Dossier : IMM-7928-22
Référence : 2023 CF 1640
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2023
En présence de madame la juge Sadrehashemi
ENTRE : |
OLAJIDE PETER OLADIPUPO |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Olajide Peter Oladipupo, conteste le rejet de sa demande d’asile. M. Oladipupo a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] dans laquelle il prétend être exposé à de nouveaux risques découlant d’événements survenus après le rejet de la demande d’asile qu’il a présentée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve probants indiquant qu’il serait exposé à un risque au Nigéria et a rejeté sa demande d’ERAR.
[2] M. Oladipupo a soulevé un certain nombre d’arguments dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. Je conclus que la question principale est celle du traitement que l’agent a réservé à la preuve corroborante. Les parties conviennent, tout comme moi, que je dois effectuer le contrôle de la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23). J’estime que le rejet par l’agent de certains des éléments de preuve corroborants parce qu’il les estimait non probants ou incohérents ne cadre pas avec les éléments de preuve figurant au dossier; pour ce qui est des points clés de l’analyse, le raisonnement de l’agent n’est pas conforme aux contraintes factuelles qui ont une incidence sur la décision et est donc déraisonnable (Vavilov, au para 126).
[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.
II. Aperçu des antécédents en matière d’immigration au Canada et allégations relatives à l’ERAR
[4] M. Oladipupo est un citoyen du Nigéria qui est venu au Canada le 20 novembre 2017 et a présenté une demande d’asile à son arrivée à la frontière. La demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] le 14 novembre 2018. La décision de la SPR a été portée en appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui a rejeté l’appel dans des motifs datés du 26 juin 2019. M. Oladipupo a présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Cette demande a été rejetée le 28 octobre 2019.
[5] En février 2021, M. Oladipupo a présenté une demande d’ERAR dans laquelle il dit craindre d’être arrêté à son retour au Nigéria en raison des récentes activités politiques de son frère, actuellement en cavale au Nigéria après avoir échappé aux policiers qui le détenaient. Le frère de M. Oladipupo aurait quitté le domicile de son père, dans l’État d’Ogun, et serait allé à Lagos pour participer à des manifestations contre la brigade spéciale de lutte contre le banditisme (Special Anti-Robbery Squads ou « SARS »
). Il a été arrêté, mais s'est échappé en agressant un agent de police. La police aurait par la suite poursuivi le frère de M. Oladipupo jusqu’à l’État d’Ogun, mais, lorsqu’elle n’a pu le retrouver, elle aurait arrêté et détenu son père. M. Oladipupo a ensuite appris que les autorités affirmaient que son père s’était échappé. M. Oladipupo doute que ce soit le cas, puisque son père est très âgé. Il soupçonne qu’il s’agit d’une histoire inventée de toutes pièces par la police pour dissimuler le fait qu’elle a tué son père ou que son père est décédé en détention. M. Oladipupo prétend également que sa sœur est venue de l’Espagne, où elle est résidente permanente, pour essayer de faire libérer leur père de prison. Elle a également été arrêtée et détenue.
[6] M. Oladipupo a eu connaissance des événements mentionnés ci-dessus grâce à ses communications avec son pasteur au Nigéria, qui communique avec lui par messages texte et qui a également fourni une lettre. Il y a également une lettre d’un cabinet d’avocats, dont les services ont été initialement retenus pour aider la sœur de M. Oladipupo.
[7] L’agent a tout d’abord rejeté la demande d’ERAR le 6 mai 2022. L’agent s’est ensuite rendu compte que M. Oladipupo avait présenté de nouveaux éléments de preuve avant qu’il ne rende sa décision et qu’il ne les avait pas examinés dans sa décision du 6 mai. L’agent a rouvert la décision et a examiné les nouveaux éléments de preuve et les nouvelles observations. L’agent a ensuite rendu une décision finale fondée sur le dossier complet et a rejeté la demande d’ERAR le 18 mai 2022.
III. Éléments de preuve corroborants
[8] Le principal doute de l’agent tenait à l’absence d’éléments de preuve probants suffisant à établir les éléments centraux des allégations de M. Oladipupo. À mon avis, l’évaluation effectuée par l’agent des trois principaux éléments de preuve corroborants n’était pas étayée par la preuve au dossier, c’est-à-dire : i) la lettre et les messages textes du pasteur; ii) les articles sur les conditions dans le pays portant sur les manifestations contre le gouvernement et iii) la lettre du cabinet d’avocats.
[9] L’agent affirme que les messages texte échangés entre M. Oladipupo et le pasteur n’ont aucune valeur probante, vu que l’identité des destinataires des messages texte ne peut être confirmée. Dans son évaluation de la valeur à accorder aux messages texte, l’agent n’examine pas la lettre du pasteur dans laquelle le pasteur confirme les informations qu’il a communiquées par messages texte à M. Oladipupo ni la lettre de M. Oladipupo selon laquelle il a été informé des problèmes vécus par sa famille au Nigéria grâce aux messages texte qu’il a reçus de son pasteur. L’agent n’évalue pas ces éléments de preuve pertinents lorsqu’il conclut que les messages texte, à eux seuls, ont une valeur probante limitée.
[10] L’agent estime que les articles de journaux présentés contredisent les allégations au sujet des activités politiques du frère de M. Oladipupo. Il estime que les articles contredisent les allégations selon lesquelles le frère de M. Oladipupo est allé à Lagos en février 2021
[traduction] « pour participer à une manifestation visant à mettre un terme à la SARS à Lagos en raison de l’ampleur du mouvement […]. Le président du Nigéria avait annoncé la dissolution des troupes de la SARS dans un message publié sur Twitter le 10 novembre 2020. Le gouvernement nigérian avait mis fin aux activités des unités de la SARS cinq mois avant […] que [le frère de M. Oladipupo] ne participe, selon ses dires, à une manifestation à Lagos ».
[11] Il s’agit là d’une interprétation étroite des éléments de preuve sur les conditions dans le pays et des éléments de preuve présentés par M. Oladipupo.
[12] M. Oladipupo explique que son frère avait participé en octobre 2020 aux manifestations « visant à mettre un terme »
à la SARS et qu’il lui avait déconseillé d’y participer, mais que celui-ci y avait tout de même participé et que, après s’en être tiré à bon compte en octobre, il a décidé de participer à une autre manifestation en février 2021. M. Oladipupo explique également que la manifestation de février 2021 visait [traduction] « à manifester contre la réouverture du poste de péage à Lagos »
. Cette explication cadre avec les articles de journaux qui portent sur la tenue de cette autre manifestation après que le gouvernement a déclaré avoir mis fin aux activités de la SARS. Lorsque l’agent mentionne la participation aux manifestations [traduction] « visant à mettre un terme à la SARS »
, il fait référence à la participation du frère du demandeur aux manifestations d’octobre 2020 à Lagos. La conclusion de l’agent selon laquelle il y a une contradiction n’est pas étayée par l’analyse globale, et non sélective, des éléments de preuve présentés par M. Oladipupo et des articles de journaux.
[13] Enfin, l’agent note que, dans sa lettre, le cabinet d’avocats qui avait représenté la sœur de M. Oladipupo au Nigéria indique qu’il n’est plus en contact avec elle depuis novembre 2021 et que la sœur n’est plus sa cliente. L’agent, toutefois, n’examine pas l’autre partie de la lettre qui indique que le cabinet d’avocats avait au départ représenté la sœur de M. Oladipupo [traduction] « qui avait été et qui était toujours détenue par la police au Nigéria »
. La lettre indique également, ce qui suit : [traduction] « Rappelez-vous que, lors de l’une de nos discussions, nous vous avons informé de toutes les mesures que nous avons prises pour aider votre sœur […] à retrouver sa liberté et pour faciliter son retour en Espagne, où elle réside avec son époux et ses enfants »
. L’agent n’examine pas cette partie de la lettre et souligne seulement que le cabinet d’avocats ne représente plus la sœur de M. Oladipupo.
[14] Dans l’ensemble, je conclus que l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants pour rejeter comme incohérents ou non probants les éléments de preuve corroborants présentés dans la présente affaire. Compte tenu des enjeux liés à une demande d’ERAR, il est d’autant plus crucial que l’agent fournisse des motifs adaptés aux questions et aux préoccupations soulevées pour justifier sa décision auprès du demandeur (Vavilov, au para 133). Je conclus que les motifs n’expliquent pas adéquatement, à la lumière des éléments de preuve figurant au dossier, le traitement par l’agent des éléments de preuve corroborants présentés par M. Oladipupo.
[15] Aucune des parties n’a soulevé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-7928-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision d’IRCC datée du 18 mai 2022 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Lobat Sadrehashemi »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-7928-22 |
INTITULÉ :
|
OLAJIDE PETER OLADIPUPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 1ER JUIN 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SADREHASHEMI
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 5 DÉCEMBRE 2023
|
COMPARUTIONS :
Rasaq Jimoh Ayanlola |
Pour le demandeur |
Rachel Beaupré |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rohi Law Firm
Avocats
Scarborough (Ontario)
|
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |