Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2024
En présence de madame la juge Aylen
[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le demandeur] sollicite, en application du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 8 mars 2023 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a accueilli la demande que la défenderesse avait présentée pour parrainer son époux. La SAI a conclu que la relation est authentique et qu’elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2] La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable. Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit « s’intéresse[r] avant tout aux motifs de la décision »
et déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement qui la sous-tend ainsi que son résultat, est transparente, intelligible et justifiée [voir Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8]. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 15, 85]. La Cour n’intervient que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].
[3] Le demandeur affirme que la SAI a conclu de manière déraisonnable que le mariage en cause est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR. Le demandeur allègue que la SAI a apprécié de façon erronée les communications par messages textes que les époux ont fournies à l’appui de leur demande. Nulle controverse n’est soulevée entre les parties quant au fait que les époux ont fourni des centaines de pages de communications par messages textes à l’appui de leur demande et qu’il ressort de l’examen de ces échanges que des modifications y ont été apportées pour en supprimer des parties. Il est apparu évident que des modifications avaient été apportées, puisque les époux ont fourni de multiples copies des mêmes échanges, lesquelles comportaient plusieurs divergences. Les époux n’ont donné aucune explication satisfaisante quant à la manière ou à la raison pour laquelle le contenu des messages textes avait été modifié.
[4] Le demandeur affirme que la SAI, après avoir conclu que les époux avaient apporté de nombreuses modifications aux communications par messages textes, a accueilli l’appel en se fondant de manière déraisonnable sur le contenu de ces messages. Plus précisément, le demandeur affirme que la SAI s’est fondée à tort sur les messages textes modifiés, lesquels constituaient le [traduction] « fondement principal »
de la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage de la défenderesse est authentique, alors que certaines des modifications apportées remettent manifestement en question l’authenticité du mariage. Le demandeur fait remarquer que l’époux, dans certains de ses messages textes supprimés, mentionne qu’il parle [traduction] « tout le temps »
du visa. Le demandeur affirme également que la SAI n’a pas tenu compte de ces suppressions dans son évaluation de l’authenticité du mariage.
[5] De plus, le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur en considérant certains des messages textes comme les [traduction] « originaux »
et comme si la conversation avait été communiquée dans son intégralité. À plusieurs reprises dans ses motifs, la SAI fait référence aux « transcriptions intégrales »
et à des « communication[s] originale[s] »
, mais le demandeur soutient qu’il n’y a aucun message texte original dans le dossier et que la SAI ne disposait pas des éléments de preuve nécessaires pour déterminer quels messages textes avaient été modifiés et lesquels ne l’avaient pas été.
[6] Cependant, contrairement aux observations du demandeur, le contenu des messages textes ne constituait pas le [traduction] « fondement principal »
de la décision de la SAI. La SAI a motivé sa décision de façon détaillée. Elle a tenu compte de divers facteurs, notamment les débuts de la relation des époux, le comportement du couple avant le mariage, leurs relations antérieures, leurs échanges et interactions avant et après le mariage, la mesure dans laquelle ils se connaissaient mutuellement, et le soutien financier que l’épouse fournissait à son époux. Outre le contenu des messages textes, la SAI a tenu compte des témoignages des époux, des lettres d’appui et des nombreuses photographies du couple qui témoignent du temps passé ensemble, ce qui constitue des éléments de preuve supplémentaires quant à l’authenticité de l’union. J’estime donc que la SAI a apprécié la preuve dans son ensemble et a conclu, après avoir tenu compte de tous les facteurs et de toutes les circonstances, sans s’être principalement concentrée sur les messages textes, que le mariage est authentique.
[7] De plus, la SAI a explicitement traité de la question des modifications apportées aux messages textes, y compris de l’ampleur des modifications que le demandeur avait portées à son attention et de l’incidence des modifications sur la fiabilité du témoignage de l’époux. La SAI a fait référence à certains messages textes en les qualifiant de communications originales ou de transcriptions intégrales, et je reconnais qu’il est impossible de savoir, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, si la SAI avait bel et bien en main les communications originales ou encore les transcriptions intégrales. Toutefois, je n’estime pas que de telles erreurs d’interprétation aient eu une incidence importante sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SAI. Je suis plutôt d’accord avec la défenderesse pour dire que l’argument du demandeur revient à demander à la Cour de se lancer dans une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur, ce qui est contraire à ce que la Cour suprême a énoncé dans l’arrêt Vavilov.
[8] En outre, j’estime que l’affirmation du demandeur selon laquelle la SAI n’a pas tenu compte de l’importance des messages textes supprimés dans lesquels l’époux de la défenderesse parlait [traduction] « tout le temps »
du visa, n’est pas fondée. Bien qu’il était loisible à la SAI de conclure que les messages textes supprimés qui renvoyaient à des questions d’immigration étaient pertinents quant à l’authenticité du mariage, elle a expliqué que la modification des messages textes « ne l’emporte pas sur ses conclusions à l’égard de l’authenticité du mariage et de l’intention sous-jacente à celui‑ci »
. Après avoir tenu compte de la preuve dans son ensemble, j’estime qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure que la modification des messages textes ne l’emportait pas sur les autres facteurs sur lesquels elle s’est fondée pour conclure que le mariage est authentique. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que l’argument du demandeur revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAI, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire [voir Vavilov, au para 125].
[9] Le demandeur a présenté d’autres arguments pour démontrer que la décision de la SAI est déraisonnable : a) la SAI s’est livrée à des conjectures quant à la raison pour laquelle les messages textes ont été modifiés; et b) la SAI a écarté de façon déraisonnable des éléments de preuve contradictoires quant à l’endroit où les enfants des époux vivraient après l’arrivée de l’époux au Canada. J’estime qu’aucune de ces observations n’est fondée, car il était raisonnablement loisible à la SAI de tirer les conclusions qu’elle a tirées quant à la preuve.
[10] Je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que la décision de la SAI est déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[11] Aucune question à certifier n’a été soulevée et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3858-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c DONNA JUDITH HOWARD |
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Olalere Law Office
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POUR LA DÉFENDERESSE |