Date : 20240214
Dossier : T-183-22
Référence : 2024 CF 247
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 14 février 2024
En présence de madame la juge Pallotta
ENTRE :
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THOMAS B WINKLER
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Thomas Winkler, sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions prises par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) en vertu de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl).
[2] Le 7 septembre 2020, un véhicule a été observé alors qu’il franchissait la ligne d’inspection primaire du point d’entrée Fraser (PDE), lequel est situé entre l’Alaska et la Colombie-Britannique. La Gendarmerie royale du Canada a intercepté le véhicule et l’a escorté jusqu’à son retour au PDE. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a conclu que M. Winkler avait enfreint la Loi sur les douanes, car il avait « forcé la frontière »
canadienne sans se présenter aux autorités frontalières. Le véhicule de M. Winkler a été saisi et il a dû payer 1 000 $ pour qu’on le lui restitue.
[3] M. Winkler a fait une demande de révision auprès du ministre en vertu de l’article 129 de la Loi sur les douanes. En vertu des articles 131 et 133 de la Loi sur les douanes, le ministre était autorisé à décider si une infraction avait été commise et, dans l’affirmative, s’il y avait lieu de rembourser une partie de la somme que M. Winker avait payée pour la restitution de son véhicule saisi. Dans des décisions communiquées par lettre datée du 1er novembre 2021, le ministre a confirmé que M. Winkler avait enfreint l’article 11 de la Loi sur les douanes en ne se présentant pas à un agent de l’ASFC (décision relative à l’infraction). Le ministre y concluait aussi qu’il y avait lieu de rembourser 500 $ de la somme payée pour la restitution du véhicule, car il y avait des circonstances atténuantes qui le justifiaient (décision relative à la restitution). M. Winkler conteste ces décisions.
[4] Dans son avis de demande, M . Winkler a inscrit le procureur général du Canada à titre de défendeur. Je conviens avec le ministre que le seul défendeur dans la présente demande devrait être le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.
[5] Le ministre soulève une question préliminaire à l’égard de l’affidavit présenté par M. Winkler à l’appui de sa demande, et il demande que des parties de cet affidavit soient radiées au motif qu’il s’agit d’arguments inadmissibles. À mon avis, il ne servirait à rien de radier des parties de l’affidavit de M. Winkler parce que les arguments contenus dans son affidavit reprennent en grande partie ceux qu’il a présentés au ministre ou qui figurent dans son mémoire des faits et du droit dans la présente instance. Par conséquent, j’estime que le ministre n’en subit aucun préjudice.
[6] Lors de l’audience, la Cour a soulevé une autre question préliminaire, au sujet du dossier en l’espèce. Les parties avaient présumé que la Cour disposait du dossier certifié du tribunal (DCT), et ce, même s’il ne figurait pas dans les dossiers du demandeur ou du défendeur. J’ai accueilli une requête informelle présentée de consentement afin d’accepter le DCT complet comme faisant partie du dossier de la présente demande.
[7] M. Winkler soutient que les décisions du ministre sont déraisonnables. Il prétend que l’accusation portée contre lui devrait être rejetée et que le montant intégral de l’amende devrait lui être remboursé. Il affirme que les décisions du ministre n’étaient pas fondées sur la preuve au dossier. Il avance que les décisions sont vagues, car elles ne permettent pas de déterminer quels éléments de preuve le ministre a considéré, ni ceux sur lesquels il s’est appuyé pour rendre sa décision.
[8] M. Winkler affirme qu’il explorait les environs du PDE dans son véhicule et qu’il se dirigeait vers l’Alaska, mais il maintient qu’il n’a jamais quitté le Canada. Il affirme que la frontière de l’Alaska se trouve à une certaine distance du poste frontalier et qu’il a fait demi-tour avant de traverser la frontière de l’Alaska. M. Winkler soutient qu’il n’y avait pas d’élément de preuve montrant qu’il avait quitté le sol canadien, de sorte qu’il a été déclaré coupable d’avoir enfreint la Loi sur les douanes pour avoir dépassé le poste frontalier. De plus, M. Winkler prétend qu’il s’est arrêté et qu’il a attendu au PDE, mais qu’aucun agent de l’ASFC ne gardait la frontière. Il soutient que le PDE ressemblait à un chantier de construction et qu’il n’était pas clair si un agent était en service, ni à quel endroit il devait s’arrêter.
[9] Le ministre demande le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire. Selon lui, toute personne qui entre au Canada est tenue de se présenter à la frontière et, si elle ne le fait pas, elle commet à une infraction de responsabilité stricte.
[10] Le ministre soutient que la Cour ne devrait pas examiner la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’infraction, car cette dernière a été prise en vertu de l’article 131 de la Loi sur les douanes et elle doit donc être portée en appel par voie d’action. En ce qui concerne la décision relative à la restitution, le ministre soutient qu’il a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire pour réduire le montant de l’amende infligée à M. Winkler et que la décision est étayée par des motifs transparents, intelligibles et justifiés compte tenu du dossier de la preuve.
[11] Je conclus que M. Winkler n’a pas établi que la Cour devrait modifier l’une ou l’autre des décisions du ministre.
[12] Je conviens avec le ministre que les décisions relatives aux infractions et aux pénalités prises sous le régime de la Loi sur les douanes sont des décisions distinctes qui doivent être contestées séparément : Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 170 au para 9. L’article 131(3) de la Loi sur les douanes prévoit que les décisions rendues en vertu de l’article 131 ne sont susceptibles d’appel que selon les modalités prévues à l’article 135(1), lequel dispose que la décision doit être portée en appel par voie d’action devant la Cour fédérale : Célestin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 223 au para 19; Hamod c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 937 au para 16. La conclusion du ministre selon laquelle M. Winkler a enfreint la Loi sur les douanes ne peut donc pas être contestée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.
[13] Après avoir conclu que M. Winkler avait contrevenu à la Loi sur les douanes, le ministre a examiné si les conditions de restitution devaient être modifiées en vertu de l’article 133 de la Loi sur les douanes. La norme de contrôle applicable à la décision relative à la restitution est celle de la raisonnabilité. Il s’agit d’un type de contrôle commandant de la retenue, mais rigoureux, qui permet d’examiner si la décision est transparente, intelligible et justifiée, tout comme le raisonnement suivi et le résultat : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 13, 99.
[14] La lettre du ministre montre qu’il a examiné la preuve. Le ministre a conclu que, même si M. Winkler ne s’était pas présenté à un agent du United States Customs and Border Protection, l’organisme américain chargé des douanes et de la protection frontalière, le poste frontalier était situé à plusieurs kilomètres passé la frontière américaine, et que l’endroit où M. Winkler avait indiqué avoir fait demi-tour se trouvait du côté américain de la frontière. Le ministre a noté que, selon les renseignements recueillis auprès des agents de l’ASFC, M. Winkler s’était arrêté à environ 50 pieds du poste frontalier, car un véhicule de construction lui bloquait le chemin. Il est ensuite passé devant le poste frontalier sans s’arrêter. Le ministre a fait observer que l’agent de l’ASFC avait donné à M. Winkler la possibilité de démontrer qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable – ce qui aurait permis à l’agent de lui donner un avertissement plutôt que de saisir son véhicule. M. Winkler a dit à l’agent qu’il avait des images d’une caméra-témoin qui montraient qu’il s’était arrêté comme il le devait, mais il n’a pas montré ces images à l’agent et il n’en a pas fourni de copie au ministre pour examen. Par conséquent, le ministre n’a pas retenu l’affirmation de M. Winkler selon laquelle il avait attendu un certain temps au PDE. Néanmoins, le ministre a décidé de réduire l’amende parce que les travaux de construction qui étaient en cours au PDE ont pu avoir une incidence sur la capacité de M. Winkler de se présenter aux agents de l’ASFC. La décision relative à la restitution expose le raisonnement suivi par le ministre, et elle comporte des motifs intelligibles et transparents qui justifient la décision du ministre.
[15] En conclusion, la décision relative à l’infraction ne peut pas être contestée au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire, et M. Winkler n’a pas établi que la décision relative à la restitution est déraisonnable. Comme il n’y a pas de motif d’intervenir à l’égard des décisions du ministre, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[16] En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je n’adjuge aucuns dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-183-22
LA COUR STATUE :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
L’intitulé est modifié de manière à ce que le seul défendeur soit le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, avec effet immédiat.
« Christine M. Pallotta »
Juge
Traduction certifiée confrme
Elisabeth Ross, jurilinguiste
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-183-22
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INTITULÉ :
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THOMAS B WINKLER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 AOÛT 2023
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
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LA JUGE PALLOTTA
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DATE DES MOTIFS :
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LE 14 FÉVRIER 2024
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COMPARUTIONS :
Thomas Winkler
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LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Erica Louie
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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