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Date : 20231213

Dossier : T-1488-20

Référence : 2023 CF 1684

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

STEELHEAD LNG (ASLNG) LTD. et STEELHEAD LNG LIMITED PARTNERSHIP

demanderesses

et

ARC RESOURCES LTD., ROCKIES LNG LIMITED PARTNERSHIP, ROCKIES LNG GP CORP. et BIRCHCLIFF ENERGY LTD.

défenderesses

ET ENTRE :

ARC RESOURCES LTD., ROCKIES LNG LIMITED PARTNERSHIP, ROCKIES LNG GP CORP. et BIRCHCLIFF ENERGY LTD.

demanderesses reconventionnelles

et

STEELHEAD LNG (ASLNG) LTD., STEELHEAD LNG LIMITED PARTNERSHIP, AZIMUTH CAPITAL MANAGEMENT IB LTD., AZIMUTH ENERGY PARTNERS IV (NR) LP et ENERGY PARTNERS IV LP

défenderesses reconventionnelles


DÉCISION ET JUGEMENT PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 13 décembre 2023)

Table des matières

I. Introduction 2

II. Contexte 3

A. Les parties 4

B. Contexte technique 5

C. Le brevet 085 7

III. Questions en litige 10

IV. Preuve des parties 11

A. Le témoin expert d’ARC 11

B. Le témoin expert de Steelhead 13

C. Les témoins de fait 15

V. Analyse 22

A. L’interprétation des revendications 22

B. L’antériorité 32

C. L’évidence 77

D. L’absence d’utilité 103

E. L’insuffisance 105

F. La portée excessive 106

VI. Dépens 108

VII. Conclusion 112

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande reconventionnelle introduite par les défenderesses/demanderesses reconventionnelles contre les demanderesses/défenderesses reconventionnelles. Les demanderesses reconventionnelles contestent la validité du brevet canadien no 3 027 085 (le brevet 085) en vertu de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4.

[2] À l’issue d’un procès sommaire, la Cour a conclu que les défenderesses/demanderesses reconventionnelles n’avaient pas contrefait le brevet 085 et elle a rejeté l’action sous‑jacente à la présente demande reconventionnelle (Steelhead LNG (ASLNG) Ltd c ARC Resources Ltd, 2022 CF 998). En l’espèce, les défenderesses/demanderesses reconventionnelles cherchent à obtenir un jugement déclaratoire portant que les revendications du brevet 085 sont invalides.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que :

  1. les revendications 24, 25, 27, 28 et 29 sont valides;

  2. les revendications 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 et 55 sont valides dans la mesure où elles dépendent des revendications 24, 25, 27, 28 et 29, directement ou indirectement, et sont invalides pour le reste;

  3. les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83 et 84 sont invalides.

II. Contexte

[4] Le contexte relatif à la décision antérieure, l’exposé conjoint des faits déposé par les parties et la preuve présentée au cours du procès sont décrits ci‑après dans la mesure où ils sont pertinents.

A. Les parties

(1) Les demanderesses/défenderesses reconventionnelles (ci‑après, Steelhead)

[5] Steelhead LNG (ASLNG) Ltd. est une société constituée en vertu des lois de la Colombie‑Britannique (Steelhead ASLNG). Steelhead ASLNG est une filiale en propriété exclusive de Steelhead LNG Limited Partnership (Steelhead LP). Steelhead LP est une société en nom collectif constituée en vertu des lois du Manitoba.

[6] Azimuth Capital Management IB Ltd., Azimuth Energy Partners IV (NR) LP et Azimuth Energy Partners IV LP (collectivement, Azimuth) ne faisaient pas partie des demanderesses dans la première action, mais ont été désignées à titre de défenderesses dans la demande reconventionnelle. Azimuth n’a pas pris part à la présente instance, sauf en ce qui concerne les dépens.

(2) Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles (ci‑après, ARC)

[7] ARC Resources Ltd. est un producteur de pétrole et de gaz dont le siège social est situé à Calgary, en Alberta. Elle a succédé à Seven Generations Energy Ltd. par voie de fusion au début de l’année 2021.

[8] Birchcliff Energy Ltd. (Birchcliff) est une société pétrolière et gazière intermédiaire dont le siège social est situé à Calgary, en Alberta. Birchcliff et ARC Resources Ltd. sont des commanditaires de Rockies LNG Limited Partnership (Rockies LP). Rockies LP est une société en commandite composée de producteurs de gaz naturel de l’Alberta et de la Colombie‑Britannique. Rockies LNG GP Corp. (Rockies GP) est la commanditée de Rockies LP.

B. Contexte technique

(1) Gaz naturel et GNL

[9] Le gaz naturel est un mélange d’hydrocarbures gazeux, constitué d’environ 90 % de méthane, ou plus, en volume. Les autres hydrocarbures présents habituellement dans le gaz naturel sont l’éthane, le propane et le butane. En outre, le gaz naturel contient souvent des impuretés comme l’eau et le dioxyde de carbone.

[10] Le gaz naturel liquéfié (GNL) est du gaz naturel à l’état liquide. La température à laquelle le gaz naturel passe de l’état gazeux à l’état liquide est d’environ -162 °C. Le gaz naturel à l’état liquide occupe un volume inférieur (environ 1/600) à celui de l’état gazeux correspondant. L’une des raisons pour laquelle on liquéfie le gaz naturel est que ce dernier est ainsi plus facile à transporter en tant que cargaison à bord d’un navire, qu’on appelle un méthanier ou un transporteur de GNL.

(2) Liquéfaction commerciale

[11] Les parties conviennent qu’en juin 2018, plusieurs systèmes et procédés de liquéfaction du gaz naturel étaient disponibles sur le marché. Au nombre de ces derniers, on comptait le procédé à cycle de refroidissement unique par mélange de réfrigérants (SMR), le procédé à cycle de refroidissement double par mélange de réfrigérants (DMR), le procédé par expansion de l’azote (N2), le procédé de pré-refroidissement au propane suivi d’un cycle de refroidissement par un mélange de réfrigérants (C3-MR) et le procédé en cascade. Fondamentalement, un cycle de réfrigération en circuit fermé utilisé pour convertir le gaz naturel en GNL comprend un compresseur, un condenseur, un dispositif d’expansion et un évaporateur. Sur le plan commercial, ces systèmes et procédés de liquéfaction sont mis en place dans des installations de GNL.

[12] Le développement d’une installation de GNL se fait généralement en plusieurs étapes ou phases. Les premières phases, ou phases de planification, d’une installation de GNL sont généralement les phases de l’étude de faisabilité, de l’étude préliminaire d’ingénierie de base (pré‑FEED), et de l’étude d’ingénierie de base (FEED), qui sont suivies de la phase d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction.

[13] L’électricité utilisée pour alimenter l’installation de GNL peut provenir d’un réseau électrique, c’est-à-dire d’un réseau de production, de transport et de distribution d’électricité qui fournit de l’électricité aux collectivités, de manière générale. Il peut aussi être produit localement, à l’installation de GNL ou à proximité.

(3) Installations flottantes de GNL

[14] Les installations de GNL peuvent être placées sur terre ou en mer. On savait en juin 2018 que les conditions près du rivage (on parle aussi des conditions « littorales », ou encore « à terre ») sont généralement plus bénignes que les conditions qui règnent au large.

[15] Les installations flottantes de GNL (IFGNL) sont des installations en mer qui flottent sur un bâtiment maritime (basé sur l’eau). Les bâtiments flottants peuvent être dotés d’un système de ballasts qui sert (entre autres) à maintenir une assiette nulle et à assurer la stabilité du bâtiment. Cela était connu en juin 2018. On savait aussi alors qu’un système de ballasts pouvait être en circuit ouvert ou fermé. Dans un système en circuit ouvert, le liquide de ballast (habituellement de l’eau de mer) entre dans le système de ballast d’un navire et est déversé dans les eaux environnantes. Un système en circuit fermé peut être conçu de manière à a) traiter le liquide de ballast avant qu’il ne soit déversé dans les eaux environnantes (système en circuit fermé hybride) ou b) fonctionner sans que le liquide de ballast ne soit déversé dans les eaux environnantes (système en circuit fermé de façon permanente).

C. Le brevet 085

(1) Description et dates pertinentes

[16] Steelhead LNG figure comme titulaire du brevet 085, intitulé « Appareil de liquéfaction, méthodes et systèmes ». Le brevet porte de manière générale sur un appareil, des méthodes et des systèmes concernant la liquéfaction du gaz naturel près du rivage.

[17] La demande relative au brevet 085 a été déposée le 10 décembre 2018 et est devenue accessible au public pour consultation le 8 février 2019. Le brevet a été délivré le 3 novembre 2020 et arrivera à échéance le 10 décembre 2038.

[18] Le brevet revendique une date de priorité fondée sur la demande de brevet internationale sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets no PCT/CA2018/050662 déposée le 1er juin 2018. Conformément à l’article 28.1 de la Loi sur les brevets, la date de la revendication est le 1er juin 2018.

(2) La divulgation

[19] La section « Contexte » de la divulgation du brevet 085 indique qu’il existe des réserves importantes de gaz naturel dans des eaux peu profondes qui sont inaccessibles aux IFGNL conçues pour des projets extracôtiers en eaux profondes. Suite à cette apparente lacune technologique, les procédés de liquéfaction en milieu maritime doivent être améliorés.

[20] La section « Contexte » est suivie d’un résumé décrivant l’invention revendiquée, toutes ces parties reprenant plus ou moins le libellé et l’ordre des revendications du brevet. La section suivante de la divulgation présente des dessins à titre indicatif et une description plus détaillée de l’invention revendiquée. Je discute de ces détails et dessins au fil de mon analyse ci‑après, selon ce qui est pertinent.

(3) Les revendications indépendantes

[21] Le brevet 085 comprend quatre revendications indépendantes (revendications 1, 21, 56 et 67) et 80 revendications dépendantes. La revendication indépendante 1 porte sur « un système de liquéfaction du gaz naturel », composé (1) d’une source externe d’électricité et de gaz et (2) d’un appareil maritime. L’appareil maritime comprend une coque amarrée au rivage, un système électrique de réfrigération à l’air (AER) et une pluralité de réservoirs de stockage.

[22] Le libellé des autres revendications indépendantes est semblable à la teneur de la revendication 1. La revendication indépendante 21 revendique les appareils maritimes, essentiellement tels qu’ils sont décrits dans la revendication 1, mais les réservoirs de stockage de GNL doivent se trouver sur le pont inférieur de la coque. La revendication indépendante 56 revendique la méthode AER essentiellement telle qu’elle est décrite dans la revendication 1. La revendication indépendante 67 revendique l’appareil maritime essentiellement tel qu’il est décrit dans la revendication 1, avec les réservoirs de stockage sous le pont et avec l’ajout (1) d’une pluralité de capteurs pour soutenir la coordination de fonctions entre l’appareil maritime et la source externe, et (2) un moyen de recevoir des communications pour contrôler les fonctions coordonnées.

[23] Les revendications dépendantes ajoutent un certain nombre d’éléments à l’invention, notamment : le prétraitement, les réservoirs à membrane, les configurations équilibrées de la partie supérieure, les méthodes de sortie du GNL, les mécanismes de coordination, les ouvertures dans le pont, la redistribution du gaz combustible et d’autres éléments, comme il est indiqué ci-dessous.

[24] J’examine en détail les éléments essentiels de chaque revendication dans l’analyse qui suit.

III. Questions en litige

[25] ARC sollicite un jugement déclaratoire portant que les revendications du brevet 085 sont invalides. Les parties ont résumé conjointement les questions à trancher ainsi :

  1. L’interprétation des revendications 1 à 84 du brevet 085;

  2. Les revendications du brevet 085 sont-elles invalides pour l’un des motifs qui suivent?

  1. L’antériorité

  1. Talib 2014 et/ou Talib mai 2013 antériorisent-ils l’objet des revendications 1‑3, 5, 10, 13‑16, 18‑23, 26, 36‑38, 41, 42, 56‑59, 64‑67, 70 et 82‑84 du brevet 085?

  2. Sullivan 2017 et/ou Sullivan 2016 antériorisent-elles l’objet des revendications 1‑3, 5, 7, 8, 10, 13, 14, 21, 23, 26, 36‑39, 41, 42, 56, 58, 59, 64 et 65 du brevet 085?

  1. L’évidence – L’objet défini par les revendications aurait-il été évident, à la date de la revendication, pour la personne versée dans l’art?

  2. L’insuffisance – Le brevet 085 satisfait-il aux exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets?

  3. L’ambiguïté – Le brevet 085 satisfait-il aux exigences du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets?

  4. La portée excessive – Les revendications du brevet 085 ont-elles une portée plus large que celle de l’invention réalisée par les inventeurs désignés du brevet 085 ou que celle de l’invention divulguée dans le mémoire descriptif du brevet 085?

  5. Absence de prédiction valable/aucune utilité démontrée – À la date du dépôt au Canada, les inventeurs avaient-ils établi l’utilité de l’objet des revendications du brevet 085 au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable?

[26] Au cours du procès, ARC a abandonné le motif de l’ambiguïté, ainsi que celui de l’antériorité en ce qui concerne les revendications 10 et 23. Par conséquent, ARC a renoncé au motif de l’antériorité en ce qui concerne les revendications qui dépendent des revendications 10 et 23, dans la mesure où il y a dépendance. Finalement, en ce qui concerne l’absence d’utilité, elle n’invoque ce motif que pour la revendication 29.

IV. Preuve des parties

A. Le témoin expert d’ARC

[27] Michael Wyllie est ingénieur professionnel au Royaume-Uni (R.-U.). Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en génie chimique et génie des procédés de l’Université Heriot-Watt d’Édimbourg, au Royaume-Uni, en 1980.

[28] M. Wyllie exerce le génie dans l’industrie pétrolière et gazière depuis plus de 40 ans. Au cours de sa carrière, il a travaillé chez Foster Wheeler Energy Ltd, Total Marine Oil Ltd (maintenant Total Energies), Shell UK Exploration and Production, Altra Consultants (dont il est cofondateur) et SBM Offshore NV. Il a assumé divers rôles au sein de ces organisations, dont ceux d’ingénieur des procédés, d’ingénieur en chef, de directeur de projet et de dirigeant principal de la technologie.

[29] Au cours de sa carrière, M. Wyllie a travaillé sur des installations flottantes de GNL, des plateformes flottantes et des systèmes d’amarrage. Il a beaucoup travaillé sur des unités flottantes de production, de stockage et de déchargement en mer (FPSD), soit des bâtiments flottants qui reçoivent des hydrocarbures, les convertissent en forme liquide et les stockent jusqu’à leur déchargement.

[30] M. Wyllie est actuellement directeur général et consultant principal chez Openwater Energy Ltd, une entreprise qu’il a fondée en 2019. Il est également membre en règle de la UK Institution of Chemical Engineers.

[31] J’ai accepté la qualification d’expert de M. Wyllie comme suit :

M. Michael Wyllie est un ingénieur professionnel spécialisé dans l’industrie de l’énergie. Son expertise comprend la conception, la fabrication et l’exploitation des installations, des systèmes et de l’équipement utilisés pour la production, le stockage et le transport des hydrocarbures, y compris ceux qui sont exploités dans un milieu marin, comme les installations flottantes de GNL, les unités flottantes de production, de stockage et de déchargement (FPSD), les unités flottantes de stockage et de regazéification (UFSR), les unités de stockage flottantes (USF) et les méthaniers, et leurs systèmes et équipements connexes. Son expertise comprend également les étapes suivies par l’industrie de l’énergie pour élaborer un projet, du début à la fin.

[32] Il a été demandé à M. Wyllie de donner son avis sur les questions suivantes : 1) qui est la personne versée dans l’art relativement au brevet 085? 2) quelles sont les connaissances générales courantes de cette personne versée dans l’art? 3) quelle est la bonne façon d’interpréter les revendications du brevet 085? 4) l’objet du brevet 085 est-il nouveau? 5) l’objet du brevet 085 est‑il évident? 6) la divulgation du brevet 085 est-elle suffisante? 7) la portée des revendications du brevet 085 est-elle plus large que celle de l’invention divulguée? 8) l’objet du brevet 085 est-il dénué d’utilité? M. Wyllie a donné son avis dans un rapport d’expert daté du 26 mai 2023.

[33] À mon avis, M. Wyllie est un témoin expert bien informé et digne de foi. Il s’est montré cohérent tout au long de son témoignage oral, y compris lors du contre-interrogatoire. Je discute de son témoignage dans mon analyse ci‑après, selon ce qui est pertinent.

B. Le témoin expert de Steelhead

[34] Willem Ravesloot est conseiller exécutif de projet aux Pays-Bas. Il a obtenu une maîtrise ès sciences en génie mécanique de l’Université de technologie de Delft aux Pays-Bas en 1989.

[35] M. Ravesloot a passé la majeure partie de sa carrière chez Shell plc, y compris ses filiales et ses coentreprises. Il a notamment agi à titre d’ingénieur de projet, de gestionnaire principal de l’ingénierie, de gestionnaire de groupe d’exploitation et de directeur de projet.

[36] La carrière de M. Ravesloot s’est déroulée dans le domaine des installations de GNL en général, mais pas des installations flottantes de GNL en particulier. Ses principales responsabilités étaient liées à la conception, à la construction, à l’exploitation et à l’entretien d’installations de GNL à divers endroits dans le monde, y compris au Canada.

[37] M. Ravesloot est actuellement conseiller exécutif de projet chez Gawwer BV, une société d’experts-conseils qu’il a fondée et dont il est propriétaire. Il agit également à titre d’associé directeur chez MACH10 Energy BV, une société d’experts-conseils qui répond aux besoins des exploitants pétroliers et gaziers. Enfin, M. Ravesloot consulte pour Partners in Performance, où il fournit des évaluations de projets de GNL à titre d’expert en la matière.

[38] J’ai accepté la qualification d’expert de M. Ravesloot comme suit :

M. Willem (Wim) Ravesloot est un ingénieur spécialisé en génie mécanique et dans les disciplines connexes du génie dans le domaine du pétrole et du gaz ainsi que du gaz naturel liquéfié. En particulier, M. Ravesloot possède une expertise dans la conception, le développement et l’exploitation d’installations terrestres et flottantes de gaz naturel liquéfié, y compris dans la conception, la sélection, la mise en œuvre, et l’exploitation des procédés de liquéfaction et de l’équipement utilisé pour la liquéfaction du gaz naturel, comme les compresseurs et les mécanismes d’entraînement de compresseur, les systèmes de refroidissement, les systèmes de commande, les systèmes de sûreté et les installations de stockage. De plus, M. Ravesloot est gestionnaire de projet et possède une expertise particulière en ingénierie de projet, en gestion de projet d’ingénierie et en développement de projet dans l’industrie du pétrole et du gaz ainsi que du gaz naturel liquéfié.

[39] Il a été demandé à M. Ravesloot de donner son avis sur les mêmes questions que l’expert d’ARC, à quelques différences près. Premièrement, en ce qui concerne les aspects de la nouveauté et de l’antériorité, le mandat de M. Ravesloot se limitait aux publications citées par l’expert d’ARC. Deuxièmement, quant à la portée excessive et à l’utilité, le mandat de M. Ravesloot concernait uniquement la revendication 29.

[40] M. Ravesloot est un témoin expert bien informé et compétent dans son domaine. Cela dit, il a appliqué des normes juridiques inappropriées dans son analyse de diverses questions, comme nous le verrons en détail plus loin. Cette mauvaise appréciation de certains principes de droit qu’il devait appliquer dans son rapport réduit l’importance accordée à son témoignage dans la présente instance.

[41] En outre, le témoignage de M. Ravesloot était parfois incohérent, non seulement à l’égard de certaines de ses déclarations antérieures dans le cadre de l’action en contrefaçon qui fait l’objet de la présente demande reconventionnelle, mais aussi de son témoignage dans la présente instance. Il avait tendance à se montrer évasif lors de certains moments du contre-interrogatoire.

[42] Je traiterai dans les présents motifs du témoignage de M. Ravesloot et de tout problème s’y rapportant, selon ce qui est pertinent.

C. Les témoins de fait

(1) Pour ARC

a) Andrew Loose

[43] Andrew Loose est un ingénieur qui possède une vaste expérience des projets de GNL et d’installations flottantes de GNL. Il était à l’emploi de KBR de 2006 à 2021. KBR est une entreprise internationale qui fournit des services de conseil, d’ingénierie et de construction à des clients du secteur de l’énergie.

[44] Entre 2016 et 2018, M. Loose et d’autres membres de KBR voulaient obtenir un contrat d’ingénierie de Steelhead dans le cadre d’un projet d’installation flottante de GNL. Ils ont rencontré Victor Ojeda et Alex Brigden de Steelhead le 23 mars 2016 à cette fin. Lors de cette rencontre, M. Loose et ses collègues ont présenté un exposé à Steelhead, qui comprenait une discussion sur le projet d’IFGNL de Triton, que KBR avait aidé à concevoir entre 2011 et 2014.

[45] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

  1. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| || || || | | ||||||||||||||

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  3. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[46] Étant donné que le projet de GNL de Triton n’avait pas été invoqué à titre d’antériorité, le témoignage de M. Loose à cet égard est uniquement pertinent quant au contexte de l’histoire de l’invention.

[47] M. Loose a également témoigné avoir assisté à une conférence sur les installations flottantes de GNL en juin 2014. Il a assisté à une présentation publique donnée par Thomas Larsen, vice‑président des Services techniques de Höegh LNG (la présentation de M. Larsen). La présentation de M. Larsen portait sur les installations flottantes de GNL près du rivage. Elle contenait également une diapositive sur diverses options de conception pour une IFGNL, y compris le refroidissement par air, les entraînements électriques, l’alimentation à terre, le stockage dans l’IFGNL et diverses méthodes d’amarrage.

[48] Selon M. Loose, aucune attente en matière de confidentialité n’avait été communiquée lors de la présentation de M. Larsen. Cependant, en contre-interrogatoire, il a admis que les diapositives portaient la mention qu’il n’était pas permis de reproduire, distribuer ou communiquer le contenu de la présentation sans le consentement préalable de Höegh LNG.

[49] Je conclus que M. Loose est un témoin crédible.

b) Paul Sullivan

[50] Paul Sullivan possède plus de 30 ans d’expérience en génie et en construction dans l’industrie du GNL. En 2017 et 2018, il a été vice-président des Projets chez Steelhead, puis conseiller de projet auprès de son PDG. Tous les inventeurs du brevet 085 relevaient directement ou indirectement de M. Sullivan en sa qualité de vice-président.

[51] Avant de travailler chez Steelhead, M. Sullivan travaillait chez WorleyParsons (maintenant connu sous le nom de Worley). Cependant, il était alors déjà en relation avec Steelhead, car cette dernière avait retenu les services de WorleyParsons en tant qu’entrepreneur pour certains de ses projets d’installations flottantes de GNL.

[52] M. Sullivan a déclaré avoir assisté à une activité organisée par la Society of Petroleum Engineers à Houston, au Texas, en juillet 2016, au cours de laquelle il a présenté un exposé sur les installations flottantes de GNL près du rivage à 50 à 70 personnes, dont la plupart étaient des ingénieurs (Sullivan 2016). M. Sullivan a également déclaré qu’il avait fait une présentation sur les IFGNL près du rivage au Congrès mondial sur les IFGNL près du rivage le 21 juin 2017 (Sullivan 2017, et collectivement avec Sullivan 2016, les présentations de M. Sullivan).

[53] Les présentations de M. Sullivan sont deux des quatre documents sur lesquels ARC se fonde pour faire valoir l’antériorité et l’évidence. Les deux autres documents sont des textes rédigés par Javid Talib de la société Black & Veatch en 2014 (le texte Talib 2014) et en 2013 (le texte Talib 2013, et collectivement avec le texte Talib 2014, les articles de M. Talib).

[54] Je conclus que M. Sullivan est un témoin crédible.

(2) Pour Steelhead

a) Alex Brigden

[55] Alex Brigden est ingénieur professionnel au Royaume-Uni et possède une vaste expérience des projets extracôtiers. D’avril 2015 à janvier 2019, il s’est joint à Steelhead, où il a travaillé au projet de GNL Malahat de Steelhead et au projet de GNL Sarita Bay (plus tard Kwispaa). Les deux projets étaient prévus pour des régions situées près des côtes de la Colombie‑Britannique.

[56] M. Brigden est l’un des inventeurs nommés du brevet 085 et il a participé activement à l’élaboration du concept de GNL à terre revendiqué. Il a occupé le poste de vice-président des Services techniques chez Steelhead de 2017 à 2019. Tous les autres co-inventeurs faisaient partie de son équipe technique, et relevaient tous de lui. La preuve principale de M. Brigden portait essentiellement sur l’histoire de l’invention du brevet 085.

[57] Selon M. Brigden, ni lui ni son équipe n’étaient au courant que quelqu’un « avait mis de l’avant » une installation flottante de GNL composée d’unités de stockage de GNL, de compresseurs électriques, d’un système de réfrigération par refroidissement par air et d’une source d’alimentation électrique externe. Ils sont plutôt arrivés à ce concept dans le cadre de leur processus d’élaboration de projet. Ce procédé comprenait 1) la détermination du concept, 2) l’évaluation du concept et 3) la sélection du concept. Le processus d’élaboration du projet a produit un certain nombre de documents résumant les choix de conception définitifs de Steelhead et le raisonnement qui les sous-tend. M. Brigden a déclaré que Steelhead avait dépensé des millions de dollars sur plusieurs années pour en arriver au concept final.

[58] Lors de son contre-interrogatoire, M. Brigden s’est rappelé qu’il avait rencontré des représentants de KBR en mars 2016, comme il ressort du témoignage de M. Loose que j’ai déjà mentionné, mais il ne se souvenait pas qui avait fait une présentation. Il a en outre admis ce qui suit :

  1. Il a effectué des travaux concernant une installation flottante de GNL avant de se joindre à Steelhead;

  2. Pour ce qui est des compresseurs électriques – i) il avait eu connaissance, avant de se joindre à Steelhead, d’autres projets de GNL où des compresseurs électriques étaient utilisés; ii) avant de se joindre à Steelhead, il a lui-même dirigé un projet de GNL qui envisageait l’utilisation de compresseurs électriques dans le cadre d’un projet de GNL terrestre distinct; iii) il savait que les mécanismes d’entraînement électriques et les turbines à gaz étaient les deux options possibles pour les compresseurs; iv) il y a une limite à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) lorsqu’on utilise des compresseurs à turbine à gaz; v) les compresseurs électriques réduiraient considérablement les émissions de GES et assureraient la conformité réglementaire; vi) le « soutien politique » serait « perdu » en Colombie‑Britannique si les émissions de GES de l’installation de Steelhead ne se situaient pas dans le quartile inférieur des usines de GNL à l’échelle de la planète;

  3. Pour ce qui est des refroidisseurs à air – i) il savait que les refroidisseurs à air avaient moins de répercussions négatives sur l’environnement que les refroidisseurs à eau; ii) il savait que des refroidisseurs à air avaient été utilisés dans des projets antérieurs; et iii) il savait que les Premières Nations dans les régions de projet pertinentes s’opposeraient à l’utilisation de refroidisseurs à eau en raison de leur effet sur le milieu marin;

  4. Pour ce qui est du stockage de GNL – i) il savait, avant de se joindre à Steelhead, qu’une barge était susceptible de soutenir une installation de traitement et de contenir des réservoirs de stockage intégrés; et ii) il savait que le ballottement ne poserait pas de problème à proximité du rivage;

  5. Pour ce qui est des capteurs – il savait que des capteurs étaient utilisés pour surveiller les déversements « bien longtemps » avant juin 2018.

[59] M. Brigden a également déclaré, en contre-interrogatoire, que les caractéristiques suivantes du concept de GNL à terre étaient, à son avis, « essentielles », « requises », « importantes » ou autrement « faisaient partie » du concept qu’il a aidé à concevoir :

  1. installer les refroidisseurs à air de façon à utiliser l’espace efficacement tout en assurant la sécurité;

  2. placer certains éléments de l’installation strictement à terre, en gardant d’autres éléments à bord du bâtiment flottant;

  3. modifier les chanfreins des réservoirs de stockage à membrane pour abaisser le centre de gravité et améliorer la stabilité;

  4. utiliser des poutres transversales pour soutenir le pont de l’installation;

  5. effectuer le prétraitement du gaz d’alimentation à un endroit distinct afin que les impuretés soient limitées à une plage étroite;

  6. utiliser des lignes électriques souples, durables et isolées pour la passerelle de distribution;

  7. utiliser une tension de 138 kV pour équilibrer le nombre de câbles électriques raccordés à l’installation flottante de GNL;

  8. avoir un système de protection contre les déversements de fluide cryogénique qui éloigne les déversements de la coque et d’autres éléments de l’installation.

[60] M. Brigden a parfois admis certaines choses en contre-interrogatoire uniquement après que les avocats d’ARC aient souligné ses déclarations antérieures qui contredisaient son témoignage au procès. Compte tenu des déclarations et admissions incohérentes de M. Brigden en contre‑interrogatoire, j’accorde peu de poids à son témoignage dont je discute dans mon analyse ci‑après, selon ce qui est pertinent.

b) Victor Ojeda

[61] Victor Ojeda était président de Steelhead de 2013 à 2019. Il a supervisé la direction de l’entreprise pendant son mandat. Il a également agi à titre de vice-président intérimaire des Services techniques pendant plusieurs mois en 2016.

[62] La seule partie pertinente du témoignage principal de M. Ojeda concerne les relations de Steelhead avec KBR en 2016. M. Ojeda a déclaré que lorsqu’il a rencontré M. Loose et d’autres membres de l’équipe de KBR, les travaux de Steelhead sur le concept de GNL à terre était déjà en cours et ses concepts clés avaient déjà été décidés. Il a également déclaré que Steelhead avait conclu une entente de non-divulgation mutuelle avec KBR. M. Ojeda a expressément nié que le concept de GNL à terre était fondé sur le travail de KBR.

[63] M. Ojeda a rendu un témoignage cohérent lors du contre-interrogatoire. Je conclus qu’il est un témoin crédible. Je discute de son témoignage dans mon analyse ci‑après, selon ce qui est pertinent.

V. Analyse

A. L’interprétation des revendications

(1) Les principes généraux

[64] La Cour suprême du Canada a énoncé les principes d’interprétation des revendications dans trois arrêts : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool] aux para 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust] aux para 44 à 54; Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504 (CSC) au para 27. La Cour d’appel fédérale a résumé ainsi ces principes dans l’arrêt Tearlab Corporation c I-MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 [Tearlab] aux para 31 à 34 :

[31] La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, qui favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité (Free World Trust aux alinéas 31a) et b) et au paragraphe 41). La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet (à l’alinéa 31c)), et par un esprit désireux de comprendre (au paragraphe 44). Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas (à l’alinéa 31e)). Il incombe au juge appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non-essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide (au para 15).

[32] Pour déterminer ces éléments, la teneur des revendications doit être interprétée du point de vue du lecteur versé dans l’art, à la lumière des connaissances générales courantes de ce dernier (Free World Trust, aux paragraphes 44 et 45; voir aussi Frac Shack, au paragraphe 60; Whirlpool, au paragraphe 53). Comme il a été observé dans la décision Free World Trust :

[51] [...] Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Souligné dans l’original.]

[33] L’interprétation des revendications appelle l’examen de l’ensemble de la divulgation et des revendications « pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, [...] sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public » (Consolboard, à la page 520; voir également Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, au paragraphe 50). On peut alors tenir compte des spécifications du brevet pour comprendre la signification des termes utilisés dans les revendications. Il faut veiller, cependant, à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et [...] interprétée » (Whirlpool, au paragraphe 52; voir aussi Free World Trust, au paragraphe 32). La Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; les spécifications seront pertinentes lorsque les revendications sont ambiguës (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943, au paragraphe 31; voir aussi Ciba, aux paragraphes 74 et 75).

[34] Finalement, il est important de souligner que l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon (Whirlpool, au paragraphe 49b)).

[65] En résumé, la Cour doit interpréter les revendications de manière téléologique et avec un esprit désireux de comprendre, en tenant compte de l’ensemble du mémoire descriptif en cas d’ambiguïté et, ultimement, en respectant la teneur des revendications. Il lui appartient de déterminer les éléments essentiels de l’invention revendiquée. Pour tout cela, la Cour doit adopter le point de vue d’une personne versée dans l’art à la date de publication, en tenant compte des connaissances générales courantes à l’époque en cause.

(2) La personne versée dans l’art

[66] Au paragraphe 44 de l’arrêt Free World Trust, la Cour suprême du Canada a cité le passage suivant de la page 184 de l’ouvrage de Harold G. Fox, intitulé The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, pour décrire le « travailleur versé dans l’art » :

[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

[67] Au paragraphe 53 de l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême du Canada a en outre conclu :

Toutefois, le mémoire descriptif du brevet s’adresse non pas aux grammairiens, aux étymologistes ou au public en général, mais plutôt aux personnes suffisamment versées dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), à la p. 185. Monsieur Fox écrit, à la p. 203, que la cour doit se mettre [traduction] dans la position d’une personne au fait de l’état de la technologie et du processus de fabrication à l’époque en cause, et elle doit s’informer du sens technique qu’un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir dans cette technologie ou ce processus de fabrication.

[68] Ainsi, lorsque la Cour adopte le point de vue d’une personne versée dans l’art, elle doit le faire avec un esprit désireux de comprendre les revendications dont elle est saisie, soit un esprit doté de l’ensemble des compétences, des connaissances et du savoir-faire technique qui sont d’ordinaire usuels dans l’art en cause au moment considéré.

(3) Les connaissances générales courantes

[69] Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 37).

[70] Les connaissances générales courantes n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public. Le simple fait qu’un renseignement soit publié dans un brevet donné, une publication scientifique ou tout autre document ne suffit pas à établir que ce renseignement fait partie des connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art. Au contraire, ce renseignement doit faire partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art ou au secteur (Gemak Trust c Jempak Corporation, 2022 CAF 141 aux para 95‑96).

(4) Le champ d’application

a) La personne versée dans l’art

[71] L’expert d’ARC est d’avis que le brevet 085 traite de deux catégories de sujets. La première catégorie est celle des installations flottantes de production. Le deuxième est la production de GNL. Il affirme que la personne versée dans l’art est en fait une « équipe versée dans l’art ».

[72] En ce qui concerne la première catégorie (installations flottantes de production), l’expert d’ARC décrit la personne versée dans l’art dans ce domaine comme une personne détenant un diplôme en génie dans une discipline pertinente, à savoir le génie mécanique, structurel, naval ou chimique et le génie des procédés. Pour certaines des revendications, les disciplines pertinentes peuvent également inclure le génie électrique ou le génie de l’instrumentation. La personne versée dans l’art possède également au moins cinq ans d’expérience multidisciplinaire liée aux installations flottantes de production, qui peuvent être axées sur les installations flottantes de GNL, mais qui peuvent aussi comprendre l’expérience liée à d’autres installations flottantes.

[73] En ce qui concerne la deuxième catégorie (la production de GNL), l’expert d’ARC décrit la personne versée dans l’art comme étant titulaire d’un diplôme en génie chimique et en génie des procédés et possédant au moins cinq ans d’expérience dans le domaine de la production de GNL. Cette personne comprend les types de procédés utilisés dans la production de GNL, comme les systèmes de liquéfaction SMR et DMR, ainsi que ceux utilisés dans le prétraitement du gaz naturel d’alimentation.

[74] L’expert de Steelhead est d’avis que la personne versée dans l’art est quelqu’un qui a une formation en génie. Il désigne le génie mécanique comme la sous-discipline de la personne versée dans l’art. Cependant, il reconnaît que cette personne peut aussi avoir un diplôme en génie industriel, chimique ou électrique. En fin de compte, il conclut que la personne versée dans l’art visée par le brevet 085 est titulaire d’un baccalauréat dans un domaine de génie pertinent et d’une expérience de deux à quatre ans – ou, à la place, d’une maîtrise en conception d’installations de GNL et d’une à deux années de formation pratique seulement.

[75] Je conclus que le brevet 085 vise une ou des personnes versées dans l’art ayant une formation en génie mécanique et maritime et au moins quatre ans d’expérience dans le domaine du GNL et des installations flottantes de production, comme les installations flottantes de GNL ou les unités FPSD.

b) Connaissances générales courantes

[76] Les deux témoins experts conviennent que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art sont les mêmes pour toutes les dates en cause. En outre, ils s’entendent en général pour dire que les sujets suivants relèvent des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art :

  1. le gaz naturel et ses divers composants chimiques;

  2. le gaz naturel liquéfié, ses propriétés chimiques et son avantage commercial;

  3. la production de gaz naturel et son traitement pour éliminer les impuretés et/ou les hydrocarbures lourds;

  4. le cycle de réfrigération et ses principales étapes;

  5. les procédés de liquéfaction courants associés au gaz naturel;

  6. les compresseurs, leurs divers types et leur rôle dans la réfrigération et la liquéfaction;

  7. Les étapes techniques du développement des installations de GNL;

  8. les installations flottantes utilisées pour la production de GNL, en particulier les installations flottantes de GNL;

  9. les diverses catégories de réservoirs de stockage de GNL, y compris les réservoirs à membrane;

  10. l’utilisation de systèmes de ballast et de méthodes d’amarrage pour stabiliser et fixer l’emplacement d’une IFGNL;

  11. les IFGNL qui ont été construites en juin 2018, y compris l’installation Prelude de Shell.

[77] Dans leurs rapports, les deux experts ne sont pas d’accord en ce qui concerne certains sujets : l’aperçu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art présenté par l’expert d’ARC comprenait un plus grand nombre de sujets que celui figurant dans le rapport de l’expert de Steelhead. Après avoir examiné ces rapports, je conclus que les points suivants font également partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, malgré tout désaccord ou toute omission de l’un ou l’autre des experts :

  1. Conception modulaire – on savait que les unités constitutives d’une installation pouvaient être construites séparément à différents endroits, puis assemblées lors de l’assemblage final;

  2. Capteurs, automatisation et confinement – on savait que les installations de GNL, y compris les IFGNL, utilisent des capteurs et des systèmes de commande pour surveiller l’installation, automatiser les opérations, assurer la sécurité et contenir les dangers et les déversements;

  3. Installations flottantes de GNL près du rivage – la personne versée dans l’art aurait eu connaissance du concept d’une installation flottante de GNL près du rivage et des avantages potentiels associés à ce concept;

  4. Systèmes maritimes – la personne versée dans l’art aurait eu connaissance des principaux composants d’un bâtiment maritime;

  5. Déchargement – La personne versée dans l’art aurait été eu connaissance des systèmes de déchargement utilisés dans une installation flottante de GNL, en particulier les « bras » ou les boyaux de déchargement.

c) L’interprétation des revendications

[78] La date pertinente aux fins de l’interprétation des revendications est la date de publication, soit le 8 février 2019.

[79] Les deux experts affirment que les éléments de chaque revendication sont essentiels à cette dernière. Je suis d’accord avec eux.

[80] Les experts sont également généralement d’accord quant à la juste interprétation des revendications, sauf en ce qui concerne deux expressions : 1) « appareil maritime », et 2) « espace mort […] capable de contenir ». J’adopte l’interprétation dont les experts ont convenu et je l’applique au besoin. Quant aux points de désaccord, je les traite dans les motifs qui suivent.

(i) Le sens de « appareil maritime »

[81] L’expert d’ARC adopte une interprétation large du terme « appareil maritime ». Plus précisément, il l’interprète comme englobant non seulement une barge, un navire et une plateforme flottante, mais aussi une plateforme de forage gravitaire – c’est-à-dire un bâtiment qui est amené par flottaison à l’emplacement voulu, puis est ancré au fond marin. L’expert de Steelhead adopte une vision plus étroite. Pour lui, le terme désigne une installation qui flotte continuellement sur l’eau. Il exclut donc les plateformes de forage gravitaires de la définition.

[82] Je suis d’accord avec l’expert de Steelhead pour dire que le terme « appareil maritime » exclut les plateformes de forage gravitaires. La divulgation du brevet 085 et les revendications indépendantes indiquent que l’« appareil maritime » serait « amarré » à un emplacement à terre. La personne versée dans l’art comprendrait qu’il s’agit d’une méthode de maintien en place d’un bâtiment flottant – une méthode qui n’est pas utilisée sur des plateformes de forage gravitaires.

(ii) La signification de « espace mort […] capable de contenir »

[83] La revendication 29 parle d’un « espace mort […] capable de contenir » du fluide ayant un poids semblable à celui du système AER. L’expert d’ARC interprète cela comme signifiant que l’espace mort doit toujours pouvoir contenir ce fluide, y compris lorsque le système AER est installé sur le bâtiment. En revanche, l’expert de Steelhead comprend que le terme signifie que l’espace mort ne serait utilisé que pendant la fabrication.

[84] Je reconnais qu’il y a là une ambiguïté, qui découle de l’utilisation du mot « capable ». Essentiellement, l’expert d’ARC est d’avis que « capable » signifie « capable en tout temps », tandis que l’expert de Steelhead est d’avis que cela signifie « capable au besoin ». L’expert de Steelhead résout cette ambiguïté en citant la page 16 de la divulgation du brevet 085, qui stipule aux lignes 11 à 21 que l’espace mort serait rempli « pendant la fabrication » du bâtiment pour « simule[r] » le poids du système AER et, deuxièmement, que le fluide serait graduellement « rejeté », lorsque le système AER sera chargé sur le bâtiment.

[85] ARC soutient qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation du brevet si la revendication 29 est lue en même temps que les revendications dont elle dépend. Une fois la revendication 29 lue, il n’y aura pas d’ambiguïté, puisqu’il sera évident que l’espace mort doit pouvoir transporter le fluide après l’installation du système AER.

[86] J’ai examiné la revendication 29 ainsi que les revendications dont elle dépend. J’ai également examiné les parties de la divulgation citées par l’expert de Steelhead. J’estime que la bonne opinion est celle exprimée par l’expert de Steelhead, à savoir que l’espace mort doit être rempli de fluide pendant la fabrication et non après l’installation du système AER.

B. L’antériorité

[87] L’invention est antériorisée 1) lorsqu’il existe une antériorité opposable qui divulgue les éléments essentiels des revendications et les avantages particuliers de l’invention, et 2) que cette divulgation permet à la personne versée dans l’art d’exécuter l’invention sans trop de difficultés (Sanofi, aux para 24‑27).

[88] La date limite de l’antériorité opposable est prévue au paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets. Voici les deux dates limites pertinentes en l’espèce : 1) un an avant la date de dépôt, si l’objet de l’antériorité a été divulgué par le breveté ou par une personne qui a obtenu l’information auprès du breveté, et 2) la date de la revendication, si l’objet de l’antériorité a été divulgué par un tiers.

[89] La demande relative au brevet 085 a été déposée le 10 décembre 2018 et le brevet revendique comme date de priorité le 1er juin 2018. La date limite pour toute antériorité opposable par Steelhead est le 10 décembre 2017. Pour toute autre antériorité, la date limite est le 1er juin 2018. Les antériorités invoquées en l’espèce (c.‑à‑d. les présentations de M. Sullivan et les articles de M. Talib) sont toutes antérieures à la première de ces dates et, par conséquent, opposables.

[90] Lorsque la Cour est convaincue qu’une antériorité opposable en particulier divulgue les éléments de l’invention, elle doit également être convaincue que la divulgation permettrait à la personne versée dans l’art d’exécuter l’invention. On suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs, mais sans difficulté excessive. Le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive varie d’une affaire à l’autre (Sanofi, au para 37).

[91] La Cour doit appliquer le critère de l’antériorité à chaque élément d’antériorité qui, d’après les allégations, antériorise l’invention, et ce, en réalisant une analyse distincte. On ne peut conclure à l’existence d’une antériorité s’il faut réunir les éléments de diverses publications (Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2021 CAF 24 au para 85, citant l’arrêt Free World Trust, au para 26).

(1) Les options et l’antériorité

[92] Steelhead fait valoir que la divulgation d’options dans une publication en particulier ne communique pas les diverses configurations. Par conséquent, aucun élément d’antériorité ne saurait être antériorisant en l’espèce du fait de la simple divulgation d’un ensemble d’options qui comprennent dans leurs configurations possibles l’objet du brevet 085. L’antériorité doit divulguer une configuration particulière pour antérioriser cette dernière. Essentiellement, Steelhead fait valoir que l’existence d’options fait obstacle à l’antériorité. Je ne suis pas de cet avis.

[93] Steelhead a fondé une grande partie de son argumentation sur l’extrait suivant de l’arrêt Beloit Canada Ltée/Ltd v Valmet Oy, [1986] ACF no 87, 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit] à la p 297 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.

[94] Les commentaires de la Cour dans l’arrêt Beloit, pris dans leur contexte, traitent d’une combinaison d’éléments incorporés qui proviennent de plusieurs éléments d’antériorité, et non d’un seul, ce qui est évident à la lecture des paragraphes qui suivent l’extrait ci‑dessus :

Il n’est pas facile de discerner avec précision les conclusions qu’a formulées le juge de première instance sur la question de l’antériorité. À un certain moment, il identifie quatre des publications invoquées à l’appui de l’antériorité et déclare :

« Pour ce qui est de l’antériorité, on ne peut se fier, comme je l’ai déjà dit, à une combinaison d’éléments que l’on trouve dans plusieurs publications sur l’état antérieur de la technique, mais on doit s’appuyer soit sur Black Clawsen (sic), soit sur Heys, soit sur Millspaugh ou sur Goodwillie. » (Dossier conjoint, p. 2141)

Plus loin, dans son sommaire des conclusions, il écrit :

« 5. Au sujet de la question de l’évidence et de l’antériorité (état antérieur de la technique), il m’apparaît qu’aucun des deux brevets n’aurait dû être enregistré au Canada l’invention étant évidente. Il est aussi probable que, suffisamment de données techniques ont été divulguées dans des brevets ou des publications antérieures pour fournir assez d’éléments aux inventeurs en question et à tous les hommes de métier pour leur permettre de faire les deux inventions. » (D.C., p. 2150)

Je trouve ce dernier passage extrêmement difficile. Puisque le juge ne dit rien d’autre dans son sommaire à propos de l’antériorité, il me faut présumer que la première phrase se rapporte à l’évidence et la seconde à l’antériorité. Si c’est le cas, il ne fait pas de doute que la seconde phrase est fautive, non seulement parce qu’elle permet de faire la somme des renseignements contenus dans des « brevets ou des publications antérieures » mais également parce qu’elle établit comme critère la réalisation de l’invention plutôt que la production des résultats divulgués par l’invention.

[Non souligné dans l’original.]

[95] Steelhead s’appuie également sur le principe selon lequel [traduction] « l’expérimentation et les essais successifs ne sont pas admis à l’étape de la divulgation ». Elle invoque le paragraphe 32 de l’arrêt Sanofi pour faire valoir ce point. Toutefois, il ressort de la lecture attentive de cette décision qu’elle se distingue de l’affaire qui nous occupe. Sanofi concernait les essais successifs qui aboutissent à la découverte d’une nouvelle utilisation ou d’un nouvel avantage. En fait, le paragraphe précis cité par Steelhead illustre cette distinction :

[32] Pour ce qui est de la divulgation au sens de l’arrêt Synthon, « l’absence de découverte des avantages particuliers » dont fait mention lord Wilberforce dans l’arrêt Witsiepe’s s’entend de la non‑divulgation dans le brevet de genre des avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection. Dès lors, les avantages particuliers de l’objet du brevet de sélection par rapport à l’objet du brevet de genre n’ont pas été découverts, de sorte qu’il n’y a pas d’antériorité. À cette étape, la personne versée dans l’art lit le mémoire descriptif du brevet antérieur pour déterminer s’il divulgue les avantages particuliers de l’invention subséquente. Les essais successifs ne sont pas admis. Lorsque la lecture du brevet de genre ne permet pas de connaître les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection, celui‑ci n’est pas antériorisé par le brevet de genre.

[Non souligné dans l’original.]

[96] De façon plus générale, l’invention du breveté doit concerner la découverte d’une nouvelle utilisation ou d’un avantage amélioré qui n’existait pas dans les autres inventions connues de ce genre. Ainsi, malgré ce que Steelhead laisse entendre, il est faux de dire qu’une personne versée dans l’art qui combine simplement diverses options divulguées dans un élément d’antériorité offre quelque chose de nouveau. Il faut quelque chose de plus pour qu’il y ait nouveauté. La combinaison d’options doit présenter une utilisation ou un avantage qui n’est pas encore connu ou divulgué.

[97] Il est évident que l’expert de Steelhead n’a pas fait cette distinction. Il a plutôt appliqué la mauvaise norme juridique à son analyse de l’antériorité et a présumé que la divulgation d’options ne communiquait pas les configurations précises. Par exemple, au paragraphe 352 de son rapport, l’expert de Steelhead mentionne ce qui suit :

[traduction]

352. Une personne versée dans l’art reconnaîtrait que [les options de Talib 2014] sont des options pour divers composants des installations de GNL. La personne versée dans l’art ne considérerait pas la divulgation des différentes options pour les éléments clés d’une installation comme étant la divulgation de la conception d’une installation particulière. Les documents de M. Talib décrivent seulement deux configurations spécifiques basées sur des barges qui, selon les documents, ont été « avancées à l’étape de l’étude d’ingénierie de base ».

[Non souligné dans l’original.]

[98] En fait, comme le souligne ARC, la jurisprudence canadienne est désormais claire : il n’est pas nécessaire qu’un élément d’antériorité divulgue l’« invention exacte » revendiquée. En ce qui concerne la divulgation, il suffit que la personne versée dans l’art soit capable de discerner les éléments de l’invention revendiquée à partir du document d’antériorité (Sanofi, aux para 23‑26). La sélection d’une combinaison parmi diverses options connues ne constitue pas une nouveauté, à moins que cette combinaison offre un avantage unique qui n’était pas connu auparavant. Autrement dit, si une personne exécutant les éléments divulgués dans un élément d’antériorité contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée (Schering-Plough Canada Inc c Pharmascience Inc, 2009 CF 1128 au para 87).

[99] En particulier, l’expert de Steelhead a reconnu pendant le contre-interrogatoire que le tableau 1 de Talib 2014 (qui est identique à la figure 7 de Talib 2013) divulgue un ensemble d’options flexible précisément en raison de la diversité des utilisations et des avantages qu’elles offrent. Autrement dit, les configurations divulguées permettent à une personne versée dans l’art de répondre aux spécifications d’un projet donné :

[traduction]

Q. Eh bien, ce que cela [Talib 2014] dit, et je ne crois pas que notre point de vue diverge tellement, c’est que le propriétaire choisit les meilleures options en fonction de son application particulière.

R. Oui.

Q. Bien. Concentrons-nous sur les mots « choisir les meilleures options en fonction de son application particulière ». Cela tient compte du fait qu’il s’agit du choix du propriétaire et qu’il est déterminé par ses objectifs finaux en fonction des spécifications. Est-ce juste?

R. C’est juste.

Q. Et une application particulière prévoit que les décisions seront déterminées, par exemple, par des choses comme la proximité de la terre, la nécessité de protéger l’eau de mer, des choses comme ça?

R. Il y a beaucoup de facteurs à considérer dans le choix de la configuration finale.

Q. La décision est prise par le propriétaire. C’est ce qui est écrit sur cette page?

R. C’est exact.

[…]

Q. Passons à la page 45. En haut de la page 45, colonne de gauche en vert, nous voyons le tableau 1. Voyez-vous cela?

R. Oui. Je le vois.

Q. Encore une fois, il traite des options disponibles. Voyez-vous cela?

R. Oui.

Q. Et les options disponibles signifieraient la même chose que ce qu’on voulait dire plus tôt, c’est-à-dire que le propriétaire peut les choisir?

R. Oui.

[100] L’expert de Steelhead a également reconnu pendant le contre-interrogatoire que, si le droit tel qu’il est formulé indique que la divulgation des options divulgue leurs diverses configurations, Sullivan 2017 divulgue les éléments des revendications indépendantes du brevet 085 :

[traduction]

Q. [...] Supposons qu’en vertu du droit canadien la présentation de quatre options équivaut à la divulgation de chacune d’entre elles. Suivant cette supposition, êtes-vous d’accord avec moi que tous les éléments essentiels des revendications 1, 21, 56 et 67 ont été divulgués dans Sullivan, si vous admettez cette proposition?

R. Je crois comprendre que si l’invention est divulguée dans son intégralité avec tous les composants montrés, cela signifie qu’elle a été divulguée. Si tous les composants n’ont pas été divulgués, alors non.

Q. Et je vous demande de supposer qu’en ce qui concerne la divulgation des quatre mécanismes d’entraînement de compresseur, chacun d’eux a été divulgué individuellement. Je vous demande donc de tenir pour acquis que lorsque la diapositive 11 fait état de quatre mécanismes d’entraînement, cela inclut la divulgation des mécanismes d’entraînement électriques. Je vous demande de supposer cela. Mes amis et moi discuterons de la loi vendredi.

Mais si vous supposez cela, êtes-vous d’accord avec moi que Sullivan 2017 divulgue tous les éléments de l’invention revendiquée selon les revendications indépendantes 1, 21, 56 et 67?

R. Je pense que, dans mon rapport et même ce matin, j’ai clairement dit ce qui a été divulgué et ce qui ne l’a pas été. Si vous dites que ce qui n’a pas été divulgué dans un tableau d’options, et en supposant qu’un tableau d’options équivaut à une divulgation

Q. Oui.

R. — alors ces éléments ont été montrés.

[Non souligné dans l’original.]

[101] Steelhead affirme que la configuration revendiquée par le brevet 085 est une invention présentant le caractère de la nouveauté. Compte tenu de ce qui précède, le brevet doit divulguer une nouvelle utilisation ou un avantage amélioré de la combinaison qui n’était pas connu auparavant. Je ne décèle aucune nouvelle utilisation ni aucun avantage amélioré dans la preuve présentée à la Cour. En fait, la section Contexte du brevet 085 décrit l’utilisation prévue et le soi‑disant avantage de l’invention revendiquée comme l’accès au gaz naturel dans des eaux peu profondes à des fins commerciales. Les éléments Sullivan 2017, Sullivan 2016, Talib 2014 et Talib 2013 envisagent tous cette utilisation et cet avantage.

[102] Par conséquent, les revendications du brevet 085 ne peuvent présenter le caractère de la nouveauté que si elles comprennent des éléments dans leur configuration qui ne faisaient pas partie des options ou des configurations divulguées par un élément d’antériorité donné.

(2) La mise en œuvre et la faisabilité

[103] De son côté, l’expert de Steelhead part également du principe que l’art antérieur ne peut pas constituer une antériorité sans démonstration du bien-fondé de la conception (c.‑à‑d. un projet dont la conception ou la construction a atteint un stade avancé). Par exemple, il explique ce qui suit au paragraphe 353 de son rapport :

[traduction]

353. Bien que M. Talib déclare qu’ils [le sujet des documents] sont passés à l’étape de l’étude d’ingénierie de base, la personne versée dans l’art ne considérerait pas que ces deux articles divulguent une conception au niveau de détail et de maturité que l’on trouverait dans une conception passée à l’étape de l’étude d’ingénierie de base. Comme je l’ai mentionné plus haut aux paragraphes 146 à 147, l’étude d’ingénierie de base représente un degré de maturité important, et les avant-projets en résultant comprendraient normalement des centaines de documents, comme des spécifications techniques détaillées pour l’équipement, les procédés, les conditions d’exploitation et les dessins. En revanche, ces deux documents ne montrent que trois schémas de base pour chacune des deux conceptions et une brève description de haut niveau de chaque concept occupant deux paragraphes.

[Non souligné dans l’original.]

[104] Il ressort d’une interprétation généreuse de l’opinion de l’expert de Steelhead que, dans le domaine des installations flottantes de GNL, un document qui ne fournit pas une conception détaillée de l’invention revendiquée ne permettrait pas à la personne versée dans l’art d’exécuter l’invention, peu importe son expérience et ses connaissances générales courantes. Cette interprétation ne tient pas compte du fait que l’invention alléguée en l’espèce — soit l’invention revendiquée — n’est rien de plus qu’un concept d’installation flottante de GNL. Il suffit que la divulgation permette à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention revendiquée sans difficulté excessive. Il n’est pas nécessaire que le document d’art antérieur concerné permette une mise en marché à pleine échelle. La question de savoir si la divulgation antérieure a fait l’objet d’une étude préliminaire d’ingénierie de base (pré-FEED) ou d’une étude d’ingénierie de base (FEED n’est pas la question pertinente.

[105] Compte tenu des hypothèses de l’expert de Steelhead sur la mise en œuvre, ainsi que de son approche erronée du droit relativement aux options, je privilégie l’analyse de l’expert d’ARC en ce qui concerne l’antériorité, qui correspond davantage aux principes juridiques applicables.

(3) Les dépendances multiples

[106] ARC ne prétend pas que l’un ou l’autre des articles de M Talib ou l’une des présentations de M. Sullivan antériorise toutes les revendications du brevet 085. Si ARC n’allègue pas qu’un élément d’art antérieur antériorise une revendication, je ne me prononce pas sur cet art antérieur et cette revendication. Cela dit, dans certains cas, les revendications sur lesquelles je ne me prononce pas sont en fait partiellement invoquées par d’autres revendications qui, selon ARCc, sont antériorisées. Dans de tels cas, lorsque je conclus que la revendication dépendante est antériorisée, je ne le fais que dans la mesure où les dépendances antérieures de cette revendication sont également antériorisées.

(4) Sullivan 2017 ou Sullivan 2016 antériorise-t-elle l’objet des revendications 1‑3, 5, 7, 8, 10, 13, 14, 21, 26, 36‑39, 41, 42, 56, 58, 59, 64 et 65 du brevet 085?

a) Revendication indépendante 1

[107] La revendication indépendante 1 indique « un système pour la liquéfaction du gaz naturel », qui comprend essentiellement :

  • 1.une source externe d’électricité et de gaz d’alimentation (la  source externe);

  • 2.un « appareil maritime » relié à la source externe et amarré à un emplacement à terre, constitué des éléments suivants :

  • a.une coque contenant une proue, une poupe et un axe longitudinal reliant l’avant et l’arrière;

  • b.un « système de réfrigération électrique refroidi à l’air » (système AER) qui reçoit de l’électricité et du gaz de la source externe et qui utilise :

  • 1.des compresseurs électriques,

  • 2.du refroidissement par air

pour convertir le gaz d’alimentation en GNL et redistribuer l’énergie thermique qui en résulte dans l’air ambiant;

  • c.une « pluralité de réservoirs de stockage de GNL » sur une seule rangée le long de l’axe longitudinal de la coque, configurés de manière à :

  • 1.recevoir le GNL du système AER;

  • 2.acheminer le GNL vers un navire de transport de GNL.

[108] Tous les éléments de la revendication 1 sont antériorisés par chacune des présentations de M. Sullivan. La présentation Sullivan 2017 contient notamment ce qui suit :

  • 1.La diapositive 9 présente un schéma d’une IFGNL qui comprend :

  • a.des « câbles d’alimentation » externes raccordés à l’IFGNL, que la personne versée dans l’art comprendrait comme étant d’une source d’électricité externe;

  • b.un bâtiment flottant possédant une structure de barge sur laquelle sont placés plusieurs trains de liquéfaction;

  • c.une description de l’installation comme étant « à terre », selon laquelle la personne versée dans l’art comprendrait que l’installation est amarrée pour être exploitée à proximité du rivage;

  • d.des trains de liquéfaction utilisant des ventilateurs de refroidissement sans turbines/génératrices au gaz connexes, ce qui indique à la personne versée dans l’art qu’ils dépendent de refroidisseurs à air et (par un processus d’élimination) de compresseurs à entraînement électrique;

  • e.des bras de déchargement de GNL près d’un méthanier adjacent à l’installation, d’après lesquels la personne versée dans l’art comprendrait que l’installation possède des réservoirs de stockage de GNL sur la barge, sous le pont, qui sont configurés pour être déchargés sur un navire de transport;

  • 2.La diapositive 11 présente une liste de « technologies éprouvées » pour les mécanismes d’entraînement de compresseurs, qui comprend les moteurs électriques;

  • 3.Les diapositives 12 et 13 présentent les schémas d’une installation flottante de GNL « à terre » qui est amarrée « à proximité de la terre » et « n’a pas de personnel permanent », et qui comprend :

  • a.de multiples modules de liquéfaction;

  • b.des échangeurs de chaleur cryogéniques;

  • c.des refroidisseurs à air;

  • d.aucune turbine ou génératrice au gaz, ce qui permettrait à la personne versée dans l’art de comprendre par un processus d’élimination que les systèmes utilisent des compresseurs à entraînement électrique;

  • e.une « seule rangée » de réservoirs de « stockage de GNL » placés sous le pont le long de l’axe longitudinal de la coque;

  1. Les diapositives 14 et 15 présentent un tableau décrivant un certain nombre de caractéristiques de la conception d’une installation de GNL à terre, notamment :
  • a.une source d’électricité « à terre »;

  • b.du « refroidissement par air »;

  • c.du « gaz conditionné » provenant d’un pipeline, selon quoi la personne versée dans l’art comprendrait qu’il s’agit d’une source externe de gaz d’alimentation;

  • d.une structure en « forme de barge ou de navire » avec un « stockage intégré »;

  • e.la liquéfaction « sur barge »;

  • f.un « bras de chargement à partir des jetées » servant au déchargement.

[109] Les diapositives 9, 13, 14 et 15 de la présentation Sullivan 2016 montrent les mêmes renseignements que les diapositives 11, 9, 14 et 15 de Sullivan 2017, respectivement. Sullivan 2016 présente donc les mêmes éléments que les diapositives de Sullivan 2017.

[110] La liste ci-dessus divulgue tous les éléments de la revendication 1. Je note en particulier que sur la diapositive 9 de Sullivan 2017, la personne versée dans l’art observerait clairement une source externe d’électricité, une barge avec tous ses éléments marins, plusieurs trains de liquéfaction et un transporteur de GNL séparé pour le déchargement. Tout élément possiblement manquant dans la diapositive 9 de Sullivan 2017 est explicitement mentionné dans la diapositive 11 (moteurs électriques) et dans les diapositives 14 et 15 (gaz d’alimentation externe, refroidissement à air et une rangée de réservoirs). Là encore, toutes ces diapositives se trouvent aussi dans Sullivan 2016.

[111] Compte tenu des divulgations précitées, la personne versée dans l’art pourrait trouver la divulgation de l’objet de la revendication indépendante 1 et la comprendre, sans difficulté excessive. En effet, la plupart des éléments divulgués sont présentés ensemble dans une diapositive, et les éléments restants sont énumérés parmi d’autres options de conception dans les diapositives suivantes.

b) Revendications indépendantes 21 et 56

[112] La revendication indépendante 21 fait état de l’appareil maritime essentiellement tel qu’il est décrit dans la revendication 1, ajoutant que les réservoirs de stockage de GNL [traduction] « sont sur le pont inférieur de la coque ». La revendication indépendante 56 fait état de la méthode AER essentiellement telle qu’elle est décrite dans la revendication 1. Toute antériorité qui antériorise tous les éléments essentiels du système de la revendication 1 antériorise également l’appareil maritime et la méthode AER des revendications 21 et 56.

[113] Étant donné que les présentations de M. Sullivan divulguent et permettent de réaliser l’objet de la revendication 1, et que la diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 divulguent toutes deux l’existence de réservoirs de stockage sous le pont, je suis convaincu que les présentations de M. Sullivan antériorisent également l’appareil de la revendication 21 et la méthode de la revendication 56.

c) Revendications dépendantes 2 et 3 : Prétraitement

[114] La revendication 2 comprend le système de la revendication indépendante 1 et ajoute que le gaz source serait prétraité pour éliminer les « éléments indésirables ». La revendication 3 comprend les systèmes des revendications 1 et 2 et précise que le prétraitement devrait permettre d’éliminer les hydrocarbures lourds.

[115] La diapositive 14 de Sullivan 2017 et la diapositive 14 de Sullivan 2016 indiquent toutes deux que le gaz d’alimentation serait un [traduction] « gaz conditionné conformément aux spécifications de transport par pipeline ». Une personne versée dans l’art comprendrait que le gaz d’alimentation est prétraité pour éliminer les impuretés et les hydrocarbures lourds. Je note également que la même diapositive indique qu’un traitement supplémentaire serait [traduction] « nécessaire, mais selon une spécification de service moins stricte, en raison du [...] pré‑conditionnement du gaz ». Elle précise également que le prétraitement pourrait être effectué sur une barge ou à terre.

[116] La personne versée dans l’art comprendrait donc que le prétraitement peut être mis en œuvre à des degrés et selon des spécifications variables, et qu’il peut avoir lieu en différents endroits. Les éléments des revendications 2 et 3 sont donc divulgués de la sorte. Et étant donné que cette divulgation est intégrée dans une liste d’autres options de conception pour une installation flottante de GNL, la personne versée dans l’art serait en mesure d’arriver au système revendiqué sans trop d’essais et erreurs et sans difficultés excessives.

d) Revendications dépendantes 5 et 65 : Production à terre et emplacement à terre

[117] La revendication 5 comprend tous les systèmes des revendications 1 à 4 et ajoute que (1) la source externe d’électricité et de gaz produirait « une partie » de « l’électricité reçue », et que (2) l’emplacement à terre consisterait notamment en une jetée, un quai, et un emplacement sur le rivage ou près du rivage. La revendication 65 comprend toute méthode des revendications 56 à 64, ajoutant que la source externe d’électricité produirait « toute » cette électricité.

[118] La diapositive 15 de Sullivan 2017 et la diapositive 15 de Sullivan 2016 indiquent toutes deux que la source d’énergie pourrait être [traduction] « arrangée à partir [du] réseau terrestre ». Toutefois, cela indique simplement que la source d’électricité pourrait être externe à l’IFGNL, qu’elle pourrait être terrestre et qu’elle pourrait dépendre du réseau. Je ne pense pas que cela indique que la source elle-même produit de l’électricité. La diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 révèlent la présence d’un générateur d’électricité, mais ce générateur n’est pas externe à l’installation.

[119] Il convient de rappeler ici que les revendications 5 et 65 précisent, respectivement, que [traduction] « la source externe génère une partie de l’électricité reçue » et qu’elle [traduction] « génère toute l’électricité reçue avec un générateur d’électricité » [c’est nous qui soulignons]. D’après ce que je comprends, le terme « générer » ici signifie que la source externe est impliquée dans un procédé qui convertit une source de combustible en électricité à proximité de l’appareil maritime. Cette électricité est ensuite fournie pour alimenter l’appareil maritime.

[120] Aucune des présentations de M. Sullivan ne divulgue la génération d’énergie à terre ni toute autre forme de production d’énergie externe. Par conséquent, en l’absence de cette divulgation, les revendications 5 et 65 ne sont pas antériorisées par les présentations de M. Sullivan.

a) Revendications dépendantes 7 et 8 : Amarrage

[121] La revendication 7 comprend tout système des revendications 1 à 6 et ajoute que (1) [traduction] « l’un des côtés, bâbord ou tribord, de l’appareil maritime peut être amarré à une structure ancrée ou attachée ou reliée de façon quelconque au rivage ». La revendication 8 comprend le système de la revendication 7, et ajoute que (2) [traduction] « on peut accéder à l’un des côtés, bâbord ou tribord, grâce à une structure de passerelle ».

[122] La diapositive 16 de Sullivan 2017 montre plusieurs installations flottantes de GNL amarrées le long de leur côté bâbord ou tribord à une passerelle reliée au rivage. La diapositive 20 de Sullivan 2016 montre également trois IFGNL amarrées le long de leur côté bâbord ou tribord à une passerelle reliée au rivage. Chacune de ces diapositives divulgue les éléments des revendications 7 et 8 et permet à la personne versée dans l’art de comprendre leur objet. Ces revendications sont antériorisées.

b) Revendication dépendante 13 : Séparateur

[123] La revendication 13 dépend de tout système des revendications 1 à 12, et ajoute que (1) [traduction] « le système AER comprend au moins un train de réfrigération », et (2) [traduction] « chaque train de réfrigération, du ou des trains de réfrigération, est constitué d’une partie des compresseurs à entraînement électrique, d’une partie des refroidisseurs à air, et de séparateurs ».

[124] La diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 montrent toutes deux une installation flottante de GNL près du rivage dotée de plusieurs trains de liquéfaction. Et comme nous l’avons vu plus haut, chacune des présentations de M. Sullivan divulgue des compresseurs à entraînement électrique et des refroidisseurs à air en tant qu’options pour le système de liquéfaction.

[125] L’expert d’ARC affirme que la personne versée dans l’art saurait qu’un train de liquéfaction comprend nécessairement plusieurs séparateurs, puisqu’ils servent à séparer le gaz liquéfié de la vapeur de gaz. L’expert de Steelhead ajoute que [traduction] « une personne versée dans l’art comprendrait également que l’on dispose généralement d’un séparateur par compresseur ou par étape de compression ». Je suis de son avis.

[126] Par conséquent, en plus de divulguer les autres éléments de la revendication 13, les présentations de M. Sullivan divulguent également chacune des séparateurs simplement du fait qu’elles divulguent l’existence de trains de liquéfaction. Les divulgations permettraient également à la personne versée dans l’art de comprendre l’objet de la revendication 13 et d’arriver à cet objet. Cette revendication est par conséquent antériorisée.

c) Revendications dépendantes 14, 38 et 64: procédé DMR

[127] La revendication 14 comprend le système de la revendication 13, dans lequel les trains de réfrigération sont [traduction] « configurés de manière opérationnelle pour exécuter un procédé [DMR] ».

[128] La revendication 38 revendique tout appareil des revendications 36 ou 37, où chaque train de réfrigération [traduction] « comprend un échangeur de chaleur pour le pré-refroidissement, un circuit de réfrigération à mélange chaud, un circuit de réfrigération à mélange froid, un détendeur thermostatique et un ballon de revaporisation de fin de procédé ». Les deux experts s’accordent à dire qu’il s’agit d’éléments du procédé DMR et que ce procédé de réfrigération est essentiellement l’objet de la revendication 38.

[129] La revendication 64 comprend l’une ou l’autre des revendications 56 à 63, dans laquelle le système AER permet d’effectuer un procédé DMR.

[130] Le procédé DMR est divulgué dans la diapositive 11 de Sullivan 2017 et la diapositive 9 de Sullivan 2016 présente l’un des trois procédés de liquéfaction qui font partie des options. J’ai déjà conclu que le procédé DMR relève des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Ainsi, cette personne serait en mesure de comprendre comment le procédé DMR divulgué dans les présentations de M. Sullivan s’applique au concept d’installation flottante de GNL. Elle pourrait donc réaliser l’objet des revendications 14, 38 et 64. Ces revendications sont antériorisées.

d) Revendication dépendante 26 : Réservoirs à membrane

[131] La revendication 26 porte sur tout appareil des revendications 21 à 25, dans lesquelles chaque réservoir de stockage de GNL est un réservoir à membrane, et chaque réservoir à membrane comprend une membrane inférieure qui définit un volume de stockage et une membrane supérieure qui scelle le volume de stockage. À mon avis, la distinction entre la membrane inférieure et la membrane supérieure d’un réservoir est redondante. J’explique ce point dans mon analyse de l’antériorité des revendications 19, 20 et 26 fondée sur les articles de M. Talib.

[132] Les réservoirs à membrane sont divulgués dans la diapositive 15 de Sullivan 2017 et Sullivan 2016. Les deux présentations indiquent que [traduction] « les [réservoirs] à membrane standard sont réalisables » en tant qu’options de stockage du GNL. L’expert d’ARC cite également la diapositive 13 de Sullivan 2017, qui n’a pas d’équivalent dans Sullivan 2016. La diapositive 13 montre des réservoirs de stockage de GNL qui, selon l’expert d’ARC, seraient considérés par une personne versée dans l’art comme des réservoirs à membrane en raison de leur forme et de leur conception. Je suis de cet avis.

[133] Ces divulgations permettent à la personne versée dans l’art de réaliser l’objet revendiqué. La revendication 26 est donc antériorisée.

e) Revendications dépendantes 36 et 37 : Composantes du système AER

[134] La revendication 36 comprend tout appareil des revendications 21 à 35, où (1) les modules du système AER [traduction] « comprennent au moins un train de réfrigération », (2) chaque train de réfrigération [traduction] « comprend une partie des compresseurs à entraînement électrique et une partie des refroidisseurs à air », et (3) [traduction] « l’échangeur de chaleur cryogénique comprend un échangeur de chaleur cryogénique séparé pour chaque » train de réfrigération. La revendication 37 comprend l’appareil de la revendication 36 et ajoute que les trains de réfrigération comprennent (4) [traduction] « un premier train de réfrigération configuré fonctionnellement pour recevoir une première partie du gaz d’alimentation et produire une première partie du GNL », et (5) [traduction] « un deuxième train de réfrigération configuré fonctionnellement pour recevoir une deuxième partie du gaz d’alimentation et produire une deuxième partie du GNL », les deux trains étant indépendants l’un de l’autre.

[135] J’ai déjà constaté que les présentations de M. Sullivan divulguent chacune plusieurs trains de réfrigération qui utilisent des compresseurs à entraînement électrique et des refroidisseurs à air. L’expert d’ARC affirme que la personne versée dans l’art comprendrait que la présence de plusieurs trains de réfrigération indique qu’ils fonctionnent indépendamment les uns des autres. Je suis de cet avis.

[136] Les éléments des revendications 36 et 37 sont ainsi divulgués et la personne versée dans l’art pourrait comprendre et réaliser l’objet de ces revendications sans difficulté excessive. Les revendications 36 et 37 sont antériorisées.

f) Revendication dépendante 39 : Configuration équilibrée du pont supérieur

[137] La revendication 39 comprend l’appareil de la revendication 37, où (1) [traduction] « la coque définit un côté bâbord, un côté tribord, et un axe dans la partie centrale du navire qui va de bâbord à tribord au centre de la coque », (2) [traduction] « une partie substantielle du premier train de réfrigération est à l’arrière de l’axe central du navire et une partie substantielle du second train est à l’avant de l’axe central du navire », et (3) [traduction] « le poids des trains de réfrigération s’équilibre autour de l’axe pour stabiliser l’appareil ».

[138] Les présentations de M. Sullivan divulguent toutes deux divers exemples d’installations flottantes de GNL, toutes dotées d’une coque avec un côté bâbord, un côté tribord et un axe central. Cependant, seule Sullivan 2017 divulgue un exemple où deux trains de liquéfaction s’équilibrent l’un l’autre de chaque côté de l’axe médian du navire. En particulier, les diapositives 12 et 13 de Sullivan 2017 montrent une conception d’IFGNL près du rivage où deux trains de liquéfaction DMR s’équilibrent en conséquence. Ainsi, seule Sullivan 2017 divulgue les éléments de la revendication 39. Je suis d’avis que cette divulgation permettrait à la personne versée dans l’art de comprendre et de réaliser l’objet de la revendication 39.

[139] Par conséquent, la revendication 39 est antériorisée par Sullivan 2017, mais pas par Sullivan 2016.

g) Revendication dépendante 41 : Prétraitement et source à terre

[140] La revendication 41 comprend tout appareil des revendications 21 à 40, et ajoute que (1) le gaz d’alimentation serait [traduction] « au moins partiellement prétraité », et que (2) la source externe comprend au moins une source terrestre [traduction] « en communication avec l’appareil maritime ».

[141] J’ai déjà discuté du prétraitement (voir les paragraphes des présents motifs concernant les revendications 2 et 3), lorsque j’ai conclu qu’il était divulgué. La même conclusion s’applique ici.

[142] Quant au deuxième élément, d’après ce qu’en comprennent les experts, cela signifie qu’une ou plusieurs sources d’électricité ou de gaz seraient situées à terre et que ces sources seraient connectées à l’appareil maritime. Cela est divulgué dans les diapositives 14 et 15 de Sullivan 2017 et Sullivan 2016, qui soulignent que le gaz d’alimentation proviendrait d’un « pipeline », que le lieu de prétraitement pourrait être à terre et que l’alimentation électrique serait le réseau à terre. Ces diapositives divulguent le deuxième élément, et la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’objet de la revendication 41 en se fondant sur cette divulgation.

[143] Ainsi, la revendication 41 est antériorisée par chacune des présentations de M. Sullivan.

h) Revendication dépendante 42 : Sources séparées et non propulsion

[144] La revendication 42 comprend tout appareil des revendications 21 à 41, et ajoute que (1) [traduction] « l’appareil maritime est configuré pour fonctionner sans nécessiter de système de propulsion et sans nécessiter de système de production d’énergie non urgent », et que (2) [traduction] « la source externe comprend une première source pour l’électricité et une seconde source pour le gaz d’alimentation ».

[145] Les experts s’accordent à dire que la revendication 42 signifie en partie que l’appareil maritime ne serait pas autopropulsé, soit parce qu’il n’a pas de système de propulsion, soit parce que le système installé, le cas échéant, ne serait pas utilisé. Ils conviennent également que la revendication 42 exclut que l’appareil soit équipé d’un système de production d’énergie sur le bâtiment même, à moins qu’il ne s’agisse d’un système d’urgence. Les experts conviennent également que la référence à une « première source » et à une « deuxième source » signifie que la source d’électricité est distincte de la source de gaz d’alimentation.

[146] Les diapositives 14 et 15 de Sullivan 2017 et les diapositives 14 et 15 de Sullivan 2016 révèlent que l’installation flottante de GNL pourrait être alimentée par le réseau terrestre et que la source de gaz pourrait être un pipeline. Cela permet à la personne versée dans l’art de comprendre que l’IFGNL pourrait être entièrement alimentée par le réseau terrestre. La personne versée dans l’art pourrait également comprendre que le réseau électrique terrestre et le pipeline sont deux sources distinctes.

[147] Je suis d’accord avec l’expert d’Arc pour dire que la personne versée dans l’art saurait, grâce à ses connaissances générales courantes, qu’une IFGNL à proximité du rivage peut être remorquée à l’emplacement souhaité et qu’elle n’a donc pas besoin d’un système de propulsion. Étant donné que les conceptions d’IFGNL décrites par Sullivan 2017 et Sullivan 2016 n’exigent pas explicitement un système de propulsion, la personne versée dans l’art serait en mesure de comprendre qu’un système de propulsion n’est pas nécessaire.

[148] La revendication 42 est donc antériorisée.

i) Revendications dépendantes 58 et 59 : Production de GNL

[149] La revendication 58 comprend la méthode de l’une ou l’autre des revendications 56 et 57, où la méthode comprend également [traduction] « l’acheminement du GNL à travers le pont supérieur lorsque le GNL sort du système AER et de la pluralité de réservoirs de stockage de GNL ». La revendication 58 renvoie essentiellement à une ou plusieurs ouvertures aménagées dans le pont supérieur qui permettent d’accéder aux réservoirs de stockage de GNL situés sous le pont. Le GNL produit à la fin de la méthode de liquéfaction serait acheminé dans les réservoirs de stockage par ces ouvertures. Ces ouvertures serviraient également à acheminer le GNL des réservoirs au navire de transport de GNL.

[150] La revendication 59 comprend la méthode de la revendication 58, où la méthode comprend également [traduction] « l’acheminement du GNL à travers un port [d’entrée-sortie] à proximité de l’axe central de l’appareil pour sortir le GNL de la pluralité de réservoirs de stockage de GNL et le faire parvenir à un navire de transport de GNL qui est distinct de l’appareil maritime ». Je comprends que la revendication 59 renvoie essentiellement à un port d’entrée-sortie (« E/S ») situé approximativement au milieu du bâtiment et qui est connecté aux réservoirs de stockage de GNL. Le GNL peut alors être acheminé des réservoirs de stockage, par le port, à un navire de transport de GNL.

[151] Comme je l’ai déjà mentionné, la diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 montrent toutes deux trois trains de liquéfaction et font allusion à l’existence de réservoirs de stockage sous le pont. L’expert d’ARC soutient que la personne versée dans l’art saurait, grâce à ses connaissances générales courantes, que l’acheminement du GNL des trains de liquéfaction aux réservoirs de stockage exigerait nécessairement l’existence d’ouvertures reliant le pont supérieur aux réservoirs de stockage. Je conviens que cela équivaut à la divulgation du mécanisme d’acheminement dont il est question dans la revendication 58, qui permettrait à la personne versée dans l’art de comprendre et d’atteindre l’objet de la revendication.

[152] La diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 montrent toutes deux un « bras de déchargement ». L’expert d’ARC explique que la personne versée dans l’art comprendrait le terme « bras de déchargement » comme désignant un type de tuyau ou un groupe de tuyaux pouvant résister à des températures cryogéniques et utilisé pour acheminer le GNL des réservoirs de stockage de l’installation jusqu’à un navire de transport de GNL. Je suis convaincu que cela divulgue le « port E/S » dont il est question dans la revendication 59, de manière à permettre à la personne versée dans l’art de comprendre et d’atteindre l’objet de cette revendication.

[153] Par conséquent, les présentations de M. Sullivan antériorisent les revendications 58 et 59.

(5) Talib 2014 ou Talib 2013 antériorise-t-il l’objet des revendications 1‑3, 5, 10, 13‑16, 18‑22, 26, 36‑38, 41, 42, 56‑59, 64‑67, 70 et 82‑84 du brevet 085?

a) Revendication indépendante 1

[154] La revendication indépendante 1 est antériorisée de façon distincte par Talib 2014 et Talib 2013.

[155] Dans Talib 2014 :

  • 1.Le tableau 1 mentionne « réseau/production terrestre » comme option pour l’alimentation de l’installation;

  • 2.le dernier paragraphe de la page 41 et le premier paragraphe de la page 43 expliquent que l’installation flottante de GNL près du rivage proposée serait utilisée pour convertir du « gaz de pipeline » et que cette installation desservirait « plusieurs pipelines » et « de nombreux sites »;

  • 3.le dernier paragraphe de la page 41, la figure 7 et l’article dans son ensemble portent principalement sur les IFGNL qui ont une « structure de barge » et qui sont [traduction] « près du rivage, dans des eaux protégées et/ou à quai »;

  • 4.La figure 7 donne un [traduction] « [e]xemple d’une configuration de barge dotée d’un entraînement par moteur électrique et d’un refroidissement par air »;

  • 5.l’avant-dernier paragraphe de la page 44 traite de « trains [de liquéfaction] multiples » et de « modules de liquéfaction plus petits »;

  • 6.La figure 2 illustre un procédé de réfrigération dans lequel le « gaz d’alimentation » prétraité est un intrant du procédé et les compresseurs sont actionnés par des moteurs électriques;

  • 7.le troisième paragraphe de la page 41, les trois derniers paragraphes de la page 44 et les deux premières lignes de la page 46 traitent du procédé SMR, des trains de liquéfaction multiples;

  • 8.les figures 2, 3 et 5, ainsi que les premiers paragraphes de la page 42, présentent un « échangeur [de chaleur] principal », un « échangeur de chaleur à réfrigérant », et diverses méthodes de liquéfaction telles que SMR, DMR et C3-MR qui reposent sur des échangeurs de chaleur cryogéniques;

  • 9.Talib 2014 dans son ensemble porte sur les installations flottantes de GNL;

  • 10.la figure 7 et le tableau 1 proposent tous deux l’utilisation de refroidisseurs à air;

  • 11.les figures 2 et 5 indiquent que le GNL produit par l’installation serait stocké;

  • 12.le tableau 1 et la page 45 présentent les réservoirs de stockage de la barge situés sous le pont, et la figure 6 illustre l’exemple de réservoirs placés en une seule rangée le long de l’axe longitudinal de la coque;

  • 13.la figure 9 et le deuxième et le sixième paragraphe de la page 45 indiquent que les réservoirs de GNL de l’installation pourraient être déchargés périodiquement sur des méthaniers.

[156] Dans Talib 2013 :

  • 1.le tableau 7 mentionne « réseau/production à terre » comme option pour l’alimentation de l’installation;

  • 2.le dernier paragraphe de la section Résumé explique que l’IFGNL près du rivage proposée serait utilisée pour convertir du « gaz de pipeline »;

  • 3.les figures 9 à 11 montrent différentes conceptions de barges, et le deuxième paragraphe de la section Résumé indique qu’une IFGNL pourrait être placée à proximité du rivage;

  • 4.la figure 9 donne l’[traduction] « [e]xemple d’une configuration de barge dotée d’un entraînement par moteur électrique et d’un refroidissement par air »;

  • 5.le troisième paragraphe de la section Résumé mentionne la possibilité d’utiliser plusieurs trains de liquéfaction;

  • 6.la figure 2 illustre un procédé de réfrigération dans lequel le « gaz d’alimentation » prétraité est un intrant du procédé et les compresseurs sont actionnés par des moteurs électriques;

  • 7.le cinquième et le sixième paragraphe complet de la page 4 indiquent la possibilité d’utiliser plusieurs trains de liquéfaction, qui pourraient dépendre de moteurs électriques ;

  • 8.les figures 2 et 6, ainsi que les paragraphes trois à six de la page 2, divulguent un « échangeur [de chaleur] principal » et un « échangeur de chaleur à réfrigérant »;

  • 9.Talib 2013 dans son ensemble porte sur les installations flottantes de GNL;

  • 10.les figures 7 et 9 proposent toutes deux l’utilisation de refroidisseurs à air;

  • 11.les figures 2 et 6 indiquent que le GNL produit par l’installation serait stocké;

  • 12.La figure 7 indique la présence de réservoirs de stockage à bord de la barge, sous le pont, et la figure 8 illustre l’exemple de réservoirs placés sur une seule rangée le long de l’axe longitudinal de la coque;

  • 13.l’avant-avant-dernier paragraphe de la page 4 indique que les réservoirs de GNL de l’installation pourraient être déchargés périodiquement sur des méthaniers.

[157] la personne versée dans l’art, dotée de connaissances générales courantes, comprendrait, à partir des caractéristiques ci-dessus de Talib 2014 et de Talib 2013, et dans le même ordre, que l’installation flottante de GNL :

  • 1.pourrait être raccordée à une source d’électricité externe;

  • 2.serait raccordée à une alimentation externe en gaz naturel;

  • 3.serait amarrée et comprendrait nécessairement une coque avec une proue, une poupe et un axe longitudinal;

  • 4.pourrait inclure un système AER (c’est-à-dire des refroidisseurs à air et des compresseurs électriques) pour la réfrigération;

  • 5.utiliserait un ou plusieurs modules de liquéfaction assemblés par construction modulaire;

  • 6.alimenterait le processus de réfrigération en gaz d’alimentation et en électricité;

  • 7.utiliserait une pluralité de compresseurs à entraînement électrique;

  • 8.utiliserait des échangeurs de chaleur cryogéniques;

  • 9.placerait les systèmes de liquéfaction sur l’appareil maritime;

  • 10.pourrait libérer la chaleur thermique du procédé de liquéfaction dans l’air ambiant;

  • 11.placerait le GNL produit par l’installation dans une unité de stockage;

  • 12.pourrait comprendre une pluralité de réservoirs de stockage le long de l’axe longitudinal de la coque pour recevoir le GNL produit;

  • 13.permettrait de charger le GNL stocké sur un navire de transport séparé.

[158] La personne versée dans l’art, dotée de connaissances générales courantes, discernerait tous ces éléments directement et sans difficulté à partir de Talib 2014 et de Talib 2013, dans chacun des articles. Étant donné que ces éléments constituent tous les éléments essentiels de la revendication indépendante 1, cette revendication est divulguée par chacun des articles de M. Talib.

[159] Les divulgations de chacun des articles de M. Talib sont suffisantes pour permettre à la personne versée dans l’art de comprendre et de trouver la divulgation de l’objet de la revendication indépendante 1. Notamment, le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 proposent tous deux des compresseurs à entraînement électrique, des refroidisseurs à air, le stockage du GNL sur la barge et l’obtention d’électricité à partir d’une source externe à terre comme options de conception possibles pour l’installation. La figure 7 de Talib 2014 et la figure 9 de Talib 2013 divulguent également une [traduction] « configuration de barge avec un entraînement par moteur électrique et un refroidissement à air ». Les deux articles expliquent respectivement à la page 45 et à la page 4 que [traduction] « ces choix peuvent être faits avec ou sans stockage de GNL à bord ». Une personne versée dans l’art comprendrait sans difficulté excessive que chacun des articles de M. Talib divulgue l’objet revendiqué par la revendication 1.

[160] Je conclus que les deux articles de M. Talib antériorisent la revendication 1.

b) Revendications indépendantes 21 et 56

[161] La revendication indépendante 21 fait état de l’appareil maritime essentiellement tel qu’il est décrit dans la revendication 1, ajoutant que les réservoirs de stockage de GNL [traduction] « sont sur le pont inférieur de la coque ». La revendication indépendante 56 fait état de la méthode AER essentiellement telle qu’elle est décrite dans la revendication 1. Tout art antérieur qui antériorise tous les éléments essentiels du système de la revendication 1 antériorise nécessairement aussi l’appareil maritime et la méthode AER des revendications 21 et 56.

[162] Étant donné que les articles de M. Talib divulguent et permettent de réaliser l’objet de la revendication 1, et que la figure 6 de Talib 2014 et la figure 8 de Talib 2013 divulguent toutes deux l’existence de réservoirs de stockage sous le pont, je suis convaincu que les articles de M. Talib antériorisent également l’appareil de la revendication 21 et la méthode de la revendication 56. Il s’ensuit que les deux articles de M. Talib antériorisent la revendication 21 et la revendication 56.

c) Revendication indépendante 67

[163] La revendication indépendante 67 revendique l’appareil maritime essentiellement tel qu’il est décrit dans la revendication 1, où les réservoirs de stockage se trouvent sous le pont. L’appareil comprend également (1) une pluralité de capteurs pour soutenir les fonctions coordonnées entre l’appareil maritime et la source externe, et (2) un moyen de recevoir et d’envoyer des communications depuis et vers (3) une unité de contrôle servant à commander les fonctions coordonnées.

[164] Le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 envisagent le stockage du GNL sur une barge, « sous le pont ». La figure 6 de Talib 2014 et la figure 8 de Talib 2013 montrent toutes deux un exemple de barge hébergeant une rangée de réservoirs sous le pont le long de l’axe longitudinal. Cela divulgue les réservoirs de stockage sous le pont et permet à la personne versée dans l’art de comprendre et de mettre en œuvre cet aspect de l’invention.

[165] Les quatrième et cinquième paragraphes de la page 43 de Talib 2014 révèlent que la composition et la pression du gaz d’alimentation peuvent être modifiées, que [traduction] « les ajustements du procédé peuvent être traités dans le système de contrôle informatique », et que [traduction] « la variation est accomplie dans le système de contrôle distribué » qui est [traduction] « configuré pour détecter et ajuster le débit selon les changements de charge sur le système ». Talib 2014 ajoute également que [traduction] « le procédé est toujours entièrement contrôlé par l’opérateur au niveau fondamental, là encore au moyen du système de contrôle distribué ». Le tableau 1 de Talib 2014 indique également que la salle de contrôle de l’installation pourrait être située à terre. Talib 2013 contient les mêmes informations que Talib 2014 dans le deuxième paragraphe de la page 3 et à la figure 7.

[166] La personne versée dans l’art comprendrait que ces éléments divulguent un système de contrôle informatisé qui échange des données avec la source de gaz d’alimentation et le système de réfrigération. Selon l’expert d’ARC, la personne versée dans l’art comprendrait également que des capteurs seraient installés tant sur la source de gaz que sur l’installation flottante de GNL. Je suis de cet avis.

[167] L’expert de Steelhead soutient que le système de contrôle décrit dans les articles de M. Talib ne comprend pas la fonction de coordination décrite dans la revendication 67. Toutefois, les deux articles de M. Talib décrivent le « système de contrôle distribué » comme étant [traduction] « configuré pour détecter et ajuster le débit selon les changements de charge sur le système » [non souligné dans l’original]. Ainsi donc, le système assure une fonction de coordination. Par conséquent, les deux articles de M. Talib antériorisent les éléments de la revendication 67.

[168] À mon avis, ces divulgations permettent également à la personne versée dans l’art de comprendre et de réaliser l’invention revendiquée. Je note en particulier que, puisque la personne versée dans l’art saurait, de par ses connaissances générales courantes, qu’une IFGNL comporte généralement des capteurs habilitant une fonction d’automatisation, il lui faudrait peu d’efforts pour parvenir à l’objet de la revendication 67 à la lecture des divulgations des articles de M. Talib. La revendication 67 est antériorisée par les deux articles de M. Talib.

d) Revendications dépendantes 2, 3 et 22 : Prétraitement

[169] Les systèmes des revendications 2 et 3 sont résumés ci-dessus. La revendication 22 comprend l’appareil de la revendication indépendante 21, et précise que le gaz d’alimentation serait exempt « au moins » des hydrocarbures lourds.

[170] Le dernier paragraphe de la page 41 de Talib 2014 indique que la source de gaz d’alimentation serait un « pipeline américain ». Il en va de même pour le deuxième et le dernier paragraphe de la page 1 de Talib 2013. La personne versée dans l’art saurait que le gaz naturel acheminé par un pipeline américain aurait été prétraité pour éliminer les hydrocarbures lourds et les impuretés telles que le dioxyde de carbone, l’eau et le sulfure d’hydrogène.

[171] Dans le premier paragraphe de la page 43 de Talib 2014, l’article indique que les [traduction] « composants C5+ plus lourds [...] doivent être éliminés » du gaz d’alimentation, ainsi que le gaz inerte, le dioxyde de carbone et l’azote (N2). En outre, le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 indiquent que le prétraitement et l’élimination de l’eau du gaz d’alimentation pourraient avoir lieu « à terre » avant que le gaz n’atteigne l’installation.

[172] Je conviens avec l’expert d’ARC que chacun des articles de M. Talib divulgue que le prétraitement du gaz naturel vise à exclure les éléments indésirables, y compris au moins les hydrocarbures lourds. Je conviens également que la personne versée dans l’art serait en mesure d’exécuter l’objet des revendications 2, 3 et 22 en se fondant sur les divulgations précitées. Par conséquent, ces trois revendications sont antériorisées par les deux articles de M. Talib.

e) Revendications dépendantes 5, 65, 83 et 84 : Production à terre et emplacements à terre

[173] J’ai résumé le système de la revendication 5 et la méthode de la revendication 65 ci-dessus. La revendication 83 comprend l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 82, et ajoute que l’emplacement à terre comprendrait (potentiellement parmi d’autres choses) une jetée, un quai, et un emplacement sur le rivage ou positionné proche du rivage. La revendication 84 dépend des revendications 67 à 82, à ceci près que l’emplacement à terre doit consister en une jetée, un quai, et un emplacement sur le rivage ou positionné proche du rivage, à l’exclusion de toute autre option.

[174] Le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 évoquent tous deux la possibilité d’utiliser un « générateur […] à terre » pour alimenter l’installation en électricité. Le tableau suggère également la possibilité d’utiliser le « réseau à terre » pour fournir l’électricité. La personne versée dans l’art comprendrait que la source externe d’électricité peut être soit un réseau terrestre, soit un générateur terrestre. Par extension, la personne versée dans l’art comprendrait que la production à terre peut être utilisée en conjonction avec le réseau pour produire « une partie » de l’électricité. Par conséquent, chacun des articles de M. Talib fait état de la possibilité de produire de l’électricité à la source externe, que ce soit pour répondre à la totalité ou à une partie des besoins de l’installation.

[175] Talib 2014 et Talib 2013 décrivent tous deux l’IFGNL comme étant [traduction] « proche du rivage dans des eaux protégées et/ou à quai ». La personne versée dans l’art comprendrait que ces termes incluent une jetée, un quai, un rivage ou une position proche du rivage. Je suis d’accord avec l’expert d’ARC pour dire que cela constitue une divulgation de ces diverses positions à terre et que la personne versée dans l’art comprendrait que ces positions pourraient être sélectionnées seules ou en combinaison avec d’autres.

[176] La personne versée dans l’art serait en mesure de comprendre que les articles de M. Talib divulguent l’objet des revendications 5, 65, 83 et 84. Par exemple, l’inclusion de « production […] à terre » comme option dans le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 parmi d’autres options de conception pour une IFGNL permettrait à la personne versée dans l’art d’arriver sans difficulté à cette invention revendiquée et d’exécuter cette partie de l’objet revendiqué. En outre, la description claire du concept d’IFGNL comme étant proche du rivage, dans des eaux protégées ou à quai permettrait à la personne versée dans l’art de conclure que l’emplacement à terre pourrait être constitué d’une jetée, d’un quai, d’un emplacement sur le rivage ou proche du rivage, que ce soit la seule option ou en conjonction avec d’autres options. Les revendications 5, 65, 83 et 84 sont anntériorisées par chacun des articles de M. Talib.

f) Revendication dépendante 13 : Séparateurs

[177] La figure 2 de Talib 2014 et la figure 2 de Talib 2013 montrent chacune un procédé de liquéfaction utilisant trois séparateurs. Les articles de M. Talib divulguent également des compresseurs électriques et des refroidisseurs à air en tant qu’options pour le système de liquéfaction.

[178] À l’instar de ma discussion sur la revendication 13 et les présentations de M. Sullivan, je conclus que chacun des articles de M. Talib divulgue des séparateurs simplement du fait qu’ils divulguent l’existence de trains de liquéfaction. Les divulgations permettraient également à la personne versée dans l’art de comprendre l’objet de la revendication 13 et d’arriver à cet objet. Cette revendication est par conséquent antériorisée.

g) Revendications dépendantes 36 et 37 : Composantes du système AER

[179] Comme nous en avons discuté, les articles de M. Talib divulguent chacun plusieurs trains de réfrigération qui utilisent des compresseurs à entraînement électrique et des refroidisseurs à air. La personne versée dans l’art comprendrait que la présence de plusieurs trains de réfrigération indique qu’ils fonctionnent indépendamment les uns des autres. Les éléments des revendications 36 et 37 sont ainsi divulgués et la personne versée dans l’art pourrait comprendre l’objet de ces revendications et y arriver sans difficulté excessive. Les revendications 36 et 37 sont antériorisées par les deux articles de M. Talib.

h) Revendications dépendantes 14, 38 et 64 : Procédé à cycle de refroidissement double (DMR)

[180] Le procédé DMR est décrit dans les deux articles de M. Talib. Le troisième paragraphe de la page 42 de Talib 2014 explique que le procédé DMR peut être utilisé pour être à l’échelle des opérations d’une IFGNL. Le premier paragraphe de la page 2 de Talib 2013 contient un énoncé similaire. En outre, j’ai déjà conclu que le procédé DMR relève des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Par conséquent, à la lecture des articles de M. Talib concernant le processus DMR, la personne versée dans l’art comprendrait comment ce processus s’applique au concept d’installation flottante de GNL et serait en mesure de réaliser l’objet des revendications 14, 38 et 64. Ces revendications sont donc antériorisées.

i) Revendication dépendante 41 : Prétraitement et source à terre

[181] Les deux experts ont compris que le premier élément signifiait que le gaz d’alimentation subissait au moins un prétraitement avant d’atteindre l’appareil maritime. J’ai déjà discuté du prétraitement ci-dessus (voir les revendications 2, 3 et 22), et j’ai constaté qu’il était prévu. La même conclusion s’applique ici.

[182] Quant au deuxième élément, d’après ce qu’en comprennent les experts, cela signifie qu’une ou plusieurs sources d’électricité ou de gaz seraient situées à terre et que ces sources seraient connectées à l’appareil maritime. Comme je l’ai noté ci-dessus pour les revendications 5 et 65, le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 évoquent tous deux la possibilité d’utiliser un « réseau/générateur [...] à terre » pour alimenter l’installation en électricité. En outre, le dernier paragraphe de la page 41 de Talib 2014 et la première page de Talib 2013 indiquent tous deux que la source de gaz d’alimentation serait un « pipeline américain », ce que la personne versée dans l’art comprendrait comme incluant des pipelines terrestres. Ces possibilités révèlent une configuration où au moins une source externe d’électricité ou de gaz se trouve à terre et est connectée à l’appareil maritime. De même, la personne versée dans l’art serait en mesure de parvenir à cette configuration sans trop de difficultés.

[183] Puisque les deux éléments sont divulgués et rendus réalisables, la revendication 41 est antériorisée.

j) Revendications dépendantes 15, 16, 18, 66 et 82 : Contrôleurs et capteurs

[184] La revendication 15 comprend tout système des revendications 1 à 14, où (1) le gaz d’alimentation est au moins partiellement prétraité, (2) la source externe comprend au moins une source terrestre, et (3) le système divulgué comprend également un [traduction] « contrôleur avec la ou une au moins des sources terrestres et l’appareil maritime ». La revendication 16 comprend le système de la revendication 15 et ajoute que (4) le système comprend également [traduction] « une pluralité de capteurs comprenant des capteurs de la ou une au moins des sources terrestres et des capteurs de l’appareil maritime ». La revendication 18 comprend les systèmes des revendications 15 à 17, ajoutant que (5) le contrôleur comprend un ou plusieurs dispositifs situés à distance de l’appareil maritime et la ou une au moins des sources à terre.

[185] De manière similaire aux revendications 15, 16 et 18, la revendication 66 comprend toute méthode des revendications 56 à 65, ajoutant que la méthode revendiquée comprend [traduction] « le fonctionnement et le contrôle de l’appareil maritime et de la source externe avec un contrôleur en communication à la fois avec la source externe et l’appareil maritime ».

[186] En outre, la revendication 82 concerne tout appareil des revendications 67 à 80, où [traduction] « le contrôleur est externe à l’appareil maritime ».

[187] J’ai discuté du prétraitement (voir les revendications 2, 3, 22 et 41) et les sources à terre (voir la revendication 41) et j’ai constaté qu’ils étaient anticipés. J’ai également discuté des contrôleurs, des capteurs et des moyens de communication entre les deux (voir revendication 67) et j’ai constaté que tous ces éléments étaient anticipés. Il en va de même ici.

[188] Le seul élément remarquable par rapport à ceux divulgués ci-dessus est l’emplacement du contrôleur, que les revendications 18 et 82 décrivent comme « à distance » et « externe » par rapport à l’appareil maritime. En outre, le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 indiquent tous deux que la salle de contrôle de l’installation pourrait être située à terre. Le contrôleur est ainsi placé à distance et à l’extérieur, ce qui permet à la personne versée dans l’art d’arriver à cette caractéristique de conception.

[189] Par conséquent, les revendications 15, 16, 18, 66 et 82 sont antériorisées par chacun des articles de M. Talib.

k) Revendications dépendantes 19, 20 et 26 : Réservoirs à membrane

[190] La revendication 19 comprend tout système des revendications 1 à 18, et ajoute que chaque réservoir de stockage de GNL est un réservoir à membrane. La revendication 20 comprend le système de la revendication 19, et ajoute que chaque réservoir à membrane [traduction] « comprend une membrane inférieure qui définit un volume de stockage et une membrane supérieure qui scelle le volume de stockage ». La revendication 26 porte sur toute méthode des revendications 21 à 25, dans lesquelles chaque réservoir de stockage de GNL est un réservoir à membrane, et chaque réservoir à membrane comprend une membrane inférieure qui définit un volume de stockage et une membrane supérieure qui scelle le volume de stockage.

[191] Le cinquième paragraphe de la page 45 de Talib 2014 et la page 5 de Talib 2013 indiquent tous deux que [traduction] « les systèmes de confinement à membrane de GNL sur la coque serait une option » pour le stockage à grande échelle. Je suis d’accord avec l’expert d’ARC pour dire que cela divulgue la possibilité d’utiliser des réservoirs à membrane. Étant donné que la personne versée dans l’art aurait connaissance des réservoirs à membrane dans le cadre de ses connaissances générales courantes, cette divulgation suffirait à permettre à la personne versée dans l’art d’exécuter cet élément - c’est-à-dire d’arriver à une configuration de conception qui utilise des réservoirs à membrane pour le stockage de GNL. La revendication 19 est antériorisée.

[192] En ce qui concerne la différenciation entre membranes inférieures et membranes supérieures d’une part et réservoirs à membrane d’autre part, cette distinction ne semble pas avoir d’importance pratique. Les deux experts le reconnaissent d’ailleurs dans une certaine mesure : L’expert de Steelhead affirme que la personne versée dans l’art comprendrait que la distinction renvoie à des parties du réservoir à membrane; tandis que l’expert d’ARC va plus loin et affirme qu’il existe une redondance, chacun des éléments des revendications 19, 20 et 26 revendiquant des réservoirs à membrane en soi.

[193] Je conviens que tous les éléments des revendications 19, 20 et 26 revendiquent des réservoirs à membrane en soi. Je ne vois pas de distinction entre revendiquer des réservoirs à membrane et revendiquer les deux moitiés aux fins de ce brevet. Par conséquent, comme la revendication 19, les revendications 20 et 26 sont également antériorisées par les deux articles de M. Talib.

l) Revendication dépendante 42 : Système de propulsion et sources séparées

[194] Comme dans les présentations de M. Sullivan, le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 indiquent tous deux que l’IFGNL pourrait être alimentée par un réseau terrestre. Cela permet à la personne versée dans l’art de comprendre que l’IFGNL pourrait être entièrement alimentée par le réseau terrestre.

[195] Chacun des articles de M. Talib précise également à diverses reprises que le gaz d’alimentation pourrait provenir d’un pipeline. La personne versée dans l’art serait également en mesure de comprendre que le réseau électrique terrestre et le pipeline sont deux sources distinctes.

[196] Enfin, comme pour les présentations de M. Sullivan, je suis d’accord avec l’expert d’ARC pour dire que la personne versée dans l’art saurait, grâce à ses connaissances générales, qu’une installation flottante de GNL près du rivage n’a pas besoin d’un système de propulsion. Étant donné que les conceptions d’IFGNL décrites dans l’un ou l’autre des articles de M. Talib n’exigent pas explicitement un système de propulsion, la personne versée dans l’art serait en mesure de comprendre qu’un système de propulsion n’est pas nécessaire.

[197] La revendication 42 est antériorisée par les deux articles de M. Talib.

m) Revendication dépendante 57 : Prétraitement et emplacement à terre

[198] La revendication 57 comprend la méthode de la revendication 56 et ajoute que (1) le gaz d’alimentation exclurait les hydrocarbures lourds, et que (2) l’emplacement à terre consisterait en une jetée, un quai, et un emplacement sur le rivage ou près du rivage. J’ai déjà discuté des deux éléments précités (voir les revendications 2, 3 et 22 pour le premier élément, et les revendications 5, 65 et 83 pour le deuxième), et j’ai conclu que les deux articles de M. Talib divulguaient et rendaient réalisables ces éléments. La même conclusion s’applique ici.

n) Revendications dépendantes 58 et 59 : Sortie du GNL

[199] Comme dans les présentations de M. Sullivan, la figure 6 de Talib 2014 et la figure 8 de Talib 2013 montrent chacune un exemple de barge où la liquéfaction se produit sur le pont supérieur et où les réservoirs de stockage sont situés sous le pont. L’expert d’ARC soutient que la personne versée dans l’art saurait, grâce à ses connaissances générales courantes, que pour pouvoir acheminer le GNL des trains de liquéfaction aux réservoirs de stockage il faut nécessairement qu’il y ait des ouvertures reliant le pont supérieur aux réservoirs de stockage. Cela équivaut à la divulgation du mécanisme d’acheminement dont il est question dans la revendication 58, qui permettrait à la personne versée dans l’art de comprendre et d’atteindre l’objet de la revendication.

[200] La figure 7 de Talib 2014 et la figure 9 de Talib 2013 montrent également toutes deux un bras de déchargement. Là encore, la personne versée dans l’art comprendrait que cela renvoie à une pièce pouvant résister à des températures cryogéniques et utilisée pour acheminer le GNL des réservoirs de stockage de l’installation jusqu’à un navire de transport de GNL. Cela divulgue le « port E/S » dont il est question dans la revendication 59, de manière à permettre à la personne versée dans l’art de comprendre et d’atteindre l’objet de cette revendication.

o) Revendication dépendante 70 : Fonctions coordonnées

[201] La revendication 70 comprend l’une ou l’autre des revendications 67 à 69, où (1) le système AER [traduction] « comprend un ou plusieurs trains de réfrigération » et (2)  [traduction] « les fonctions coordonnées [de la revendication 67] comprennent la gestion d’un ou de plusieurs trains de réfrigération par l’intermédiaire du contrôleur » . J’ai déjà discuté du premier élément dans les présents motifs (voir la revendication 13). J’ai conclu dans ce cas, comme je le fais ici, que cet élément est antériorisé par les deux articles de M. Talib.

[202] Quant au deuxième élément, je souligne à nouveau le quatrième et le cinquième paragraphe de la page 43 de Talib 2014 et le deuxième paragraphe de la page 3 de Talib 2013. Tous deux indiquent que le système de commande contrôlerait le « flux de réfrigérant ». Cela signifie que le contrôleur décrit dans les articles régule nécessairement les trains de réfrigération et communique avec eux. Le deuxième élément est donc divulgué. En outre, comme pour la revendication 67, la personne versée dans l’art serait en mesure d’exécuter cet élément sans difficulté excessive. La revendication 70 est antériorisée par les deux articles de M. Talib.

(6) Résumé des conclusions relatives à l’antériorité

[203] Voici mes conclusions :

  • 1.Sullivan 2017 antériorise les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 13, 14, 21, 26, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 56, 58, 59 et 64.

  • 2.Sullivan 2016 antériorise les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 13, 14, 21, 26, 36, 37, 38, 41, 42, 56, 58, 59 et 64.

  • 3.Talib 2014 antériorise les revendications 1, 2, 3, 5, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 26, 36, 37, 38, 41, 42, 56, 57, 58, 59, 64, 65, 66, 67, 70, 82, 83 et 84.

  • 4.Talib 2013 antériorise les revendications 1, 2, 3, 5, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 26, 36, 37, 38, 41, 42, 56, 57, 58, 59, 64, 65, 66, 67, 70, 82, 83 et 84.

[204] Comme je l’ai déjà indiqué, les revendications dépendantes ne sont antériorisées que dans la mesure où elles dépendent d’autres revendications qui sont antériorisées, et pas autrement. Par ailleurs, les revendications suivantes ne sont antériorisées ni par les articles de M. Talib ni par les présentations de M. Sullivan : 4, 6, 9, 10, 11, 12, 17, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 40, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 60, 61, 62, 63, 68, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80 et 81.

C. L’évidence

[205] La Cour suprême du Canada a décrit au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi la démarche à quatre volets de l’analyse de l’évidence :

1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[206] J’ai déjà décrit la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes aux dates pertinentes. Les conclusions que j’ai tirées à ces égards sont tout aussi applicables pour le premier volet de l’analyse de l’évidence en l’espèce.

[207] Dans le cadre du deuxième volet, la Cour doit déterminer l’« idée originale » de la revendication, au besoin par voie d’interprétation. L’« idée originale » est « la solution enseignée par le brevet ». Il s’agit de l’aboutissement vers lequel la revendication fait progresser la technique (Société Bristol‑Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 aux para 65‑66). L’analyse de l’évidence se fonde ultimement sur l’interprétation des revendications (Tearlab, au para 82). Cependant, dans certains cas, il peut s’avérer difficile de déterminer l’idée originale, et la Cour peut simplement s’en remettre à l’interprétation de la revendication sans qu’il soit nécessaire d’approfondir le sujet (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc, 2017 CAF 225 [Ciba] aux para 76‑77; Tearlab, aux para 76‑78). Cela ne signifie pas pour autant que la Cour devrait contourner l’idée originale systématiquement (Apotex Inc c Shire LLC, 2018 CF 637 aux para 115‑117; Frac Shack Inc c AFD Petroleum Ltd, 2018 CF 1047 aux para 48, 49 et 52).

[208] J’ai déjà interprété les revendications du brevet 085 et déterminé les éléments essentiels de ces dernières.

[209] Dans le cadre du troisième volet, la Cour doit vérifier l’« état de la technique ». Pour ce faire, elle peut prendre en compte toute antériorité opposable qui relève du domaine public (Ciba, aux para 56‑59), y compris les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 aux para 23‑25). La Cour n’a pas à déterminer l’évidence par rapport à l’état de la technique en général; elle doit uniquement tenir compte des éléments d’antériorité invoqués par la partie qui conteste la validité du brevet. En outre, cette partie peut présenter à la Cour une « mosaïque » composée de différents éléments d’antériorité qui, ensemble, montrent que l’invention alléguée est évidente (Ciba, au para 60).

[210] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets précise la date limite pour toute antériorité opposable dans le cadre de l’analyse de l’évidence. Voici les deux dates pertinentes en l’espèce : 1) un an avant la date de dépôt, si l’objet de l’antériorité a été divulgué par le breveté ou par une personne qui a obtenu l’information auprès du breveté, et 2) la date de la revendication, si l’objet de l’antériorité a été divulgué par un tiers.

[211] Quant au quatrième volet de l’analyse, la question qui se pose est celle de savoir si la personne versée dans l’art peut franchir l’écart entre l’idée originale ou la revendication telle qu’interprétée et l’état de la technique (Ciba, au para 62). Les tribunaux ont souvent décrit la personne versée dans l’art comme étant « sans imagination » et « complètement dépourvu[e] d’intuition », ne possédant aucune « étincelle d’esprit inventif ou d’imagination » (Tearlab, au para 81; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 au para 79, citant Beloit, p. 294). La personne versée dans l’art peut donc avoir recours à ses connaissances générales courantes ainsi qu’à l’art antérieur qui peut être repéré lors d’une recherche raisonnablement diligente (Ciba, au para 62). Si la personne versée dans l’art est en mesure de combler l’écart détecté à la troisième étape, l’invention alléguée est évidente.

[212] Pour évaluer l’évidence, la Cour doit prendre garde à l’analyse rétrospective, en particulier lorsqu’un expert prétend que l’invention alléguée est évidente. La Cour d’appel fédérale formule une mise en garde à ce sujet dans l’arrêt Beloit :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est tellement facile, une fois que l’enseignement d’un brevet est connu, de dire « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? ».

[213] Je sais que cette mise en garde s’avère particulièrement pertinente lorsque le brevet en cause allègue une invention constituée d’une nouvelle combinaison d’éléments connus (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 aux para 50‑51).

(1) Les dépendances multiples

[214] Pour les motifs que j’expose dans l’analyse de l’antériorité plus haut, lorsque je conclus que la revendication dépendante est évidente, je ne le fais que dans la mesure où cette revendication dépend d’autres revendications évidentes.

(2) L’état de la technique

[215] La demande relative au brevet 085 a été déposée le 10 décembre 2018 et le brevet revendique comme date de priorité le 1er juin 2018. Par conséquent, la date limite pour toute antériorité opposable par Steelhead est le 10 décembre 2017. Pour toute autre antériorité opposable, la date limite est le 1er juin 2018. Je traiterai dans les présents motifs des éléments d’antériorité, selon ce qui est pertinent.

(3) L’objet des revendications du brevet 085 est-il évident?

[216] Les articles de M. Talib et les présentations de M. Sullivan sont tous des antériorités opposables. J’ai déjà conclu que ces éléments antériorisent l’objet des revendications indépendantes 1, 21, 56 et 67. J’ai également conclu qu’elles antériorisent l’objet des revendications dépendantes 2, 3, 5, 7, 8, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 26, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 57, 58, 59, 64, 65, 66, 70, 82, 83 et 84, mais seulement dans la mesure où ces revendications dépendent d’autres revendications antériorisées.

[217] Étant donné que les présentations de M. Sullivan et les articles de M. Talib constituent des antériorités opposables en ce qui concerne l’évidence, je conclus qu’il n’existe aucune différence entre l’état de la technique et les revendications énumérées plus haut. Par conséquent, ces revendications sont évidentes en plus d’être antériorisées, mais seulement dans la mesure où elles dépendent d’autres revendications évidentes.

a) Revendication dépendante 4 : Redistribution du gaz vers une source externe

[218] La revendication 4 dépend des systèmes de chacune des revendications 1 à 3, où [traduction] « le système AER envoie un gaz combustible à la source externe ». Les deux experts conviennent que « gaz combustible » désigne ici les hydrocarbures qui sont passés par le système AER, mais qui sont ensuite détournés pour produire de l’électricité.

[219] L’expert d’ARC affirme que l’on savait depuis juin 2018 que le gaz combustible pouvait être partiellement redirigé des trains de liquéfaction pour produire de l’électricité sur l’installation de GNL, que ce soit sur terre ou en mer. Toutefois, l’expert d’ARC reconnaît également que le fait de diriger le gaz combustible des trains de liquéfaction d’une IFGNL près du rivage vers une source externe pour produire de l’électricité est distinct de ce point de départ. C’est aussi mon avis. Il y a donc une différence entre l’état de la technique et la revendication 4.

[220] L’expert d’ARC soutient qu’il serait évident pour la personne versée dans l’art de combler la différence. Je suis également de cet avis. Étant donné que l’on savait déjà en juin 2018 que le gaz combustible pouvait être redirigé à partir des trains de liquéfaction pour produire de l’énergie pour une installation de GNL, il s’ensuit que la personne versée dans l’art aurait compris que le même mécanisme pourrait être utilisé pour alimenter en gaz combustible la source externe d’énergie (telle qu’un générateur à terre) d’une installation près du rivage. La revendication 4 serait donc évidente pour la personne versée dans l’art compte tenu de ses connaissances générales courantes, des présentations de M. Sullivan et des articles de M. Talib.

b) Revendication dépendante 6 : Générateur à gaz

[221] La revendication 6 dépend du système de la revendication 5, où [traduction] « la source externe comprend un générateur à gaz fonctionnant pour produire la partie de l’électricité reçue ». Ceci est déjà connu dans l’état antérieur invocable de la technique. Le tableau 1 de Talib 2014 et la figure 7 de Talib 2013 envisagent tous deux l’utilisation d’un « générateur à terre » comme source potentielle d’énergie externe pour une IFGNL près du rivage. Il n’y a donc pas d’écart entre l’état de la technique, dont les articles de M. Talib font partie, et la revendication 6.

[222] On peut faire valoir que le terme « générateur à terre » ne spécifie pas distinctement que le générateur serait alimenté au gaz, et qu’il y a donc une distinction. Même si cela est vrai, la personne versée dans l’art pourrait combler cette lacune sans difficulté. Dans les deux cas, la revendication 6 est évidente.

c) Revendications dépendantes 9, 44 et 51 : Gestion des déversements cryogéniques

[223] La revendication 9 dépend du système de la revendication 8, où [traduction] « l’appareil maritime comprend un système de confinement configuré de manière opérationnelle pour diriger les déversements de fluide cryogénique par-dessus l’autre côté, le côté bâbord ou le côté tribord ».

[224] La revendication 44 dépend de tout appareil des revendications 21 à 43, et ajoute un [traduction] « système de confinement configuré de manière opérationnelle en liaison avec le pont supérieur pour recueillir les déversements de fluide cryogénique ». La revendication 45 dépend également des revendications 21 à 43, ajoutant un [traduction] « système de confinement configuré de manière opérationnelle à côté du pont supérieur pour recueillir les déversements de fluide cryogénique ».

[225] La revendication 46 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 44 et 45, où [traduction] « le système de confinement comprend des canaux positionnés au-dessus du pont supérieur pour recueillir les déversements de fluide cryogénique ».

[226] La revendication 47 dépend de tout appareil des revendications 21 à 43, ajoutant (1) [traduction] « un pont de traitement situé au-dessus du pont supérieur », et (2) [traduction] « un système de confinement situé entre le pont de traitement et le pont supérieur et configuré de manière opérationnelle pour recueillir les déversements de fluide cryogénique ». La revendication 48 porte sur l’appareil de la revendication 47, où (3) [traduction] « le système de confinement comprend des canaux qui sont suspendus au pont de traitement ou qui en font partie intégrante pour recueillir les déversements de fluide cryogénique ».

[227] La revendication 49 dépend de l’appareil de la revendication 48, où (4) [traduction] « la coque comprend une pluralité de structures de soutien sur tout le pont supérieur, et ces structures sont adaptées pour soutenir le pont de traitement et le module ou plusieurs modules interconnectés du système AER ». La revendication 50 dépend de l’appareil de la revendication 49, où (5) [traduction] « le module ou chacun des modules interconnectés du système AER est supporté par la pluralité de structures de soutien dont le cadre de soutien est configuré de manière opérationnelle pour transférer un poids du module, restreindre les mouvements relatifs entre le module et la coque, et limiter le transfert des vibrations du module au pont supérieur ».

[228] La revendication 51 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 46 et 48, où [traduction] « les canaux comprennent un réseau de conduits disposés au-dessus du pont supérieur ».

[229] Essentiellement, les revendications 9 et 44 à 51 portent toutes sur la prévention, la limitation et la gestion des déversements cryogéniques par divers moyens, y compris : (1) placer des systèmes de confinement qui recueillent les déversements et les dirigent ensuite vers un endroit souhaitable, comme dans les revendications 9, 44-48 et 51 et/ou (2) placer des structures de soutien qui stabilisent les ponts de traitement sur lesquels repose le système d’AER, comme dans les revendications 49 et 50. Il s’agit de l’idée originale des revendications 9 et 44 à 51.

[230] Le témoignage de l’expert d’ARC sur la question de la gestion des déversements cryogéniques n’est pas immédiatement clair. D’une part, il affirme que [traduction] « l’idée d’incorporer ces types de dispositifs et de systèmes sur une IFGNL ne provient pas des inventeurs du brevet 085 ». Pourtant, il affirme également que [traduction] « les systèmes de détection et de confinement connus n’ont pas été divulgués auparavant comme faisant partie d’une IFGNL comme il est décrit dans les revendications ». Le témoignage de l’expert d’ARC signifie, d’après ce que je comprends, que ces systèmes et dispositifs étaient connus, mais qu’ils n’étaient pas utilisés sur les installations flottantes de GNL près du rivage, et qu’il y a une différence entre l’état des connaissances et le concept inventif en l’espèce. J’accepte cette conclusion.

[231] Cela dit, les dispositifs et systèmes décrits dans ces revendications étaient fréquemment utilisés en juin 2018 sur les IFGNL en mer. La personne versée dans l’art aurait également connu ces dispositifs et systèmes compte tenu de ses connaissances générales courantes. À mon avis, la personne versée dans l’art saurait donc appliquer ces mêmes dispositifs et systèmes au contexte près du rivage en se basant uniquement sur ses connaissances générales courantes.

[232] Les revendications 9 et 44 à 51 sont évidentes.

d) Revendications dépendantes 10 et 23 : Tension

[233] La revendication 10 dépend de tout système des revendications 1 à 9, où [traduction] « l’électricité reçue est égale ou supérieure à environ 100 kV ».

[234] La revendication 23 dépend de tout appareil des revendications 21 et 22, où [traduction] « l’électricité reçue est égale ou supérieure à environ l00kV et l’emplacement à terre comprend une jetée, un quai, un emplacement sur le rivage ou positionné près du rivage ».

[235] J’ai déjà constaté que l’état antérieur invocable de la technique divulguait un emplacement à terre comprenant une jetée, un quai, un rivage ou une autre position proche du rivage. Les articles de M. Talib envisagent tous que l’IFGNL serait [traduction] « près du rivage, dans des eaux protégées et/ou à quai ». Il en va de même pour chacune des présentations de M. Sullivan, qui montrent divers exemples d’IFGNL près du rivage qui sont amarrées près du littoral, d’un quai ou d’autres emplacements à proximité.

[236] L’expert d’ARC interprète le terme « approximativement 100 kV » comme incluant des tensions pouvant descendre jusqu’à 90 kV. Selon lui, la personne versée dans l’art saurait, sur la base de ses connaissances générales courantes, que de nombreuses installations flottantes de GNL utilisent inévitablement des tensions égales ou supérieures à 90 kV, en particulier celles qui ont des capacités de production plus importantes. Je suis de cet avis. Les revendications 10 et 23 sont évidentes.

e) Revendication dépendante 11 : Passerelle de distribution

[237] La revendication 11 dépend du système de l’une des revendications 1 à 10, où [traduction] « l’électricité reçue est reçue au moyen d’une ligne comprenant un ou plusieurs conducteurs, et le système comprend en outre une passerelle de distribution extensible entre l’appareil maritime et la source externe pour soutenir la ligne ».

[238] Je suis d’accord avec l’expert de l’ARC pour dire que le terme « passerelle de distribution » fait ici référence à une structure de soutien surélevée par laquelle passeraient les lignes électriques. Je suis également d’accord avec l’expert de Steelhead pour dire que le cœur de la revendication 11 [traduction] « implique une connexion semi-permanente à l’installation qui doit être conçue de manière à permettre le mouvement de marée du navire à une extrémité, mais en [étant] fixée au rivage à l’autre ».

[239] Les deux experts affirment qu’il existe une différence entre le système de la revendication 11 et l’état de la technique tel qu’il était en juin 2018. Je ne suis pas d’accord avec les deux experts. L’état de la technique comprend l’idée d’utiliser une passerelle de distribution pour relier les lignes électriques du littoral à l’IFGNL. La diapositive 9 de Sullivan 2017 et la diapositive 13 de Sullivan 2016 révèlent la présence de câbles d’alimentation sur une passerelle de distribution qui est fixée au rivage. La personne versée dans l’art comprendrait que les câbles d’alimentation sont connectés à l’IFGNL illustrée dans chaque diapositive. Les présentations de M. Sullivan sont toutes deux des éléments d’art invocables aux fins de l’appréciation de l’évidence. En conséquence, il n’y a pas de différence entre l’état de la technique et l’invention divulguée par la revendication 11. La revendication est évidente.

f) Revendications dépendantes 12, 35, 43 et 79 : Système de ballast en circuit fermé

[240] La revendication 12 dépend du système de l’une des revendications 1 à 11, où [traduction] « l’appareil maritime comprend un système de ballast en circuit fermé pouvant fonctionner avec un fluide de ballast pour aider à stabiliser l’appareil maritime amarré à proximité de l’emplacement à terre sans rejeter le fluide de ballast dans les eaux proches de l’emplacement à terre ».

[241] La revendication 35 porte sur l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 21 à 32, où [traduction] « l’appareil maritime comprend un système de ballast en circuit fermé pouvant fonctionner avec un fluide de ballast pour stabiliser l’appareil maritime lorsqu’il est amarré à proximité de l’emplacement à terre sans rejeter le fluide de ballast dans les eaux proches de l’emplacement à terre »; Le système de ballasts en circuit fermé comprend [traduction] « une pluralité de réservoirs de ballast sous le pont supérieur » et [traduction] « une ou plusieurs pompes configurées de manière opérationnelle pour déplacer le fluide de ballast entre la pluralité des réservoirs de ballasts ».

[242] La revendication 43 porte sur l’appareil de l’un ou l’autre des revendications 21 à 34, où [traduction] « l’appareil maritime comprend un système de ballast en circuit fermé pouvant fonctionner avec un fluide de ballast pour stabiliser l’appareil maritime lorsqu’il est amarré à proximité de l’emplacement à terre sans rejeter le fluide de ballast dans les eaux proches de l’emplacement à terre ».

[243] La revendication 79 dépend de tout appareil des revendications 67 à 78, et ajoute [traduction] « un système de ballast en circuit fermé pouvant fonctionner avec un fluide de ballast pour aider à stabiliser l’appareil maritime lorsqu’il est amarré à proximité de l’emplacement à terre2; Le système de ballasts en circuit fermé comprend « un capteur de position », une « pluralité de ballasts », et [traduction] « une ou plusieurs pompes pouvant fonctionner avec le contrôleur pour déplacer le fluide de ballast entre la pluralité des ballasts en réponse au capteur de position sans rejeter de fluide de ballast dans les eaux proches de l’emplacement à terre ».

[244] Les revendications 12, 35, 43 et 79 divulguent toutes le même concept inventif : un système de ballast en circuit fermé. Les parties s’accordent à dire qu’un système de ballast en circuit fermé était une méthode connue pour stabiliser un navire. Les inventions revendiquées sont donc évidentes, puisqu’il n’y a pas de différence entre elles et l’état de la technique.

[245] On peut arguer que les revendications 35 et 79 divulguent un concept inventif distinct des revendications 12 et 43. La revendication 35 divulgue des réservoirs de ballast multiples et des pompes capables de déplacer le fluide de ballast entre lesdits réservoirs. La revendication 79 divulgue les mêmes éléments, mais comprend également un capteur de position qui communique avec les pompes des ballasts. Toutefois, comme je l’ai déjà conclu ci-dessus, les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art lui permettent de comprendre le fonctionnement des systèmes de ballast en circuit fermé. À mon avis, cela inclut l’utilisation de plusieurs ballasts, pompes et capteurs de position. Dans les deux cas, les revendications 35 et 79 restent évidentes.

g) Revendications dépendantes 17, 33, 34, 52, 53, 63, 68, 69, 71-78, 80 et 81 : Capteurs, contrôleurs et coordination

[246] La revendication 17 dépend de la revendication 16, dans laquelle [traduction] « le contrôleur fait fonctionner le système d’AER et au moins un composant d’alimentation électrique à, au minimum, une source terrestre sur la base des données fournies par les capteurs de l’appareil maritime et les capteurs de la ou des sources terrestres ». Le contrôleur et les capteurs font ici référence à des éléments de la revendication 16 (et de la revendication 15 par extension).

[247] La revendication 33 dépend des appareils de l’une ou l’autre des revendications 21 à 32, ajoutant que l’appareil comprend en outre (1) une pluralité de capteurs configurés de manière opérationnelle pour détecter les déversements de fluide cryogénique et les fuites de gaz. La revendication 34 dépend de la revendication 33 et ajoute que l’appareil comprend (2) des canaux pour recueillir les déversements de fluide cryogénique, (3) des descentes en communication avec les canaux pour diriger le fluide cryogénique par-dessus l’un des côtés de la coque et l’en éloigner, et (4) des buses pour pulvériser les surfaces extérieures de ce côté de la coque avec un fluide protecteur en réponse à la pluralité de capteurs.

[248] La revendication 52 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 46 et 48 à 51, ajoutant (1) [traduction] « des capteurs positionnés pour détecter les déversements de fluide cryogénique dans les canaux », et (2) [traduction] « une tuyauterie qui est en communication avec les canaux et adaptée pour diriger les déversements de fluide cryogénique par-dessus l’un des côtés de la coque et l’en éloigner ». La revendication 53 dépend de la revendication 52, ajoutant (3) [traduction] « une buse pouvant fonctionner pour protéger le côté de la coque des déversements de fluide cryogénique en pulvérisant les surfaces extérieures du côté de la coque avec un fluide protecteur lorsque les capteurs détectent des déversements de fluide cryogénique dans les canaux ».

[249] La revendication 68 dépend de l’appareil de la revendication 67, où (1) [traduction] « les premières données consistent en des données de demande associées au système AER », (2) [traduction] « les secondes données consistent en des données d’approvisionnement associées à la source externe », et (3) [traduction] « les fonctions coordonnées consistent en des fonctions de gestion de l’énergie répondant aux données de demande et d’approvisionnement ». Les termes « premières données », « secondes données », et « fonctions coordonnées » font tous référence à des éléments de la revendication 67.

[250] La revendication 69 dépend de tout appareil des revendications 67 ou 68, où [traduction] « les fonctions coordonnées comprennent la gestion du système d’AER et d’un générateur d’électricité situé à la source externe par l’intermédiaire du contrôleur ».

[251] La revendication 71 porte sur tout appareil des revendications 67 à 69, où (1) [traduction] « chaque train du ou des trains de réfrigération comprend une partie des compresseurs à entraînement électrique et une partie des refroidisseurs à air », et (2) [traduction] « les fonctions coordonnées comprennent la gestion de la partie des compresseurs à entraînement électrique et de la partie des refroidisseurs à air pour chaque train par l’intermédiaire du contrôleur ».

[252] La revendication 72 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 71, où (1) [traduction] « les premières données consistent en des données de détection associées à un déversement de fluide cryogénique ou à une fuite de gaz inflammable sur l’appareil maritime », (2) [traduction] « l’appareil maritime comprend une pluralité d’actionneurs pouvant agir sur le déversement de fluide cryogénique ou la fuite de gaz », et (3) les fonctions coordonnées comprennent la mise en marche d’un ou de plusieurs actionneurs de la pluralité d’actionneurs sur la base des données de détection. La revendication 73 dépend de la revendication 72, ajoutant que (4) [traduction] « les fonctions coordonnées comprennent l’identification de l’emplacement d’un déversement de fluide cryogénique sur l’appareil maritime via le contrôleur sur la base des données de détection ».

[253] La revendication 74 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 73, où la pluralité de capteurs comprend au moins un capteur de liquide, un capteur de gaz et un capteur visuel. La revendication 75 dépend également de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 73, mais dans ce cas la pluralité de capteurs comprend un capteur de liquide utilisant des méthodes de détection de fuites par fibre optique ou par ultrasons. La revendication 76 dépend également de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 73, où [traduction] « la pluralité de capteurs comprend un capteur de gaz utilisant des méthodes d’échantillonnage de l’air ».

[254] La revendication 77 dépend de l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 67 à 76, où [traduction] « la pluralité de capteurs comprend un ou plusieurs capteurs positionnés aux environs de l’appareil maritime pour capturer les effets visibles d’un déversement de fluide cryogénique ou d’une fuite de gaz sur l’appareil ». La revendication 78 dépend de la revendication 77, dans laquelle [traduction] « le ou les capteurs sont configurés de manière opérationnelle pour transmettre au contrôleur un ou plusieurs flux vidéo des effets visibles ».

[255] La revendication 80 dépend de l’appareil de l’une quelconque des revendications 67 à 79, où [traduction] « la pluralité de réservoirs de stockage de GNL se trouve sur le pont inférieur de la coque », et [traduction] « chaque réservoir de GNL de la pluralité de réservoirs de GNL comprend au moins une pompe actionnée au moyen du contrôleur pour extraire le GNL ».

[256] La revendication 81 dépend des appareils de l’une ou l’autre des revendications 67 à 80, ajoutant [traduction] « une technologie de communication de données sans fil configurée de manière opérationnelle pour communiquer les premières données, les secondes données et les signaux de commande ».

[257] Le concept inventif des revendications 17, 33, 34, 52, 53, 63, 68, 69, 71-78, 80 et 81 consiste à utiliser des capteurs et des contrôleurs pour coordonner divers composants de l’invention, y compris (1) l’intrant de la source externe dans le système d’AER comme dans les revendications 17, 68, et 69, (2) la distribution des compresseurs et des refroidisseurs dans les trains de liquéfaction, comme dans la revendication 71, (3) la sortie du GNL des réservoirs de stockage, comme dans la revendication 80, et (4) la gestion des déversements de fluide cryogénique, comme dans les revendications 33, 34, 52, 53, 63, 72, 73, 77 et 78. Le concept inventif permet également l’utilisation d’une variété de capteurs - y compris des capteurs de liquide, de gaz et visuels - ainsi que la communication sans fil.

[258] J’ai déjà conclu que les articles de M. Talib divulguent tous deux l’utilisation de capteurs, de contrôleurs et de fonctions de coordination (voir les revendications 15, 16, 18, 66, 70 et 82). En outre, les présentations de M. Sullivan et les articles de M. Talib font tous état d’une source externe fournissant des intrants au système d’AER, qui repose sur des compresseurs et des refroidisseurs à air à entraînement électrique. Ils divulguent également les réservoirs de stockage de GNL à partir desquels on extrairait le GNL. J’ai également constaté que la gestion des déversements de fluide cryogénique était évidente (voir les revendications 9 et 44-51 ci-dessus).

[259] La question est alors de savoir s’il est évident que des capteurs et des contrôleurs soient utilisés pour coordonner ces fonctions et opérations particulières. L’expert de l’Arc reconnaît que cela est différent de l’état de la technique tel que je l’ai résumé ci-dessus. Je suis de cet avis. La question est de savoir si la personne versée dans l’art comblerait la différence.

[260] Je suis convaincu que la personne versée dans l’art saurait combler la différence. Comme l’affirme l’expert d’ARC, la personne versée dans l’art aurait su en juin 2018 que les installations flottantes de GNL utilisent des capteurs et des contrôleurs pour coordonner les différents procédés de l’installation. En fait, lors du contre-interrogatoire, l’expert de Steelhead a admis que la personne versée dans l’art aurait su que les installations de GNL, y compris les installations flottantes, étaient généralement équipées de capteurs et de systèmes de contrôle pour gérer, par exemple, les générateurs d’électricité et les systèmes de prétraitement. Il s’ensuit que la personne versée dans l’art serait en mesure d’étendre l’utilisation de ces capteurs (y compris les capteurs de liquide, de gaz et visuels, ainsi que les méthodes de communication sans fil) aux fonctions et opérations décrites dans les revendications 17, 33, 34, 52, 53, 63, 68, 69, 71-78, 80 et 81. Ces revendications sont évidentes.

h) Revendications dépendantes 24, 25, 27 et 28 : Ouverture dans le pont et port d’accès E/S

[261] La revendication 24 porte sur l’appareil de l’une ou l’autre des revendications 21 à 23, où [traduction] « tout le GNL est acheminé à l’intérieur de la coque depuis le système AER par une ouverture traversant le pont supérieur, et est acheminé hors de la coque depuis la pluralité de réservoirs de stockage de GNL par cette ouverture ». La revendication 25 dépend de la revendication 24 et ajoute [traduction] « un port d’accès E/S qui est adjacent à l’ouverture et configuré de manière opérationnelle pour : recevoir l’électricité et le gaz d’alimentation; et faire sortir le GNL de la pluralité de réservoirs de stockage de GNL pour qu’il soit acheminé jusqu’au navire de transport de GNL ».

[262] L’art antérieur divulgue l’utilisation d’ouvertures sur le pont conçue pour acheminer le GNL des trains de liquéfaction aux réservoirs de stockage de GNL (voir mes commentaires ci‑dessus concernant les revendications 58 et 59). L’état de l’art inclut donc ce concept. L’expert d’ARC reconnaît néanmoins qu’il existe une distinction entre l’état de l’art et le concept inventif en l’espèce, puisque dans les revendications 24 et 25, il n’y a qu’une seule ouverture sur le pont reliée à plusieurs réservoirs de stockage. Je suis de cet avis.

[263] L’expert d’ARC reconnaît également que la personne versée dans l’art [traduction] « ne configurerait pas la partie supérieure d’une IFGNL à terre de sorte qu’elle n’ait qu’une seule ouverture dans son pont supérieur (ou principal) pour acheminer tout le GNL ». Il affirme néanmoins qu’une seule ouverture sur le pont n’est [traduction] « ni ingénieuse ni inventive » parce que cela est dangereux. Cependant, la sécurité est liée à l’utilité et non à l’évidence. Le témoignage de l’expert d’ARC est cohérent avec le point de vue selon lequel l’objet de la revendication 24 (et de la revendication 25 par extension) n’est pas évident.

[264] Même si j’avais conclu que l’objet de la revendication 24 était évident (ce que je ne conclus pas), la revendication 25 ne serait toujours pas évidente. Le port d’accès E/S revendiqué par la revendication 25, bien que connu auparavant, était utilisé uniquement pour l’entrée du gaz d’alimentation et la sortie du GNL. Selon l’expert d’ARC, les ports E/S n’étaient pas été utilisés pour recevoir de l’électricité. Il y a un écart entre ce qui est revendiqué dans la revendication 25 et l’état de l’art, en date de juin 2018, qui n’est pas comblé par les preuves.

[265] Comme pour la revendication 24, l’expert d’ARC affirme que la personne versée dans l’art ne configurerait pas un port E/S pour recevoir de l’électricité comme il est décrit dans la revendication 25. Au lieu de cela, il affirme à nouveau que la conception n’est pas inventive parce qu’elle est dangereuse. Cependant, l’évidence n’est pas déterminée par des questions de sécurité, qui peuvent être pertinentes pour l’utilité, mais qui ne sont pas en jeu ici. La revendication 25 n’est pas évidente.

[266] Comme la revendication 27 dépend uniquement de la revendication 25 et que la revendication 28 ne dépend à son tour que de la revendication 27, la revendication 27 et la revendication 28 ne sont pas évidentes.

i) Revendication dépendante 29 : Espace vide

[267] La revendication 29 dépend seulement de l’appareil de la revendication 28, où (1) [traduction] « une surface supérieure de chaque membrane supérieure est espacée du pont supérieur pour définir un espace vide », et (2) [traduction] « l’espace vide est dimensionné et façonné de sorte qu’il peut contenir une quantité de fluide d’un poids approximativement égal au poids du système d’AER ».

[268] Comme la revendication 28 n’est pas évidente, la revendication 29 ne l’est pas non plus. Cependant, les parties ont discuté abondamment de la revendication 29 dans leurs observations. J’analyserai donc brièvement l’idée originale de la revendication 29, ainsi que la question de savoir si elle serait toujours non évidente indépendamment de ma conclusion concernant la revendication 28.

[269] Le concept inventif de la revendication 29 est l’espace vide sous le pont supérieur, qui est capable de contenir un fluide d’un poids similaire à celui du système AER avant que ce système ne soit installé. Comme je le constate ci-dessous dans ma discussion sur l’utilité, les éléments de preuve montrent que cet aspect de la revendication pourrait présenter des avantages pour le processus de fabrication de l’IFGNL.

[270] L’expert d’ARC reconnaît que l’idée originale de la revendication 29 se distingue de l’état de la technique. Je suis de cet avis. Il ajoute que, même si [traduction] « la personne versée dans l’art n’intégrerait pas un espace vide tel que décrit par la revendication 29 à une installation flottante de GNL », la revendication n’est toujours pas de nature inventive parce que sa mise en œuvre est dangereuse. Encore une fois, cela n’est pas pertinent en ce qui concerne l’analyse de l’évidence de cette revendication. Le fait que la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de combler l’écart entre la revendication 29 et l’état de la technique suffit pour conclure que la revendication n’est pas évidente.

[271] La revendication 29 n’est donc pas évidente, indépendamment de ma conclusion concernant la revendication 28,

j) Revendications dépendantes 30, 31, 32, 54, 55, 60, 61 et 62 : Redistribution des gaz pour la liquéfaction

[272] La revendication 30 dépend de chacun des appareils des revendications 21 à 29, ajoutant que l’appareil revendiqué comprend également un système de collecte et de distribution de gaz, qui est configuré pour (1) recevoir un « premier gaz » du système AER et un « deuxième gaz » des réservoirs de stockage de GNL, (2) convertir « une partie » du premier et du second gaz en un gaz combustible à haute pression, et (3) recycler le gaz combustible à haute pression dans le système AER. La revendication 31 dépend de l’appareil de la revendication 30, où (4) le premier gaz est différent du second gaz. La revendication 32 dépend de la revendication 31, dans laquelle (5) le système de collecte et de distribution est configuré pour recevoir un troisième gaz en provenance du navire de transport de GNL.

[273] La revendication 54 dépend de tout appareil des revendications 21 à 29, ajoutant que l’appareil revendiqué comprend également un système de collecte et de distribution de gaz, qui est configuré pour (1) la collecte du gaz combustible à basse pression du système AER en tant que sous-produit de la liquéfaction, (2) la conversion d’une partie du gaz recueilli en un gaz combustible à haute pression qui sera utilisé comme gaz d’alimentation, et (3) la sortie du gaz combustible à haute pression vers le système AER.

[274] La revendication 55 dépend également de tout appareil des revendications 21 à 29, ajoutant que l’appareil comprend également un système de collecte et de distribution de gaz combustible configuré pour (1) la réception du gaz combustible du système d’AER et d’au moins un de la pluralité des réservoirs de stockage de GNL, et (2) la conversion du gaz combustible en un gaz d’alimentation destiné à être utilisé par le système d’AER.

[275] La revendication 60 dépend de l’une ou l’autre des méthodes des revendications 56 à 59, ajoutant que la méthode de liquéfaction comprend en outre (1) la réception de gaz combustible à partir d’au moins un des systèmes AER et de la pluralité de réservoirs de stockage de GNL, et (2) la sortie du gaz combustible vers au moins un compresseur. La revendication 61 dépend de la méthode de la revendication 60, ajoutant que cette méthode comprend également (3) la réception de gaz combustible supplémentaire d’un navire de transport de GNL séparé de l’appareil, et (4) la sortie du gaz combustible supplémentaire dudit (desdits) compresseur(s). La revendication 62 dépend de la méthode de la revendication 61 et ajoute que (5) au moins l’un des deux, du gaz combustible et du gaz combustible supplémentaire, comprend un gaz d’évaporation.

[276] Les deux experts s’accordent à dire que les revendications 30, 31, 32, 54, 55, 60, 61 et 62 sont très similaires. Toutefois, l’expert d’ARC affirme que la revendication 30, et les revendications 31 et 32 par extension, sont distinctes des cinq autres revendications. Il souligne en particulier le terme « gaz combustible ». Il fait remarquer que le terme « gaz combustible » ne fait pas référence à une substance chimiquement distincte du gaz d’alimentation. Le terme fait plutôt référence au gaz utilisé pour la production d’électricité ou de chaleur. L’expert d’ARC en conclut que le « gaz combustible » redirigé vers le système d’AER dans la revendication 30 est destiné à être utilisé pour générer de l’énergie pour le système d’AER. L’expert de Steelhead affirme au contraire que l’utilisation du terme « gaz combustible » implique que le gaz pourrait être utilisé pour produire de l’électricité pour le système AER par le biais d’un générateur à turbine à gaz, mais qu’il pourrait également être utilisé comme gaz d’alimentation qui subit à nouveau le procédé de liquéfaction.

[277] Je ne trouve aucun de ces deux experts convaincant sur la base des éléments de preuve présentés à la Cour. L’idée que le gaz combustible dans l’une de ces revendications est redirigé vers le système AER pour produire de l’électricité signifierait que ce système ne dépend plus de compresseurs électriques, mais de turbines à gaz. Pourtant, si l’on se fie à son nom, un composant fondamental du système AER est les compresseurs à entraînement électrique. En outre, la revendication 54 stipule que le gaz combustible à haute pression serait [traduction] « destiné à être utilisé comme gaz d’alimentation ». La revendication 55 utilise une formulation similaire. Par conséquent, l’opinion selon laquelle les revendications utilisent le terme « gaz combustible » pour indiquer que ledit gaz serait utilisé pour produire de l’énergie n’est pas correcte.

[278] Compris en conséquence, le « gaz combustible » dans ces revendications renvoie au gaz qui a fait l’objet d’une liquéfaction, mais qui n’a pas été suffisamment liquéfié ou qui est retourné à l’état gazeux pendant le stockage. Par conséquent, les revendications ci-dessus présentent toutes le même concept inventif, à savoir un système sur une installation flottante de GNL près du rivage, par lequel le gaz qui n’a pas été entièrement liquéfié ou qui est retourné à l’état gazeux est redistribué dans le système AER en vue d’une nouvelle liquéfaction.

[279] L’expert de Steelhead n’aborde pas les revendications 30, 31, 32, 54, 55, 60, 61 et 62 sous l’angle spécifique de l’évidence. L’expert de l’ARC déclare qu’il était connu en juin 2018 que les installations de GNL, y compris les installations flottantes, utilisaient des systèmes de collecte et de distribution de combustible, en partie pour recueillir le GNL qui repasse à l’état gazeux et le liquéfier à nouveau. Cependant, il ajoute que leur utilisation dans une installation près du rivage est distincte, et il reconnaît que cela présente un écart entre l’état de l’art et le concept inventif en l’espèce. Je suis de cet avis.

[280] L’expert d’ARC soutient à juste titre que la lacune identifiée ici peut être comblée par la personne versée dans l’art. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art comprenaient l’idée que la vapeur de gaz serait recueillie au cours des étapes typiques de la production et du stockage du GNL. La personne versée dans l’art n’aurait eu qu’à appliquer ce qu’elle avait ainsi compris dans le contexte d’une IFGNL près du rivage. C’est évident.

[281] Par conséquent, les revendications 30, 31, 32, 54, 55, 60, 61 et 62 sont évidentes.

k) Revendication dépendante 40 : Configuration équilibrée de la partie supérieure

[282] La revendication 40 dépend de l’appareil de la revendication 39, où (1) [traduction] « le premier train de réfrigération est disposé sur le côté bâbord de la coque », (2) [traduction] « le second train de réfrigération est disposé sur le côté tribord de la coque », et (3) [traduction] « le poids du premier train est en outre équilibré par rapport au poids du second train autour de l’axe longitudinal de la coque pour stabiliser davantage l’appareil maritime ». Pour rappel, la revendication 39 positionne le premier et le second train de réfrigération de manière à ce qu’ils s’équilibrent de part et d’autre de l’axe médian du navire.

[283] L’expert d’ARC déclare que l’art antérieur divulgue des trains de réfrigération qui s’équilibrent de part et d’autre de l’axe médian du bâtiment. Je suis de cet avis, comme cela a été discuté en ce qui concerne la revendication 39 au titre de l’anticipation. L’expert d’ARC soutient également que le fait que les trains de réfrigération s’équilibrent l’un l’autre autour de l’axe longitudinal mais aussi de l’axe médian du navire donne lieu à une invention distincte. Je suis de cet avis.

[284] Comme je l’ai conclu précédemment, la personne versée dans l’art connaît les systèmes maritimes compte tenu de ses connaissances générales courantes qui, selon ma compréhension, englobent l’équilibrage des trains de réfrigération autour de l’un des axes du navire. Ainsi, la personne versée dans l’art serait donc en mesure de combler l’écart en équilibrant les trains de réfrigération autour de deux axes, au lieu de le faire autour de l’axe central du navire seulement.

[285] La revendication 40 est évidente.

(4) Résumé des conclusions relatives à l’évidence

[286] Voici mes conclusions :

  • 1.Les revendications 24, 25, 27, 28 et 29 ne sont pas évidentes.

  • 2.Les revendications 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53 et 54 ne sont pas évidentes dans la mesure où elles dépendent des revendications 24, 25, 27, 28 et 29, directement ou indirectement, et sont évidentes pour le reste;

  • 3.Les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83 et 84 sont évidentes.

D. L’absence d’utilité

[287] On détermine l’utilité d’une invention en examinant son objet. Pour être utile, l’invention doit apporter une solution à un problème concret lié à la nature de l’objet. Toute utilisation se rapportant à l’objet de l’invention fera l’affaire (AstraZeneca Canada Inc c. Apotex Inc, 2017 CSC 36 [AstraZeneca] aux para 52‑53).

[288] Le degré d’utilité importe peu. Une « parcelle » d’utilité suffit. Cependant, l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable (AstraZeneca, au para 55). Au paragraphe 27 de l’arrêt Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2006 CAF 64, citant Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, la Cour d’appel fédérale a résumé ainsi le critère pour déterminer si une prédiction est valable :

a) Premièrement, la prédiction doit avoir un fondement factuel. [...]

b) Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement « clair » et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité.

c) Troisièmement, il doit y avoir une divulgation suffisante.

[289] Il n’est pas nécessaire que l’invention remplisse la « promesse » exacte du brevet en ce qui concerne son utilité — il suffit que l’utilité ait été démontrée ou valablement prédite (AstraZeneca, au para 2).

[290] ARC fait valoir ce motif uniquement en ce qui concerne la revendication 29. La revendication 29 est une revendication dépendante de plusieurs autres revendications (les revendications 28, 27, 25, 24, 23 et 22), lesquelles dépendent de la revendication indépendante 21. Il revendique notamment un « espace vide » entre le pont supérieur du navire et le sommet de la membrane supérieure des réservoirs de GNL qui est « capable de contenir » une quantité de fluide d’un poids approximativement égal au poids du système AER sur le pont supérieur.

[291] L’expert d’ARC soutient que la revendication 29 manque d’utilité car, si un fluide est placé dans l’espace vide alors que le navire est opérationnel (c’est-à-dire que le système AER se trouve sur le pont supérieur), le navire coulerait. Le témoignage de l’expert d’ARC lors du contre‑interrogatoire quant à la signification du terme « capable de contenir » illustre l’hypothèse sur laquelle repose cette interprétation :

Pour ce qui est de l’expression « capable de contenir », ce n’est pas limité dans le temps. Cela signifie que l’espace vide doit toujours être capable de contenir ce poids d’eau.

[Non souligné dans l’original.]

[292] Il s’agit d’une lecture restrictive et sélective du mémoire descriptif, qui ne correspond pas à l’interprétation que ferait la personne versée dans l’art avec un esprit désireux de comprendre. Steelhead affirme à juste titre qu’une personne versée dans l’art désireuse de comprendre lirait le mémoire descriptif dans son ensemble.

[293] La divulgation du brevet indique, premièrement, que l’espace vide serait rempli « pendant la fabrication » du bâtiment pour « simul[er] » le poids du système d’AER et, deuxièmement, que le fluide serait progressivement « libéré » au fur et à mesure que le système d’AER serait chargé sur le bâtiment. Je suis d’accord avec l’expert de Steelhead pour dire que la personne versée dans l’art comprendrait cela comme signifiant que l’espace vide serait utilisé pendant la phase de fabrication du navire pour assurer la stabilité du bâtiment. Manifestement, il existe plus qu’une simple parcelle d’utilité qui a été valablement prédite. Par conséquent, la revendication 29 n’est pas dénuée d’utilité.

E. L’insuffisance

[294] Un brevet doit décrire l’invention revendiquée d’une façon exacte et complète (Loi sur les brevets, au para 27(3)). Une divulgation insuffisante invalide le brevet.

[295] L’insuffisance porte sur la capacité de la personne versée dans l’art de reproduire l’invention en utilisant les renseignements divulgués dans le brevet (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 [Teva] aux para 51‑52, citant Pioneer Hi‑Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623). Un brevet est donc suffisant lorsqu’il permet à la personne versée dans l’art de produire ou de réaliser l’invention revendiquée en utilisant uniquement les renseignements contenus dans le brevet (Teva, aux para 51‑52).

[296] Pour en évaluer le caractère suffisant, la Cour examine l’ensemble du mémoire descriptif du brevet, y compris la divulgation et les revendications (Teva, aux para 55 et 69). On présume que la personne versée dans l’art devra peut-être effectuer des essais successifs pour réaliser l’invention, mais ces essais ne doivent pas constituer un « projet de recherche mineur » ou être le fruit de conjectures (Teva, au para 75).

[297] ARC soutient que le brevet ne permettrait pas à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Cette affirmation est incompatible avec ses arguments concernant l’antériorité, selon lesquels les présentations de M. Sullivan et les articles de M. Talib antériorisent de nombreuses revendications du brevet 085 — c’est-à-dire que ces éléments d’antériorité divulguent de nombreuses revendications du brevet et permettent à la personne versée dans l’art d’en réaliser l’objet. Cependant, à mon avis, les présentations de M. Sullivan et les articles de M. Talib divulguent l’invention en fournissant des précisions et des détails similaires à ceux figurant dans le brevet 085. Comme j’ai déjà reconnu que les divulgations antérieures permettent à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention revendiquée par le brevet 085, je conclus que le brevet 085 permettrait à la personne versée dans l’art de faire de même. Par conséquent, la divulgation du brevet 085 est suffisante.

F. La portée excessive

[298] Le brevet ne peut revendiquer plus que ce qui a été inventé ou divulgué. Si la portée d’une revendication est plus vaste que celle de l’invention ou de la divulgation, cette revendication est invalide (Pfizer Canada inc c Pharmascience inc, 2013 CF 120 au para 84, citant Leithiiser c Pengo Hydra‑Pull of Canada Ltd, [1974] 2 CF 954 (CAF)).

[299] L’expert d’ARC affirme que la revendication 29 a une portée excessive, et qu’il en est de même pour toute revendication qui en dépend. Il n’invoque la portée excessive comme motif d’invalidité pour aucune autre revendication. L’expert d’ARC fonde son argument sur l’idée que, puisque la divulgation du brevet 085 indique que l’espace vide ne doit être utilisé que pendant le processus de fabrication, la revendication 29 a une portée excédant la divulgation au motif qu’elle n’inclut pas cette condition.

[300] Je ne suis pas d’accord avec l’expert d’ARC. Comme je l’ai dit à propos de l’utilité, la personne versée dans l’art lisant la revendication 29 avec un esprit désireux de comprendre discernerait que le terme « capable » est ambigu et consulterait la divulgation du brevet 085 pour dissiper l’ambiguïté. Par conséquent, la revendication 29 n’a pas une portée excessive.

[301] Outre ce que disent ses experts, ARC s’appuie également sur le témoignage de M. Brigden lors du contre-interrogatoire. M. Brigden a fait remarquer que certaines caractéristiques étaient [traduction] « "essentielles », « requises », « importantes » ou autrement « faisaient partie » de l’invention qu’il prétend avoir réalisée. Le résumé du témoignage de M. Brigden, figurant dans les motifs qui précèdent, comprend une liste complète de ces caractéristiques. ARC fait valoir que ces caractéristiques démontrent que les revendications ont une portée excessive.

[302] Steelhead s’est opposée à ce qu’ARC s’appuie sur le témoignage de M. Brigden. Je suis d’accord avec ARC pour dire qu’elle peut s’appuyer sur le témoignage de M. Brigden, même si ce dernier a été appelé comme expert par Steelhead. ARC avait tout à fait le droit de contre-interroger M. Brigden au sujet des caractéristiques de l’invention que cet expert considère comme étant essentielles, puisque c’est Steelhead qui a présenté le témoignage de M. Brigden concernant l’histoire de l’invention.

[303] Cela dit, je ne suis pas d’accord avec la conclusion qu’ARC tire concernant ce témoignage. En termes simples, le témoignage de M. Brigden n’est pas suffisant pour prouver la portée excessive. Le témoignage d’un inventeur présenté comme témoin de fait n’est pas pertinent en ce qui concerne l’interprétation des revendications du point de vue de la personne versée dans l’art. C’est la Cour qui fait cette interprétation en se fondant sur les experts, lesquels l’aident à lire les revendications du point de vue de la personne versée dans l’art qui possède les connaissances générales courantes à la date pertinente. Aucun des experts n’a fourni d’éléments de preuve concernant l’avis de M. Brigden sur ce qui est ou n’est pas essentiel à l’invention. La preuve ne permet pas de conclure à la portée excessive.

VI. Dépens

[304] Les parties conviennent qu’il est approprié d’adjuger des dépens sous forme d’une somme globale à la partie qui a gain de cause. Cependant, les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur ce qui constitue le succès en l’espèce. En raison de l’enchevêtrement des dépendances qui découle du brevet 085, il existe un éventail de degrés de succès relatif. La question est donc de savoir comment définir correctement les cas où les parties obtiennent « partiellement gain de cause » et ceux où une partie l’emporte clairement sur l’autre, même si elle n’a pas obtenu gain de cause sur tous les points.

[305] Steelhead est d’avis que si certaines revendications sont invalides, mais pas toutes, chaque partie doit assumer ses propres dépens, même si une seule revendication est jugée valide ou invalide (selon le cas). Elle invoque la décision Aux Sable Liquid Products LP c JL Energy Transportation Inc, 2019 CF 788 [Aux Sable], pour étayer son opinion. Toutefois, cette affaire se distingue de l’espèce. Dans l’affaire Aux Sable, le brevet en cause ne comprenait que dix revendications. Par conséquent, lorsque la Cour a conclu que seules deux des revendications étaient invalides, cette conclusion concernait une partie importante du brevet dans son ensemble. Ce résultat justifiait la conclusion relative au « succès partagé » tirée par la Cour. Dans l’affaire qui nous occupe, il y a 84 revendications. Il est injuste de refuser l’adjudication de dépens à une partie simplement parce qu’elle n’a pas obtenu gain de cause pour cinq des 84 revendications, même si la validité de ces revendications se répercute partiellement sur d’autres revendications qui sont autrement invalides.

[306] ARC laisse entendre qu’il est mieux d’évaluer le succès en l’espèce en fonction des revendications indépendantes. En particulier, elle propose que si plus de la moitié des revendications indépendantes sont déclarées invalides, elle aura gain de cause. ARC fait remarquer que les parties ont mis l’accent sur les revendications indépendantes dans leurs observations et leurs arguments, et lors du procès. Je suis de cet avis, d’autant plus que « la charge de travail » est un facteur dont la Cour peut tenir compte en vertu de l’alinéa 400(3)g) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[307] Steelhead invoque la décision Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842, dans laquelle notre Cour a conclu qu’« [i]l n’existe aucune règle générale selon laquelle une revendication indépendante [...] serait plus importante qu’une revendication dépendante dans le contexte d’une action en invalidité ». Encore une fois, bien que cela soit vrai, le fait est que, pour la plupart, les interventions des parties au cours du procès, ainsi que leurs observations, ont porté sur les revendications indépendantes.

[308] ARC a pu démontrer l’invalidité des quatre revendications indépendantes et de la plupart des revendications dépendantes. Elle est la partie ayant principalement gain de cause en l’espèce.

[309] Je passe maintenant au montant des dépens.

[310] ARC a de nouveau raison lorsqu’elle affirme que la somme globale adjugée doit représenter de 25 % à 50 % des frais raisonnables, plus les débours. Elle affirme en outre que la somme adjugée devrait avoisiner le point médian de cette fourchette, conformément aux décisions antérieures de notre Cour. La somme adjugée devrait être inférieure au point médian uniquement si ARC n’a pas réussi à prouver l’invalidité de plus de la moitié des revendications dépendantes, même si elle avait gain de cause en ce qui concerne les revendications indépendantes. Je suis de cet avis. Cette approche équitable tient compte de l’éventail des résultats possibles dans une instance telle que celle qui nous occupe.

[311] L’affirmation de Steelhead, selon laquelle je devrais m’en remettre à la conclusion que j’ai tirée sur les dépens dans l’action en contrefaçon sous-jacente, ne me convainc pas. Dans cette instance, j’ai accordé un montant forfaitaire correspondant à 30 % des frais raisonnables, plus les débours. Il s’agit cependant d’une instance distincte de l’espèce. En outre, j’ai choisi ce point de la fourchette dans cette action parce que la requête en procès sommaire avait été déposée tôt dans l’instance, portait sur des questions distinctes et a nécessité moins de trois jours d’audience. Aucune de ces circonstances ne s’applique en l’espèce.

[312] Steelhead affirme toutefois que tous dépens accordés à ARC, le cas échéant, devraient être réduits à 25 % en raison du retrait/de l’abandon de la demande reconventionnelle pour abus de procédure présentée par ARC contre les défenderesses à une étape tardive de l’instance. Je comprends jusqu’à un certain point la position de Steelhead à cet égard.

[313] Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles se voient accorder 30 % des frais raisonnables, plus 100 % des débours raisonnables, moins les frais et les débours raisonnables constituant du gaspillage par les défenderesses reconventionnelles dans le cadre de la demande reconventionnelle pour abus de procédure. Les frais raisonnables sont limités aux honoraires de trois avocats au plus pour chaque étape de l’instance.

[314] J’accompagne cette conclusion d’une mise en garde. Steelhead a soulevé un argument indéfendable selon lequel les présentations de M. Sullivan n’étaient pas authentiques, mais elle n’a produit aucune preuve à ce sujet. ARC a été contrainte d’appeler M. Sullivan à témoigner et d’organiser son déplacement depuis Houston (Texas) pour qu’il assiste à l’instance en personne. Je suis d’accord avec ARC pour dire que cela justifie l’octroi de dépens d’un montant représentant une indemnisation intégrale, y compris les frais et les débours, se rapportant au témoignage de M. Sullivan, nonobstant la conclusion générale que j’ai tirée concernant les dépens.

[315] Azimuth n’est responsable d’aucuns dépens, puisqu’elle n’a pas participé à l’instance.

[316] Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles fourniront à l’autre partie un mémoire de frais dans les 20 jours suivant la décision de la Cour. Les parties devront ensuite convenir d’un montant raisonnable des dépens dans les 40 jours suivant la décision de la Cour et conformément à celle-ci, faute de quoi elles pourront demander conseil à la Cour relativement à toute question distincte sur laquelle elles ne parviennent pas à s’entendre.

VII. Conclusion

[317] Les revendications 24, 25, 27, 28 et 29 sont valides.

[318] Les revendications 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 et 55 sont valides dans la mesure où elles dépendent des revendications 24, 25, 27, 28 et 29, directement ou indirectement, et sont invalides pour le reste.

[319] Les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83 et 84 sont invalides.

[320] Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles se voient accorder 30 % des frais raisonnables, plus 100 % des débours raisonnables, moins les frais et les débours raisonnables constituant du gaspillage par les défenderesses reconventionnelles dans le cadre de la demande reconventionnelle pour abus de procédure. Elles se voient également accorder des dépens d’un montant représentant une indemnisation intégrale, y compris les frais et les débours, se rapportant au témoignage de M. Paul Sullivan. Azimuth n’est responsable d’aucuns dépens.

JUGEMENT dans le dossier T-1488-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. Les revendications 24, 25, 27, 28 et 29 du brevet canadien no 3,027,085 sont valides.

  2. Les revendications 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 et 55 du brevet canadien no 3,027,085 sont valides dans la mesure où elles dépendent des revendications 24, 25, 27, 28 et 29, directement ou indirectement, et sont invalides pour le reste.

  3. Les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83 et 84 du brevet canadien no 3,027,085 sont invalides.

  4. Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles se voient accorder 30 % des frais raisonnables, plus 100 % des débours raisonnables, moins les frais et les débours raisonnables constituant du gaspillage par les défenderesses reconventionnelles dans le cadre de la demande reconventionnelle pour abus de procédure. Elles se voient également accorder des dépens d’un montant représentant une indemnisation intégrale, y compris les frais et les débours, se rapportant au témoignage de M. Paul Sullivan. Azimuth n’est responsable d’aucuns dépens.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1488-20

INTITULÉ :

STEELHEAD LNG (ASLNG) LTD ET AUTRES c ARC RESOURCES LTD ET AUTRES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 11‑15 et 18‑22 SEPTEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE MANSON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 13 décembre 2023

COMPARUTIONS :

Tim Gilbert

Vik Tenekjian

Kevin Siu

Andrea Rico Wolf

Thomas Dumigan

Dylan Gibbs

POUR LES DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert’s LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

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