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Date: 20240216

Dossier: IMM-3078-23

Référence: 2024 CF 262

Ottawa (Ontario), le 16 février 2024

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

AMARJEET SINGH SANDHU et RANJEET KAUR SANDHU

Demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont citoyens de l’Inde. Ils demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 10 février 2023, qui a accueilli l’appel du Défendeur et cassé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 7 juin 2022 acceptant leur demande d’asile. La SAR a conclu que les demandeurs ne sont pas réfugiés au sens de la Convention et ne se qualifient pas à titre de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], puisqu’ils ont une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans la ville de Bengaluru.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). Les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

I. Contexte factuel

[3] Les demandeurs, Amarjeet Singh Sandhu et Ranjeet Kaur Sandhu [demandeurs], sont citoyens de l’Inde. Ils sont originaires de l’état du Pendjab. Ils ont demandé asile au Canada par crainte que certains dirigeants du parti Shiromani Akali Dal [SAD], aidés par la police du Pendjab, aillent les persécuter advenant leur retour en Inde.

[4] Les demandeurs étaient antérieurement des supporteurs du parti SAD, un parti politique du Pendjab. En décembre 2016, ils ont décidé d’appuyer le parti Aam Aadmi Party [AAP], le parti qui est au pouvoir au Pendjab depuis 2017.

[5] Les demandeurs allèguent que certains membres du parti SAD, complotant avec la police du Pendjab, les ciblent en raison de leur changement d’allégeance. Les demandeurs ont révélé avoir été ciblés deux fois par la police du Pendjab en 2017. D’abord, ils ont été arrêtés et accusés de soutenir le mouvement pro-Khalistan; et dans une autre instance, la police aurait envahi la maison des demandeurs lorsque Mme Kaur Sandhu y était toute seule, et l’a menacé. Les demandeurs allèguent aussi avoir été attaqués et menacés de mort par des personnes inconnues au Pendjab, qui leur reprochait d’appuyer l’AAP. Enfin, les demandeurs ont déménagé à Delhi, où ils sont demeurés avec de la famille jusqu’à leur arrivée au Canada en avril 2018.

[6] La SPR a conclu en la crédibilité des demandeurs et qu’ils n’ont pas de PRI dans la ville proposée de Bengaluru. La SPR a tiré cette conclusion en se basant sur le caractère déraisonnable de la PRI proposée au deuxième volet de l’analyse, sans se pencher sur l’analyse du risque sérieux de persécution dans la PRI proposée, au premier volet de l’analyse. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a porté la décision en appel à la SAR.

II. Décision contestée

[7] La SAR a fait sa propre analyse du dossier des demandeurs et a conclu que la SPR n’a pas suffisamment analysé le premier volet du test de PRI. En faisant cette analyse, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas déchargé leur fardeau de prouver qu’ils feront face à un risque sérieux de persécution dans la ville de PRI proposée, soit la ville de Bengaluru.

[8] Les demandeurs ont le fardeau de prouver qu’ils feront face à un risque sérieux de persécution à Bengaluru advenant leur relocalisation dans cette ville. Pour ce faire, les demandeurs doivent démontrer, selon la norme de la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution ont la motivation et la capacité de les poursuivre à Bengaluru. Selon la SAR, les demandeurs n’ont pas déchargé ce fardeau; ils n’ont pas pu prouver que les membres du parti SAD ou la police de Pendjab auraient la motivation ou la capacité de les poursuivre à Bengaluru.

[9] D’une part, le SAD a peu d’influence à l’extérieur du Pendjab et il n’y a pas de preuve démontrant que des membres du SAD auraient tenté de contacter les demandeurs ou leur famille depuis qu’ils ont quitté l’Inde. D’une autre part, la police du Pendjab n’a pas la capacité ni la motivation de les poursuivre à Bengaluru. La preuve démontre qu’il y a peu de communication entre les réseaux policiers en Inde, et les demandeurs n’ont pas prouvé que la police aurait la motivation de les pourchasser. En fait, les demandeurs allèguent que leurs agents de persécution sont principalement les membres du parti SAD, et que la police agit à leur solde.

[10] La SAR a aussi conclu que les demandeurs ne feront pas face à un risque sérieux de persécution en tant que supporteurs du mouvement pro-Khalistan, car ils ne sont, de fait, pas des supporteurs du mouvement, mais plutôt des supporteurs du parti au pouvoir, l’AAP. De plus, il n’y a pas de raisons de croire qu’ils seront perçus comme des supporteurs du mouvement pro-Khalistan à Bengaluru.

[11] Sur le deuxième volet, la SAR a conclu que bien que les demandeurs pourraient faire face à des difficultés à Bengaluru, ces difficultés ne risquent pas de mettre leur vie et sécurité en danger. En somme, Bengaluru est une ville proposée de PRI raisonnable.

III. Norme de contrôle et question en litige

[12] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR que les demandeurs aient une PRI dans la ville de Bengaluru est raisonnable.

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 25; Mason aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Mason au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov au para 99; Mason au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov au para 13; Mason au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov aux para 125–126; Mason au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

[14] Le test pour déterminer s’il y a une PRI est élaboré dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 1991 CanLII 13517 (CAF) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 1993 CanLII 3011 (CAF). Il s’agit d’un test à deux volets : (i) le décideur administratif doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la région de la PRI, et (ii) les conditions de la proposition de PRI sont telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour un individu d’y trouver refuge (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833 au para 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346 au para 15). Pour conclure à l’existence d’une PRI, chacun des deux volets doit être rempli (Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 au para 15).

[15] Le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable incombe au demandeur d’asile, et il s’agit d’un fardeau très élevé (Huenalaya Murillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 396 au para 13; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 au para 14). En l’espèce, les demandeurs ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

[16] Les demandeurs allèguent tout d’abord que la décision de la SAR est déraisonnable, car elle aurait mal évalué la preuve objective dans le cartable national de documentation [CND] de l’Inde pour spéculer sur la motivation des policiers. Les demandeurs ont soumis de la preuve, sous forme d’un affidavit de la sœur de M. Singh Sandhu, attestant du fait que les policiers l’ont harcelé chez elle à Delhi en 2017, lorsque le demandeur habitait chez elle, et que ces derniers n’ont quitté qu’après avoir reçu un pot-de-vin de sa part. La sœur mentionne aussi que ces incidents ont continué à persister depuis que les demandeurs ont quitté l’Inde, et qu’à chaque fois, elle devait leur payer un pot-de-vin pour qu’ils quittent. Selon les demandeurs, ce harcèlement continu de la famille du demandeur à Delhi est une preuve que les agents de persécution ont la motivation de les repérer et de les persécuter partout dans le pays.

[17] De plus, les demandeurs soutiennent que la SAR a mal évalué certains éléments du CND, soit les renseignements sur la capacité de la police de retrouver les demandeurs via le système de « Crime and Criminal Tracking Network System » [CCTNS], qui est une base de données policières contenant des renseignements sur les criminels, ou par le biais de leur carte Aadhaar pour le système de vérification des locataires. Les demandeurs allèguent que : a) la police a la capacité d’identifier les demandeurs avec ces systèmes partout dans le pays, et b) la police a la motivation de les poursuivre pour les persécuter pour des fins d’avancement personnel.

[18] Finalement, les demandeurs invoquent les difficultés inhérentes d’une relocalisation en dehors du Pendjab pour les individus de la minorité Sikh.

[19] À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’ont pas déchargé leur fardeau de prouver qu’ils feront face à un risque sérieux de persécution à Bengaluru advenant leur relocalisation.

[20] Bien que le témoignage quant au harcèlement subit par la famille du demandeur à Dehli est crédible, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la famille du demandeur est plutôt devenue une cible de pots-de-vin par les policiers, et que cette preuve ne démontrait pas que les policiers avaient nécessairement la motivation de persécuter les demandeurs à Bengaluru.

[21] Les demandeurs avancent aussi que la police a la capacité de les repérer n’importe où dans le pays en utilisant le système CCTNS. Or, la preuve objective du CND, sur laquelle la SAR s’est raisonnablement appuyée, démontre que le CCTNS ne contient de l’information que sur des crimes sérieux. De plus, le CND démontre que la police n’a pas les ressources nécessaires pour utiliser ce système CCTNS autre que pour retrouver des individus qui ont fait l’objet d’enquêtes pour de tels crimes. Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas été arrêtés pour un crime sérieux et le CCTNS ne contient pas d’information sur les arrestations extrajudiciaires (Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1059 au para 17; Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1211 aux para 2831; Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1715 au para 38). Enfin, il n’y a aucune preuve au dossier que l’information personnelle des demandeurs pourrait se retrouver au CCTNS, puisqu’ils n’ont jamais été accusés formellement.

[22] Les demandeurs ont aussi présenté l’argument que la police aurait la capacité de les repérer partout dans le pays avec leur carte Aadhaar relative au système de vérification des locataires. La SAR a examiné la preuve objective contenue dans le CND et raisonnablement conclu que les moyens des policiers sont très limités pour effectuer ce genre de recherche et ne font pas d’efforts pour communiquer avec des corps policiers d’autres états sur la vérification des locataires. De plus, le CND indique que si les corps policiers font une vérification des locataires, ils le font par l’entremise du CCTNS. Or, comme discuté plus haut, il n’y a aucune preuve que les informations des demandeurs se trouvent au CCTNS puisqu’ils n’ont pas été accusés d’un crime sérieux. Enfin, le CND démontre que les policiers ne peuvent utiliser des données biométriques de la carte Aadhaar et du système de vérification des locataires pour les fins d’enquêtes criminelles (Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1758 au para 31).

[23] Les demandeurs allèguent aussi que la police pourrait les localiser grâce à la technologie de surveillance, notamment pour localiser leur téléphone cellulaire. À cet effet, le CND démontre que cette technologie est surtout utilisée par l’État pour surveiller les médias sociaux et l’internet. En l’espèce, la SAR a raisonnablement conclu que la preuve ne démontre pas que les demandeurs ont une crainte de l’État à ce sujet, et il n’y a aucune preuve que le téléphone cellulaire des demandeurs pourrait être retracé suite à leur retour en Inde. Ces conclusions sont raisonnables eu égard à la preuve au dossier et aux arguments présentés devant la SAR.

[24] Les demandeurs soutiennent enfin que leur profil en tant que minorité Sikh d’apparence pro-Khalistan, avec un historique avec les autorités indiennes et une situation financière précaire, fait en sorte qu’ils ont une crainte raisonnable de persécution partout en Inde. La SAR a évalué la preuve à cet effet et a raisonnablement conclu que les demandeurs ne sont pas pro-Khalistan. Les demandeurs appuient le parti politique qui est maintenant au pouvoir au Pendjab. Ils ont eu des disputes avec la police en raison de leur changement d’allégeance, mais il n’y a pas de lien entre ces incidents et la proposition des demandeurs que les autorités à Bengaluru percevraient ces incidents comme démontrant qu’ils sont des supporteurs du mouvement pro-Khalistan. Encore une fois, la preuve ne soutient pas l’affirmation des demandeurs qu’ils feront face à une crainte raisonnable de persécution à Bengaluru.

[25] Finalement, quant au deuxième volet du test de la PRI, les demandeurs maintiennent que la minorité Sikh fait face à de la discrimination partout en Inde, surtout face aux doutes quant à leur participation avec des groupes militants pro-Khalistan. À mon avis, la SAR a raisonnablement évalué la preuve objective dans le CND, notamment le fait que les Sikhs vivant à Bengaluru ont accès au logement, emploi, soins de santé, éducation, et jouissent de la liberté de religion. La SAR a aussi évalué les circonstances personnelles des demandeurs, telles que le fait qu’ils ne sont pas membres de groupes militants pro-Khalistan, ainsi que leurs expériences de travail en Inde et au Canada. La SAR a reconnu que les demandeurs pourraient faire face à des difficultés à Bengaluru, mais que ces difficultés ne risquent pas de mettre leur vie et sécurité en danger (Obineze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1150 aux para 9–10; Abdullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 76 au para 23).

[26] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR quant à la présence d’une PRI à Bengaluru est déraisonnable, ou que la SAR aurait commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

V. Conclusion

[27] La décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Mason au para 8; Vavilov au para 99).

[28] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3078-23

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-3078-23

INTITULÉ:

AMARJEET SINGH SANDHU ET AL. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 7 FÉVRIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 16 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS:

Me Ralph Élysée

POUR LES DEMANDEURS

Me Zoé Richard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ELI Bloom Avocat

Montréal, (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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