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Date : 20240122


Dossier : IMM-372-22

Référence : 2024 CF 94

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 janvier 2024

En présence de madame la juge Ngo

ENTRE :

YETONG LU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 5 janvier 2022 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a accueilli la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c-27 [la LIPR]. La présente demande de contrôle judiciaire est déposée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2] Le demandeur souhaite faire annuler la décision et renvoyer l’affaire à la SPR pour réexamen au motif que la décision était déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Après avoir examiné la décision, le dossier de preuve et le droit applicable, je conclus que la décision n’est pas déraisonnable.

II. Contexte

[4] Le demandeur est un citoyen de la Chine à qui la SPR a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention le 20 janvier 2015.

[5] Les faits qui ont mené à la demande de constat de perte de l’asile du demandeur ne sont pas contestés. Dans le contexte de la demande dont la Cour est saisie, il convient de rappeler que lorsqu’elle a accordé le statut de réfugié au demandeur, la SPR a conclu que ce dernier pratiquait le Falun Gong avec sa grand-mère, une pratique qui est interdite en Chine. La SPR a jugé que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté et que l’État était l’agent de persécution. Elle a également conclu que la grand-mère du demandeur avait été arrêtée et qu’elle purgeait une peine d’emprisonnement de trois ans et demi à la suite d’une descente du Bureau de la sécurité publique [le BSP].

[6] Le 28 janvier 2017, le demandeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada. Peu de temps après, soit le 27 avril 2017, il a renouvelé son passeport chinois (son pays de nationalité). À l’été 2019, il est retourné en Chine avec ce passeport pour une période de six semaines, du 23 juillet au 5 septembre 2019, accompagné de son épouse.

[7] Le 5 septembre 2019, le demandeur est revenu de Chine et a atterri à l’aéroport international Pearson. À son arrivée au Canada, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] l’a interrogé sur les raisons de son voyage en Chine. Au cours de cet échange, le demandeur a répondu qu’il ne craignait pas de retourner dans son pays. Le demandeur ne conteste pas la nature de l’échange ni les réponses qu’il a fournies à l’agent de l’ASFC, telles qu’elles ont été notées par ce dernier.

[8] Le 5 janvier 2021, le défendeur a présenté à la SPR une demande de constat de perte de l’asile au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR. Cette demande portait sur la question de savoir si le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité, comme le prévoit l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[9] Le 22 décembre 2021, la SPR a instruit la demande du défendeur, et le demandeur a témoigné devant elle. Le 5 janvier 2022, elle a accueilli la demande du défendeur et a rejeté la demande d’asile du demandeur.

III. Norme de contrôle

[10] Les parties soutiennent toutes deux que la question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la décision était raisonnable. Je conviens que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[11] Les décisions de la SPR sur le constat de perte de l’asile sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 871 [Abbas] au para 20, renvoyant à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 23 et à Camayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 213, aux para 17‑18; conf par 2022 CAF 50, aux para 39-43).

[12] Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est « une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. » (Vavilov, au para 13).

[13] La cour de révision ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov, au para 83).

[14] Le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et, à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. La cour de révision doit également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov, au para 125).

[15] La cour de révision doit examiner deux éléments pour décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif : le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 83). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige d’une cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision (Vavilov, au para 85). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au para 102).

[16] Une cour de révision « doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision “ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire” ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision » (Vavilov, au para 91). De plus, même lorsque des éléments de l’analyse sont exclus et que, tout bien considéré, les omissions sont minimes, la décision n’est pas « [compromise] […] dans son ensemble » et elle doit être maintenue (Vavilov, au para 122).

[17] Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui soutient que la décision est déraisonnable. Celle-ci doit prouver à la cour de révision que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

[18] J’examine ci-dessous le critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité, ainsi que ses éléments constitutifs.

A. Le critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité

[19] Il n’est pas contesté que, comme le soutient le défendeur, l’asile se veut une mesure temporaire. L’asile vise à offrir une protection de substitution aux réfugiés jusqu’à ce qu’ils puissent se réclamer de nouveau de la protection de leur État d’origine ou obtenir une autre forme de protection durable. Le défendeur invoque également la section C de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [la Convention], qui énonce les critères permettant de déterminer si un demandeur devrait perdre l’asile en raison de ses actions ou d’un changement dans la situation de son pays de nationalité. Parmi ces critères, mentionnons, par exemple, si la personne visée s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité.

[20] La LIPR reflète les dispositions de la Convention, et l’alinéa 108(1)a) précise que la demande d’asile est rejetée et que le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger s’il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité.

[21] Le critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité comporte trois éléments conjonctifs qui doivent tous être respectés : a) le réfugié doit avoir agi volontairement; b) le réfugié doit avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; c) le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1071 [Wu] au para 21, renvoyant à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Galindo Camayo] au para 79).

[22] Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. Pour ce faire, le ministre peut se fonder sur la présomption selon laquelle le réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité en établissant que le réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport de son pays d’origine. Une fois que cela a été établi, il y a renversement du fardeau de la preuve. Il incombe alors au réfugié de démontrer qu’il ne cherchait pas réellement à se réclamer de la protection de son pays d’origine (Abadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 29 [Abadi] au para 17; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459 [Li] au para 42). Il est alors présumé que le réfugié avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays en question. Il est également présumé que le réfugié obtient la protection effective de ce pays lorsque le ministre établit que le réfugié a utilisé son passeport pour voyager (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Safi, 2022 CF 1125 [Safi] au para 33).

[23] Comme l’a déclaré la juge Strickland dans la décision Safi, la Cour a qualifié cette présomption de « particulièrement forte » lorsque le réfugié se sert de son passeport pour se rendre dans son pays d’origine (Safi, au para 33, renvoyant à Seid c Canada (MCI), 2018 CF 1167 [Seid] au para 14, et à Mayell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 139 [Mayell] au para 12).

[24] Le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité remet en question la crainte du réfugié de retourner dans ce pays. « Une nouvelle réclamation de la protection de l’État tend habituellement à indiquer une absence de risque ou une absence de crainte subjective de persécution. En l’absence de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des refuges pour retourner dans des endroits où leur sécurité personnelle est menacée. » Le réfugié qui demande et obtient un passeport du pays dont il a la nationalité est présumé avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection diplomatique de ce pays (Safi, au para 34, renvoyant à Seid, au para 14, Abadi, au para 16, Galindo Camayo, au para 63).

[25] La présomption selon laquelle le réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité peut être réfutée, et il incombe au réfugié de produire des éléments de preuve suffisants pour la réfuter (Safi, au para 35, renvoyant à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154 au para 26; Li, au para 42; Galindo Camayo, au para 65).

[26] Dans ses observations écrites et à l’audience, le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il s’était volontairement et effectivement réclamé de nouveau de la protection de son pays de nationalité, selon le critère applicable. Ses arguments à l’audience et ses observations écrites portaient principalement sur l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays et sur le paragraphe 15 de la décision.

[27] Il n’était pas contesté que le demandeur s’était volontairement réclamé de la protection de son pays de nationalité, qu’il n’avait pas été forcé, qu’il n’avait pas été soumis à la contrainte et qu’il n’avait pas agi pour des raisons indépendantes de sa volonté lorsqu’il a renouvelé son passeport chinois, et qu’il s’était effectivement réclamé de la protection de son pays de nationalité puisqu’il était retourné en Chine au moyen de son passeport chinois renouvelé. J’accepte que, dans les circonstances, le premier et le troisième élément du critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité ont été respectés et que je n’ai donc pas besoin de les examiner davantage.

1) Intention

[28] J’examinerai le deuxième élément, soit l’aspect intentionnel du critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité. C’est principalement sur cette question que portaient les observations du demandeur.

[29] Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine, parce qu’elle n’a pas tenu compte du fait qu’il croyait être protégé par son statut de résident permanent au Canada.

[30] Le demandeur affirme que la SPR a jugé qu’il était crédible qu’il pense que sa carte de résident permanent du Canada assurerait sa protection. Malgré cela, elle a complètement rejeté cette croyance et l’a jugée non pertinente. Plus précisément, le demandeur a porté cette partie de la décision à mon attention :

[15] Lorsqu’une personne protégée obtient ou renouvelle un passeport auprès de son pays d’origine et s’en sert pour se rendre dans ce pays, la présomption selon laquelle elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays est particulièrement forte. La croyance voulant que le statut de résident permanent du Canada offre une protection ne change rien au fait que l’intimé s’est de nouveau réclamé de la protection du pays dont il a la nationalité. [Non souligné dans l’original.]

[31] Le demandeur soutient que la partie soulignée de la décision constitue une erreur si fondamentale qu’elle rend l’ensemble de la décision déraisonnable.

[32] Le défendeur avance que la Cour ne doit pas concentrer son examen sur une seule phrase, et que le reste de la décision démontre que ce facteur a été correctement pris en compte.

[33] Je suis d’accord avec le défendeur. Faire une interprétation aussi étroite de la décision, comme le voudrait le demandeur, serait contraire à l’orientation donnée dans l’arrêt Vavilov. Les motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle. L’objectif est de comprendre le fondement sur lequel repose la décision (Vavilov, au para 97). La Cour ne peut pas examiner un passage isolément du reste de la décision.

[34] Bien que la SPR ait conclu que l’intimé était crédible en général, elle a relevé une préoccupation importante en matière de crédibilité. Cette préoccupation concernait la question de savoir si le demandeur craignait toujours de retourner dans son pays. Après avoir soupesé les éléments de preuve présentés à l’audience de constat de perte de l’asile, y compris le témoignage du demandeur et ses déclarations antérieures à l’agent de l’ASFC, la SPR a conclu que le demandeur ne craignait pas de retourner dans son pays et que « son témoignage à cet égard man[quait] de crédibilité ».

[35] La SPR a ensuite énoncé le critère à appliquer pour déterminer si le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays de nationalité au titre de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[36] L’analyse que la SPR a faite du deuxième volet du critère ne se limite pas au paragraphe 15 de la décision. Elle débute aux paragraphes 12 à 17, sous le titre « L’intimé avait-il l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine? ».

[37] Cette section de la décision portait sur la preuve relative à l’intention du demandeur, notamment les déclarations qu’il avait faites à la SPR selon lesquelles il craignait d’être arrêté et est demeuré discret, et qu’il craignait de retourner en Chine. Son témoignage a également été évalué en fonction d’autres éléments de preuve, y compris les déclarations qu’il avait faites à l’agent de l’ASFC à son retour au Canada. La décision décrivait également la position du demandeur selon laquelle, même s’il craignait pour sa sécurité, il croyait que son statut de résident permanent du Canada assurerait sa protection et il tenait absolument à voir ses grands-parents.

[38] En particulier, après le paragraphe contesté qui a été porté à l’attention de la Cour, la SPR a examiné l’affirmation de l’intimé selon laquelle il craignait d’être arrêté et il était demeuré discret. La SPR a conclu que les faits ne corroboraient pas cette affirmation. Elle a évalué la preuve et la crédibilité du demandeur, puis a conclu que la conduite de ce dernier alors qu’il était en Chine contredisait sa position selon laquelle il n’avait pas l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays. Elle a également examiné son témoignage selon lequel les autorités avaient cessé de le rechercher en 2018 et les déclarations qu’il avait faites à l’agent de l’ASFC selon lesquelles il n’avait plus de crainte en Chine.

[39] La croyance du demandeur que son statut de résident permanent au Canada lui assurerait une protection ne signifie pas que l’analyse de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité s’arrête là. En fait, dans les affaires de réclamation de la protection du pays de nationalité, la conduite d’une personne est pertinente pour l’appréciation de son intention.

[40] Aux paragraphes 45 à 50 de la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 383 [Ali], le juge Brown a examiné la question de « l’intention » et déclaré que l’intention d’une partie peut être déterminée d’après la conclusion qu’un juge des faits peut tirer en s’appuyant sur la thèse selon laquelle les personnes veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes. L’intention d’une personne est une question de fait :

[47] […] L’intention est essentiellement une question de fait et elle relève de la compétence du juge des faits. En l’espèce, les juges des faits sont la SPR et la SAR; dans les affaires criminelles, ce rôle revient au jury ou au juge du procès s’il n’y a pas de jury. Les règles de preuve qui s’appliquent pour déterminer l’intention sont généralement les mêmes dans tous les domaines du droit, en l’absence d’intervention législative ou judiciaire. À cet égard, il est bien établi que l’intention d’une partie peut être déterminée d’après la conclusion qu’un juge des faits peut tirer en s’appuyant sur la thèse selon laquelle les personnes « veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes ». Il s’agit d’une règle de preuve et d’une question de bon sens, comme l’a déclaré le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Seymour, [1996] 2 RCS 252, au paragraphe 19 :

[19] Lorsque l’on donne au jury des directives sur une infraction exigeant la preuve de l’existence d’une intention spécifique, il sera toujours nécessaire d’expliquer que, pour déterminer l’état d’esprit de l’accusé au moment de l’infraction, les jurés peuvent déduire que les personnes saines et sobres veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes. Le bon sens veut que les personnes soient habituellement capables de prévoir les conséquences de leurs actes. Par conséquent, si une personne agit d’une façon qui est susceptible de produire un certain résultat, il sera généralement raisonnable de déduire que celle‑ci a prévu les conséquences probables de son acte. En d’autres termes, si une personne a agi de manière à produire certaines conséquences, on peut en déduire que cette personne a voulu ces conséquences.

[Non souligné dans l’original.]

[41] De plus, la croyance du demandeur selon laquelle son statut de résident permanent au Canada lui assurerait une protection est un facteur pertinent, mais n’est pas nécessairement déterminant quant à l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité (Ali, au para 49, renvoyant à Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 973 aux para 25 et 26; Al-Habib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 545 [Al-Habib]). Cette croyance doit être examinée au regard de l’ensemble de la preuve, et il se peut qu’elle ne suffise pas à réfuter la présomption de réclamation de la protection du pays de nationalité (Al‑Habib, au para 19).

[42] En effet, aucun facteur individuel ne sera nécessairement déterminant, et tous les éléments de preuve relatifs à ces facteurs doivent être examinés et équilibrés afin de déterminer si les actions de la personne sont telles qu’elles ont permis de réfuter la présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité (Galindo Camayo, au para 84).

[43] La décision contestée a été rendue avant l’arrêt Galindo Camayo. Cependant, au paragraphe 46 de la décision Karasu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 654, la juge St-Louis a fait observer que rien n’indique que l’arrêt Galindo Camayo de la Cour d’appel fédérale a modifié les principes généraux qui guident l’analyse à effectuer au titre du paragraphe 108(1) de la LIPR.

[44] Si j’applique le cadre général et les facteurs énoncés dans l’arrêt Galindo Camayo à la situation du demandeur, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SPR a tenu compte de la plupart des facteurs de l’arrêt Galindo Camayo. Sa décision reflétait une analyse et une prise en compte de plusieurs facteurs, notamment les suivants : le paragraphe 108(1) de la LIPR; la Convention; les observations des parties; l’identité de l’agent persécuteur; la question de savoir si l’obtention d’un passeport du pays d’origine est faite volontairement; la question de savoir si la personne a effectivement utilisé le passeport pour voyager (dans l’affirmative, s’il y a eu des voyages dans le pays de nationalité de la personne ou dans des pays tiers); la raison du voyage; ce que la personne a fait pendant son séjour dans le pays en question; la question de savoir si la personne a pris des précautions pendant son séjour dans le pays dont elle a la nationalité; la question de savoir si les actions de la personne démontrent qu’elle n’a plus de crainte subjective de persécution; et la fréquence et la durée des voyages (Galindo Camayo, au para 84).

[45] La SPR a tenu compte de la croyance du demandeur dans sa décision et l’a examinée eu égard au reste de la preuve et non pas simplement comme un facteur distinct.

[46] Le demandeur n’a pas contesté les conclusions de fait ni les conclusions sur la crédibilité que la SPR a tirées. Ses arguments portent plutôt sur la façon dont le tribunal aurait dû interpréter ces conclusions dans sa décision, car chacune de ses actions était justifiée par sa croyance.

[47] Accepter les arguments du demandeur obligerait la Cour à apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur, ce qu’elle ne peut pas faire. Aucune circonstance exceptionnelle ne justifie que je modifie les conclusions de fait concernant l’intention du demandeur de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité (Vavilov, au para 125).

[48] Étant donné la décision, le dossier de preuve et le droit applicable, je ne peux conclure que la décision était déraisonnable. J’estime plutôt qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 83).

V. Conclusion

[49] Pour les motifs qui précèdent, le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision comporte une erreur susceptible de contrôle. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[50] Les deux parties ont confirmé qu’il n’y avait pas de question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-372-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-372-22

INTITULÉ :

YETONG LU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 novembre 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 22 janvier 2024

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LE DEMANDEUR

Giancarlo Volpe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KORMAN & KORMAN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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