Date : 20240117
Dossier : IMM-727-22
Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2024
En présence de monsieur le juge Norris
demanderesse
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[1] La demanderesse est une citoyenne du Pakistan âgée de 42 ans. Elle est entrée pour la première fois au Canada en août 2013 en tant que résidente permanente grâce au parrainage de son époux de l’époque. La demanderesse est retournée au Pakistan le mois suivant et y est demeurée jusqu’en septembre 2015. Entre-temps, en décembre 2014, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accueilli la demande de divorce présentée par l’époux de la demanderesse. De plus, ce dernier a écrit à Citoyenneté et Immigration Canada en août 2013 pour l’informer que, même s’il avait parrainé sa femme de bonne foi, il souhaitait maintenant se désister de son parrainage parce qu’elle n’avait pas l’intention de vivre avec lui en tant qu’épouse.
[2] À la suite de la plainte de son mari, le dossier de la demanderesse a fini par être déféré à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) pour enquête. En 2017, la SI a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en raison de ses fausses déclarations au sujet de son mariage qui, dans les faits, n’était pas authentique. En juin 2019, la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la CISR a rejeté l’appel de la demanderesse. La SAI a conclu que l’ordonnance d’exclusion de la SI était légalement valide et que des mesures spéciales n’étaient pas justifiées. À l’instar de la SI, la SAI a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. La SAI a également conclu que la demanderesse n’éprouvait aucun remords pour ses actes. La demanderesse n’a pas contesté la décision de la SAI.
[3] La demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), mais sa demande a été rejetée en avril 2020. Cette décision a été confirmée lors d’un contrôle judiciaire : voir Arif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1048.
[4] En octobre 2020, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (CH) sur le fondement de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elle a soutenu que la dispense était justifiée en raison de son établissement au Canada. Selon elle, cet établissement était démontré par son emploi stable et ses amitiés au Canada, de même que par sa relation amoureuse de longue date avec un citoyen canadien qui réside ici. La demanderesse a également mentionné les difficultés auxquelles elle ferait prétendument face au Pakistan, notamment la stigmatisation qu’elle subirait en tant que femme divorcée célibataire. Elle a affirmé également que ses parents, qui sont de très pieux chrétiens, l’avaient reniée en raison de son divorce. La preuve sur laquelle elle s’est appuyée à cet égard était en grande partie la même que celle qu’elle avait présentée à l’appui de sa demande d’ERAR. Malgré les conclusions de la SI et de la SAI relatives au mariage de la demanderesse, celle-ci n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle acceptait ces conclusions ou qu’elle éprouvait des remords pour ses actes.
[5] Dans une décision datée du 5 mai 2021, un agent principal a conclu qu’une dispense pour des CH n’était pas justifiée. L’agent a conclu que, même si certains facteurs favorables existaient, ils étaient insuffisants pour l’emporter sur les considérations défavorables, à savoir [traduction] « principalement les fausses déclarations et l’absence de remords de la demanderesse »
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[6] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu de l’art. 72(1) de la LIPR. Elle soutient que la décision est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis. La demande doit donc être rejetée.
[7] À l’instar des parties, j’estime que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44).
[8] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Une décision qui présente ces qualités commande la déférence de la cour de révision (ibid.). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable. Pour infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[9] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, il n’appartient pas à la cour d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur, ni de modifier ses conclusions de fait, à moins qu’il y ait des circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Il n’appartient pas non plus à la cour de révision d’apprécier à nouveau les facteurs que l’agent a pris en considération pour déterminer si une dispense pour des CH était justifiée. La cour de révision doit généralement faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions relatives aux dispenses pour des CH, et ce, compte tenu de leur nature discrétionnaire (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303 au para 4).
[10] Avant d’examiner les prétentions de la demanderesse, je tiens à souligner que l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire comprend des renseignements dont ne disposait pas l’agent principal. En règle générale, seuls les documents dont disposait le décideur initial peuvent être pris en compte dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 17-20 ; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13-28 ; Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 aux para 7-9 ; et Andrews c Alliance de la fonction publique du Canada, 2022 CAF 159 au para 18). Bien qu’il y ait des exceptions à cette règle, aucune ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, je ne tiendrai compte que des renseignements qui ont été portés à la connaissance de l’agent principal.
[11] La demanderesse soutient que l’agent a évalué son établissement au Canada d’une manière déraisonnable. En dépit des difficultés alléguées par la demanderesse, l’agent n’a pas évalué son établissement en fonction de celles-ci. L’agent a conclu qu’il devait, dans son analyse, accorder un certain poids positif à l’établissement de la demanderesse. La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de ne pas accorder plus de poids à ce facteur, mais elle n’a relevé aucune lacune dans l’évaluation de l’agent qui justifierait une intervention. Essentiellement, son argument m’invite à apprécier à nouveau ce facteur et à tirer une conclusion plus favorable que celle de l’agent. Comme je le mentionne plus haut, ce n’est pas mon rôle dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il en va de même pour l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’agent a accordé un poids excessif aux facteurs défavorables – à savoir la fausse déclaration et l’absence de remords.
[12] La demanderesse soutient également que l’agent a mal interprété les éléments de preuve relatifs aux expériences qu’elle a vécues lors de ses visites occasionnelles au Pakistan. Elle allègue aussi qu’il a interprété hors contexte son témoignage à ce sujet devant la SAI. Selon la demanderesse, il en ressort que l’évaluation faite par l’agent des difficultés auxquelles elle serait exposée si elle était forcée de retourner au Pakistan était déraisonnable.
[13] Je ne suis pas de cet avis. En fonction du dossier dont disposait l’agent, il lui était loisible de conclure que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve au soutien de son allégation selon laquelle elle subirait des difficultés au Pakistan, notamment parce que sa famille l’aurait reniée depuis son divorce. L’agent a raisonnablement interprété l’affidavit de la mère de la demanderesse. De plus, l’agent s’est raisonnablement fondé sur le témoignage de la demanderesse devant la SAI selon lequel, lorsqu’elle est retournée au Pakistan entre octobre 2016 et mars 2017, elle n’a éprouvé aucune difficulté malgré le fait que sa famille savait qu’elle était divorcée. Dans sa décision de 2019, la SAI a expressément invoqué ce témoignage pour conclure qu’une dispense spéciale n’était pas justifiée. Lorsqu’elle a par la suite demandé une dispense fondée sur des CH, la demanderesse n’a aucunement remis en question le fait que la SAI avait tenu compte de ce témoignage. Dans ce contexte, il était loisible à l’agent principal de conclure que la demanderesse fournissait un récit pour appuyer sa demande qui ne correspondait pas aux versions qu’elle avait données précédemment. Bien que cela ne soit pas déterminant, il convient également de souligner que des conclusions similaires faites par l’agent d’ERAR ont été jugées raisonnables dans le cadre d’un contrôle judiciaire : voir Arif, aux para 27-30.
[14] En somme, l’agent principal a fourni des motifs transparents et intelligibles qui expliquent pourquoi la demanderesse ne pouvait bénéficier d’une dispense pour des CH. La déception de la demanderesse à l’égard de cette décision est manifeste, mais elle n’a établi aucun motif qui permettrait à la Cour d’intervenir, que ce soit par rapport à l’évaluation de la preuve ou par rapport à la conclusion finale de l’agent principal.
[15] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’art. 74d ) de la LIPR. Je conviens qu’aucune question ne se pose.