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Date : 20231218


Dossier : IMM-5081-22

Référence : 2023 CF 1715

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 18 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JARNAIL SINGH

ANSHPREET SINGH

PARWINDER KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, soit M. Jarnail Singh, son épouse, Mme Anshpreet Singh, et leur fils mineur, Parwinder Kaur, demandent le contrôle judiciaire d’une décision du 5 mai 2022 [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté leur appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rejetant leur demande d’asile. La demande d’asile présentée par M. Singh et sa famille en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] a été rejetée parce que la SAR a trouvé des possibilités de refuge intérieur [les PRI] viables à Chandigarh et à Delhi dans leur pays de citoyenneté, l’Inde.

[2] M. Singh et sa famille soutiennent que la SAR a décidé à tort qu’il existait une PRI viable à Chandigarh et à Delhi, notamment parce qu’elle n’a pas dûment examiné divers faits énoncés dans leur demande et dans la preuve documentaire.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire. À mon avis, la décision de la SAR était fondée sur la preuve et ses conclusions concernant les PRI à Chandigarh et à Delhi possèdent les qualités qui rendent le raisonnement de la SAR logique et cohérent au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. M. Singh et sa famille ne se sont tout simplement pas déchargés du fardeau qui leur incombait de convaincre la SAR que les PRI n’étaient pas viables.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[4] M. Singh et sa famille sont originaires de la ville de Jalandhar, dans l’État du Pendjab. Leur demande d’asile était fondée sur la crainte d’être persécutés par la police locale et par le cousin de M. Singh (appelé H.S. par la SAR [H.S.]), informateur de police et membre du parti du Congrès au Pendjab. Ils soutiennent que, à la demande de H.S. (qui veut saisir et s’approprier des terres agricoles convoitées appartenant à M. Singh et sa famille), la police locale de Jalandhar a accusé M. Singh d’être un militant pro‑Khalistan.

[5] La suite d’événements ayant mené à leur demande d’asile a commencé en 2017, lorsque M. Singh a refusé de donner une partie de ses terres agricoles à son cousin H.S., qui l’a ultérieurement agressé verbalement et battu. Après ces événements, la police locale a refusé d’entendre la plainte de M. Singh et l’a menacé. En 2018, M. Singh a été informé que H.S. avait comploté avec la police locale pour le faire tuer. M. Singh s’est alors enfui de chez lui et s’est installé dans un village voisin. La police a ensuite investi et fouillé sa maison et a maltraité son épouse jusqu’à ce qu’un voisin intervienne.

[6] Peu de temps après, avec l’assistance d’un agent, M. Singh et sa famille ont quitté l’Inde pour le Canada, où ils ont demandé l’asile à leur arrivée.

[7] En novembre 2019, la SPR a rejeté la demande de M. Singh et sa famille et décidé qu’il existait des PRI viables pour eux à Chandigarh et à Delhi. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR a constaté que la police du Pendjab disposait de ressources limitées et que M. Singh n’avait pas établi que les faits propres à son dossier étaient suffisamment graves pour justifier une recherche interétatique. Dans le même ordre d’idées, la SPR a constaté que, puisque M. Singh n’avait jamais été arrêté ni détenu, il ne pourrait pas être retracé au moyen du Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and Systems) [le CCTNS] de l’Inde, la seule base de données de la police à l’échelle du pays. La SPR a ajouté que M. Singh et sa famille n’avaient pas établi que H.S. et la police locale de Jalandhar exerçaient une influence à l’extérieur de leur village et que ceux‑ci n’avaient donc pas les moyens de les retrouver dans l’une ou l’autre des PRI proposées. Enfin, bien qu’il soit possible que M. Singh et sa famille éprouvent certaines difficultés en matière d’emploi dans les PRI proposées, la SPR a décidé que ces difficultés n’atteindraient pas le seuil requis pour que les PRI proposées soient déraisonnables.

[8] En 2021, quelque trois années après le départ des demandeurs de l’Inde, la mère de M. Singh, qui se trouve en Inde, a reçu une assignation sommant M. Singh de se présenter au poste de police local de Jalandhar. Dans l’assignation, il était allégué que M. Singh participait au militantisme en faveur du Khalistan.

B. La décision de la SAR

[9] En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Dans sa décision, la SAR a rejeté les prétentions de M. Singh et sa famille et, après avoir appliqué son propre critère relatif à la PRI, a convenu avec la SPR qu’il existait deux PRI viables pour eux, soit à Chandigarh et à Delhi. De même, la SAR a décidé que les agents de persécution, à savoir, H.S. et la police locale de Jalandhar ne possédaient ni la motivation ni les moyens de rechercher M. Singh et sa famille dans les PRI proposées.

[10] En ce qui a trait à la motivation, la SAR a décidé que toute poursuite potentielle par H.S. pourrait être désamorcée à titre préventif par le transfert du reste des terres actuellement non saisies de M. Singh au cousin de ce dernier. La SAR a souligné que, s’agissant de ceux qui sont capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à un risque de préjudice, on peut s’attendre à qu’ils optent pour une telle solution. Si H.S. n’avait plus la motivation de rechercher M. Singh et sa famille, la police locale de Jalandhar ne l’aurait pas non plus.

[11] En ce qui concerne les moyens, après avoir lu la preuve documentaire figurant dans le cartable national de documentation sur l’Inde [le CND], la SAR a décidé que les deux agents de persécution ne pourraient retrouver M. Singh et sa famille dans les PRI proposées. La SAR a fait remarquer que le système de vérification des locataires dans les PRI proposées était inadéquat et n’était pas régulièrement mis à jour. Quant au CCTNS, elle a indiqué qu’il était peu probable que l’assignation de la police locale de Jalandhar ait été inscrite dans ce réseau et que, même si elle y était inscrite, elle ne décrirait pas un crime suffisamment grave pour attirer l’attention des autorités dans d’autres États.

[12] Enfin, la SAR a décidé que les difficultés qu’éprouveraient M. Singh et sa famille par suite d’un déménagement dans l’une des PRI proposées n’atteindraient pas le seuil requis pour conclure qu’une PRI est déraisonnable. Selon elle, le fait que M. Singh et sa famille soient sikhs ne mettrait pas leur vie ou leur sécurité en danger à Chandigarh ou à Delhi. La SAR a ajouté que, malgré la possibilité qu’ils éprouvent quelques difficultés dans leurs recherches d’emploi, M. Singh et son épouse pourront trouver un travail grâce à l’expérience qu’ils ont acquise au Canada dans le domaine du travail manuel. Enfin, la SAR a conclu que l’absence d’un réseau familial dans les PRI proposées n’atteignait pas un niveau que l’on peut qualifier de déraisonnable au point où leur vie ou leur sécurité serait en danger.

C. La norme de contrôle

[13] Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision faisant l’objet du contrôle et aux conclusions concernant l’existence d’une PRI viable (Khosla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1557 au para 16; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 [Singh 2020] au para 17). Voilà ce qu’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], où la Cour a établi une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle sur le fond des décisions administratives (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 7).

[14] Lorsque la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, le rôle de la cour de révision consiste à examiner les motifs fournis par le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Mason, au para 64). La cour de révision doit donc se demander si la « décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99). Il faut tenir compte tant du résultat de la décision que du raisonnement suivi pour évaluer si la décision possède ces caractéristiques (Vavilov, aux para 15, 95 et 136).

[15] Cet examen doit comprendre une évaluation rigoureuse et solide des décisions administratives. Cependant, dans son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » et commencer son enquête par l’examen des motifs donnés avec « une attention respectueuse », en cherchant à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason, aux para 58 et 60; Vavilov, au para 84). La cour de révision doit faire preuve de retenue et intervenir « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13), sans « apprécier à nouveau la preuve » dont elle est saisie (Vavilov, au para 125).

[16] Il incombe à la partie qui conteste la décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour que la cour de révision annule une décision administrative, les lacunes doivent être plus que superficielles. La cour doit être convaincue qu’il existe des « lacunes [suffisamment] graves » (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

[17] La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si les conclusions de la SAR sur la viabilité des PRI sont raisonnables.

A. Le critère applicable aux décisions relatives à la PRI

[18] Le critère qui s’applique pour déterminer l’existence d’une PRI viable est tiré des arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu]. Ces arrêts de la Cour d’appel fédérale prévoient que, pour conclure qu’une PRI proposée est raisonnable, il faut, selon la prépondérance des probabilités, satisfaire à deux critères : 1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI et 2) il ne doit pas être déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge dans la PRI, compte tenu de l’ensemble des circonstances qui lui sont propres.

[19] Dans la décision Singh 2020, la Cour a rappelé que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » [non souligné dans l’original] (Singh 2020, au para 26). Si un demandeur d’asile a une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).

[20] Lorsqu’une PRI est établie, il incombe au demandeur d’asile de démontrer que la PRI est inadéquate (Thirunavukkarasu, au para 12; Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 26; Manzoor-Ul-Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43‑44).

B. Premier volet du critère applicable à la PRI : possibilité sérieuse de persécution ou risque dans les PRI

[21] M. Singh et sa famille soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de certaines circonstances factuelles et de divers passages de la preuve documentaire, ce qui rend sa décision déraisonnable.

[22] Premièrement, ils font valoir que la SAR a commis une erreur en supposant qu’il serait raisonnable qu’ils cèdent leurs terres agricoles, vu l’éducation limitée de M. Singh et le fait qu’il a travaillé sur ces terres pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant toute sa vie adulte en Inde. M. Singh et sa famille prétendent que la SAR n’a fourni aucune explication quant à savoir pourquoi elle conclut qu’ils ne seraient pas privés de leur [traduction] « capacité générale de gagner leur vie », compte tenu de leur situation personnelle.

[23] Deuxièmement, M. Singh et sa famille allèguent que la SAR a décidé à tort que le système de vérification des locataires de l’Inde est inadéquat dans les PRI proposées, étant donné qu’un passage du CND précise qu’il peut être utilisé à Chandigarh. M. Singh et sa famille soutiennent également que la SAR a déterminé à tort que le nom de M. Singh ne figurerait pas dans le CCTNS. En se fondant encore une fois sur le CND, M. Singh fait valoir que l’existence d’un acte d’accusation officiel ou d’un casier judiciaire n’est pas nécessaire pour qu’un nom se retrouve dans le CCTNS.

[24] Troisièmement, M. Singh et sa famille soutiennent que les enquêtes que la police locale de Jalandhar continue de faire auprès des membres de leur famille pour savoir où ils se trouvent témoignent d’une motivation à les retrouver et que la SAR a donc déterminé à tort qu’il n’existait aucune motivation, hormis l’intérêt de H.S. à l’égard de leurs terres. M. Singh et sa famille prétendent également que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la PRI, car elle n’a pas examiné la possibilité qu’ils soient retrouvés par l’intermédiaire de leur famille et de leurs amis.

[25] J’examine chacun de ces arguments à tour de rôle.

(1) Les terres agricoles

[26] En ce qui concerne les terres agricoles, je ne suis pas convaincu que la SAR ait omis de fournir des motifs adéquats à l’appui de sa conclusion selon laquelle la cession des terres ne nuirait pas à la capacité générale de M. Singh et sa famille de gagner leur vie.

[27] Dans sa décision, la SAR a souligné qu’il ne serait pas déraisonnable que M. Singh abandonne le reste de ses biens afin d’éliminer tout futur risque posé par H.S. Elle s’est fondée sur l’arrêt Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 [Sanchez] pour conclure que, s’agissant de ceux qui sont capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à un risque de préjudice, on peut s’attendre à qu’ils optent pour une telle solution, pourvu que cela ne porte atteinte à aucun droit fondamental de la personne ou à la dignité humaine (Sanchez, au para 18). La SAR a ensuite décidé qu’un droit de propriété n’était pas un droit fondamental qui rendrait déraisonnable l’abandon des terres agricoles par M. Singh et sa famille.

[28] La SAR a également indiqué que, si M. Singh et sa famille se débarrassaient de leurs terres, H.S. et, par conséquent, la police locale de Jalandhar, ne poseraient plus aucun risque. Comme elle l’a souligné, si H.S. acquerrait les terres, lui et la police ne seraient plus motivés à retrouver la famille Singh. De plus, la SAR a évalué précisément l’expérience de travail de M. Singh sur sa ferme et dans le domaine du travail manuel au Canada et a décidé qu’il ne serait pas désavantagé dans ses recherches d’emploi dans l’une ou l’autre des PRI proposées. L’explication de la SAR était peut-être succincte, mais je ne suis pas convaincu qu’elle n’était pas justifiée, rationnelle ou logique ni qu’il était déraisonnable pour la décideuse de conclure que l’abandon des terres agricoles ne nuirait pas à la capacité générale de M. Singh de gagner sa vie.

(2) Le système de vérification des locataires et le CCTNS

[29] M. Singh et sa famille allèguent que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la capacité de la police de les retrouver dans les PRI proposées au moyen du CCTNS et du système de vérification des locataires, car elle n’a pas examiné judicieusement la preuve documentaire figurant dans le CND.

[30] Je ne suis pas d’accord.

[31] Dans sa décision détaillée, la SAR a fourni de nombreux motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution ni de risque pour M. Singh et sa famille dans les PRI proposées. En particulier, la SAR a conclu que M. Singh et sa famille n’avaient pas prouvé qu’ils étaient des personnes d’intérêt pour la police en Inde et que leurs agents de persécution — H.S. et la police locale de Jalandhar — n’avaient ni les moyens ni la motivation de les retrouver dans les PRI proposées.

[32] Dans son analyse, la SAR a tout d’abord examiné les éléments de preuve se rapportant à M. Singh. Elle a souligné que M. Singh n’avait commis aucun crime en Inde, encore moins un crime majeur qui intéresserait les corps de police dans d’autres États de l’Inde, et qu’il n’avait jamais été arrêté ni détenu. De plus, la SAR a pris acte du fait qu’aucune action en justice n’avait été intentée après que M. Singh eut omis de se présenter à la police locale de Jalandhar conformément à l’assignation que sa mère avait reçue en 2021. Enfin, la SAR a indiqué que le CCTNS ne contenait que des renseignements relatifs aux crimes graves, lorsqu’un premier rapport d’information ou un document quelconque est habituellement rédigé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, même dans un tel cas, la police éprouve de la difficulté à suivre dans divers États les criminels inscrits. Ainsi, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il était peu probable que le nom de M. Singh figure dans le CCTNS.

[33] À la lecture de la décision, il ne fait aucun doute que, pour en arriver à sa décision, la SAR s’est appuyée fortement sur la situation particulière de M. Singh et sur la preuve documentaire se trouvant dans le CND.

[34] En se fondant sur son évaluation de la preuve documentaire objective figurant dans le CND, la SAR a également tiré plusieurs conclusions de fait au sujet du système de vérification des locataires de l’Inde. Par exemple, elle a conclu que le système de vérification des locataires dans les PRI proposées était inadéquat et n’était pas mis à jour régulièrement et que, puisque le nom de M. Singh n’apparaîtrait pas dans le CCTNS, il ne serait pas repéré par le système de vérification des locataires. Elle a ajouté que les systèmes policiers des divers districts et États n’étaient pas intégrés, ce qui avait pour effet de créer des [traduction] « îlots de technologie » qui permettaient aux policiers de communiquer uniquement à l’intérieur de leur propre district ou État.

[35] La SAR, et la SPR avant elle, ont toutes deux reconnu qu’il semblait exister une infrastructure permettant à la police de suivre des individus. Cependant, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que le nom de M. Singh figurerait dans la base de données ou que la police du Pendjab aurait la motivation de le retrouver.

[36] Après avoir évalué les conclusions de la SAR et la preuve documentaire sur laquelle elle s’est fondée, je suis convaincu qu’il était raisonnable pour la SAR de choisir et d’accepter les éléments de preuve qu’elle jugeait les plus probants pour appuyer ses conclusions (Arora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1270 aux para 22-26). En effet, comme la Cour l’a souligné dans la décision Singh 2020, « [i]l est bien reconnu qu’un décideur administratif est présumé avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi » (Singh 2020, au para 38). De plus, le fait qu’un élément de preuve particulier n’a pas été mentionné ne signifie pas que le décideur en a fait fi ou l’a exclu (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

[37] Certes, lorsqu’un décideur administratif ne traite pas judicieusement des éléments de preuve qui viennent directement contredire ses conclusions de fait, la Cour peut intervenir et déduire que les éléments de preuve contradictoires ont échappé au décideur lorsqu’il a tiré sa conclusion (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 aux para 9-10; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) au para 17). Cependant, le défaut de tenir compte de certains éléments de preuve bien précis doit être examiné au regard du contexte, et c’est uniquement lorsque les éléments de preuve sont essentiels et contredisent directement la conclusion du décideur que la cour de révision peut décider que le tribunal n’a pas tenu compte de ce qui lui a été présenté (Torrance c Canada (Procureur général), 2020 CF 634 au para 58). Je n’ai pas été convaincu que de tels éléments de preuve ont été ignorés en l’espèce.

[38] Je suis conscient du fait que certains extraits du CND peuvent être plus favorables à la position de M. Singh. Je reconnais également que les antécédents personnels d’un demandeur peuvent être suffisants pour que son nom figure dans certaines bases de données indiennes. Néanmoins, en l’espèce, la SAR s’est fondée sur d’autres parties du CND et sur le profil de M. Singh pour décider que, selon la prépondérance des probabilités, ce dernier était peu susceptible de figurer dans les bases de données de l’Inde, puisqu’il n’était ni un criminel ni un militant. Il est vrai qu’un acte d’accusation officiel ou un casier judiciaire n’est pas « nécessaire » pour inscrire les renseignements d’une personne dans une base de données nationale comme le CCTNS. Toutefois, lorsque – comme dans le cas de M. Singh – le demandeur n’a que des « antécédents personnels » auprès d’un poste de police et qu’il n’existe pas de trace officielle de son arrestation et de sa détention extrajudiciaires, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable pour la SAR de statuer qu’il est peu probable que le nom du demandeur apparaisse dans le CCTNS de l’Inde.

[39] Quant à l’assignation délivrée à M. Singh en mars 2021, la police n’y a jamais donné suite, malgré le fait que M. Singh ne s’est pas présenté au poste de police en vue d’y subir un interrogatoire comme il le lui avait été demandé. En effet, aucune accusation n’a été déposée relativement à l’assignation. Dans ces circonstances, il était loisible à la SAR de déduire que l’assignation n’était pas suffisamment sérieuse pour justifier l’inscription des renseignements de M. Singh dans le CCTNS.

[40] En l’espèce, la SAR a abondamment renvoyé à la preuve objective; M. Singh et sa famille expriment simplement leur opposition à l’évaluation de cette preuve par la SAR. Cependant, au contrôle judiciaire, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve. Les conclusions de la SAR au sujet de la PRI étaient essentiellement des conclusions de fait fondées sur son évaluation de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve documentaire, qui ne contient pas seulement les passages invoqués par M. Singh et sa famille. Ces conclusions relèvent de l’expertise de la SAR et appellent un degré élevé de déférence de la part de la Cour. Notre Cour n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion plus favorable au demandeur. Son rôle consiste à évaluer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov, aux para 99 et 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). En l’espèce, en ce qui concerne le système de vérification des locataires et le CCTNS, la SAR a évalué tous les éléments preuve contenus dans le CND et les a simplement appréciés d’une autre façon que celle qu’auraient préférée M. Singh et sa famille.

[41] Je tiens à souligner que la question dont la Cour est saisie n’est pas de savoir si les interprétations proposées par M. Singh et sa famille pourraient être défendables, acceptables ou raisonnables. La Cour doit plutôt examiner cette question au regard de l’interprétation faite par la SAR dans sa décision. Le fait que d’autres interprétations raisonnables puissent découler des faits ne signifie pas que l’interprétation de la SAR était déraisonnable. Une réinterprétation de la décision de la SAR reviendrait à appliquer indirectement la norme de la décision correcte, ce qui serait contraire aux directives que la Cour suprême a expressément données aux cours de révision dans l’arrêt Vavilov.

(3) Famille et amis

[42] M. Singh et sa famille soutiennent également que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la PRI, car elle n’a pas examiné la possibilité qu’ils soient retrouvés par l’intermédiaire de leur famille et de leurs amis. En se fondant sur des décisions rendues par notre Cour, soit Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 [Ali] aux paragraphes 49-50, AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915 [AB] aux paragraphes 20-24 et Zamora Huerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586 [Zamora Huerta] au paragraphe 29, la famille Singh prétend qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce que des membres de la famille mettent leurs propres vies en danger en niant savoir où se trouve la famille ou en induisant délibérément les autorités en erreur.

[43] Encore une fois, je ne suis pas convaincu par les arguments de la famille Singh.

[44] Tout d’abord, comme le souligne à juste titre l’avocate du ministre, cet argument n’a pas été soulevé devant la SAR. Les observations présentées au nom de M. Singh et de sa famille mentionnaient que la police continuait de harceler des membres de leur famille en Inde en raison de la participation alléguée de M. Singh au mouvement pro‑Khalistan. Cependant, il n’a pas été allégué que les interactions entre la police et leur famille élargie en Inde permettraient à la police locale de retrouver M. Singh et sa famille, ou que ces derniers devraient effectivement vivre dans la clandestinité. Comme notre Cour l’a conclu récemment à quelques reprises dans des circonstances similaires, le contrôle judiciaire d’un argument qui aurait pu être présenté à la SAR, mais qui ne l’a pas été, ne sera habituellement pas accordé (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 aux para 18-19, citant Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 875 aux para 2 et 23-58, Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 839 aux para 5, 18 et 26-29 et Kodom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 305 aux para 5 et 12).

[45] En l’espèce, dans les arguments qu’ils ont présentés à la SAR, M. Singh et sa famille ont mentionné que la police avait rendu visite à la famille élargie du demandeur, mais ils ont seulement soutenu que ces visites témoignaient de la motivation de la police à les pourchasser. La SAR a examiné ces arguments et y a répondu. Il n’a pas été allégué devant la SAR que les demandeurs devraient vivre dans la clandestinité dans la PRI parce que la police pourrait les trouver par l’intermédiaire des membres de leur famille élargie. On ne peut reprocher à la SAR d’avoir omis d’aborder, au cours du contrôle judiciaire, une question qui ne lui a pas été présentée et qui ne ressortait pas de façon perceptible de la preuve (Guajardo-Espinoza c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] ACF no 797 (QL) (CAF) au para 5; Eyitayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1072 au para 27; Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 29-32; Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 au para 23).

[46] Cela suffit pour rejeter les arguments de M. Singh et sa famille concernant la possibilité qu’ils soient retrouvés par l’intermédiaire de leur famille et de leurs amis.

[47] Quoi qu’il en soit, la Cour opère une distinction entre les affaires qui ont été invoquées et la présente cause. Dans les affaires Ali, AB et Zamora Huerta, de lourdes et graves menaces de préjudice et de violence avaient été proférées contre les membres de la famille des demandeurs. La preuve démontrait que les proches des demandeurs seraient eux-mêmes en danger s’ils mentaient aux persécuteurs au sujet du lieu où se trouvaient les demandeurs; elle montrait également que les persécuteurs avaient la capacité et la volonté de pourchasser les demandeurs dans leurs nouveaux milieux de vie sur le fondement des renseignements qu’ils avaient acquis. Une telle preuve n’existe pas en l’espèce. Comme je le mentionne plus haut, la SAR a raisonnablement jugé qu’aucune preuve ne démontrait que la police locale de Jalandhar avait une quelconque capacité de trouver M. Singh et sa famille à l’extérieur de Jalandhar.

[48] Comme la Cour l’a souligné dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1151, les conclusions tirées dans les trois affaires invoquées sont tributaires des faits et ne peuvent s’appliquer de façon générale à chaque situation de PRI. Dans la présente affaire, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que les agents de persécution avaient la motivation de trouver M. Singh et sa famille. À lui seul, le fait que la police de Jalandhar connaisse l’endroit où se trouvent M. Singh et sa famille – à supposer que les familles élargies lui dévoilent cet endroit – n’établit pas l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution ou de risque dans les villes proposées comme PRI si la police de Jalandhar n’a ni les moyens ni la motivation d’agir à cet égard.

(4) L’allégation de plainte auprès de la police

[49] M. Singh et sa famille prétendent également que la SAR n’a pas dûment tenu compte du risque qu’ils soient persécutés par la police locale de Jalandhar, puisque M. Singh aurait déposé une plainte directement contre elle.

[50] Avec égards, je ne suis pas d’accord. Après avoir examiné le dossier, je n’ai trouvé aucun élément de preuve étayant une allégation de plainte faite contre la police elle‑même. Comme l’a souligné l’avocate du ministre à l’audience, la preuve montre seulement que M. Singh a tenté à plusieurs reprises de déposer une plainte auprès de la police, mais qu’en définitive, il ne l’a jamais fait.

[51] Selon la preuve, en novembre 2017, M. Singh s’est rendu au poste de police local de Jalandhar pour déposer une plainte. Toutefois, il n’a pu obtenir aucune aide; les policiers ont refusé d’accepter sa plainte et l’ont forcé à sortir du poste de police. Plus tard, soit en décembre 2017, il a voulu déposer une plainte auprès du bureau du commissaire adjoint; ce dernier étant en vacances, il n’a pas pu déposer la plainte. On a dit à M. Singh de revenir deux semaines plus tard, soit au retour du commissaire adjoint. Cependant, avant de pouvoir déposer sa plainte, M. Singh a appris que son cousin H.S. voulait le tuer, et il s’est donc enfui de l’Inde. En définitive, M. Singh n’a jamais déposé officiellement sa plainte contre la police de Jalandhar auprès du commissaire adjoint.

[52] Par conséquent, aucun élément de preuve ne démontre que M. Singh a déposé un rapport de police officiel contre la police.

[53] Dans ses observations présentées à la Cour, l’avocat de M. Singh a invoqué la décision que j’ai rendue dans l’affaire Bhuiyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 410 [Bhuiyan] ainsi que la décision de la Cour dans l’affaire Mittal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1270 [Mittal]. La Cour peut cependant établir une distinction entre ces deux affaires et la cause dont elle est saisie. Dans l’affaire Bhuiyan, le demandeur avait invoqué deux motifs de persécution, à savoir, la reprise de possession de la ferme et l’orientation sexuelle de sa fille. Or, la SAR n’avait pas tenu compte du deuxième motif. Cependant, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas où la SAR a ignoré un deuxième motif de persécution, puisqu’aucun élément de preuve ne démontre un motif de persécution allégué découlant du dépôt d’une plainte contre la police.

[54] Dans la décision Mittal, la Cour a conclu que la décision de la SAR était déraisonnable pour deux raisons principales : premièrement, la SAR s’était livrée à des conjectures qui n’étaient pas du tout étayées par le dossier (en ce qui concernait les faits de l’affaire et le risque auquel le demandeur était exposé aux mains de son adversaire politique). Deuxièmement, selon le juge Pentney, la SAR n’avait pas expliqué comment elle avait tenu compte des pressions continues que la police exerçait sur la famille des demandeurs dans son évaluation du risque auquel ils étaient exposés dans la PRI. Dans cette affaire, la Cour a souligné qu’il n’était pas loisible à la SAR de tirer sa conclusion sans expliquer son analyse de la preuve par affidavit concernant les visites répétées de la police chez le père du demandeur principal et les voisins, ainsi que les menaces que leur proférait la police (Mittal, au para 24).

[55] En l’espèce, je suis convaincu que la décision de la SAR est raisonnablement expliquée, compte tenu de l’insuffisance de la preuve concernant une plainte présumément faite à la police. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle la SAR s’est livrée à des conjectures qui n’étaient pas du tout étayées par le dossier, ce qui, selon la jurisprudence de notre Cour, serait déraisonnable (Hernandez Cortez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1392 au para 36). Je suis plutôt convaincu que la SAR s’est attaquée de façon significative aux questions clés et aux arguments principaux formulés par les parties (Vavilov, au para 128).

[56] De plus, comme je le mentionne plus haut, l’argument de M. Singh et sa famille selon lequel ils devaient s’abstenir de révéler leur emplacement à leur famille n’a pas été présenté à la SAR.

(5) Conclusion sur le premier volet du critère applicable à la PRI

[57] Depuis les arrêts Mason et Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse dans une demande de contrôle judiciaire. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov, au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite » et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov, au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision, et les cours de révision doivent les interpréter « de façon globale et contextuelle », « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, aux para 97 et 103; Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 15).

[58] En l’espèce, les motifs de la SAR établissent une justification transparente et intelligible de la décision (Vavilov, aux para 81 et 136). Au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a décidé que la cour de révision « doit être convaincue qu’"[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait" ». Dans la présente affaire, il est facile de suivre le mode d’analyse de la SAR, et la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99).

[59] Il était donc raisonnable pour la SAR de conclure que M. Singh et sa famille ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque dans les PRI proposées.

C. Deuxième volet du critère applicable à la PRI : le caractère raisonnable des PRI proposées

[60] En ce qui concerne le deuxième volet du critère applicable à la PRI, la famille Singh allègue que les PRI proposées sont déraisonnables, puisque la famille est de confession sikhe et que la violence religieuse visant les communautés minoritaires sikhes en Inde ne cesse de croître.

[61] Je ne suis pas convaincu par ces arguments et je suis d’avis que les conclusions de la SAR sur le deuxième volet du critère applicable à la PRI sont également raisonnables.

[62] Dans sa décision, la SAR a examiné en particulier la situation des minorités sikhes en Inde. Après une analyse approfondie, elle a privilégié la preuve documentaire indiquant que les sikhs étaient généralement en sécurité et s’intégraient aux communautés sociales et économiques en Inde, surtout lorsqu’il existait déjà une importante communauté sikhe, comme c’est le cas à Chandigarh et à Delhi. La SAR a traité de la situation des sikhs à l’extérieur du Pendjab, ainsi que de la montée de la violence religieuse en Inde, répondant ainsi aux craintes exprimées par M. Singh et sa famille. Là encore, ces derniers demandent à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la SAR, ce qu’elle ne peut pas faire.

[63] En outre, notre Cour a décidé à maintes reprises que, même si le fait d’être sikh à l’extérieur du Pendjab peut représenter un défi en soi, cela ne suffit pas « pour satisfaire à la rigueur du deuxième volet du test [applicable à la PRI] » ((Major) Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 277 [Major Singh] aux para 25-26). Autrement dit, l’opposition de M. Singh et sa famille à l’évaluation de la SAR ne signifie pas que cette dernière n’a pas tenu compte du fait qu’ils sont sikhs. Cela est d’autant plus vrai que, dans son analyse du deuxième volet du critère applicable à la PRI, la SAR a expressément tenu compte de leur confession sikhe.

[64] La SAR était aussi consciente du fait que Chandigarh et Delhi sont, en général, des PRI sécuritaires et viables où M. Singh et sa famille pourraient trouver un logement et vivre sans craindre d’être persécutés. Elle a également tenu compte de la situation particulière de la famille Singh et a souligné que M. Singh et son épouse seraient en mesure d’obtenir un emploi grâce à leur expérience de travail. Quant à l’absence du réseau familial, la SAR a raisonnablement conclu que cette absence ne mettait pas en péril leur vie ou leur sécurité.

[65] Pour satisfaire au deuxième volet du critère et décider qu’une PRI est déraisonnable, il doit y avoir une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un demandeur qui tente de se rendre ou de se relocaliser temporairement dans le lieu sûr proposé (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15, citant Thirunavukkarasu). En l’espèce, la seule preuve présentée par M. Singh et sa famille à cet égard est la preuve documentaire générale selon laquelle les sikhs font face à la persécution et éprouvent des difficultés un peu partout en Inde. Cependant, cette preuve est loin d’être suffisante pour satisfaire au deuxième volet du critère applicable à la PRI (Major Singh, aux para 25-26).

[66] Là encore, les conclusions de la SAR sur l’existence d’une PRI sont essentiellement factuelles et tombent au cœur même de son expertise en matière d’immigration et de protection des réfugiés. Il est bien établi que la SAR profite des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve se rapportant à des faits qui relèvent de son champ d’expertise. Dans ces situations, la norme de la décision raisonnable impose à la Cour une grande retenue à l’égard des conclusions de la SAR (Mason, aux para 57 et 73). Il convient de rappeler qu’une cour de révision n’a pas pour tâche de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de fait du décideur pour y substituer les siennes (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). La Cour doit plutôt considérer les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53), et se contenter de rechercher si les conclusions revêtent un caractère irrationnel ou arbitraire.

IV. Conclusion

[67] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent qui est à la fois rationnel et logique. La SAR a fourni de nombreuses conclusions à l’appui de sa décision selon laquelle la police locale de Jalandhar et H.S. n’auraient pas la motivation ou les moyens de retrouver M. Singh et sa famille dans les PRI proposées une fois que ces derniers auront cédé leurs terres agricoles, de sorte qu’il est satisfait au premier volet du critère applicable à la PRI. La SAR a également fourni des motifs cohérents expliquant en quoi les PRI proposées à Chandigarh et à Delhi ne sont pas déraisonnables, dans la mesure où la vie et la sécurité de M. Singh et sa famille ne seraient pas en péril. Ainsi, il est également satisfait au deuxième volet du critère applicable à la PRI. Par conséquent, la décision de la SAR était fondée sur la preuve et ses conclusions concernant les PRI peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

[68] Aucune question à certifier n’a été proposée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5081-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5081-22

INTITULÉ :

JARNAIL SINGH ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUéBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 NOVEMBRe 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GASCON

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

le 18 décembre 2023

COMPARUTIONS :

Viken G. Artinian

POUR LES DEMANDEURS

Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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