réclamations libérées »
. Comme la définition du groupe inclut chaque client canadien, cette clause de libération interdira à toute personne ayant acheté du saumon atlantique d’élevage des défenderesses d’engager à l’avenir une action semblable. Cela étant, la portée de la clause de libération est très large.
[37] En fait, confronté à une clause de libération semblable dans l’affaire 2038724 Ontario Ltd v Quizno’s Canada Restaurant Corporation, 2014 ONSC 5812 [Quizno’s], le juge Perell a souligné en ces termes les problèmes que soulève une telle clause, aux paragraphes 55 et 56 de sa décision :
[traduction]
[55] La libération est d’une trop grande portée. À mon avis, il est juste que les membres du groupe libèrent leurs réclamations existantes à l’encontre des défendeurs. Et il aurait été juste d’interdire les réclamations qui sont un prolongement des réclamations existantes en particulier. Cependant, à mon avis, il est injuste d’interdire catégoriquement toute réclamation future du genre de celles qui sont mentionnées dans la déclaration, ce qui constitue une interprétation possible de la libération proposée.
[56] L’interprétation de la manière dont la libération s’appliquerait à l’avenir est, il va sans dire, et dans le meilleur des cas, un exercice hypothétique car le lien factuel pour l’application de la clause de libération est inconnu. Cependant, par analogie, si la réclamation actuelle des demanderesses à l’encontre des défenderesses était une réclamation fondée sur la nuisance, il serait juste d’interdire les réclamations futures fondées sur la nuisance existante ou il pourrait être juste d’interdire les réclamations futures qui seraient fondées sur un prolongement de la nuisance existante, mais, à mon avis, il serait injuste ou déraisonnable d’interdire toutes les réclamations futures qui seraient fondées sur de nouvelles nuisances actuellement inconnues que les défenderesses commettraient dans l’avenir.
[38] Étant donné que, dans la présente affaire, la clause de libération exige explicitement des membres du groupe qu’ils [TRADUCTION] « s’engagent à ne poursuivre aucun des renonciataires sur le fondement de toute réclamation libérée ou à n’aider aucune tierce partie à engager ou poursuivre, à l’encontre de tout renonciataire, une poursuite liée d’une manière quelconque aux réclamations libérées »
[non souligné dans l’original], il semblerait que la clause de libération soit d’une portée excessive, au même titre que la clause de libération dont il était question dans la décision Quizno.
[39] Deuxièmement, la clause de libération exige que tous les Membres du groupe renoncent à leurs droits d’action, en dépit du fait que les membres du groupe qui sont des clients ne recevront que l’avantage indirect d’un don de type aussi‑près du fonds de règlement, et aucun avantage individuel direct.
[40] Dans la décision Quizno, le juge Perell a souligné lui aussi ce problème en ces termes : [TRADUCTION] « [c’]est une chose qu’un recours collectif ne rapporte rien aux membres du groupe, mais c’en est une autre de renoncer à des droits comme prix à payer pour régler le recours collectif, et un tel règlement ne serait pas dans l’intérêt supérieur des membres du groupe »
(Quizno, au para 61, citant Waldman v Thomson Reuters Canada Limited, 2014 ONSC 1288 [Waldman]). En fait, dans l’affaire Waldman, le tribunal était saisi d’une situation semblable à la présente, où l’on aurait établi une fiducie de type aussi‑près plutôt que d’accorder un avantage individuel aux membres du groupe. Dans cette affaire, le juge Perell a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « [j]e ne suis toutefois pas d’avis que l’accord de règlement est équitable, du point de vue substantiel, circonstanciel ou institutionnel, pour les membres du groupe. À cet égard, je souscris au sentiment général des opposants au règlement, à savoir que l’accord de règlement déconsidère l’administration de la justice et les recours collectifs parce que : a) le règlement est plus avantageux pour les avocats du groupe que pour les membres de ce dernier, et b) le règlement a pour effet pratique d’exproprier les droits de propriété des membres du groupe en échange d’un don de bienfaisance de Thomson »
[non souligné dans l’original] (Waldman, au para 95). En définitive, la décision que le juge Perell a rendue dans l’affaire Waldman a été infirmée par la Cour divisionnaire pour avoir considéré erronément les permis comme une expropriation d’un droit de propriété (Waldman v Thomson Reuters Canada Limited, 2016 ONSC 2622 (C. div.) au para 18).
[41] Dans les observations supplémentaires qu’ils ont déposées après l’audience à la demande de la Cour, les demandeurs ont souligné que la clause de libération est circonscrite de manière appropriée et demeure limitée aux allégations soulevées dans la déclaration des demandeurs et que sa formulation était modelée sur des libérations semblables qu’ont approuvées divers tribunaux canadiens dans des recours collectifs pour fixation des prix dans le secteur des [TRADUCTION] « pièces d’automobile »
. De plus, ils ont soutenu qu’il était possible d’établir une distinction avec le précédent que constitue la décision Quizno, en ce sens que, dans cette affaire, la clause de libération visait à renoncer à toutes les réclamations futures qui se rapporteraient à une conduite qui n’était pas un prolongement de celle que visait la réclamation sous‑jacente (Quizno, au para 55). Aux dires des demandeurs, les préoccupations entourant les problèmes que la clause de libération pourrait susciter dans l’avenir ne se présentent pas en l’espèce.
[42] Les demandeurs ont également signalé d’autres décisions judiciaires dans lesquelles des accords de règlement assortis de clauses de libération ont été approuvés, même dans des cas où les membres du groupe ne recevaient que des avantages indirects, dans le cadre d’un projet de distribution de type aussi‑près (Loewenthal v Sirius XM Holdings, Inc, 2021 ONSC 4482 au para 39 [Loewenthal]). En approuvant le projet de règlement dans cette affaire, la Cour de l’Ontario a explicitement traité d’une préoccupation qu’avait soulevée un opposant, qui soutenait que la libération que comportait le règlement était d’une portée excessive vu que l’on demandait au groupe de renoncer à une chose de valeur en échange d’avantages indirects attribués au moyen du projet de distribution de type aussi‑près. La Cour a examiné les modalités de la libération et s’est dite convaincue que celle‑ci n’était pas d’une portée excessive; elle a signalé en fin de compte qu’un règlement est un compromis (Loewenthal, au para 39).
[43] La clause de libération que contient l’accord de règlement en l’espèce suscite certes quelques préoccupations, car elle est rédigée en termes larges et pourrait être interprétée comme interdisant toute réclamation future contre n’importe quelle forme de conduite anticoncurrentielle de la part des défenderesses, même si elle ne vise pas à renoncer aux réclamations qui mettent en cause de la négligence, des lésions personnelles, le défaut de livrer des marchandises, des marchandises endommagées ou retardées, des défectuosités de produits, des garanties ou d’autres allégations semblables. Cela dit, après avoir examiné avec soin les arguments que les demandeurs ont soulevés et les sources juridiques qu’ils ont citées, je suis disposé à admettre que la clause de libération n’est pas du nombre de celles que la Cour devrait hésiter à approuver, et je suis convaincu que les défenderesses n’obtiennent pas de façon injuste une libération d’une trop grande portée dans les circonstances.
(ii) Les avantages accordés aux membres du groupe
[44] Pour ce qui est des avantages que prévoit l’accord de règlement, on ne peut s’empêcher de noter que, dans la présente affaire, la déclaration des demandeurs faisait état de dommages d’un montant pouvant atteindre 1 milliard de dollars. C’est donc dire que le montant du règlement représente une infime fraction – à peine 0,525 % – de cette réclamation, et qu’on peut certes le qualifier d’extrêmement modeste. Les conditions d’un litige peuvent changer et les parties peuvent conclure des règlements dont les montants sont différents, suivant la solidité de leurs réclamations, mais, en l’espèce, le montant du règlement est loin de correspondre aux dommages initialement allégués, au point où l’on pourrait douter de l’acceptabilité d’un recouvrement aussi peu élevé. D’autant plus que, compte tenu du contexte actuel, dans lequel le montant du règlement est si peu élevé que la grande majorité des membres du groupe (qui, vraisemblablement, auraient prévu tirer quelque chose du règlement) n’obtiendront rien, sinon la satisfaction morale de verser le paiement de type aussi‑près à Banques alimentaires Canada.
[45] En fait, si l’on se fonde uniquement sur la définition du groupe, qui décrit ce dernier comme étant toutes les personnes au Canada qui ont acheté du saumon atlantique d’élevage ainsi que des produits contenant ou dérivés du saumon atlantique d’élevage achetés ou vendus au Canada entre le 10 avril 2013 et le 20 février 2019, il serait légitime de présumer que tous les membres du groupe, notamment les acheteurs‑clients indirects, entendaient prendre part à un règlement possible. Les deux demandeurs sont eux‑mêmes des clients ordinaires et des acheteurs indirects du saumon atlantique d’élevage que vendent les défenderesses.
[46] Cependant, l’accord de règlement ne procure aucun avantage à ses membres clients, à part la contribution de type aussi‑près. Cela suscite des préoccupations, étant donné que les membres du groupe qui sont des clients sont vraisemblablement les plus petits acheteurs de saumon atlantique d’élevage et donc, pourrait‑on dire, ceux qui se fient le plus au mécanisme procédural que constitue un recours collectif pour faire valoir leurs réclamations. À l’inverse, les membres admissibles du groupe visé par le règlement – c’est‑à‑dire les gros acheteurs directs, qui achètent pour plus de 1 million de dollars de saumon par année – possèdent sans doute les ressources requises pour engager leurs propres réclamations individuelles contre les défenderesses, tandis que le présent recours collectif est vraisemblablement la seule option raisonnable dont disposent les membres du groupe qui sont des clients pour faire valoir leurs réclamations.
[47] En bref, il semble que, conformément à l’accord de règlement, ce sont les membres clients du groupe qui sont privés d’accès au fonds de règlement, tandis que les membres admissibles du groupe visé par le règlement se partageront les avantages qui resteront après les déductions nécessaires. Autrement dit, l’accord de règlement, considéré dans son contexte global, offre des avantages des plus timides aux membres du groupe dans son ensemble – surtout aux acheteurs indirects, comparativement à ce qu’un litige sur le fond aurait pu avoir comme résultat possible et raisonnablement attendu.
[48] Dans leurs observations supplémentaires, les demandeurs ont indiqué qu’il existe de nombreux précédents dans lesquels un accord de règlement, dans le contexte d’un recours collectif, mène à un traitement différencié des membres du groupe au stade de la distribution. Par ailleurs, ont‑ils fait remarquer, bien que le projet d’accord de règlement soit assurément modeste, il n’existe aucune solution de rechange réaliste à un règlement satisfaisant du recours collectif pour les membres du groupe. Je prends acte de ces observations, mais il n’en demeure pas moins que les avantages réels restreints pour les membres du groupe sont un facteur négatif qui mine l’approbation de l’accord de règlement.
(iii) La distribution de type aussi‑près
[49] Une condition‑clé de l’accord de règlement est le paiement de type aussi‑près, car celui‑ci représente le seul avantage que les acheteurs indirects tirent de l’entente. Les demandeurs soutiennent que les membres du groupe qui ne sont pas admissibles à une indemnisation directe recevront des avantages indirects, par le truchement de ce don de type aussi‑près à Banques alimentaires Canada, d’un montant de 250 000 $. Ils soutiennent que dans l’arrêt Sun‑Rype Products Ltd c Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 [Sun‑Rype], la Cour suprême du Canada a décrété que « la jurisprudence en matière de versement suivant le principe de l’aussi‑près est bien établie »
et que ce « mode de distribution a également été employé par les tribunaux dans les affaires de fixation des prix intéressant des acheteurs indirects »
(Sun‑Rype, aux para 25–26).
[50] Il est utile de signaler que la Cour suprême elle‑même a souligné qu’une distribution de type aussi‑près, une appellation dérivée « de l’expression [traduction] ‘aussi près que possible’, n’est pas le mode de distribution idéal [mais qu’elle] permet au tribunal de verser l’argent à un substitut convenable du groupe »
[non souligné dans l’original] (Sun‑Rype, au para 26).
[51] Je reconnais que l’arrêt Sun‑Rype est un précédent utile en l’espèce. Cependant, dans cet arrêt, la Cour suprême envisageait l’indemnisation d’un groupe non identifiable d’acheteurs indirects pour une réclamation qui relevait de la Class Proceedings Act, RSBC 1996, c 50 [la CPA] de la Colombie‑Britannique. Ces faits ne concordent pas tout à fait avec ceux dont il est question en l’espèce. Premièrement, le présent recours collectif n’est pas assujetti à la CPA de la Colombie‑Britannique, où le paragraphe 34(1) envisage expressément la possibilité d’une distribution de type aussi‑près. Par ailleurs, les avocats du groupe n’ont relevé aucune décision de notre Cour dans laquelle la question des paiements de type aussi‑près a été expressément examinée. Il vaut également la peine de signaler que l’arrêt Sun‑Rype est une affaire qui portait sur l’autorisation d’un recours collectif, et non sur l’approbation d’un accord de règlement.
[52] L’affaire Waldman dont il a été question plus tôt avait trait à l’approbation d’un accord de règlement et à une distribution de type aussi‑près, et il y a été conclu que ce mode de distribution ne justifiait pas que l’on approuve l’accord de règlement proposé (Waldman, au para 100). En fait, selon l’arrêt Waldman, rendu après que la Cour suprême eut rendu son jugement dans l’affaire Sun‑Rype (Waldman, aux para 100–101) :
[traduction]
[100] Le fonds de fiducie de type aussi‑près est un bien public, mais il ne justifie pas l’approbation de l’accord de règlement. Un grand nombre des membres du groupe, mais pas nécessairement tous, en tant que membres de la profession juridique, peuvent tirer plaisir de voir une fiducie constituée pour soutenir des litiges d’intérêt public et la formation d’étudiants en droit, mais l’objet d’un recours collectif n’est pas de financer des projets louables, mais d’offrir aux membres du groupe un accès procédural et substantiel à la justice.
[101] À mon avis, dans la présente affaire, il n’y a aucun accès à une justice substantielle pour les réclamations des membres du groupe et aucune modification de comportement véritable pour Thomson.
[Non souligné dans l’original.]
[53] Cependant, comme les demandeurs l’ont souligné, il est bien établi que, dans certains cas, le fait de recevoir une indemnisation de type aussi‑près indirecte plutôt qu’une indemnisation pécuniaire directe peut néanmoins atteindre les objectifs des recours collectifs, soit l’accès à la justice et une modification du comportement (Harper v American Medical Systems Canada Inc, 2019 ONSC 5723 au para 47; Sorenson v easyhome Ltd, 2013 ONSC 4017 au para 28). Autrement dit, dans les circonstances où un recouvrement global ne peut pas être distribué de manière économique aux membres individuels du groupe, le tribunal peut approuver une distribution de type aussi‑près en faveur d’organismes ou d’institutions crédibles qui profitera indirectement aux membres du groupe. Dans leurs observations supplémentaires, les demandeurs ont renvoyé la Cour à plusieurs recours collectifs dans lesquels les tribunaux avaient approuvé des règlements comportant des distributions de type aussi‑près pour certains membres du groupe ou tous les membres du groupe qui ne recevraient pas une indemnisation directe (voir, par exemple, Emond c Google LLC, 2021 ONSC 302 au para 37 et Alfresh Beverages Canada Corp c Hoechst AG, [2002] OTC 19, [2002] OJ No 79 (QL) (SC) au para 16).
[54] Dans la présente affaire, comme suite à mon analyse et après examen des observations et des documents des demandeurs, je suis convaincu que, bien qu’il ne s’agisse pas d’un mécanisme idéal, la distribution de type aussi‑près est appropriée vu le peu d’ampleur du montant du règlement et les difficultés d’ordre pratique et économique qu’il y a à indemniser directement tous les membres du groupe. Cela n’atténue certes pas le fait que l’accord de règlement ne procure strictement aucun gain pécuniaire à la grande majorité des membres du groupe, mais cela n’est pas suffisant pour justifier que l’on refuse de l’approuver.
(iv) La conclusion sur les conditions de l’entente
[55] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que lorsqu’on les examine dans leur contexte global et qu’on considère l’accord de règlement comme un tout, les conditions de celui‑ci peuvent être considérées comme justes, raisonnables et conclues dans l’intérêt supérieur des membres du groupe. J’admets, avec quelques réserves, qu’elles procurent des avantages qui n’auraient peut‑être pas été obtenus si le litige s’était poursuivi et qu’il s’agit d’un facteur positif qui justifie l’approbation de l’accord de règlement.
(b) La probabilité de recouvrement ou de succès
[56] Le prochain facteur à examiner est la probabilité de recouvrement ou de succès, c’est‑à‑dire la probabilité de succès du recours collectif des demandeurs si celui‑ci était entendu sur le fond. Cette probabilité doit être évaluée au moment où les parties ont fait un choix entre la poursuite du litige et le règlement de l’affaire. Selon ce facteur, la Cour doit décider si le projet d’accord de règlement est une solution de rechange viable et attrayante à la poursuite du litige (Lin, au para 39).
[57] Dans le cas présent, les demandeurs mettent de l’avant de nombreux facteurs de risque qui sont liés à la poursuite du litige et qui, à leur avis, limitent carrément la probabilité de recouvrement ou de succès. Notamment, ils font état du risque que notre Cour puisse décider que les actes de procédure ne fassent pas état d’une [TRADUCTION] « description suffisante de la formation d’un complot illicite »
et ne révèlent donc pas une cause d’action raisonnable. En fait, citant la décision Jensen c Samsung Electronics Co Ltd, 2021 CF 1185 [Jensen], conf par 2023 CAF 89, autorisation de pourvoi rejetée par la Cour suprême, Chelsea Jensen et al. c Samsung Electronics Co Ltd, et al., 2024 CanLII 543 (CSC), les demandeurs indiquent qu’en raison de cette évolution récente de la jurisprudence, il y a maintenant plus de risques que la Cour ne trouve aucun fondement au complot allégué. Ils signalent également que le désistement de l’enquête du Département de la justice des États‑Unis et l’absence ultérieure de plaidoyers de culpabilité rendent plus difficile, d’un point de vue pragmatique, la poursuite contestée du présent recours collectif. Ils soutiennent en outre que les défenderesses ont affirmé que la preuve économique d’expert qu’ils ont présentée n’offre pas un moyen fonctionnel d’établir le préjudice causé à l’ensemble du groupe. La Cour n’a pas encore vérifié la preuve d’expert et il n’y a aucune façon de savoir comment un juge des faits soupèserait cette preuve. Enfin, comme cela a été le cas dans l’affaire Lin, les demandeurs font également état du risque d’avoir à faire exécuter un jugement à l’encontre de défenderesses non canadiennes, ce qui est le cas d’un grand nombre d’entre elles (Lin, au para 44).
[58] J’admets qu’il y a des risques accrus à poursuivre le litige dans le cadre d’un procès sur le fond, et que, dans la présente affaire, il ne semble pas y avoir de grandes chances de succès. Ces remarques tiennent compte du fait que la probabilité de succès des demandeurs au stade de l’instruction des questions communes, voire au stade de l’autorisation, demeure incertaine et difficile à prévoir. Je suis donc convaincu que l’accord de règlement est une solution de rechange viable et attrayante à la poursuite du litige aux yeux des demandeurs et du groupe, car la poursuite du recours collectif aurait pu mener à des conclusions imprévues.
[59] En résumé, quand les parties ont décidé de conclure l’accord de règlement, la question de savoir s’il était possible de débattre avec succès le recours collectif des demandeurs sur le fond, compte tenu de l’état du droit, de la preuve d’expert et de la jurisprudence récente de la Cour, était incertaine et douteuse. Ces facteurs demeurent pertinents aujourd’hui. Il s’agit là d’un facteur qui justifie l’approbation de l’accord de règlement.
(c) Les manifestations d’appui, ainsi que le nombre et la nature des oppositions
[60] Le délai prévu pour s’exclure du recours collectif était le 30 novembre 2023. En date du 23 novembre 2023, 12 demandes d’exclusion avaient été reçues, toutes au nom de clients particuliers. De plus, une seule opposition a été reçue avant le délai du 20 novembre 2023, celle d’un client‑acheteur direct auprès de plusieurs des défenderesses [l’opposant]. L’opposant a confirmé qu’il achetait pour plusieurs millions de dollars auprès des défenderesses, et il constitue donc un membre admissible du groupe visé par le règlement.
[61] L’opposant s’est opposé au montant du règlement, laissant entendre que le trop‑perçu devrait être de 5 % des ventes nettes des défenderesses au Canada. Il a joint une analyse des ventes déclarées par les défenderesses pour conclure qu’un trop‑perçu de 5 % donnerait lieu à un montant total de plus de 50 millions de dollars en dommages‑intérêts. Par ailleurs, il a fait mention du fait qu’il détenait des documents qui exposaient en détail l’existence d’un cartel et ses pratiques.
[62] En réponse, les avocats du groupe ont indiqué à l’opposant qu’ils étaient d’accord que le projet de règlement n’était pas idéal ou parfait, et que le produit de ce dernier était modeste par rapport à ce qu’ils espéraient obtenir quand l’affaire avait commencé. Les avocats du groupe ont de plus avisé l’opposant que le trop‑perçu de 5 % qu’il indiquait n’était pas déraisonnable. Cependant, ils ont fait savoir que la difficulté ne résidait pas dans l’estimation d’un trop‑perçu; elle consistait à prouver l’existence d’un complot, et il y avait le risque que l’enquête de l’UE – qui datait maintenant de quatre ans environ – ne donne lieu à aucune accusation, ou à des accusations qui ne seraient pas contraires aux lois canadiennes en matière de concurrence. De ce fait, plutôt que de ne rien obtenir, un règlement modeste a été conclu avec les défenderesses qui, selon les avocats du groupe, correspond à environ 6,2 % du règlement obtenu dans le cadre de l’action engagée par les acheteurs directs aux États‑Unis, en faisant abstraction des questions de conversion de devises.
[63] Après avoir discuté des problèmes avec lui pendant une trentaine de minutes, l’opposant a expliqué qu’il comprenait maintenant mieux le fondement de l’accord de règlement et il a demandé que son opposition soit retirée. L’opposant, qui était le seul à contester l’accord de règlement, s’inquiétait du fait que les défenderesses le traitent d’une manière injuste dans l’avenir, car il continue d’acheter pour plusieurs millions de dollars de saumon atlantique d’élevage auprès d’elles. Il a convenu d’un compromis, dans le cadre duquel ses préoccupations et les discussions ultérieures seraient partagées avec la Cour, mais sans l’identifier de quelque manière que ce soit.
[64] Pour ce qui est des exclusions, le nombre des parties qui se sont exclues du présent recours collectif est peu élevé par rapport à la taille du groupe. Il est toutefois utile de signaler que les seules exclusions reçues étaient au nom de clients particuliers. Cela semble dénoter que, comme il a été mentionné plus tôt, l’accord de règlement procure des avantages restreints aux membres du groupe qui sont des clients.
[65] Pour ce qui est des oppositions, il n’y en a techniquement aucune, vu le retrait de la seule opposition exprimée par l’opposant. Cependant, il demeure important de tenir compte du fait que l’un des membres admissibles du groupe visé par le règlement a fait part de son désaccord vis‑à‑vis du montant de l’accord de règlement.
[66] Dans la présente affaire, les quelques exclusions et l’absence d’opposition officielle étayent la conclusion que l’Accord de règlement devrait être approuvé (Lin, au para 48). Il convient de souligner que les membres du groupe ont eu la possibilité d’exprimer leurs préoccupations et de s’opposer à l’accord de règlement, et que fort peu d’entre eux l’ont fait. Après avoir pris en considération l’opposition reçue – et son retrait – je suis d’avis que cela ne suffit pas pour conclure qu’il ne faudrait pas approuver l’accord de règlement. Le fait qu’un règlement soit une option moins qu’idéale pour n’importe quel membre du groupe en particulier n’interdit pas de l’approuver pour le groupe dans son ensemble (Condon, au para 69).
(d) Le degré et la nature des communications entre les avocats et les membres du groupe
[67] Le degré et la nature des communications entre les avocats et les membres du groupe sont un autre facteur important à prendre en considération en vue de l’approbation de l’accord de règlement.
[68] En l’espèce, il ne fait aucun doute que les communications entre les avocats du groupe et les demandeurs ont été manifestement bonnes. Pour ce qui est des communications entre les avocats et les membres du groupe de façon plus générale, depuis le début du recours collectif les avocats ont créé et tenu à jour un site Web pour publier des informations de base sur l’affaire, y compris une liste de messagerie permettant aux intéressés de s’inscrire pour recevoir des mises à jour.
[69] Pour ce qui est de l’avis et de son plan de diffusion, le premier des deux a été nettement amélioré dans l’ordonnance du 6 octobre, suite aux commentaires de la Cour sur son contenu. Le plan de diffusion de l’avis de l’accord de règlement était solide et comportait deux volets distincts : avis directs et avis indirects. Dans le contexte du volet « avis directs », les avocats du groupe ont envoyé des avis individuels, soit par courriel soit par la poste, aux parties prenantes suivantes :
les clients‑acheteurs directs des défenderesses, dans la mesure où les informations avaient été fournies aux avocats du groupe conformément aux modalités de l’accord de règlement;
toute personne qui s’était inscrite auprès des avocats du groupe pour recevoir des mises à jour sur le litige;
1 067 entreprises situées au Canada et désignées par Data Axle comme ayant des locaux d’entreprise comptant au moins 50 employés ou des locaux individuels comptant au moins 100 employés et exploitant leurs activités dans les secteurs suivants : fumage et saurissage du poisson (fabricants), emballage du poisson (fabricants), conserveries (fabricants), poissons et fruits de mer en conserve et traités (fabricants), conditionneurs de poisson et de fruits de mer (fabricants), courtiers en poisson et fruits de mer – en gros, poissons et fruits de mer (grossistes), distributeurs de services alimentaires (grossistes), aliments – mets à emporter, restaurants, traiteurs, gestion de restaurants et épiciers (détail), mais en excluant des catégories non pertinentes, telles que les chaînes de pizza, les bars ou les débits de boisson, les chaînes de restauration rapide, etc.
[70] Les avocats du groupe se sont efforcés par la suite de faire le suivi de tout courriel ou courrier postal non livrable et retourné et de renvoyer rapidement un avis avec une adresse d’expédition.
[71] Dans le contexte des avis indirects, les parties ont rédigé conjointement des publications qui ont été transmises à des organes de presse d’envergure nationale, en les faisant publier par le service Canada Newswire et IntraFish. Les avocats du groupe ont également publié l’avis sur leurs sites Web respectifs et dans les médias sociaux, et ils ont transmis une copie aux associations industrielles suivantes pour qu’elles la diffusent à leurs membres : la Fédération canadienne des épiciers indépendants, Food, Health and Consumer Products of Canada, Restaurants Canada et Fabricants de produits alimentaires du Canada. Comme il a été mentionné plus tôt, en date du 16 novembre 2023 (la veille de la fin de la campagne sociomédiatique de deux mois), le nombre d’impressions reçues des avis sociomédiatiques s’élevait à 2 827 272.
[72] De plus, contrairement à l’affaire Lin, où divers éléments importants n’avaient pas été dévoilés dans l’avis aux membres du groupe, comme le montant total du règlement, la liste précise des sommes déduites du montant total du règlement (y compris les honoraires des avocats du groupe ou les dépenses d’administration) lorsque ces déductions se répercutaient sur le montant de règlement net que recevraient les membres du groupe, le montant de ces diverses déductions (y compris celui des honoraires des avocats du groupe), et le pourcentage du montant de règlement total reçu, par avocat du groupe, à titre de frais juridiques, ces éléments ont tous été divulgués et expliqués dans l’avis que la Cour a approuvé dans l’ordonnance du 6 octobre (Lin, au para 55).
[73] En conséquence, le degré et la nature des communications entre les avocats du groupe et les membres de ce dernier est un facteur qui justifie l’approbation de l’accord de règlement.
(e) La quantité et la nature des activités antérieures au procès, dont les enquêtes menées, l’évaluation des preuves et les interrogatoires préalables
[74] Au moment de la signature de l’accord de règlement, les parties avaient accompli fort peu de travail en matière d’enquêtes, d’interrogatoires préalables, de collecte de preuves et d’activités préalables à l’audience. En fait, comme l’ont signalé les demandeurs dans leurs observations, il n’y a eu aucune évaluation de preuve ni interrogatoire préalable, et ils n’avaient aucune connaissance du bien‑fondé de l’allégation de complot. De plus, la requête en autorisation elle‑même a peu évolué, compte tenu des discussions de règlement entre les parties. En conséquence, la quantité et la nature des activités préalables au procès qui seront nécessaires pour faire instruire l’affaire demeurent élevées. De plus, les demandeurs eux‑mêmes signalent qu’étant donné que les recours collectifs aux États‑Unis sont maintenant entièrement réglés, le présent recours collectif ne pourrait pas obtenir les fruits du travail d’enquête des demandeurs aux États‑Unis, ce qui aurait consisté à passer en revue et à faire traduire des centaines de milliers de documents en langue étrangère. Ce n’est là qu’une faible partie des activités qu’il faudrait accomplir s’il fallait que le procès soit mené jusqu’au bout.
[75] En conséquence, une quantité importante du travail préalable au procès qui est nécessaire reste encore à exécuter, et il ressort de la preuve que les parties avaient une bonne idée de l’ampleur de cette tâche. Dans les circonstances, les parties étaient bien placées pour comprendre la quantité et la nature des activités préalables au procès qui étaient liées à la poursuite du litige au moment où ils ont décidé de régler. Ce facteur justifie donc l’approbation de l’accord de règlement.
(f) Les dépenses futures et la durée probable du litige
[76] Les tribunaux reconnaissent que le fait de verser un paiement immédiat aux membres du groupe par le truchement d’un accord de règlement est un facteur qui étaye un projet de règlement. Dans la présente affaire, les avocats des parties prévoient que, si un règlement n’est pas conclu maintenant, il faudra beaucoup de temps pour un procès sur le fond et pour les appels, s’il y en a, lesquels nécessiteront la production de preuves d’expert.
[77] Étant donné que le recours collectif envisagé en est à ses débuts, ce facteur milite en faveur de l’approbation du règlement. L’accord de règlement envisagé prévoit une indemnisation dans l’immédiat, par opposition à plusieurs années plus tard.
[78] Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que la poursuite du litige pourrait causer de sérieux retards, prolongeant ainsi le moment où les membres du groupe pourraient recevoir une indemnisation quelconque, le cas échéant. En présumant que le recours collectif envisagé soit approuvé – une possibilité qui demeure incertaine – la date de début du procès sur les questions communes qui serait la plus rapprochée, d’après leurs estimations, est le mois d’août 2026.
[79] Je suis convaincu qu’il s’agit là d’un autre facteur qui milite en faveur de la conclusion selon laquelle le projet d’accord de règlement est juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur des membres du groupe, et qu’il convient de l’approuver.
(g) La conduite de négociations sans lien de dépendance entre les parties et l’absence de collusion lors de ces négociations
[80] Il existe une solide présomption d’équité quand un projet de règlement de recours collectif, qui a été négocié sans lien de dépendance par des avocats expérimentés qui représentent le groupe, est présenté à la Cour pour approbation (Lin, au para 60).
[81] Les demandeurs soutiennent que le présent accord de règlement a été l’aboutissement de près d’un an de discussions sans lien de dépendance entre les avocats du groupe et les avocats des défenderesses. Pendant toute cette période, même si elles se livraient à des pourparlers de règlement, les deux parties se sont préparées pour la requête en autorisation, maintenant ainsi la pression nécessaire pour régler le litige, et les deux parties s’exposant à des risques au stade de l’autorisation. Notre Cour a prescrit de ne « pas rejeter à la légère »
un règlement négocié de bonne foi, parce que les parties sont les mieux placées pour apprécier les risques et les coûts liés à un litige collectif complexe, et que le rejet d’un règlement entraîne aussi le risque de déraillement du processus de négociation ainsi que la perte de l’esprit de compromis (Manuge c Canada, 2013 CF 341 au para 6 [Manuge]).
[82] En résumé, je suis convaincu que les négociations qui ont mené à l’accord de règlement se sont déroulées sans lien de dépendance et sous un angle contradictoire entre les avocats du groupe et les avocats des défenderesses, sur une période de près d’un an. Ce fait, là encore, justifie l’approbation de l’accord de règlement.
(h) Recommandations en faveur des avocats du groupe et expérience connexe
[83] Enfin, les avocats du groupe sont d’avis que le projet d’accord de règlement est juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur des membres du groupe. Ils recommandent à la Cour de l’approuver.
[84] Les avocats du groupe et leurs cabinets respectifs sont expérimentés et réputés dans le domaine des recours collectifs. Ils ont acquis une riche expérience sur laquelle ils peuvent compter dans un grand nombre de recours collectifs. Les recommandations que les avocats du groupe ont formulées sont importantes et méritent d’être dûment prises en compte dans le cadre du processus d’approbation (Lin, au para 62; Condon, au para 76). C’est le cas en l’espèce.
(3) La conclusion sur l’accord de règlement
[85] Compte tenu de ce qui précède, et malgré que le projet d’accord de règlement soit loin d’être idéal et qu’il procure aux membres du groupe des avantages très restreints, plusieurs des facteurs reconnus par les tribunaux militent en faveur de son approbation.
[86] En fin de compte, il incombe à la Cour de protéger les intérêts des membres du groupe. Dans le cas présent, il est vrai que l’accord de règlement ne présente pas toutes les caractéristiques d’une entente acceptable. En fait, il présente une ressemblance marquée avec d’autres accords de règlement que des tribunaux canadiens ont rejetés. Saisie de conditions semblables dans des accords de règlement, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu, dans les décisions Quizno et Waldman, que les accords de règlement respectifs n'étaient pas justes, raisonnables ou conclus dans l’intérêt supérieur des membres du groupe.
[87] Il y a certainement dans le présent accord de règlement quelques lacunes importantes qui soulèvent des questions quant au caractère raisonnable du projet d’accord de règlement pour les membres du groupe – et plus particulièrement les membres clients qui représentent, en nombre, la grande majorité des membres du groupe. De plus, le montant prévu par l’accord de règlement ne reflète pas la déclaration des demandeurs, même de loin. Il est en quelque sorte ironique que, dans la présente affaire, le projet d’accord de règlement finisse seulement par récompenser, en termes pécuniaires, le sous‑groupe des membres du groupe qui, pourrait‑on dire, est moins susceptible d’avoir besoin du mécanisme procédural que constitue un recours collectif pour avoir accès à la justice et défendre ses droits. Autrement dit, les seuls membres du groupe qui sont susceptibles de bénéficier directement de l’accord de règlement seront les plus gros acheteurs de saumon atlantique d’élevage, de pair avec les avocats du groupe et le bailleur de fonds, qui ont assumé un risque et ont beaucoup à gagner non seulement en éliminant ce risque, mais en tirant une rétribution considérable de leur entente en matière d’honoraires conditionnels (Lin, au para 24; Shah, au para 40).
[88] Mais le fait qu’un règlement soit moins qu’idéal pour n’importe quel membre particulier du groupe n’empêche pas de l’approuver pour le groupe dans son ensemble (Condon, au para 69). En fin de compte, je suis convaincu que l’on a présenté suffisamment d’éléments de preuve pour que je puisse apprécier de manière objective, impartiale et indépendante l’équité et le caractère raisonnable du projet d’accord de règlement (Condon, au para 38). Un règlement n’est jamais parfait, et la Cour se doit de garder à l’esprit qu’il est toujours le résultat d’un compromis, mais qu’il met un terme au litige opposant les parties et qu’il est gage de certitude et de finalité. En considérant l’affaire sous un angle holistique, je suis donc convaincu que, dans le contexte de la totalité des facteurs, l’accord de règlement dont il est question en l’espèce devrait être approuvé, car il représente un règlement juste et raisonnable qui, dans les circonstances, est conclu dans l’intérêt supérieur du Groupe dans son ensemble.
B. Les honoraires des avocats du groupe et les autres paiements
[89] Voyons maintenant les honoraires des avocats du groupe et les autres paiements que les demandeurs sollicitent dans leur seconde requête.
[90] Aux termes du mandat de représentation, les avocats du groupe ont droit à des honoraires équivalant à 33 % du montant du règlement. Cependant, en partie à cause de l’AFL et de la commission à payer au bailleur de fonds du litige, les avocats du groupe ne demandent que des honoraires équivalant à 25 % du montant du règlement et le remboursement de leurs débours. Cela équivaudrait à une adjudication de 1 312 500 $ au titre des honoraires des avocats du groupe, plus les taxes applicables et les débours, à payer sur le montant du règlement. De plus, il n’y aura pas de demande d’approbation des intérêts distincte dans le recours mené en Colombie‑Britannique ou dans celui mené au Québec. Dans ces actions, les avocats seront payés à même les honoraires adjugés dans la présente affaire.
[91] Compte tenu de l’effet de l’AFL sur les honoraires que demandent les avocats du groupe, il me faut d’abord répondre à la demande des demandeurs concernant l’approbation de l’AFL et le paiement des frais de financement, avant d’examiner la question des honoraires des avocats du groupe.
(1) L’AFL et les frais de financement
[92] Dans le cadre de la demande qu’ils adressent à la Cour en vue de faire approuver les honoraires des avocats du groupe, les demandeurs souhaitent également qu’elle approuve l’AFL en lien avec la poursuite du présent recours collectif et qu’elle ordonne que les montants dus au bailleur de fonds du litige soient versés à même le montant du règlement. Dès le départ, je souligne qu’il semble quelque peu contre‑intuitif de demander d’approuver l’AFL après la conclusion d’un accord de règlement et à un moment où les avocats du groupe ont déjà conclu l’accord et, en fait, ont déjà tiré des fonds de l’AFL.
[93] Plus précisément, les avocats du groupe demandent l’approbation de la Cour pour déduire du montant du règlement la somme de 500 000 $ en débours déjà avancée par Claims Funding Australia Pty Ltd [le bailleur de fonds] dans le cadre de l’AFL, de même qu’une somme supplémentaire de 750 000 $ au titre de la commission à payer au bailleur de fonds. Bien que ce dernier ait droit à une commission de 812 500 $ aux termes de l’AFL, il a convenu de réduire le montant exigible à 750 000 $.
(a) Le critère applicable à l’approbation des accords de financement de litige
[94] Dans la décision Difederico, le juge en chef Crampton a décrit le critère général qui s’applique à l’approbation des accords de financement de litige, s’inspirant de la jurisprudence pancanadienne ainsi que de la jurisprudence de notre Cour pour établir ce cadre. Le fondement du critère découle du principe qu’un accord de financement de litige « ne doit pas être une champartie ou un accord illégal et doit être un accord juste et raisonnable qui facilite l’accès à la justice tout en protégeant les intérêts des défendeurs »
(Difederico, au para 34, citant Houle c St Jude Medical Inc, 2017 ONSC 5129 au para 71 [Houle]).
[95] En conséquence, le juge en chef Crampton énumère les facteurs que la Cour doit prendre en considération pour approuver un accord de financement de litige (AFL) (Difederico, au para 36, citant Jensen c Samsung, (dossier de la Cour no T‑809‑18, 7 février 2019) au para 6; Houle, aux para 73–88; Flying E Ranche Ltd. v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 8076 aux para 28–34; JB & M Walker Ltd v TDL Group Corp, 2019 ONSC 999 au para 6; Drynan v Bausch Health Companies Inc, 2020 ONSC 4379 au para 17; Dugal v Manulife Financial Corporation, 2011 ONSC 1785 au para 33; Stanway v Wyeth Canada Inc, 2013 BCSC 1585 au para 15; David c Loblaw, 2018 ONSC 6469 au para 12) :
A‑t‑on satisfait aux exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour?
Le financement par des tiers est‑il nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice?
L’AFL est‑il une champartie?
L’AFL est‑il juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe?
L’AFL contribuera‑t‑il de façon significative à la prévention d’actes répréhensibles?
L’AFL nuit‑il à la relation avocat‑client, à l’obligation de l’avocat envers les membres du recours collectif ou à la conduite de l’instance?
L’AFL protège‑t‑il les privilèges juridiques pertinents et la confidentialité des renseignements des parties?
L’AFL protège‑t‑il les intérêts légitimes des défenderesses?
[96] Une réponse négative à l’une ou l’autre des questions susmentionnées peut être fatale pour l’approbation d’un AFL (Difederico, au para 37; Eaton c Teva Canada Limited, 2021 CF 968 au para 21 [Eaton]). Cela étant, il est nécessaire d’évaluer chaque critère de façon indépendante. En fin de compte, la Cour doit être convaincue qu’« il est dans l’intérêt de la justice d’approuver l’[accord de financement de litige] »
(Difederico, au para 35).
[97] Comme le juge en chef Crampton l’a fait remarquer, et au risque de me répéter, il est important de souligner que la Cour est investie d’un rôle de supervision général, dans le cas d’un recours collectif, qui l’oblige à tenir compte de l’intérêt supérieur des membres du groupe dans leur ensemble (Difederico, au para 29, citant Frame c Riddle, 2018 CAF 204 au para 24 et Ottawa c McLean, 2019 CAF 309 au para 13). Cela inclut l’intérêt supérieur des membres éventuels du groupe, dont les intérêts ne sont peut‑être pas tout à fait alignés sur ceux des représentants demandeurs, des avocats du groupe ou des tiers qui sont disposés à financer l’instance en tout ou en partie (Houle v St Jude Medical Inc, 2018 ONSC 6352 aux para 22, 41). Les AFL qui sont conclus en lien avec un recours collectif envisagé devant la Cour doivent être approuvés par cette dernière, même s’ils ont été signés par les représentants demandeurs après avoir reçu l’avis d’un avocat indépendant (Difederico, au para 29; Houle, aux para 63–70).
(b) L’application à la présente affaire
[98] Pour en revenir à la présente affaire, je suis d’avis que l’AFL ne répond pas à deux éléments cruciaux du critère énoncé dans la décision Difederico. J’admets que l’AFL satisfait aux exigences de certains des facteurs susmentionnés. C’est le cas des suivants : 1) le fait que l’AFL ne nuit pas à la relation avocat‑client, à l’obligation des avocats du groupe envers les membres du recours collectif, ou à la conduite de l’instance, 2) la protection des privilèges juridiques pertinents et de la confidentialité des renseignements des parties, et 3) la protection des intérêts légitimes des défenderesses.
[99] Cependant, je conclus que l’AFL ne répond pas aux exigences procédurales de base qui permettent à la Cour de l’approuver, et que cet accord n’est ni juste ni raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe puisqu’il procure des avantages nettement disproportionnés au bailleur de fonds. Cela suffit amplement pour rejeter l’approbation de l’AFL et refuser que les montants dus au bailleur de fonds soient soustraits du montant du règlement.
(i) Les exigences de base en matière de procédure et de preuve pour l’examen de l’AFL par la Cour ne sont pas satisfaites
[100] Les exigences de base en matière de procédure et de preuve qui doivent être respectées en vue de l’approbation d’un AFL sont les suivantes : a) les demandeurs ont obtenu des conseils juridiques indépendants avant de conclure l’accord de financement, b) l’entente de représentation juridique et l’accord de financement ont été divulgués à la Cour, c) la Cour a été saisie d’une demande rapide d’approbation de l’accord de financement, d) un avis raisonnable a été fourni aux parties, e) le mandat de représentation judiciaire et l’accord de financement ont été communiqués aux défenderesses, sous réserve des caviardages appropriés, et f) des éléments de preuve sur les circonstances générales pertinentes ont été produits (Difederico, au para 38; Houle, au para 74).
[101] Dans la présente affaire, l’AFL passe à côté de la plupart de ces exigences. Pour ce qui est du point a), un AFL caractéristique est conclu entre un représentant demandeur et le bailleur de fonds. Par contraste, l’AFL qui nous intéresse a été conclu entre les avocats du groupe et le bailleur de fonds. Aucun conseil juridique indépendant n’a donc été obtenu.
[102] En ce qui concerne les points b) et c), il est évident que l’AFL n’a pas été divulgué rapidement à la Cour. Les avocats du groupe ont cru erronément qu’étant donné que le contrat avait été conclu entre eux et le bailleur de fonds, l’approbation de la Cour n’était pas requise, de la même manière qu’elle ne l’aurait pas été si les avocats du groupe avaient obtenu un prêt bancaire ou une marge de crédit pour financer l’affaire. Cependant, les avocats du groupe reconnaissent que l’approbation de la Cour est maintenant requise, puisqu’ils cherchent à soustraire du montant du règlement proposé les sommes à payer aux termes de l’AFL.
[103] Pour ce qui est de la rapidité de la divulgation de l’AFL, on ne peut s’empêcher de faire remarquer que l’approbation de cet accord – sur lequel les avocats du groupe ont déjà tiré des fonds – a été soumise à la Cour à la dernière minute. Nombreux sont les adjectifs qui pourraient décrire ce délai, mais « rapide »
n’en fait certes pas partie.
[104] Dans leurs observations, les avocats du groupe ont fait référence à la manière dont le juge Perell a qualifié l’expression « prompt disclosure »
(divulgation rapide) dans la décision Fehr v Sun Life Assurance Company of Canada, 2012 ONSC 2715 [Fehr], où il a été dit que [TRADUCTION] « la compétence de la cour sur la gestion et l’administration des recours collectifs envisagés et autorisés implique qu’un accord de financement conclu avec un tiers doit être divulgué rapidement à la cour et que cet accord ne peut entrer en vigueur sans l’approbation de cette dernière. Le financement par un tiers d’un recours collectif doit être transparent et il est nécessaire de l’examiner afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’abus ou d’entrave à l’administration de la justice »
[non souligné dans l’original] (Fehr, au para 89). Dans la présente affaire, il est incontesté que non seulement l’AFL est entré en vigueur sans l’approbation de la Cour, mais que son approbation n’est demandée qu’au tout dernier moment possible.
[105] En résumé, la première étape du critère énoncé dans la décision Difederico en vue de l’approbation d’un accord de financement de litige n’est manifestement pas respectée. Les avocats du groupe n’ont pas satisfait aux exigences de base en matière de procédure et de preuve qui permettent à la Cour d’examiner l’AFL. Le fait de n’avoir pas satisfait à la première étape du critère est un facteur qui milite fortement contre l’approbation de l’AFL, et ce fait porte vraisemblablement un coup fatal à son approbation.
(ii) L’AFL est injuste et déraisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe
[106] Mais il y a nettement plus. À mon avis, le régime de commission que prévoit l’AFL et auquel les avocats du groupe ont souscrit est injuste et déraisonnable s’il est juxtaposé au montant du règlement, au régime ordinaire de partage des profits que compte le Fonds d’aide aux recours collectifs de l’Ontario [le FARC de l’Ontario] – lequel plafonne le rendement des fonds avancés à 10 % du produit total – et aux précédents judiciaires dans le cadre desquels des accords de financement de litige ont été approuvés. Par ailleurs, les conditions de l’AFL procurent des rendements disproportionnés au bailleur de fonds.
[107] Les demandeurs soutiennent que même si l’on peut blâmer les avocats du groupe pour n’avoir pas demandé que l’AFL soit préapprouvé, un avantage imprévu est que les avocats du groupe sont en mesure d’apporter des modifications à leur entente de versement d’honoraires, connaissant le montant réel du produit du règlement, l’objectif étant d’atténuer l’effet de la commission du bailleur de fonds sur les membres du groupe. À cet égard, les avocats du groupe soutiennent qu’ils ont réduit leur demande d’honoraires de 420 000 $ (de 33 % à 25 % du montant du règlement), et qu’ils assument la responsabilité d’administrer la distribution des fonds de règlement, plutôt que d’engager la dépense d’un administrateur tiers, ce qui représenterait des frais estimatifs d’environ 100 000 $. Selon les demandeurs, le fait de tenir compte de cette « compensation »
de 520 000 $ donne lieu à une commission nette totale destinée au bailleur de fonds d’un montant d’environ 230 000 $, ce qui représente à peu près 4,3 % du montant du règlement.
[108] Je ne suis pas convaincu par les arguments qu’avancent les demandeurs.
[109] Pour pouvoir décider si la Cour peut approuver l’AFL, l’accord doit être évalué tel qu’il a été libellé, avant le rajustement indirect que les avocats du groupe y apportent en réduisant leurs honoraires. La détermination de ce qui est un accord de financement de litige juste et raisonnable est très contextuelle (Ingarra, au para 31; Difederico, au para 57, citant Houle, au para 81), et l’AFL que les demandeurs ont présenté à la Cour ne répond à aucun des critères énoncés dans la jurisprudence.
[110] Si l’on fait abstraction de la « compensation »
susmentionnée, en fin de compte le bailleur de fonds est susceptible de toucher 14,3 % du montant du règlement pour sa commission envisagée de 750 000 $, et près du quart du montant du règlement pour la combinaison du remboursement des fonds qu’il a avancés et sa commission. Ces pourcentages sont élevés par rapport à ceux qui ont été approuvés dans d’autres affaires comportant des accords de financement de litige. Par exemple, la matrice de distribution du produit du FARC de l’Ontario prévoit que, dans la plupart des cas de figure, le pourcentage du recouvrement à verser au bailleur de fonds est de 10 %. En fait, dans les décisions Difederico et Eaton, le FARC de l’Ontario a été pris en considération à des fins comparatives. Dans l’affaire Difederico, le bailleur de fonds du litige ne recevrait pas plus que le pourcentage de 10 % généralement obtenu par le FARC de l’Ontario dans 90 % des cas de figure, allant d’une victoire complète pour les demandeurs (dans cette affaire, un recouvrement de 12 milliards de dollars) à un échec complet du recours collectif (un recouvrement nul) (Difederico, au para 61). Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Eaton, les frais de financement étaient égaux à 10 % du produit de l’action et se situaient en fait à l’intérieur de la fourchette des frais semblables approuvés par les tribunaux canadiens (Eaton, au para 30). Les frais de financement étaient nettement en deçà des 10 % du produit total pour plus de 80 % des résultats potentiels dans ce recours collectif envisagé, allant d’un succès complet (un recouvrement de 2,75 milliards de dollars) à un échec complet (un recouvrement nul).
[111] Dans la présente affaire, la situation est nettement différente. Il ne s’agit pas ici d’une affaire dans laquelle les conditions de l’AFL sont plus favorables aux membres du groupe que celles qui s’appliqueraient si l’instance était financée par le FARC de l’Ontario (Eaton, au para 41). C’est l’inverse. Étant donné que le recouvrement du bailleur de fonds en l’espèce est supérieur à ce qui a été considéré comme juste et raisonnable dans les affaires Difederico et Eaton, ce facteur milite contre l’approbation de l’AFL.
[112] L’AFL suscite également de sérieuses préoccupations à deux autres égards. La jurisprudence a établi une « fourchette de validité présumée »
de 30 % à 35 % du produit de la réclamation, pour un rendement combiné au bailleur de fonds du litige et aux avocats du groupe (Ingarra, au para 41; Difederico, au para 65; Eaton, au para 44). Dans les deux affaires Difederico et Eaton, le projet d’accord de financement de litige se situait effectivement à l’intérieur de la fourchette de validité présumée. Dans le cas présent, à un montant de 2 062 500$ (soit 1 312 500 $ au titre des honoraires réduits des avocats du groupe et 750 000 $ au titre de la commission destinée au bailleur de fonds), le rendement combiné envisagé du bailleur de fonds et des avocats du groupe excéderait 39 % du montant du règlement, ce qui excède la limite supérieure de cette fourchette de validité présumée. Ce résultat, là encore, va à l’encontre des règles régissant l’obtention d’un résultat juste et raisonnable pour les membres du groupe.
[113] Enfin, une autre mesure dont il faut tenir compte est le rendement réel, pour le bailleur de fonds, de son soutien financier. La commission envisagée de 750 000 $ que recevrait le bailleur de fonds pour avoir financé la somme de 500 000 $ au titre des débours se traduirait par un rendement de 150 % sur une période maximale d’environ deux ans (d’après les renseignements au dossier, il semblerait que la somme de 500 000 $ n’a pas été avancée avant le second semestre de 2021 par le bailleur de fonds, en vue de supporter les honoraires d’experts engagés par les demandeurs).
[114] Cela, à mon sens, accorderait au bailleur de fonds un taux de rendement déraisonnable, exorbitant et hautement douteux. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que, contrairement aux accords de financement de litige caractéristiques, l’AFL dont il est question en l’espèce ne module pas le taux de rendement du bailleur de fonds en fonction du produit réel du recours collectif. Il prévoit plutôt le versement d’une commission exprimée sous la forme d’un facteur de multiplication des montants avancés, lequel augmente de pair avec la durée du prêt. Ce fait reflète la véritable nature de financement de l’AFL. En d’autres termes, la contrepartie à verser au bailleur de fonds pour avoir financé les débours est un taux de rendement tout à fait indépendant du résultat réel du recours collectif. Ironiquement, dans les observations qu’ils ont soumises à la Cour, les avocats du groupe ont indiqué qu’ils croyaient erronément que l’AFL n’était pas assujetti à l’approbation de la Cour, de la même façon que cette approbation ne serait pas requise si les avocats du groupe avaient souscrit un prêt bancaire ou une marge de crédit pour financer l’affaire. Compte tenu du taux de rendement dont bénéficierait le bailleur de fonds (un taux annuel de quelque 75 %), si l’accord de financement que représente l’AFL avait été un mécanisme de financement offert sous la forme d’un prêt bancaire portant intérêt, cela aurait pu être considéré comme un taux d’intérêt illégal en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, lequel interdit les taux d’intérêt annuels de plus de 60 %. En d’autres termes, les conditions de l’AFL, que les demandeurs demandent à la Cour d’approuver, présentent un grand nombre des caractéristiques de ce que l’on qualifierait par ailleurs de prêt à des conditions abusives ou de prêts usuraires. Cela, la Cour ne peut l’admettre.
[115] Pour toutes les formes de financement ou d’investissement, le taux de rendement que souhaite obtenir un investisseur ou un prêteur reflète le degré de risque attendu et la capacité des emprunteurs de répondre à leurs obligations financières à temps et en totalité. Il est possible que dans le cas d’un bailleur de fonds le risque qu’il assume pour financer les débours de certains recours collectifs est à ce point élevé, et le risque de défaillance à ce point considérable, qu’il a besoin de taux de rendement exorbitants ou abusifs pour justifier qu’il avance les fonds. Mais, si le risque qu’un recours collectif envisagé soit rejeté est à ce point élevé qu’il n’est possible de financer le litige qu’à un prix frisant l’extorsion, le fait d’approuver de tels accords de financement de litige ne sert certes pas les intérêts de la justice.
[116] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’AFL ne peut pas être considéré comme juste ou raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe et que le bailleur de fonds toucherait une rétribution excessive pour avoir assumé le risque de financer le recours collectif envisagé. En résumé, peu importe la mesure appliquée pour satisfaire au critère du caractère juste et raisonnable, le projet d’AFL ne répond à aucune.
(iii) L’AFL est une champartie
[117] Compte tenu de ce qui précède, il me faut également conclure que l’AFL est une champartie.
[118] Dans la décision Difederico, la Cour a conclu que l’évaluation de ce facteur devrait porter sur deux considérations. La première consiste à déterminer s’il y a une preuve d’un motif inapproprié réel, par opposition à un motif qui peut être jugé inapproprié en raison du montant du rendement envisagé par l’accord de financement de litige. La seconde consiste à savoir si les frais établis dans l’accord de financement de litige dépassent la limite supérieure de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable, juste ou proportionnel (Difederico, aux para 54–55; Eaton, aux para 29–30). C’est donc dire que cette seconde considération recoupe l’exigence selon laquelle l’AFL doit être juste et raisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe.
[119] Je reconnais qu’il n’existe aucune preuve d’un motif inapproprié de la part du bailleur de fonds dans la présente affaire. L’AFL semble être de nature purement financière. Le simple fait qu’un bailleur de fonds puisse tirer profit de manière déraisonnable d’un accord de financement ne suffit pas, en soi, pour étayer une conclusion de motif inapproprié ou d’ingérence officieuse (McIntyre Estate v Ontario (Attorney General) (2002), 61 OR (3d) 257 (CA Ont.) aux para 26‑28).
[120] Cependant, on ne peut pas en dire autant du caractère raisonnable, de la justesse et de la proportionnalité des profits que touchera le bailleur de fonds dans le cadre de la distribution globale du produit de l’accord de règlement. Comme nous l’avons vu à la section précédente, il ne fait aucun doute que l’AFL dont il est ici question est donc une champartie.
(iv) L’AFL n’est pas nécessaire pour faciliter un accès véritable à la justice et ne contribuera pas de manière significative à la prévention d’actes répréhensibles
[121] Je ne conteste pas que, dans certaines circonstances, un accord de financement de litige peut faciliter l’accès à la justice ou aider à prévenir des actes répréhensibles en permettant aux demandeurs de faire valoir leurs réclamations contre de prétendus auteurs d’actes répréhensibles. Par exemple, la Cour a fait remarquer dans la décision Difederico que, dans la mesure où un recours collectif est fructueux, soit en obtenant un jugement ou une adjudication favorable, soit en parvenant à un règlement qui reflète une réclamation valable, d’autres entreprises seront probablement dissuadées de se livrer à une conduite semblable à celle qui est censément anticoncurrentielle (Difederico, au para 79).
[122] Cependant, dans la présente affaire, je ne relève aucune preuve que l’AFL était requise pour donner aux demandeurs accès à la justice, ni que l’accord de règlement proprement dit contient un signe quelconque d’un effet dissuasif sur les défenderesses. Je ne suis donc pas convaincu que ces deux éléments justifient l’approbation de l’AFL.
(c) La conclusion sur l’AFL
[123] L’AFL ne satisfait pas aux exigences de base en matière de procédure et de preuve qu’il faut remplir pour que la Cour le prenne en considération. Notamment, il aurait dû être porté à l’attention de la Cour le plus tôt possible, plutôt qu’à la dernière minute, après que l’accord avec le bailleur de fonds avait été conclu, et après que les avocats du groupe avaient déjà prélevé des fonds prévus par l’AFL. Ce dernier est aussi manifestement injuste et déraisonnable pour les membres actuels et éventuels du groupe, parce que le montant recouvré par le bailleur de fonds est nettement plus élevé que ce que notre Cour a considéré comme raisonnable pour un accord de financement de litige, et qu’il excède de beaucoup n’importe quel taux de rendement acceptable.
[124] Il me faut une fois de plus souligner que les avocats du groupe demandent à la Cour non seulement d’approuver l’AFL mais aussi de soustraire les frais de financement du montant du règlement auxquels auront accès en fin de compte les membres du groupe. Il serait injuste et déraisonnable de demander à ceux‑ci de supporter le poids d’un accord de financement aussi déraisonnable. J’ajouterais de plus que, dans le mandat de représentation, rien n’est dit au sujet des frais ou de la commission à payer à un bailleur de fonds dans l’exemple du calcul des frais qui sert à illustrer l’effet du paiement d’honoraires conditionnels sur le produit que toucheront réellement les membres du groupe. Certes, il y avait une disposition dans le mandat de représentation (article 8) qui faisait allusion à la possibilité qu’un bailleur de fonds tiers puisse [TRADUCTION] « avoir droit à un pourcentage du recouvrement obtenu pour le compte du groupe et/ou un paiement d’intérêt calculé en fonction du montant des fonds avancés »
, mais sans plus de détails. Il y avait aussi, dans l’avis qui a été approuvé dans l’ordonnance du 6 octobre, une mention du montant pécuniaire réel à payer au bailleur de fonds. Mais nulle part a‑t‑il été expliqué aux membres du groupe qu’ils payaient au bailleur de fonds un taux de rendement d’environ 150 % sur deux ans pour les débours qu’il avait financés, quelle que soit l’issue du recours collectif.
[125] Pour ces raisons, je n’approuverai pas l’AFL ni n’ordonnerai que les montants destinés au bailleur de fonds aux termes de cet accord soient payés à même le montant du règlement. Ce refus sera un facteur dont il faudra tenir compte dans l’évaluation des honoraires des avocats du groupe, que je vais maintenant analyser.
(2) Les honoraires des avocats du groupe
(a) Le critère applicable à l’approbation des honoraires des avocats du groupe
[126] L’article 334.4 des Règles prévoit que la Cour doit approuver tous les paiements à un avocat qui découlent d’un recours collectif. Le critère général qui s’applique aux honoraires versés aux avocats du groupe est qu’ils doivent être « justes et raisonnables »
dans les circonstances (Lin, au para 70; Condon, au para 81; Manuge, au para 28).
[127] La Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui aident à déterminer si les honoraires destinés aux avocats d’un groupe sont justes et raisonnables (Moushoom, au para 83; Lin, au para 71; Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 590 [Wenham 2] au para 33; McLean c Canada, 2019 CF 1077 [McLean 2] au para 25; McCrea c Canada, 2019 CF 122 au para 98; Condon, au para 82; Manuge, au para 28). Là encore, ces facteurs sont semblables à ceux retenus par les tribunaux à travers le Canada, et ils comprennent les suivants :
le risque assumé par les avocats du groupe;
les résultats obtenus;
le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe;
la complexité et la difficulté de l’affaire;
le degré de responsabilité assumé par les avocats du groupe;
les honoraires accordés dans des affaires semblables;
les attentes du groupe;
l’expérience et l’expertise des avocats du groupe;
la capacité de payer du groupe;
l’importance du litige pour le demandeur.
[128] Dans les situations où, comme c’est le cas en l’espèce, les avocats du groupe bénéficient pour le litige d’un soutien financier, ce financement est un élément additionnel que, d’après moi, la Cour doit prendre en considération pour décider si les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables, car ce soutien atténue manifestement le risque que courent les avocats, et, d’habitude, il se répercute sur le montant résiduel dont disposeront les membres du groupe.
[129] Comme c’est le cas pour les facteurs qui régissent l’approbation d’un accord de règlement, la liste de ces facteurs n’est pas exhaustive, et leur importance variera en fonction des circonstances particulières de chaque recours collectif (Lin, au para 72). Cependant, le risque que les avocats du groupe ont assumé en menant le litige, ainsi que le degré de réussite ou les résultats obtenus par les membres du groupe par le truchement de l’accord de règlement proposé demeurent les deux facteurs qui importent pour ce qui est d’apprécier le caractère juste et raisonnable d’une demande d’honoraires conditionnels des avocats du groupe (Moushoom, au para 84; Condon, au para 83). Le risque en question comporte celui de ne pas être payé, mais aussi celui d’être exposé à une affaire contentieuse et à une partie opposée exigeante (Wenham 2, au para 34).
[130] Les tribunaux reconnaissent de longue date que, pour que les dispositions législatives sur les recours collectifs atteignent leurs objectifs de principe, il faut que les avocats d’un groupe soient bien récompensés pour leurs efforts, et il convient généralement de respecter les conventions d’honoraires conditionnels qu’ils négocient avec les demandeurs. Il est présumé que les honoraires proportionnels que contient un mandat de représentation sont justes et qu’il n’y a lieu de les réfuter ou de les réduire que dans « des cas manifestement étayés par des raisons de principe »
(Condon, au para 85, citant Cannon v Funds for Canada Foundation, 2013 ONSC 7686 au para 8).
[131] Cela dit, il est important de souligner, une fois de plus, le rôle qu’a la Cour de protéger le groupe et il peut y avoir des cas où cette dernière se doit, dans l’intérêt du groupe, de substituer son opinion à celle des avocats du groupe. La Cour doit prendre en considération la totalité des facteurs pertinents et se demander ensuite – et c’est là une question d’appréciation – si les honoraires des avocats du groupe que le projet d’accord a prévus ou que les avocats ont demandés sont justes et raisonnables et s’ils préservent l’intégrité de la profession (Shah, au para 46). Cela est particulièrement vrai dans les cas où, comme en l’espèce, le montant de ces honoraires est prélevé sur le montant du règlement global qui est disponible aux membres du groupe. Il est clair en l’espèce que le montant net des fonds de règlement qui peut être distribué aux membres du groupe représente la différence entre le montant du règlement et la somme des frais d’administration, des honoraires des avocats du groupe, des frais de financement, des honoraires des demandeurs et des taxes applicables.
[132] Dans le même ordre d’idées, lorsque la convention d’honoraires conclue avec les avocats du groupe fait partie de l’accord de règlement, la Cour doit se prononcer sur le caractère juste et raisonnable de la convention d’honoraires proposée au regard de ce que les avocats du groupe ont réellement accompli pour le compte des membres du groupe. Les honoraires ne doivent pas donner l’impression qu’ils donnent lieu à des conditions de règlement qui semblent être dans l’intérêt des avocats, mais non dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres du groupe. En d’autres termes, il faut qu’il y ait une certaine proportionnalité entre les honoraires accordés aux avocats du groupe et le degré de succès qu’obtiennent les membres du groupe. (Lin, au para 75).
(b) L’application à la présente affaire
(i) Le risque assumé par les avocats du groupe
[133] Le facteur « risque » désigne les risques assumés par les avocats du groupe à partir du moment où le recours collectif commence. Il se mesure à partir du début de l’action, et non pas avec du recul, lorsque le résultat paraît inévitable. Ce risque englobe tous ceux auxquels sont confrontés les avocats du groupe, comme ceux qui sont liés à la responsabilité, au recouvrement et à la possibilité que le recours collectif ne soit pas autorisé ou ne soit pas accueilli sur le fond (Condon, au para 83). Les risques relatifs au litige qu’assument les avocats d’un groupe dépendent de la probabilité de réussite, de la complexité de l’instance ainsi que du temps et des ressources consacrés au litige. (Lin, au para 77).
[134] Il a été question de ces risques plus tôt, à la sous‑section portant sur la probabilité de recouvrement, au moment d’examiner l’approbation de l’accord de règlement. Il y avait notamment des risques liés au fait de savoir si l’affaire serait autorisée ou non au regard de la décision Jensen. De plus, il y avait des risques qui découlaient de la conclusion de l’enquête menée par le Département de la justice des États‑Unis.
[135] Contrairement à l’affaire Lin, cependant, les avocats du groupe, dans la présente affaire, se sont fondés sur l’AFL pour acquitter certains de leurs débours. Ils n’ont donc pas supporté les risques entièrement eux‑mêmes. Il en sera question plus en détail ci‑après. Malgré l’AFL, il y a quand même eu des risques importants qui ont été pris en l’espèce, ce qui est un facteur qui milite en faveur de l’approbation des honoraires des avocats du groupe.
(ii) Les résultats obtenus
[136] Il vaut la peine de signaler que le succès ou le résultat obtenu dans le cadre de n’importe quel recours collectif n’est pas un chiffre absolu, mais plutôt un chiffre relatif. L’évaluation des résultats obtenus a pour but de déterminer la [TRADUCTION] « valeur »
de la réclamation du client et ce que ce dernier a finalement obtenu; pour ce faire, les tribunaux doivent tenir compte de la complexité et de la difficulté de l’affaire (Ainsley v Afexa Life Sciences Inc, 2010 ONSC 4294 au para 40). Autrement dit, le succès ou le résultat obtenu dans le cadre de n’importe quel recours collectif doit être évalué par rapport à ce qu’a été le recouvrement intégral prévu des dommages qu’ont censément subis les membres du groupe. Il s’agit là d’un élément important qui aide la Cour dans ses efforts pour évaluer le caractère juste et raisonnable de l’indemnisation qu’un accord de règlement procurera censément aux avocats du groupe. De façon générale, la Cour a toujours besoin de savoir quel aurait été le recouvrement intégral estimatif d’un recours collectif afin de pouvoir évaluer le taux de recouvrement d’un projet de règlement et de déterminer le succès relatif réalisé par le règlement. Dans la présente affaire, le point de référence dont la Cour dispose est la somme de 1 milliard de dollars en dommages‑intérêts que les demandeurs ont mentionnée dans leur déclaration. Le montant du règlement – 5 250 000 $ – représente donc un taux de recouvrement terriblement bas pour les membres du groupe, et le montant qui est envisagé en fin de compte pour eux‑mêmes (un peu plus de 2 360 000 $) représente un taux de recouvrement encore plus bas.
[137] Les résultats obtenus sont donc plus que modestes, et ils se situent à l’extrémité inférieure de la fourchette pour les membres du groupe. En fait, ceux qui profiteront le plus des résultats obtenus sont les avocats du groupe, le bailleur de fonds, et le groupe le plus nombreux que représentent les membres admissibles du groupe visé par le règlement. Le groupe plus restreint des membres admissibles a fort peu à gagner de cet accord en raison du protocole de distribution au prorata, et les membres du groupe qui sont des clients ne reçoivent aucun avantage matériel direct – à l’exception de la négligeable contribution de type aussi‑près de 250 000 $.
[138] Les résultats obtenus sont bien moins qu’exemplaires. Les avocats du groupe le reconnaissent dans leurs observations, où ils indiquent que [TRADUCTION] « le règlement n’est ni idéal ni parfait »
. Cependant, font‑ils valoir, il [traduction] « représente un compromis raisonnable qui permet d’obtenir un degré d’indemnisation raisonnable pour les acheteurs directs, comparativement à rien »
. Cette conclusion est douteuse. Le succès d’un recours collectif ne peut se résumer à la réalisation de n’importe quoi de mieux que rien.
[139] Compte tenu de ce qui précède, les résultats obtenus dans le présent accord de règlement sont loin de correspondre à un degré auquel il s’agirait d’un facteur favorable à l’approbation des honoraires des avocats du groupe. En fait, les résultats obtenus sont tout le contraire, et ils représentent un facteur qui milite contre l’approbation de ces honoraires. Quand les résultats atteints dans une affaire donnée sont si faibles, cela amène à se demander si les avocats du groupe devraient avoir droit au recouvrement intégral des honoraires qu’ils sollicitent.
(iii) L’effet des frais de financement du litige
[140] À mon avis, il va sans dire que l’existence du soutien financier d’un tiers est un autre facteur pertinent qui entre dans l’analyse des risques encourus et des honoraires que demandent les avocats du groupe, ainsi que pour déterminer si le montant global est juste, raisonnable et proportionnel dans n’importe quelle affaire donnée (Baroch v Canada Cartage, 2021 ONSC 7376 aux para 31–32 [Baroch]; MacDonald at al v BMO Trust Company et al, 2021 ONSC 3726 aux para 43–44 [BMO Trust]). En d’autres termes, le financement du litige et les honoraires des avocats du groupe ne sont pas des compartiments distincts et indépendants, puisque le soutien financier obtenu au moyen d’accords de financement de litige atténue le degré de risque qu’assument les avocats du groupe en se chargeant de recours collectifs sur la base d’honoraires conditionnels et en assurant des services de représentation.
[141] Il n’est pas question de pénaliser les avocats du groupe pour avoir sollicité la contribution de bailleurs de fonds mais, le soutien financier d’un tiers est certes un facteur qui entre dans l’équation lorsqu’on évalue le caractère raisonnable des honoraires des avocats du groupe. Plus précisément, les tribunaux doivent examiner l’effet conjugué des honoraires destinés aux avocats du groupe et des frais de financement du litige, et ce n’est pas aux membres du groupe qu’il revient d’absorber ces frais de financement supplémentaires – lesquels contribuent à atténuer le risque auquel sont confrontés les avocats du groupe – quand le montant global de ces honoraires et de ces frais excède certaines limites.
[142] Dans leurs observations supplémentaires, les demandeurs ont reconnu que les tribunaux en Ontario ont décidé qu’il devrait [TRADUCTION] « aller de soi […] que l’aide financière d’un tiers est un facteur pertinent dans l’‘analyse des risques encourus’ »
(Baroch, au para 31, citant BMO Trust). En fait, comme le tribunal l’a signalé dans cette affaire, la version modifiée de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, LO 1992, c 6 [la LRCO] exige expressément aujourd’hui que l’on prenne en considération les ententes de financement qui ont eu une incidence sur le degré de risque assumé par les avocats dans le cadre de la prestation de leurs services de représentation (LRCO, art 32(2.2)).
[143] Dans la présente affaire, l’AFL a assurément eu une incidence sur le degré de risque assumé par les avocats du groupe. Cependant, comme je n’approuve pas l’AFL, il ne s’agira pas d’un facteur négatif lors de la détermination du montant des honoraires des avocats du groupe.
(iv) Le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe
[144] Le temps consacré par les avocats du groupe peut aussi être un facteur utile pour l’approbation des honoraires des avocats du groupe, même dans les cas où ces honoraires sont de nature conditionnelle.
[145] Au fil des ans, les tribunaux ont exprimé une préférence pour la formule des honoraires déterminés selon un pourcentage dans le cadre des recours collectifs (voir, par exemple, Mancinelli v Royal Bank of Canada, 2017 ONSC 2324 au para 52). Ces honoraires sont fondés sur un pourcentage des montants recouvrés et il faudrait les adjuger à un taux qui devrait être suffisant pour encourager et rétribuer adéquatement les avocats du groupe (Condon, au para 84). Les honoraires conditionnels aident à favoriser l’accès à la justice en ce sens qu’ils permettent aux avocats du groupe, plutôt qu’au demandeur, de financer le litige. Les honoraires conditionnels favorisent également l’économie des ressources judiciaires et l’efficience des procédures, ils dissuadent les avocats d’un groupe de faire du travail inutile pour gonfler leur facture, ils mettent à juste titre l’accent sur la qualité de la représentation et les résultats obtenus, ils ne pénalisent pas l’efficience des avocats et ils tiennent compte des dépens et des risques considérables qu’ils doivent assumer (Condon, aux para 90–91). Notre Cour et d’autres tribunaux du pays ont reconnu que la viabilité du régime des recours collectifs est tributaire du travail d’avocats à l’esprit d’entreprise qui acceptent de mener ces batailles, et dont la rémunération doit être à l’avenant (Condon, aux para 90–91).
[146] Cependant, les situations dans lesquelles les honoraires des avocats du groupe sont sans commune mesure avec les gains que réalisent les membres du groupe ou ne cadrent pas avec les conditions du mandat de représentation sous‑jacent qui a été conclu avec le représentant demandeur sont considérées aussi comme d’autres « raisons de principe »
pour lesquelles il peut être justifié que les tribunaux remanient une convention d’honoraires conditionnels fondés sur un pourcentage (Lin, au para 95). Fait important, il est nécessaire d’examiner les honoraires des avocats du groupe qui sont proposés par rapport au résultat réel qu’obtiendraient les membres du groupe, surtout dans les cas où le mandat de représentation prévoit la possibilité d’une fourchette ou d’une marge d’appréciation pour les honoraires fondés sur un pourcentage qui seront réellement payés.
[147] J’ouvre ici une parenthèse pour faire une remarque. Bien que les tribunaux reconnaissent la nécessité de prendre en compte les avocats à l’esprit d’entreprise qui sont disposés à prendre des risques dans le cadre d’un recours collectif et qui méritent d’être rétribués en conséquence, la prise de risques a ses limites. Il est nécessaire de faire une distinction entre les situations où la prise de risques mesurés traduit l’existence d’un esprit d’entreprise et d’autres où les chances de succès sont à ce point faibles et éloignées et les risques à ce point élevés qu’un recours collectif envisagé tombe en territoire conjectural. Le régime des recours collectifs n’a pas été créé pour rétribuer ce genre de situation.
[148] En l’espèce, il ressort clairement de la preuve que les avocats du groupe ont consacré à la présente affaire un travail considérable. Selon les affidavits déposés, en date du 17 novembre 2023 des avocats, des étudiants et des auxiliaires rattachés aux avocats du groupe avaient collectivement consacré 2 296,88 heures à la présente affaire, ce qui représente, sous la forme d’honoraires, la somme de 1 297 421 $. Je suis donc convaincu que le temps et les efforts consacrés par les avocats du groupe est un facteur qui milite en faveur de l’approbation des honoraires qui leur sont destinés.
(v) La complexité et la difficulté de l’affaire
[149] Pour les raisons analysées plus tôt, le recours collectif dont il est question en l’espèce a soulevé des questions complexes et difficiles entourant la partie VI de la Loi sur la concurrence et sur lesquelles font enquête plusieurs organes de réglementation importants en matière de droit de la concurrence à l’échelle mondiale. Il s’agit là d’un facteur qui milite en faveur de l’approbation des honoraires des avocats du groupe.
(vi) Le degré de responsabilité assumé par les avocats du groupe
[150] Les avocats du groupe, qui se composent de trois cabinets, ont assumé une bonne part de responsabilité de la gestion du recours collectif, et ils assument également la responsabilité de l’administration du protocole de distribution. Cependant, contrairement à l’affaire Lin, ces cabinets ont accompli ce travail avec le soutien de l’AFL. Malgré le financement de l’AFL, je suis convaincu que les avocats du groupe ont quand même accompli un travail considérable en gérant le dossier. Cela étant, il s’agit d’un facteur qui milite en faveur de l’évaluation des honoraires des avocats du groupe.
(vii) Les honoraires accordés dans des affaires semblables
[151] Lorsqu’on examine la question des honoraires adjugés dans des affaires comparables, les honoraires conditionnels réduits, à un taux de 25 %, semblent correspondre à la fourchette moyenne à élevée des honoraires que demandent les avocats d’un groupe. En fait, dans l’affaire Lin, notre Cour a réifié une conclusion de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, à savoir que la fourchette caractéristique a récemment été décrite en Colombie‑Britannique comme étant de « 15 % à 33 % du montant adjugé ou du règlement »
(Lin, au para 102, citant Kett v Kobe Steel, Ltd, 2020 BCSC 1977 au para 54 [Kobe Steel]). Par ailleurs, la Cour a souligné de multiples cas où notre Cour a conclu que des honoraires conditionnels de 30 % se situaient dans la [traduction] « fourchette supérieure »
de ce qui pourrait être raisonnable (Lin, au para 102, citant Condon, aux para 92, 111). J’ajoute que, dans le règlement de l’action engagée par les acheteurs directs aux États‑Unis et de l’action engagée par les acheteurs indirects aux États‑Unis, les avocats du groupe ont touché des honoraires conditionnels de 30 %.
[152] La question à trancher consiste à savoir si les honoraires des avocats du groupe qui sont demandés sont justes et raisonnables dans les circonstances (Lin, au para 103). Dans la présente affaire, l’accord de règlement se solde par un succès fort restreint pour les membres du groupe, et les avocats du groupe eux‑mêmes ont admis le résultat [traduction] « modeste »
lorsqu’ils ont réduit leur pourcentage d’honoraires conditionnels de 33 % à 25 % (en tenant compte des frais de financement). Étant donné que le montant est à ce point bas que la majorité des membres du groupe ne pourront pas avoir accès au fonds de règlement – à l’exception du paiement de type aussi‑près – il semble difficile de justifier des honoraires conditionnels reposant sur un pourcentage élevé, qui se situeraient à l’extrémité supérieure de la fourchette observée dans des affaires comparables.
[153] En outre, si l’on se fonde sur ce qui a été présenté à la Cour, une fois que les avocats du groupe auront récupéré leurs honoraires et leurs débours, et que le bailleur de fonds aura été payé, il restera moins de la moitié du montant du règlement pour les membres du groupe, 45 % plus précisément. Dans ces circonstances, il ne semble pas raisonnable d’adjuger une part aussi considérable du montant du règlement aux avocats du groupe. Le fait de demander des honoraires conditionnels qui se situent dans la fourchette moyenne à élevée des adjudications d’honoraires caractéristiques est donc un facteur négatif dans l’évaluation du caractère juste et raisonnable des honoraires des avocats du groupe.
(viii) Les attentes du groupe
[154] Un autre facteur dont il faut tenir compte est les attentes des membres du groupe quant au montant des honoraires des avocats du groupe (Lin, au para 104). Comme l’ont souligné les demandeurs, l’avis incluait le montant précis des honoraires que demandaient les avocats ainsi que les montants à payer. Les avis ont été diffusés directement par courriel ou par la poste à tous les membres du groupe qui étaient des acheteurs directs admissibles et diffusés indirectement à tous les membres du groupe qui étaient des acheteurs indirects. Les avocats du groupe signalent de plus qu’il n’y a pas eu d’opposition aux honoraires demandés ou aux montants à payer au bailleur de fonds. Compte tenu de ce qui précède, il s’agit là d’un facteur positif dans l’évaluation des honoraires des avocats du groupe.
[155] Comme il a été mentionné dans l’affaire Lin, dans les situations où le montant que les membres d’un groupe sont censés recouvrer ou recouvreront vraisemblablement est restreint et se situe au bas de la fourchette, les avis adressés aux membres du groupe devraient indiquer clairement le montant total des honoraires destinés aux avocats du groupe ainsi que le pourcentage que ces derniers souhaitent recevoir d’un accord de règlement, de façon à ce que les membres du groupe puissent bien comprendre l’accord qui leur est soumis pour approbation. Les communications entre les avocats du groupe et les membres de ce dernier doivent être transparentes, de façon à ce que les membres du groupe puissent pouvoir prendre une décision éclairée quant au fait d’approuver et d’appuyer à la fois l’accord de règlement proposé et les honoraires des avocats. Et ce, surtout dans des situations où, comme en l’espèce, les honoraires des avocats du groupe absorbent une part importante du montant net des fonds de règlement qui sont destinés aux membres du groupe. C’était le cas en l’espèce et, même s’ils ont été bien informés des honoraires juridiques à payer, les membres du groupe n’ont pas formulé d’opposition à cet égard. Il s’agit là d’un facteur positif dans l’évaluation du caractère juste et raisonnable des honoraires des avocats du groupe.
[156] Il existe toutefois une réserve importante, liée là encore à l’AFL et aux frais de financement. Comme il en a été question plus tôt, je ne relève dans la présente affaire aucune preuve convaincante que les membres du groupe ont été pleinement informés des conditions auxquelles ont souscrit les avocats du groupe dans l’AFL et qui sous‑tendent le paiement des frais de financement. Je ne suis donc pas convaincu que, dans les circonstances, on puisse considérer que les membres du groupe s’attendaient à ce que les frais de financement et le [traduction] « paiement des intérêts »
mentionnés dans le mandat de représentation puissent être de l’ampleur excessive à laquelle ont souscrit les avocats du groupe dans le cadre de l’AFL en vue d’obtenir le financement des débours. Il s’agit là d’un facteur négatif dans la détermination du caractère juste et raisonnable, dans l’ensemble, des honoraires des avocats du groupe.
(ix) L’expérience et l’expertise des avocats du groupe
[157] Il ne fait aucun doute quant à la réputation qu’ont les avocats du groupe au sein du milieu juridique spécialisé en recours collectifs ainsi que dans les secteurs du droit qui intéressent le présent litige. Une preuve indiquant que les avocats du groupe exercent leurs activités dans le cadre de recours collectifs depuis de nombreuses années a été présentée. Ils jouissent d’une vaste expérience en matière de recours collectifs et ils ont négocié collectivement les règlements de plusieurs recours collectifs. Il s’agit là bien sûr d’un facteur positif qui favorise l’approbation des honoraires des avocats du groupe.
(x) La capacité de payer du groupe
[158] Bien qu’il soit évident que les membres du groupe qui sont des clients n’avaient pas et n’ont pas la capacité de payer les services des avocats du groupe, la situation n’est peut‑être pas tout aussi claire pour le grand nombre des membres admissibles du groupe visé par le règlement – les seuls du groupe qui ont une chance de tirer un avantage pécuniaire direct de l’accord de règlement. Il s’agit donc d’un facteur neutre dans l’évaluation, par la Cour, des honoraires des avocats du groupe.
(xi) L’importance du litige pour le demandeur
[159] Enfin, comme cela a été le cas dans l’affaire Lin, le recours collectif dont il est question en l’espèce est d’une importance restreinte pour les demandeurs, M. Sills et Mme Breckon, et il s’agit d’un facteur neutre pour la détermination du caractère juste et raisonnable des honoraires des avocats du groupe. La présente affaire n’est pas d’une importance exceptionnelle pour les membres du groupe, en ce sens qu’elle ne met pas en cause de violations des droits de la personne ou de lésions corporelles. Elle a une incidence sur la protection des consommateurs et sur le fait de dissuader d’éventuels comportements anticoncurrentiels, mais rien ne permet à la Cour de conclure que l’affaire pourrait être considérée comme un « litige important »
(Lin, au para 110).
(c) La conclusion sur les honoraires des avocats du groupe
[160] Après avoir examiné cumulativement la totalité des facteurs susmentionnés, il me faut décider si les honoraires des avocats du groupe qu’il est demandé d’approuver en l’espèce peuvent être considérés comme justes et raisonnables dans les circonstances. Deux points importants sont à souligner : les résultats très modestes obtenus pour les membres du groupe – particulièrement les clients – et la partie importante du montant du règlement qui est destinée au bailleur de fonds en sus des honoraires des avocats du groupe, ce qui, dans le cadre du projet actuel, en laisse fort peu pour les membres du groupe. En fait, s’il fallait que la Cour approuve la distribution présentée par les demandeurs, les membres du groupe se trouveraient à recevoir un maigre pourcentage – 45 % – du montant du règlement. En fin de compte, si l’on conserve la proposition actuelle des avocats du groupe, plus de la moitié du montant du règlement aura disparu avant qu’un membre quelconque du groupe ait même eu la possibilité d’avoir accès au fonds de règlement. Pour dire les choses différemment, même si le succès obtenu pour les membres du groupe est fort modeste, en mettant les choses au mieux, les honoraires et les dépenses que demandent en fait les avocats du groupe sont loin de l’être.
[161] Cela est injustifiable. À mon avis, ce qui est présenté à la Cour en vue de faire approuver les honoraires des avocats ne correspond pas à la définition de ce qui est « juste et raisonnable dans les circonstances »
. Par comparaison, dans l’affaire Lin, la Cour a approuvé en fin de compte un montant total de dépenses déduites du produit du règlement qui laissait encore 60 % du produit du recouvrement entre les mains des membres du groupe.
[162] Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’affaire Lin, il n’existe aucune formule magique pour déterminer les honoraires fondés sur un pourcentage qu’il convient d’accorder aux avocats du groupe dans le cadre du règlement d’un recours collectif (Lin, au para 115). Il s’agit d’une question de jugement, qui repose sur les circonstances particulières de l’affaire en question et les intérêts du groupe (Lin, au para 115). Dans le cas présent, les avocats du groupe, s’étant fondés sur l’AFL, n’ont pas assumé entièrement le risque que représentait le recours collectif. Cependant, ils ont conclu un AFL que la Cour n’avait pas approuvé, et qu’elle n’approuve pas, et qui renferme des conditions clairement préjudiciables aux intérêts des membres du groupe. Les avocats du groupe ont pris le risque de souscrire à cet AFL sans l’approbation de la Cour. Il s’agissait d’un choix fait par des avocats d’expérience, et il leur faut supporter le fardeau que représente ce risque. Par ailleurs, les résultats de leur travail ont été incroyablement modestes, car la plupart des membres du groupe ne retirent rien du fonds de règlement. Enfin, les honoraires conditionnels de 25 % à 33 % qu’envisagent les avocats du groupe se situent à l’intérieur de la fourchette moyenne à élevée de la plupart des commissions, en dépit du fait que ces derniers n’ont pas conclu un accord de règlement se situant dans la même fourchette.
[163] Ce sont toutes là d’importantes « raisons de principe »
pour réviser les honoraires des avocats du groupe qui sont demandés. Comme il a été expliqué dans la décision Lin, au paragraphe 116
Comme l’a récemment décrété la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Kobe Steel, [traduction] « [l’]intégrité de la profession est un facteur dont il faut tenir compte au moment d’approuver les honoraires des avocats dans le contexte d’un recours collectif » (Kobe Steel, au para 58, faisant référence à Plimmer v Google, Inc, 2013 BCSC 681 et Endean c The Canadian Red Cross Society; Mitchell v CRCS, 2000 BCSC 971, conf. par 2000 BCCA 638, autorisation de pourvoi rejetée par [2001] SCCA no 27). Parfois, l’octroi d’une rétribution élevée aux avocats d’un groupe peut créer la mauvaise impression ou idée que les bénéficiaires ultimes des recours collectifs sont les avocats qui représentent le groupe, plutôt que ses membres. Quand, comme c’est le cas en l’espèce, le Montant du règlement que recevront vraisemblablement ou sont censés recevoir les Membres du groupe est minime – et, en fait, minuscule par rapport aux honoraires que demandent les Avocats du groupe – une telle perception pourrait être justifiée. Dans de tels cas, il incombe à la Cour de tenter de rectifier cette perception et de veiller à ce que les avocats ne donnent pas l’impression que le processus des recours collectifs sert [traduction] « à obtenir un résultat dont [les avocats du groupe] sont les seuls ou les principaux bénéficiaires » (Pro‑Sys Consultants Ltd v Microsoft Corporation, 2018 BCSC 2091 au para 53). Comme l’a rappelé la Cour dans Kobe Steel, [traduction] « [l’]objectif ultime du mécanisme que constitue un recours collectif est de bénéficier au groupe, et non à ses avocats. […]
[Non souligné dans l’original.]
[164] Cela dit, je suis également conscient du fait que, comme je n’ai pas approuvé l’AFL, les avocats du groupe devront payer de leur propre poche la somme de 750 000 $ qui est actuellement due au bailleur de fonds. Je signale également que les avocats du groupe ont engagé des honoraires réels de près de 1 300 000 $ dans le cadre du présent recours collectif, et qu’ils ont payé d’importants débours. Cela étant, et compte tenu de tous ces facteurs, je suis d’avis que les honoraires de 1 575 000 des avocats du groupe, lesquels représentent 30 % du montant du règlement, plus les taxes applicables, sont un montant juste et raisonnable à leur adjuger dans les circonstances. À cette somme, il faut ajouter des débours d’un montant total de 644 231,64 $ (144 231,64 $ plus le paiement de 500 000 $ fait par le bailleur de fonds), taxes incluses. Je suis aussi d’accord pour ajouter une somme de 75 000 $ aux honoraires des avocats du groupe afin de supporter en partie les frais engagés pour la distribution du fonds de règlement que les avocats du groupe ont accepté d’absorber. Cela signifie qu’un montant total d’environ 2 741 269 $ (5 250 000 $ moins une somme d’environ 1 864 500 $ au titre des honoraires des avocats du groupe, taxes incluses, et 644 231,64 $ au titre des débours, taxes incluses) pourra être distribué aux membres du groupe, ce qui représente une proportion plus acceptable – 52,2 % – du montant du règlement.
[165] Je souligne que, à 1 575 000 $ plus 75 000 $, les honoraires des avocats du groupe dépassent la quantité réelle de temps que ces derniers ont consacré jusqu’à ce jour au recours collectif, d’après les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés dans leurs documents de requête. Cela représente un modeste facteur multiplicateur d’environ 1,2, ce qui cadre avec le degré modeste du règlement réel. Bien sûr, une part non négligeable du montant total accordé par la Cour au titre des honoraires des avocats du groupe sera en fait réduite pour les avocats du groupe à cause de la commission qu’il faudra payer au bailleur de fonds aux termes de l’AFL. Mais la décision de conclure cet accord a été prise par les avocats du groupe, indépendamment de la Cour et des membres du groupe, et ceux‑ci ne devraient pas avoir à payer le prix de ce qui était des conditions inacceptables et déraisonnables pour un accord de financement dissocié des résultats du recours collectif.
(3) Les honoraires des demandeurs
[166] Enfin, les avocats du groupe demandent à la Cour d’adjuger des honoraires de 500 $ à M. Sills et à Mme Breckon, les demandeurs, soit un montant total de 1 000 $. Ces honoraires seraient payés à même le montant du règlement. Les défenderesses ont indiqué qu’elles sont disposées à effectuer ce paiement si la Cour l’ordonne.
[167] Selon les avocats du groupe, tant M. Sills que Mme Breckon ont contribué de manière valable à la poursuite de l’accès à la justice des membres du groupe en s’avançant pour jouer le rôle de représentants demandeurs. En agissant ainsi, est‑il allégué, ils ont également dépensé des quantités considérables de temps pour se familiariser avec tous les aspects du litige et, ainsi, donner des directives efficaces aux avocats du groupe et agir dans l’intérêt supérieur du groupe. M. Sills a sacrifié une grande partie de son temps personnel pour s’occuper du litige, dont du temps pris à l’occasion sur ses journées de travail. Dans le même ordre d’idées, Mme Breckon a renoncé à son temps personnel pour prendre part au litige. Les deux représentants demandeurs ont également joué un rôle important en insistant pour que le paiement de type aussi‑près soit majoré à 250 000 $.
(a) Le critère applicable à l’approbation d’honoraires
[168] Comme la Cour l’a signalé dans l’affaire Lin, aucune disposition particulière des Règles ne prévoit le paiement d’honoraires à un représentant demandeur dans le cadre d’un recours collectif. Cependant, notre Cour a le pouvoir discrétionnaire de le faire, et cela a effectivement eu lieu à maintes reprises (voir, par exemple, Lin; Wenham; McLean 2; Condon; Manuge). De plus, notre Cour a réitéré que les honoraires destinés à des représentants demandeurs doivent être adjugés avec parcimonie, « car les représentants des demandeurs ne doivent pas bénéficier du recours collectif plus que les autres membres du groupe »
(McLean 2, au para 57, faisant référence à Eidoo v Infineon Technologies AG, 2015 ONSC 2675 aux para 13–22). Pour que des honoraires soient adjugés, il « faut qu’il y ait eu une contribution exceptionnelle qui s’est soldée par la réussite du groupe »
(Lin, au para 118). Autrement dit, des honoraires ne doivent pas être adjugés systématiquement, mais plutôt pour « reconnaître [la] contribution significative [des représentants demandeurs] à l’atteinte de l’objectif d’assurer l’accès à la justice aux membres du groupe »
(Lin, au para 119, citant Condon, au para 115).
[169] Pour décider si les circonstances sont exceptionnelles, la Cour peut prendre en considération plusieurs facteurs, dont les suivants : i) une participation active au lancement du litige et à la retenue des services des avocats, ii) le fait d’être exposé à un risque véritable de dépens, iii) des difficultés ou des inconvénients personnels considérables en rapport avec la poursuite du litige, iv) le temps et les activités que l’on consacre à l’avancement du litige, v) les communications et les interactions avec d’autres membres du groupe et vi) la participation à divers stades du litige, dont les interrogatoires préalables, les négociations de règlement et le procès (Shah, au para 50). Il ressort également d’une revue de la jurisprudence que les tribunaux ont approuvé le paiement d’honoraires à un représentant demandeur quand celui‑ci avait fourni une aide active et nécessaire à la préparation ou à la présentation de l’affaire, et que cette aide s’était traduite, pour le groupe à une réussite sur le plan pécuniaire. La Cour doit également s’assurer que tout paiement distinct fait à un représentant demandeur n’est pas disproportionné par rapport à l’avantage que retirent les membres du groupe.
(b) L’application à la présente affaire
[170] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que le paiement des honoraires de 500 $ qui sont demandés pour M. Sills et pour Mme Breckon est justifié en l’espèce.
[171] Il y a deux raisons à cela. Premièrement, il n’y a en l’espèce aucune contribution exceptionnelle. Deuxièmement, compte tenu des avantages des plus modestes que procure l’accord de règlement, le paiement d’honoraires accorderait un avantage injustifié aux représentants demandeurs.
[172] Bien que les affidavits de M. Sills et de Mme Breckon mentionnent qu’ils ont passé tous deux de nombreuses heures à discuter de l’affaire avec les avocats du groupe et à faire part à ces derniers de leur opinion, je ne suis pas convaincu qu’ils établissent qu’il y a eu « une contribution exceptionnelle qui s’est soldée par la réussite du groupe »
. (Lin, au para 118). Comme cela a été le cas dans l’affaire Lin, M. Sills et Mme Breckon n’ont pas participé de près au recours collectif. En fait, comme dans l’affaire Lin, nous n’avons pas affaire ici à un litige à grand retentissement ni à une situation dans laquelle les noms de M. Sills et Mme Breckon ont été largement publicisés, à un litige où ils ont été exposés aux médias ou à un litige dans le cadre duquel il y a eu atteinte à leur vie privée parce qu’on a relaté leur récit personnel pour faire avancer l’affaire (Lin, au para 125). Il n’existe pas non plus de preuve de contacts avec la collectivité ou d’observations publiques de la part de M. Sills ou Mme Breckon à propos de l’affaire. Les deux n’ont pas eu à se préparer ou à assister à un contre‑interrogatoire sur leurs affidavits, déposés à l’appui de l’une quelconque des requêtes dans le cadre du présent recours collectif.
[173] Il ne suffit pas que les avocats du groupe mettent de l’avant le travail exceptionnel des demandeurs. Il faut qu’il y ait une preuve, de la part des représentants demandeurs, et à un degré de détail convaincant, qui permette à la Cour d’évaluer et de mesurer la nature et la participation des représentants du groupe. Aussi éloquents que puissent être les arguments des avocats, ils ne peuvent remplacer la nécessité que les représentants demandeurs fournissent une preuve claire, convaincante et non conjecturale à l’appui de l’étendue et du caractère exceptionnel de leur participation. Je ne relève aucune preuve de ce genre en l’espèce.
[174] Pour éviter toute méprise, la contribution ou l’engagement de M. Sills et de Mme Breckon à l’égard du recours collectif ne sont pas en question, et tous deux méritent certainement d’être reconnus pour le rôle qu’ils ont joué dans la conduite de l’instance. Cependant, des représentants demandeurs ne reçoivent pas une rétribution supplémentaire juste parce qu’ils ont fait leur travail de représentation d’un groupe (Lin, au para 126).
[175] Qui plus est, il vaut la peine de se rappeler que « les représentants des demandeurs ne doivent pas bénéficier du recours collectif plus que les autres membres du groupe »
(McLean 2, au para 57). M. Sills et Mme Breckon ne sont pas des acheteurs directs et ils ne seraient donc pas eux‑mêmes en droit d’accéder au fonds de règlement à titre de membres admissibles du groupe visé par le règlement, et ils profiteraient simplement de l’avantage indirect que représente le paiement de type aussi‑près. En conséquence, si des honoraires leur étaient accordés, M. Sills et Mme Breckon tireraient du recours collectif un avantage supérieur à celui qu’en tireraient d’autres membres du groupe se trouvant dans une situation semblable.
[176] Dans la présente affaire, comme nous l’avons vu plus tôt, les membres du groupe qui sont des acheteurs indirects ne tireront aucun avantage pécuniaire direct de l’accord de règlement, et je ne vois pas pourquoi, par le truchement d’honoraires, les représentants demandeurs devraient y avoir droit. Ce serait manifestement disproportionné par rapport à l’absence d’avantage pécuniaire tiré par la grande majorité des membres du groupe.
[177] Enfin, je m’arrête pour signaler les conclusions récentes qu’a tirées le juge Perell dans l’affaire Doucet v The Royal Winnipeg Ballet, 2022 ONSC 976 [Doucet], où la demande d’honoraires a amené la Cour à réexaminer la question de son pouvoir discrétionnaire extraordinaire de verser à une partie une rémunération pour la poursuite d’une action civile. Le juge Perell expose neuf raisons qui mènent à la conclusion que, par principe juridique, il ne faudrait plus adjuger d’honoraires aux demandeurs dans un recours collectif (Doucet, au para 58) :
[traduction]
1. Adjuger un montant à un justiciable en fonction du quantum meruit pour son aide active et nécessaire à la préparation ou à la présentation d’une affaire est contraire à la politique de l’administration de la justice selon laquelle les parties représentées ne sont pas payées pour fournir des services juridiques. Ce sont les avocats, et non les justiciables, qui le sont.
2. A fortiori, adjuger une somme à un justiciable représenté en fonction du quantum meruit pour son aide active et nécessaire à la préparation ou à la présentation d’une affaire est contraire à la politique de l’administration de la justice selon laquelle les justiciables qui se représentent eux‑mêmes ne sont pas payés pour fournir des services juridiques. Ce sont les avocats, et non les justiciables, qui le sont.
3. Adjuger un montant à un justiciable pour, par exemple, agir comme témoin lors d’un interrogatoire préalable ou d’un procès est, pour des raisons évidentes, contraire à l’administration de la justice.
4. Dans un régime de recours collectif fondé sur des avocats ayant l’esprit d’entreprise, la responsabilité principale d’un représentant demandeur est de superviser les avocats du groupe et de leur donner des directives sur des questions telles que le règlement de l’action. Le tribunal compte sur le représentant demandeur pour donner des directives qui ne sont pas entachées par l’intérêt personnel de ce demandeur, qui reçoit des avantages dont ne bénéficient pas les membres du groupe qu’il représente.
5. Adjuger à un demandeur représentant une partie des fonds qui appartiennent aux membres du groupe crée un conflit d’intérêts. Les membres du groupe ne devraient avoir aucune raison de croire que leur représentant peut être motivé par son intérêt personnel et le désir de réaliser un gain personnel lorsqu’il donne instruction aux avocats du groupe de négocier et d’arriver à un règlement.
6. D’un point de vue pratique, il n’y a aucun moyen de vérifier l’authenticité et la valeur de la contribution du représentant demandeur ou du membre du groupe. Les avocats du groupe n’ont aucune raison de ne pas demander que les rémunérations de leur client soient payés par les membres du groupe. Les affidavits à l’appui de la requête sont devenus pro forma. Il n’y a pas de contre‑interrogatoire. Il n’y a personne pour vérifier la véracité des éloges concernant le représentant demandeur. Les membres du groupe ne souhaitent peut‑être pas paraître ingrats et mesquins et il est perturbant – et parfois un acte de revictimisation – que le tribunal examine soigneusement et mette en doute les témoignages du représentant demandeur apparemment brave et résolu.
7. La pratique consistant à adjuger des honoraires pour agir comme représentant demandeur dans le cadre d’un recours collectif est outrancière. Si l’on prend la présente affaire comme exemple, adjuger aux avocats du groupe une somme de 2,25 millions de dollars sur l’indemnisation accordée aux membres du groupe pour avoir poursuivi l’action, fait qu’il est excessif d’adjuger à Mme Doucet la somme de 30 000 $ sur l’indemnisation des membres du groupe, et ce, pour sa contribution à la poursuite de l’action. Le caractère outrancier de la pratique consistant à adjuger des honoraires déshonore plus qu’elle n’honore la bravoure et la contribution du représentant demandeur.
8. Comme le révèle la requête sans précédent qui a été présentée en l’espèce, la pratique consistant à adjuger des honoraires à un demandeur représentant dans le cadre d’une affaire crée une concurrence et un classement excessifs de la contribution du demandeur représentant dans d’autres recours collectifs.
9. La pratique consistant à adjuger des honoraires dans une affaire particulière peut être insultante pour les représentants demandeurs dans d’autres affaires où des sommes inférieures sont adjugées. Par exemple, en l’espèce, je ne peux pas rationaliser l’idée d’adjuger à Mme Doucet 30 000 $ pour sa contribution éminemment utile à ce recours collectif pour abus institutionnel, comparativement à la somme de 10 000 $ qui a été adjugée aux représentants demandeurs qui ont donné accès à la justice à des personnes détenues dans des établissements pénitenciers fédéraux et qui ont eux‑mêmes subi la torture de l’isolement cellulaire. Je ne puis trouver une explication logique pour adjuger des honoraires quelconques lorsque je me souviens que, dans le recours collectif pour abus institutionnel concernant les pensionnats indiens, le représentant demandeur n’a pas demandé d’honoraires et n’a même pas fait une réclamation personnelle à l’égard du fonds de règlement. L’idée d’accoler à l’héroïsme une étiquette de prix à payer par les membres du groupe me répugne.
[Doucet, au para 61.]
[178] Je souscris à ces commentaires ainsi qu’à la jurisprudence entourant la pratique de l’adjudication d’honoraires dans le cadre d’un recours collectif. Ce fait milite contre le fait d’adjuger des honoraires aux demandeurs en l’espèce.
(c) La conclusion sur les honoraires des demandeurs
[179] Compte tenu du fait que les représentants demandeurs ne devraient pas recevoir une indemnisation supplémentaire pour faire simplement leur travail de représentants du groupe, que les représentants demandeurs ne doivent pas bénéficier du recours collectif plus que d’autres membres du groupe, ainsi que des conclusions susmentionnées du juge Perell, les honoraires demandés sont déraisonnables et injustifiés dans les circonstances. Aucuns honoraires ne seront donc adjugés aux demandeurs dans le cadre du présent recours collectif.
IV. Conclusion
[180] Pour les motifs susmentionnés, l’accord de règlement est approuvé car je considère qu’il est juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur du groupe dans son ensemble.
[181] Cependant, je conclus que les honoraires des avocats du groupe et les frais de financement demandés ne sont pas justes et raisonnables, que la Cour n’accordera expressément aucuns frais de financement et que les honoraires des avocats du groupe seront fixés à un montant total de 1 650 000 $ plus les taxes applicables (ce qui représente 30 % du montant du règlement plus 75 000 $), avec un montant supplémentaire de 644 231,64 $ au titre des débours (taxes incluses). Toute commission payée par les avocats du groupe au bailleur de fonds aux termes de l’AFL sera versée séparément par eux.
[182] L’AFL, parce qu’il n’a pas été porté à l’attention de la Cour en temps opportun et qu’il procure au bailleur de fonds des rendements disproportionnés, n’est pas approuvé.
[183] Enfin, en ce qui concerne les honoraires des demandeurs, compte tenu de la jurisprudence et des rôles que M. Sills et Mme Breckon ont joués dans le présent recours collectif, rôles qui ne vont pas au‑delà de leur simple tâche de représentants du groupe, aucuns honoraires ne seront adjugés.
[184] Une ordonnance sera rendue pour donner effet à ces conclusions et intégrer essentiellement le libellé proposé par les deux parties dans les projets d’ordonnance qui ont été soumis à la Cour dans le cadre des documents de requête.
[185] Aucuns dépens ne seront adjugés.
ORDONNANCE dans le dossier T‑1664‑19
LA COUR ORDONNE :
A. Modalités générales
Outre les définitions employées ailleurs dans les présents motifs, pour les besoins de la présente ordonnance les définitions qui figurent dans l’accord de règlement joint à la présente en tant qu’annexe A s’appliquent à la présente ordonnance et y sont intégrées.
En cas de conflit entre les modalités de la présente ordonnance et les conditions de l’accord de règlement, ce sont les modalités de la présente ordonnance qui prévaudront.
B. Accord de règlement
L’accord de règlement est juste et raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur du groupe visé par le règlement.
L’accord de règlement est par la présente approuvé en vertu de l’article 334.29 des Règles et il sera mis en œuvre et appliqué conformément à ses conditions.
Toutes les dispositions de l’accord de règlement (y compris ses attendus et ses définitions) sont intégrées par renvoi à la présente ordonnance et en font partie intégrante, et la présente ordonnance, y compris l’accord de règlement, lie chacun des membres du groupe visé par le règlement, y compris les personnes d’âge mineur ou mentalement inaptes, et les exigences de l’article 115 des Règles sont exclues.
À compter de la date d’entrée en vigueur, il est interdit de manière permanente à chaque renonciateur, à présent ou ultérieurement, d’engager, de poursuivre, de faire valoir ou d’y intervenir, directement ou indirectement, au Canada ou à l’étranger, en son propre nom ou en celui de tout groupe ou de toute autre personne, toute instance, cause d’action, réclamation ou mise en demeure à l’encontre de tout renonciataire, ou de toute autre personne susceptible de réclamer une contribution ou une indemnité, ou une autre réclamation s’ajoutant à une réparation, auprès de tout renonciataire, que ce soit en vertu de toute loi fédérale ou provinciale en matière de partage de la responsabilité ou loi semblable ou en common law ou en equity, relativement à toute réclamation libérée.
À compter de la date d’entrée en vigueur, chaque membre du groupe visé par le règlement sera réputé avoir consenti au rejet, à l’encontre des renonciataires, de toute autre action qu’il a engagée, et ce, sans dépens et sous toutes réserves.
À compter de la date d’entrée en vigueur, chaque autre action engagée par tout membre du groupe visé par le règlement sera et est par la présente rejetée à l’encontre des renonciataires, et ce, sans dépens et sous toutes réserves.
À compter de la date d’entrée en vigueur, chaque renonciateur a libéré et sera réputé de manière concluante avoir libéré à jamais et de manière absolue les renonciataires des réclamations libérées.
Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, la présente ordonnance n’a pas d’incidence sur les réclamations ou les causes d’action que des membres du groupe visés par le règlement ont ou peuvent avoir à l’encontre de toute personne autre que les renonciataires.
Aucun renonciataire n’assumera une responsabilité quelconque à l’égard de l’administration de l’accord de règlement, de l’administration, du placement ou de la distribution du compte en fiducie, ou du protocole de distribution.
La présente ordonnance sera déclarée nulle et non avenue par suite d’une requête ultérieure présentée sur avis advenant que l’accord de règlement soit résilié conformément à ses conditions.
Pour l’administration et l’application de l’accord de règlement et de la présente ordonnance, notre Cour continuera de jouer un rôle de supervision permanent, et les défendeurs ayant conclu le règlement s’en remettent à la compétence de notre Cour uniquement aux fins d’appliquer, d’administrer et d’exécuter l’accord de règlement et la présente ordonnance, et sous réserve des conditions et des modalités énoncées dans l’accord de règlement et la présente ordonnance.
La présente action, ainsi que l’action engagée dans le dossier de la Cour no T‑8‑20, laquelle a été réunie avec la présente action, sont par les présentes rejetées, sans réserves et dépens. Une fois que la présente ordonnance sera signée, une copie sera consignée dans la présente action, ainsi que dans l’action engagée dans le dossier de la Cour no T‑8‑20.
C. Protocole de distribution
Le protocole de distribution est juste et raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur du groupe visé par le règlement.
Sous réserve des modalités de la présente ordonnance, le protocole de distribution joint à cette dernière en tant qu’annexe « B » est par la présente approuvé,conformément à l’article 334.29 des Règles.
Les avocats du groupe sont désignés pour administrer le protocole de distribution.
Tous les renseignements reçus des défendeurs ou des membres du groupe visé par le règlement et recueillis, utilisés et conservés par les avocats du groupe en vue d’administrer le protocole de distribution, y compris l’évaluation du statut d’admissibilité des membres du groupe visé par le règlement dans le cadre du protocole de distribution, sont protégés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5. Les renseignements fournis par les membres du groupe visé par le règlement sont strictement privés et confidentiels et ne pourront être communiqués sans le consentement écrit explicite du membre pertinent du groupe visé par le règlement, sauf en conformité avec l’accord de règlement, les ordonnances de notre Cour ou le protocole de distribution.
Le plan d’avis joint à la présente ordonnance en tant qu’annexe « C » est par la présente approuvé.
L’avis d’approbation du règlement joint à la présente ordonnance en tant qu’annexe « D » est par la présente approuvé essentiellement sous la forme ci‑jointe (avec les rajustements requis au quantum des montants à distribuer) et il sera diffusé d’une manière conforme au plan d’avis.
Les parties sont autorisées à soumettre à la Cour des requêtes en directives, au besoin.
D. Accord de financement du litige
L’accord de financement du litige conclu entre le bailleur de fonds et les avocats du groupe et signé le 17 août 2020 n’est pas approuvé.
E. Honoraires des avocats du groupe
La convention de représentation en justice fondée sur des honoraires conditionnels qui a été conclue entre Irene Breckon et Gregory Sills et les avocats du groupe et qui a été signée le 24 juin 2020 est juste et raisonnable, et elle est par les présentes approuvée conformément à l’article 334.4 des Règles, sous réserve du montant précisé ci‑après.
Les frais juridiques des avocats du groupe, d’un montant de 1 650 000 $ plus les taxes applicables, de même que leurs débours, d’un montant total de 644 231,64 $, taxes incluses, sont justes et raisonnables, et approuvés par les présentes.
Les frais juridiques, les débours et les taxes applicables à payer aux avocats du groupe seront versés à même le montant du règlement.
Tout montant à verser par les avocats du groupe au bailleur de fonds, conformément à l’accord de financement de litige du 17 août 2020 susmentionné, ne sera pas payé à même le montant du règlement.
F. Honoraires
Aucuns honoraires ne sont adjugés aux demandeurs.
G. Dépens
Aucuns dépens ne sont adjugés à l’égard des requêtes en approbation de règlement et en approbation de frais.
« Denis Gascon »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
ANNEXE « A »
ANNEXE « B »
ANNEXE « C »
ANNEXE « D »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1664‑19
|
INTITULÉ :
|
IRENE BRECKON ET AL. c CERMAQ CANADA LTD. ET AL.
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE toronto (ontario) et MONTRÉAL (québec)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 30 NOVEMBRE 2023
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE GASCON
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 9 FÉVRIER 2024
|
COMPARUTIONS :
Jean‑Marc Leclerc
Sue Tan
Judith Manger
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Alexandra Mitretodis
Andrew Borrell
|
POUR LES DÉFENDERESSES
CERMAQ GROUP ASA, CERMAQ NORWAY AS, CERMAQ CANADA LTD.
|
Akiva Stern
Nikiforos Iatrou
|
POUR LES DÉFENDERESSES
GRIEG SEAFOOD ASA, GRIEG SEAFOOD B.C. LTD., OCEAN QUALITY AS, OCEAN QUALITY USA INC., OCEAN QUALITY NORTH AMERICA, OCEAN QUALITY PREMIUM BRANDS, INC.
|
Sandra Forbes
Alisa McMaster
|
POUR LES DÉFENDERESSES
LEROY SEAFOOD GROUP ASA, LEROY SEAFOOD USA, INC.
|
Robert Kwinter
|
POUR LES DÉFENDERESSES
mowi asa, mowi usa, llc, mowi ducktrap, llc, marine harvest canada
|
Caitlin Sansbury
|
POUR LA DÉFENDERESSE
NOVA SEA AS
|
Samantha Gordon
Guneev Bhinder
|
POUR LA DÉFENDERESSE
SOJOR AS
|
Michael Eizenga
Mehak Kawatra
|
POUR LES DÉFENDERESSES
SALMAR ASA, SCOTTISH SEA FARMS LTD.
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
KOSKIE MINSKY LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
SOTOS LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
SISKINDS LLP
London (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LES DÉFENDERESSES
CERMAQ GROUP ASA, CERMAQ NORWAY AS, CERMAQ CANADA LTD.
|
MCCARTHY TETRAULT LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDERESSES
GRIEG SEAFOOD ASA, GRIEG SEAFOOD B.C. LTD., OCEAN QUALITY AS, OCEAN QUALITY USA INC., OCEAN QUALITY NORTH AMERICA, OCEAN QUALITY PREMIUM BRANDS, INC.
|
DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDERESSES
LEROY SEAFOOD GROUP ASA, LEROY SEAFOOD USA, INC.
|
BLAKE, CASSELS & GRAYDON LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDERESSES
MOWI ASA, MOWI USA, LLC, MOWI DUCKTRAP, LLC, MARINE HARVEST CANADA
|
BORDEN LADNER GERVAIS LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
NOVA SEA AS
|
MCMILLAN LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
SOJOR AS
|
BENNETT JONES LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDERESSES
SALMAR ASA, SCOTTISH SEA FARMS LTD.
|